Après avoir fait face à Nick, je ne pensais pas un seul instant réussir à l'envoyer sur les roses et à me séparer de lui. Il faut croire que je ne me connais pas encore assez bien, car je me suis surpris. Je pensais qu'à l'instant où mes yeux se poseraient sur lui...A l'instant où mon coeur résonnerait pour lui...Je me pensais condamné. Mais ce ne fut pas le cas et je dois dire que ça a été la surprise du moment.

J'ai donc repris ma petite vie à l'abri des regards, à servir du café réchauffé ou des steaks trop cuits dans ce petit resto minable qui ne paye pas de mine. Là où personne ne viendra me chercher. Là où je serais définitivement loin de cette vie là.

Parce qu'il est question de ça n'est-ce pas ? Ce n'est pas Nick que je rejette, mais la vie qu'il mène. Je ne peux pas suivre son rythme, je n'ai jamais pu. J'ai essayé de m'adapter, mais qui serait assez fou pour vouloir s'adapter à un homme tel que lui ? Qui serait assez cinglé pour croire que c'est possible ?

Pas moi. J'ai compris maintenant.

- Tu as la tête de quelqu'un revenu des morts. Tu étais déjà moche avant, mais je vois que ça ne s'améliore pas avec le temps. Salut Tobias.

Mais vous savez ce que l'on dit ? Les ennuis n'arrivent jamais seuls.

- Nathan, que puis-je faire pour toi ?

Je n'ai même pas besoin de lui poser la question pour savoir qu'il vient pour lui ou que tout du moins ça a un lien avec lui. Je le sais. Nathan a toujours été un peu à sa solde. Comme moi. On doit tous les deux énormément à Nick, c'est vrai, mais je le pensais sorti de tout ça et ayant une vie bien à lui. Alors, pourquoi se remettre dans tout ça ? Pourquoi s'embêter d'histoires qui ne le regardent même pas ?

- Je viens juste voir comment tu vas. Ça fait un bout de temps.

Ah ça y est, je comprends.

- Depuis quand Babysitter est compris dans ton job ? T'es loin de ton terrain d'escort boy. Il te paye en plus ou tu fais ça par bonté de cœur ?

- Crois-moi, j'aimerais rester chez moi, mais tu sais aussi bien que moi que je ne peux pas lui refuser grand chose.

- Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ? Il y a une différence entre les deux. Tu devrais le savoir mieux que personne.

Forcément, j'aurai dû m'en douter. Nick ne m'aurait pas laissé tranquille. Du moins, il n'a clairement pas la même définition de la tranquillité que moi.

- T'es sûr que tu devrais bosser ? Je veux dire...T'es blanc comme un cul.

- Waw ! Tu viens seulement de remarquer ma couleur de peau ?

- Tobias...Ne joue pas au costaud.

- Je fais ce que je veux et les factures ne se payent pas sans un minimum d'effort. Oh pardon, peut-être est-ce un terme étranger à vous messieurs les grands bourgeois ?

- Fais pas ton trou du cul avec moi, veux-tu ? Je m'inquiète pour toi. Sincèrement. C'est aussi en partie pour ça que j'accepte de veiller sur toi. Nick craint pour ta vie.

- Il devrait s'occuper de ses fesses, car visiblement, il a un mal fou à veiller sur elles déjà. Je n'ai pas besoin de toi Nathan. Tu peux repartir pour te faire tout beau pour je ne sais quelle soirée.

- Jaloux ? Tu avais tout ça à portée de mains toi aussi. Tu as juste tout...balayé. T'avais une chance de t'en sortir et au final t'as fait quoi ? Tu t'es remis dans la merde.

- Je me suis sortis de la merde dans laquelle Nick m'avait entraîné, c'est différent ! Son monde...est dangereux.

Et je n'ai jamais été préparé à affronter tout ça. Je n'ai jamais rien demandé. J'aurai été le premier heureux et satisfait si les choses avaient été beaucoup plus simples entre nous, mais ce n'est pas le cas. Tout est compliqué et ça me fait chier.

Je pose alors mon plateau sur la table et m'assois en face de Nathan qui continue de me dévisager du regard tout en buvant son diabolo avec un léger sourire en coin.

-Malgré tout, ça t'a attiré comme une mouche avec du sucre. Ose me dire que tu ne t'es pas senti plus vivant avec lui. On sait tous les deux quel genre de mec tordu, compliqué est Nick, mais on s'en est accommodé. Et toi...Toi Tobias, tu peux être celui qui le sort de ce trou noir. Tu peux le tirer de là. T'en as les moyens, je le sais. T'as une influence pas croyable sur ce gars alors pourquoi t'en profites pas pour nous faire une faveur à tous, hein ?

- Parce que c'est pas à moi de sauver Nick.

- Si ce n'est pas toi, alors c'est qui ? Dis-moi.

On passe la majorité de nos vies à fermer les yeux sur les problèmes des autres. On voit un gosse à terre ayant chuté, on passe notre chemin. On voit une grand-mère dans la difficulté, on détourne le regard. Une femme enceinte dans un bus, on fait genre que notre téléphone nous intéresse plus. Oui, on passe la majorité de nos vies à se dire "C'est pas mes oignons" ou "C'est pas moi qui vait changer quoi que ce soit", et si au contraire, tout reposait sur nos frêles et petites épaules ? Si on pouvait accumuler les petits gestes, les sourires en coin et si pour une fois on se sortait les doigts du cul en arrêtant d'être de sombres connards de nombrilistes ?

- Pourquoi à chaque fois que l'on se croise toi et moi c'est pour me casser les couilles Nathan ? Tu le fais exprès ou c'est un don naturel ?

- Va savoir ! Disons juste que ça me gave de vous voir nager dans votre merde alors qu'il suffirait que l'un de vous deux range son gros égo et se bouge le cul.

- Va lui dire ça.

- Oh sérieux ! On croirait entendre un vieux couple en fin de vie. Crois-moi Tobias, j'ai déjà eu cette conversation avec Nick, mais je sais que t'en parlant à toi, j'aurai moins l'air d'un con faisant pipi dans un violon. Mes paroles ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd. Contrairement à Nick...Il est sourd ET aveugle. Genre c'est le jackpot.

Merci, je suis au courant.

- Je ne promets rien.

- Mais tu vas déjà essayer, n'est-ce pas ?

- J'ai essayé de lui faire comprendre à la manière forte qu'il était sur une pente glissante et pourtant...Il a glissé comme un enfant avec une luge. Toi tu parles d'influence, moi je dis que c'est du vent, mais si tu peux me foutre la paix alors je vais te le prouver. Je vais te montrer que Nick n'écoute que lui-même est personne d'autre. Pas même moi.

Finissant son verre, il le pose devant moi et me tend la main.

- T'es un type bien Tobias. Peut-être même trop pour des enfoirés comme nous.

- C'est que maintenant que tu le remarques ?

Mais à force, le type bien fini lui aussi par devenir un peu mauvais et à faire des choses regrettables. Je ne suis pas une exception à la règle, bien au contraire. Je ne suis probablement pas un type bien ou du moins, plus aussi bien que je ne l'étais. Tout ça à cause de Nick.