I. Atlas
J'ai mis des semaines à m'y habituer, je crois. À ne plus entendre sa voix ou à ne plus être sur mes gardes quand je rentre dans la chambre ou bien quand je me couche dans le lit tout simplement. J'ai mis des semaines à ne plus croire que Nick est sur le point de débarquer en peignoir, en caleçon ou nu comme un vers. Pourtant, une part de moi s'y attendait. Même chose, des semaines à me débarrasser de ce petit bout qui pensait encore que Nick allait apparaître soudainement, défonçant pratiquement la porte de mon appartement. Mais ce n'est pas le cas. Nick n'est jamais venu jusqu'ici ou ailleurs. Ce soir-là, quand je suis parti, quand j'ai détourné les talons, je lui ai dit "au revoir". J'espérais sincèrement qu'il s'en sorte et qu'il comprenne qu'il n'a pas besoin de tout ce monde-là pour être aimé, apprécié ou avoir de la reconnaissance. J'espérais qu'il comprenne qu'il valait mieux que ça.
Mais apparemment, s'il n'est pas revenu vers moi, c'est que Nick n'a toujours pas appris sa leçon. Alors, j'ai fait sans lui.
Six mois c'est long et c'est à la fois relativement rapide. Il peut se passer beaucoup de choses comme trop peu.
- Tobias, la table n°3 !
- Ouais, j'arrive.
Moi-même j'ai changé.
Je dois beaucoup de choses à Nick, certainement plus que ce que je ne veux bien admettre d'ailleurs. Il m'a offert un toit et une seconde chance quand je n'avais plus rien. Pour cela, je lui serais éternellement reconnaissant, mais une part de moi avec le recul, lui en veut aussi beaucoup. C'est idiot, non ? Comment je pourrais lui en vouloir ou de quel droit ? Il m'a tout donné, jusqu'à son corps lui-même et moi comment lui ai-je rendu la pareille ? En me tirant un soir, le laissant derrière. Je pense que si on vient à se revoir un jour lui et moi, il m'en collerait une et je ne l'aurais pas volée.
De temps en temps, je me demande ce qu'il fait, comme en ce moment précis. Je me demande s'il est chez lui, s'il est avec Nathan, s'il est seul...Je me demande s'il pense à moi. Sans doute pas. Nick a bien d'autres choses à faire, d'autres projets en tête et d'autres batailles à mener. Tant de choses qui ne me regardent pas. Tant de choses auxquelles je ne veux pas être mêlé.
- Tobias ? On se bouge là ! C'est le rush.
- Oui, oui, pardon. Je m'y mets.
Je me suis réfugié dans un resto pas très loin de mon nouvel appartement. Le loyer n'est pas élevé et vu l'ambiance du quartier, je sais pourquoi. Personne ne veut vivre là si ce n'est parce qu'on a un souhait de mort imminente. Néanmoins, ça me convient bien. Personne ne viendra me chercher là-bas et le resto me fournit au moins un repas chaud par jour, tout dépends du service que je fais. Je préfère celui du soir, car il y a peu de monde et le quartier est relativement calme.
Relativement, c'est le cas de le dire.
- Une entrecôte saignante, sauce au poivre et son lit de légumes du jardin ?
- C'est pour moi.
Je dépose l'assiette sur la table, devant la cliente qui a le visage dissimuler derrière le menu et m'en retourne servir d'autres clients tandis qu'une main virulente sur mon poignet m'arrête dans mon geste.
- Bonjour Tobias, ça faisait longtemps.
J'ai mis six mois à essayer de m'en sortir seul. À leur montrer à tous que je pouvais m'en sortir seul et que je n'avais pas forcément besoin de jouer à la catin pour réussir ma vie. Six mois à tourner le dos à des souvenirs plus heureux que douloureux.
Tout ce que je voulais, c'était que Nick comprenne. Que Nick réalise toute la valeur et l'importance qu'il avait à mes yeux. Le voir s'enfoncer dans sa vengeance et le voir sombrer dans cette spirale infernale un peu plus encore sans pouvoir le retenir me faisait mal plus qu'autre chose. Nick n'avait pas besoin de moi pour les plans tordus. Il n'a eu besoin de moi que pour le rassurer et être celui sur lequel passer sa frustration.
Et tout ça me revient à la gueule quand je vois Rachel assise sur la banquette, me dévisageant sans pour autant me lâcher.
- Il faut que l'on parle Tobias.
- Rachel. L'assiette va refroidir donc ça serait dommage de ne pas en profiter. De plus, je suis en plein travail.
- C'est important Tobias, s'il te plaît.
- Important ?
- C'est à propos de Nick.
Au fond, ça ne m'étonne même pas. À l'instant où je l'ai vue, en l'espace d'une micro seconde j'ai compris de quoi il allait être question. Rachel ne peut pas être là sans que Nick soit derrière tout ça, mais après six mois ? Pourquoi ? Je lui manque ?
- Écoute-nous Tobias.
La voix d'Élisabeth résonne dans mon dos tandis que cette dernière monte les deux marches qui mènent à la banquette où se trouve Rachel et s'y assoit.
- Je ne pensais vraiment pas que vous allez réussir à me retrouver.
- On ne t'a jamais perdu de vue, c'est différent.
- Nick vous envoie, c'est ça ? Qu'est-ce qu'il veut cette fois ?
Jouons le mec détaché qui a complètement tourné la page ! Un rôle qui me va à merveille étant donné que ma propre intonation ne me convainc pas moi-même. Quel piètre acteur je suis.
- Nick a disparu, Tobias, me lance Élisabeth en continuant de feuilleté la carte
- Disparu ? Comment ça disparut ?
- Généralement il me dit où est-ce qu'il va ou qui il rencontre, mais cette fois, il s'est tout simplement évaporé, m'informe Rachel en prenant un air grave
- On parle de Nick là, je suis certain qu'il doit être dans un hôtel bien confortable, s'envoyant en l'air avec le premier venu et ...
- N'as-tu dont pas plus foi en lui que ça ? Pour Nick il n'a été question que de toi. Toi et toi seul. Tu penses vraiment qu'il tournerait la page aussi facilement ?! Il n'est pas comme toi.
Vlan dans les dents !
- Écoute Rachel, je t'apprécie, sincèrement. Élisabeth aussi, mais vous n'êtes pas venues frapper à la bonne porte. Je ne cache pas Nick sous mon oreiller. Ça fait six mois maintenant.
- Si Rachel a perdu mon frère de vue, moi je l'ai retrouvé.
Ok. Très bien. Je suis officiellement perdu. Il y a deux minutes on me pleurait dessus parce que Nick avait disparu et là on m'informe que finalement il n'est pas si porté disparu que ça.
- Dans ce cas, question idiote, mais... Qu'est-ce que vous faites là ?
- Un soir, Nick est parti trouvé Marley. Et depuis, il n'est pas revenu. Ça fait trois semaines. L'autre jour, j'ai entendu Marley au téléphone dans le salon parler d'un entrepôt et d'une marchandise qui y était gardée précieusement. C'est bientôt les élections, tu sais ? Si Nick fait la moindre vague à propos de Papa...raconte Élisabeth en portant enfin ses yeux sur moi
- Laisse-moi deviner, ta mère est derrière tout ça encore ?
- Je ne sais pas si elle est de mèche avec mon frère, je sais juste que c'est probablement là-bas qu'il garde Nick.
- Merveilleux ! Fouillons tous les entrepôts de la ville ! Oh, mais attendez...Il en existe des centaines !
- Ça ne t'inquiète pas plus que ça ? Tu ne te dis pas que Marley aurait pu faire quelque chose à Nick ?
Honnêtement ? Je n'en sais trop rien. Connaissant suffisamment Nick, je me dis qu'il n'a pas dû se laisser faire. C'est un grand garçon, il sait se défendre. Je l'ai déjà vue à l'oeuvre.
- Tobias ?
- Qu'est-ce vous attendez toutes les deux de moi exactement ? J'ai peur de vous voir venir et je vous le dis clairement, je ne suis pas le Prince Charmant pouvant débarquer sur son beau cheval blanc pour aller libérer la Princesse de son enlèvement
- On a besoin de toi Tobias. Avec Élisabeth on a peut-être une idée d'où chercher, mais une paire de bras en plus ne serait pas de trop. N'as-tu pas envie de le sauver comme lui t'a sauvé quand tu en as eu besoin ? Ne veux-tu pas lui rendre la pareille ?
Là n'est pas la question. Bien sûr que je le veux. Si l'occasion m'était donnée je pense que je n'y réfléchirais même pas à deux fois et je me lancerais corps et âme, mais j'ai entre aperçus ce que la famille de Nick pouvait faire et honnêtement, mieux je les connais et plus je découvre des choses qui me font carrément flipper. Je me suis éloigné de lui sûrement à cause de ça. Parce que j'ai eu peur et j'ai toujours peur.
- Réfléchis-y Tobias.
- On a vraiment besoin de toi pour sauver mon frère.
Brusquement, je me sens alourdi d'une charge de laquelle je me croyais m'être débarrasser. Je me sens comme Atlas devant porter le monde.
Je ne suis certainement pas l'homme qu'elles recherchent et encore moins celui qu'il attend.
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