XX. Sauce barbecue ou piquante ?

C'est la première fois que nous dormons dans le même lit. Je veux dire que nous dormons réellement dans le même lit. D'habitude, Nick me saute dessus et me fait la fête puis s'endort d'épuisement, mais là c'est différent.

Nick dort à côté de moi et je ne peux m'empêcher de le regarder. Je détaille les traits de son visage, je pousse chaque minuscule mèche de son front. Je me demande à quoi il rêve. Je me demande si, là où il est, il est bien. S'il a pu oublier les évènements de cette soirée. S'il a pu obstruer dans un coin de son esprit, tout ce qui a été dit.

Je quitte alors le lit, sans un bruit, me dirigeant vers la fenêtre écartant d'un doigt le rideau avant de me rendre compte que ce soir, c'est pleine lune.

C'est beau.

J'ai toujours été fasciné par l'immensité du ciel étoilé en me demandant s'il y a une vie meilleure là-haut, quelque part. J'aimerais m'en assurer. Me dire que là, quelque part, tout est mieux qu'ici chez nous.

Quand je me retourne vers le lit, je ne peux m'empêcher d'avoir un pincement au cœur à chaque fois que je regarde Nick, allongé là, sans défense, complètement torse nu et dormant à poings fermés. Je ne peux m'empêcher de me demander comment ce gars a réussi à faire sa vie tout seul ? Personne ne semble vouloir de lui. Tout le monde l'évite comme la dernière bactérie du coin. À l'école, c'était pareil.

« Il paraît que c'est un mec bizarre. »

« Nick ? Autant ne pas le fréquenter. »

« Non, ne lui parle pas ! T'es fou ou quoi ? Tu vas te retrouver dans une merde sans nom. Crois-moi, ce mec c'est un aimant à problème. »

Et j'en ai entendu bien d'autres encore.

Mais bizarrement, même ce genre d'attitude à son égard semblait ne pas l'interpeller. Il s'en fichait éperdument qu'on lui parle ou pas. Il faisait sa vie, passait de couloir en couloir, discutait avec qui voulait bien lui adresser deux ou trois mots.

Alors dans quel état rentrait-il le soir ? Se mettait-il sous la douche, en boule tel un petit garçon apeuré pour pleurer silencieusement ?

À sa place, sans nul doute, je crois que j'aurai envisagé le suicide. Je ne me serai pas vu vivre une seconde de plus dans ce monde de merde.

« Tobias ? »

Sa voix complètement endormie m'interpelle tandis qu'il se redresse, allumant la lampe de chevet à côté de lui.

Il se frotte un œil, baille, se passe la main dans les cheveux et me regarde.

« Qu'est-ce que tu fais ?

— Je me demande comment tu as fait pour t'en sortir. »

Mes mots sont sortis tout seuls alors que je pensais les dire dans ma tête. Pourtant, ça ne le choque pas. Au contraire, il sourit. Tristement, mais il sourit.

« J'ai survécu grâce à toi. »

À moi ?

« L'an dernier, j'étais sur le toit du bâtiment à me demander si j'allais manquer à quelqu'un ou pas... Penché sur la barrière, je regardais en bas, je me disais "merde, je vais sûrement avoir mal sur le coup", puis t'es sorti de nulle part et tu m'as regardé. Certainement, tu ne comprenais pas ce que je foutais là alors que tu semblais t'être endormi dans tes classeurs et fiches de révisions. Tu m'as regardé et tu m'as dit "la vie est trop injuste pour se laisser abattre" puis tu t'es rendormi comme si de rien n'était. Au début, je pensais que tu parlais dans ton sommeil et je me suis dit "waw, bizarre celui-là". Néanmoins, tu avais raison sur ce point-là. La vie est bien trop facile si l'on abandonne de se battre pour nos rêves et nos idéaux. Alors naturellement, quand tu es venu me trouver pour de l'aide... Je ne pouvais tout simplement pas refuser. Ni accepter de suite, ça aurait été suspect. Mais d'un certain côté, tu m'as sauvé ce jour-là, donc je veux te rendre la pareille. Vraiment. »

Quelque part, ses mots me touchent. Je ne me souvenais plus de cet épisode de ma scolarité jusqu'à ce qu'il en fasse mention et soudain, tous les souvenirs de cette journée me sont revenus en pleine face. Je revois son regard vide, son sourire faux et ce soupir plus long qu'une page de pub.

Je me souviens l'avoir vu, l'espace d'un instant, mais je pensais que c'était un rêve. Un de ceux qui vous semblent un peu trop réels et qui, toute la journée, vous font vous demander si vous n'avez pas deux vies.

« Je peux te poser une question Nick ?

— Si tu veux.

— Rachel m'a dit que tes parents étaient mariés... »

Il continue avec ce sourire empli de tristesse et de chagrin. Après avoir vu son père, je ne leur trouve aucun trait commun. Mais vraiment aucun. Pas même un bout d'oreille. A-t-il vraiment tout pris de sa mère ?

« En fait, non. Mes parents étaient fiancés. Mon père fait dans la politique et il s'est épris d'une demoiselle lors d'une soirée. Ça n'a jamais été un couple heureux, sauf en apparence. Rapidement, ma mère est tombée enceinte, de moi. Mon père pensant que ma venue allait le ralentir ou impacter dans sa carrière, ils se sont séparés. Je suis né, ma mère m'a élevé jusqu'à mes quatre ans, puis elle est morte. Rachel dit qu'elle est morte de solitude et de tristesse, mais je n'y crois pas trop. Ce ne sont pas de vraies causes, tu vois ? Vu qu'ils n'étaient pas "légalement" ensemble, le bonhomme s'est trouvé une autre femme du milieu. Elle avait déjà trois enfants. Comme tu as pu le constater, les affreux ont à peu de chose près, le même âge que nous. Sauf Marley, il doit être de trois ans notre aîné, je crois. »

Marley ? Ah oui. Le mec à la tâche de vin rouge.

« Donc comme je faisais un peu "tâche" dans le décor tout parfait, on m'a jarté de la famille. Tout simplement. Mon père reste mon père donc sa présence se limite à mon compte bancaire si tu veux, mais c'est tout.

— Et les repas de famille ?

— Un prétexte de Samantha pour faire joli. Quand c'est une période difficile pour eux, ils m'invitent en me demandant de faire un geste. Genre apparaître en public, avoir de bonnes notes à l'école. Des trucs à la con que je refuse toujours. »

Heureusement ! Il ne manquerait plus qu'il se plie à ce qu'ils désirent faire. Après l'avoir éjecté du banc familial, il n'est rappelé que comme remplaçant pour boucher les trous du décor s'effritant ? Non. Hors de question. Nick vaut mieux que ça.

« Donc depuis, je vis ici, avec Rachel. C'est l'ancienne maison de vacances de mon père. C'est loin de chez eux comme t'as pu le voir, mais proche du campus, alors ça m'arrange.

— Et ça te plaît ? De vivre comme ça, sans avoir ton mot à dire ? Tu n'as jamais rêvé de...

— Je t'arrête tout de suite. La vie ce n'est pas un roman où tout est une question de "combat" qu'il faut remporter. Y'a des combats, il ne vaut mieux pas les engager, tout simplement. Tu as dû t'en apercevoir. Je ne fais pas le poids tout seul.

— Qui a dit que tu étais tout seul ? Il y a moi maintenant. »

Soudain, il se met à rire. C'est la première fois de la soirée qu'il rit et j'en venais à croire que jamais plus je n'entendrais ce son si particulier. Nick rit.

« Tobias, Tobias, Tobias... Dis-moi, que vais-je faire de toi ?

— Ce que tu veux. »

Ah. Non. Attends. Je reformule.

« Enfin pas "ce que tu veux" dans le sens ce que tu veux, mais plus dans le sens euh... comment te dire ? Enfin, tu vois non ?

— Je crois que je commence à saisir le tableau, ouais. »

Ses iris sont ronds et pourtant son regard est carnassier. Je n'aurais jamais dû lancer un appel de phares aussi gros que celui-là. C'est de ma faute.

Il quitte le lit et s'approche de moi dans une démarche qui lui est propre. Celle qui transpire le « ce soir, t'es tout à moi mon coco » ou le « je vais te manger tout cru ». Franchement, si j'étais le Petit Chaperon Rouge et que c'était le Grand Méchant Loup... Je n'essayerais même pas de m'enfuir. Je me laisserais manger.

À toutes les sauces.

J'ai une préférence pour la sauce barbecue parce que l'aïoli, on pue de la gueule quand même après.

« Tu sais, je me disais que l'on pourrait profiter du reste de la nuit et...

— Hop ! Hop ! Minute papillon, je te vois venir gros comme une maison. Tu vas retourner dans ce lit, te mettre sous la couette, poser ta tête d'asticot contre l'oreiller et dormir. Tu m'entends Nick ? Tu vas D.O.R.M.I.R !

— Je ne dors pas sans doudou. Je t'ai déjà prévenu.

— Attrape un bout de la couette, ça fera un doudou parfait. »

Il m'attrape brusquement, passe ses bras autour de moi et, alors que nos visages sont à quelques minimètres seulement l'un de l'autre, il me glisse :

« Ou tu pourrais m'aider à réchauffer la partie froide. Qu'est-ce que t'en penses ?

— Ce n'est pas toi demain qui vas te lever en ayant mal de partout, hein !

— Oh allez ! En plus demain on peut rester au pieu ! Je n'ai pas cours. Rappelle-toi.

— On se demande bien à cause de qui d'ailleurs. Quel abruti s'interpose dans une bagarre ?

— J'sais pas. Un abruti heureux ? »

Il m'embrasse et pour la première fois, son baiser n'est pas à la hâte, ni forcé. Il est chaud, plein de tendresse faute de passion. On dirait qu'il essaye de changer. De s'adapter à moi.

Forcément, on n'est pas tous « Monsieur muscle » pouvant tenir dans une position pas très catholique.

« Alors, c'est oui ou non ?

— Sérieux, tu te demandes la permission alors que ta main est déjà dans mon pantalon ?

— On ne sait jamais... »

Je l'embrasse à mon tour et le pousse contre le lit sous son regard surpris et son rire amusé.

« Wow Tobias ! Je ne te connaissais pas comme ça.

— Allez, baisse ton caleçon, ce soir, je te donne une leçon. »

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