XL. Sauve nous
C'est en refilant une chemise que j'ai indéniablement pensée à Nick. Comme si le simple fait de passer mes bras me faisant avoir son image juste là, en reflet dans le miroir, se tenant derrière moi et me regardant avec un air grave, désapprobateur.
« Je t'emmerde. Je t'emmerde. Je t'emmerde. »
J'ai l'impression de jouer à « Bloody Mary » devant la glace comme si ça allait faire disparaître son image. Bien sûr qu'il n'est pas « là », il est seulement dans ma tête. Dans mon cœur. J'ai beau lui en vouloir, une autre partie de moi ne passe pas un instant sans se poser une multitude de questions à son sujet : va-t-il bien ? Que fait-il ? Pourquoi ne vient-il pas me voir ? Est-il malade ? J'ai Nick dans la peau d'une façon disproportionnée en me disant que ce que je ressens, c'est certainement à sens unique sinon... sinon il ne m'aurait pas fait ça.
J'ose espérer qu'il comprend ma colère et ma réaction. J'ose espérer qu'il s'est mis à réfléchir sur son geste, c'est certain que cela n'a rien de dramatique et que j'abuse peut-être en ayant une réaction de gamin puéril, mais c'est un putain de choix que j'aurais aimé avoir. Retourner ou non dans cette école de riches me revenait de plein droit. C'était de mon avenir ou non qu'on parlait ici-bas. D'où s'est-il dit que ce serait une bonne idée de ne pas me consulter ? D'y penser sans moi ?
Vraiment, ces derniers jours j'ai essayé de me mettre à sa place. J'ai essayé de comprendre son choix, sa décision. J'ai essayé de me dire qu'il a eu raison et que j'aurais peut-être fait pareil et puis... non. Tout compte fait, me connaissant, j'aurais fait les choses différemment.
Tout comme je compte le faire présentement. Je vais me pointer à cette soirée, qu'il soit là ou pas m'importe peu, je ne peux pas toujours lui obéir au doigt et à l'œil. Je ne suis pas son pantin, ni même son jouet sexuel. Même si je dois bien avouer que ça me manque. Nos corps l'un contre l'autre, ses lèvres, son expérience... Le désir... ça me manque comme la coke manque à un drogué.
« Tobias ? T'es prêt ?!
— Désolé, j'arrive. »
Je sors de la salle de bain en boutonnant le dernier bouton à hauteur du col de la chemise et je me sens, l'espace d'un instant, comme un curé s'apprêtant à donner une messe. Serré. Comprimé.
« Tu faisais quoi dans la salle de bain ? Je t'ai entendu parler.
— J'appelais Bloody Mary. »
Carl me regarde surpris, allant même jusqu'à regarder derrière moi. Il est gentil Carl, on ne le fait pas marcher lui, on le fait courir.
Dans la voiture, pas un mot n'est sorti tandis que mon regard se perd sur le paysage défilant. Je me demande si je vais le voir. Est-ce qu'il va dire quelque chose ? Est-ce qu'au moins ça va lui faire quelque chose ? Je n'en sais rien. Il me manque, mais c'est sûrement pas réciproque.
« Et voilà, tout le monde descend ! »
La voix de Carl me sort de mes pensées tandis que je reconnais l'imposante villa dans laquelle j'ai certains souvenirs marquants. La première fois que j'ai découvert le véritable visage de la famille de Nick. La dernière fois que je me suis faufilé ici.
J'avance jusqu'à presser le pas en direction de la cuisine tandis que Carl ferme la marche, étonné.
« On dirait que tu connais les lieux... Oh ! Suis-je bête. Bon, je vais chercher ma mère, elle doit être dans le salon à papoter. Tu sais comment elle est.
— Charmante, oui. »
C'est une bonne vivante en effet. La mère de Carl est un peu comme lui, mais plus expansive, plus extravagante. Il me fait beaucoup rire.
Je reste donc planté là en me demandant si je vais croiser ne serait-ce qu'un visage familier, mais à part deux ou trois personnes me dévisageant comme le parfait inconnu... personne. Quelque part, ça me soulage, je ne saurais pas comment expliquer cette histoire. Je ne saurais pas quoi dire et j'ai surtout peur. Peur que l'on me dise que j'ai réagi comme un enfant gâté. C'est d'ailleurs peut-être ça le problème, j'ai été gâté par Nick tellement de fois, que maintenant que je me retrouve seul, je ne sais pas comment faire. Quoi faire ?
« Oh ! Voilà donc mon petit Tobias ! »
À peine ai-je le temps de tourner la tête qu'une bonne femme me prend dans ses bras tandis que Carl détourne le regard comme s'il trouvait la scène gênante. Je dois avouer, moi, je suis un petit peu troublé.
« Carl m'a appelé tôt ce matin et je te suis tellement reconnaissante de nous aider.
— Avec plaisir... À vrai dire, pour être tout à fait honnête, ça m'aide moi-même également.
— Ça, je n'en doute pas ! Bon, Carl mon poussin, laisse-nous, il faut que je lui dise quoi faire.
— Je pense qu'il sait tenir un plateau maman. »
Tu serais surpris du contraire, mon ami.
« Même, j'ai quelques consignes à faire passer... Tu connais la maîtresse de maison. »
Parlons-en de la maîtresse de maison. Je ne vais pas mentir en disant que si j'ai accepté ce boulot, c'est en partie pour en savoir plus sur elle. Je serais curieux de savoir ce que cette femme veut à Nick et comment exactement elle compte s'y prendre. Ce n'est qu'un gosse, il n'a rien demandé et il a été privé de presque tout. Certes, il vit une vie de luxe et de rêve que beaucoup envient, mais l'argent n'achète pas l'amour. Ni la famille d'ailleurs.
J'écoute donc avec un semblant d'attention les mots et les consignes.
« Bon, je crois que c'est tout. Le reste de l'équipe ne devrait pas tarder à arriver. Je te confie le bon déroulement de la soirée et surtout, veille à ce que nos invités aient toujours le ventre plein et un verre à la main.
— Vous pouvez compter sur moi.
— Dans ce cas, je te laisse ici, j'ai des petites choses à préparer. Je t'envoie Carl ?
— Oh vous pouvez le garder pour vous aider. »
Elle me sourit tendrement avant de passer la porte alors que je me laisse tomber sur un tabouret près du bar.
« Oui Rachel, j'y suis est-ce que tu... »
À l'intonation de la voix, mon corps lui-même a réagi en se redressant comme un piquet tandis que Nick me fait face, le téléphone calé entre son épaule et son oreille.
« Je te rappelle. »
Tout ce que je voulais, c'était l'éviter un maximum pour ne pas avoir à voir ce que je vois présentement. La tristesse de son regard.
« Tobias... »
Je ne sais même pas comment réagir. J'ai une folle envie de courir et de lui arracher cette chemise bordeaux qui lui va si bien, mais j'ai également une irrépressible envie de lui en coller une.
« Qu'est-ce que tu fais là ?
— Je travaille figure-toi ! Tout seul, comme un grand, t'as vu un peu ? »
Mais ferme ta gueule Tobias ! Ne t'enfonce pas plus.
« C'est cool, je suis content pour toi. »
C'est tout ? Juste un « je suis content pour toi » et youpi tralala ? Pourquoi ne s'énerve-t-il pas ? Pourquoi ne me demande-t-il pas où est-ce que j'étais ces derniers jours ? Pourquoi ne réagit-il pas ?
« Je suis content de te voir, tu sais ?
— Tu ne me demandes pas où j'étais ?
— Non... »
Ah. D'accord, je crois que j'ai compris.
« Tu le savais, n'est-ce pas ? Tu savais que j'étais chez Carl ? »
Son seul silence confirme ce que je pense. Il m'a fait suivre ? Par qui ? Rachel ? Elle en serait bien capable.
On sent indéniablement la tension plus que présente et pesante dans la pièce alors qu'aucun de nous deux ne s'avance ou bien même ne dit mot. C'est troublant. Je n'ai pas l'impression d'avoir Nick en face de moi. Pourquoi est-il si triste ? Pourquoi est-il si mou ? Je l'ai toujours connu fier, plein d'assurance. Pourquoi le Nick « enfant » est-il là ?
« Tu ne devrais pas être là Nick. Qu'est-ce que tu fabriques ici ?
— Tu sais aussi bien que moi que je n'ai pas le choix.
— On a toujours le choix, c'est toi qui me l'as appris justement. Comme moi, tu te doutes que ça sent le piège cette soirée, sinon tu n'aurais pas été invité.
— Quand bien même... Je suis venu, non ?
— Sauve-toi. Rentre. Rappelle Rachel qu'elle vienne te chercher. »
Il s'approche de moi et s'arrête à quelques centimètres même pas, assez pour que je sente son souffle contre moi. Il se penche en avant, allant jusqu'à poser sa tête contre mon épaule et me dit tout bas :
« Sauve-moi Tobias. »
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