XIV. Ce qui vous bouffe de l'intérieur
Je lui en veux, y'a pas photo.
Comme un idiot, je me suis vautré dans le premier fauteuil que j'ai trouvé et j'ai écouté Nathan me parlait de son expérience d'escorte et ô combien ça a changé sa vie. Clairement, lui et moi étions redevables à Nick, mais quand il en parlait, je pouvais clairement voir « J'aime mon sauveur » sur son gros front d'abruti. Comment peut-on prendre du plaisir à faire ça ? Je ne l'ai fait qu'une fois, mais je n'arrive pas à me débarrasser de la gêne que j'ai ressentie.
« Nathan, je peux te poser une question ?
— Vas-y, te gêne pas et puis ce n'est pas comme si j'avais quoi que ce soit à te cacher. On est dans le même bateau toi et moi.
— Tu prends du plaisir à faire... Ce que tu fais.
— Du plaisir ? »
Il fait mine de réfléchir comme si je venais de lui poser la dernière colle. Fais pas le mec qui y pense. Ça se voit sur ta tronche que t'es heureux.
« Ouais assez. Je gagne bien ma vie et je peux faire ce que je veux tant que Nick n'a pas à se plaindre de moi. Je serais dans la merde le jour où il voudra se débarrasser de moi par contre.
— T'en penses quoi de Nick ?
— C'est-à-dire ?
— Bah..euh... j'sais pas... Pourquoi t'es allé vers lui déjà ?
— Pour les mêmes raisons que toi, non ? J'étais dans une impasse et j'avais besoin d'aide. Nick a accepté de m'aider en échange que je bosse pour lui. Il n'a même pas eu besoin de me convaincre plus que ça. J'ai tout de suite signé. Puis bosser pour Nick, c'est un peu faire le job idéal non. T'es nourri, logé, blanchi et... »
Et enculé. Pardon.
« Pourquoi t'es là Tobias ?
— J'ai perdu ma bourse d'études. Et mon logement étudiant par la même occasion.
— Et ? Si tu récupérais tout ? Tu ferais quoi ?
— C'est assez évident non ? »
Je retournerais à ma vie.
Nick est peut-être un bon samaritain, mais derrière son sourire d'ange se cache une grosse part démoniaque. Une véritable bête qui ne sort que la nuit.
Une bête insassiable.
« Donc tu laisserais Nick derrière ?
— Je suis censé faire quoi ? Le baby-sitter ? OK je lui en dois une, mais...
— T'aurais fait quoi s'il ne t'avait pas tendu la main ? »
Ça... Je n'y ai pas pensé à vrai dire. Je pense que je me serais débrouillé autrement. J'aurai été dans la merde, mais je me serais débrouillé. Contrairement à Nick, je n'ai jamais vécu dans un palace et je ne suis pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche. Non. Moi, j'ai toujours été seul et quand t'es seul, la vie t'oblige à apprendre à survivre plus qu'à vivre en fait.
OK c'est bien sympa le petit-déj copieux, les draps conforts et tout ça, mais je refuse de rester ici plus longtemps que nécessaire. Je n'ai pas changé d'idées sur le sujet et je ne changerais certainement jamais.
« On a passé l'après-midi à discuter, je t'ai donné deux ou trois tuyaux, mais tu m'as l'air dans la lune Tobias.
— Non, pas vraiment. »
En fait, je me demande si un jour je finirais comme lui, comme Nathan. Parler de Nick avec autant d'admiration et... d'amour.
« Nathan ? T'as couché avec Nick ? »
Parce que ça ne peut être que ça. Ce n'est sûrement que ça. Au final, toute cette histoire n'est peut-être qu'une histoire de cul et il se tape chaque mec qu'il ramasse à la petite cuillère. Il doit aimer ça. Le genre malheureux. Le genre qui a besoin d'une bouée.
Le genre qui peut s'accrocher à lui et lui donner l'importance dont il a besoin. Le pire c'est que je fais partie de ces gars-là. Je lui ai donné ce qu'il voulait. Mon cul.
« Qu'est-ce que...
— Réponds-moi.
— En quoi ça t'intéresse ?
— Simple curiosité. Après tu n'as pas besoin de le dire avec des mots, juste à ta tête ça se voit que vous avez batifolé tous les deux.
— Tobias...
— Non je comprends, ça doit être une sorte d'initiation. »
On est donc tous pareil pour lui ? C'est ça ?
« Je te remercie de t'être déplacé jusqu'ici Nathan, mais je pense que...
— Écoute, tu sais quoi ? Parles-en avec lui si ça te chagrine.
— Pourquoi ça me chagrinerait ? Je m'en fous.
— Je suis pas le seul avec un visage qui trahit ses pensées mon gars. Y'a un truc aussi sur ta tête.
— Ah ouais ? Quoi ?
— Le mot "Jalousie" écrit en lettre d'or. »
C'est n'importe quoi.
Je m'en fous.
Je m'en fous vraiment.
Nick peut s'envoyer en l'air avec qui il veut.
Oui, avec qui il veut.
Alors pourquoi est-ce que j'ai l'impression que mon cœur se retrouve compressé ? Écrasé par un poids invisible ?
Quand Nathan fut parti, je suis allé m'exiler dans ce qui me sert de chambre. Rien que la vision du lit me rappelle tout ce qu'il s'est passé la veille.
Je le déteste. Plus qu'avant. Plus qu'hier. Je le hais.
Je le hais de m'avoir fait ça. De m'avoir transformé et de m'avoir rendu dépendant à sa présence.
Dehors, il s'est subitement mis à pleuvoir. Ça faisait longtemps. J'ai longtemps regardé les gouttes d'eau s'écraser sur la fenêtre et à chacune d'entre elles, aussi nombreuses soient-elles, j'eus l'impression de me voir. Je suis cette goutte qui s'écrase. Nick est la vitre. Solide qui laisse couler sur elle toutes ces gouttes qui viennent l'agresser.
Ça me fait une belle paire d'avoir été pris pour un con du début à la fin.
Sans réfléchir, furieux, plus contre moi que contre le monde, j'ai passé la porte d'entrée et j'ai couru dans l'allée. J'ai couru jusqu'à franchir le portail et jusqu'à m'enfuir loin de cette maison. J'ai couru jusqu'à en avoir le souffle coupé.
J'ai couru sans savoir où aller.
Je suis trempé, j'ai le cœur qui est prêt à sortir à tout moment, emballé, j'ai mal à la tête.
Migraine de merde. Pensée de merde. Je ne sais même pas pourquoi ça me préoccupe autant. Je devrais laisser couler, je devrais lâcher l'affaire et ne pas y réfléchir. Je devrais être... Ce que je suis supposé être : un pantin.
Un de ceux qu'il peut manipuler à sa guise. En faire ce qu'il en veut.
« Depuis combien de temps suis-je assis sur ce banc ? »
Deux heures. Peut-être trois. Je ne sais plus. J'ai perdu le compte. Je ne sais pas où aller ni quoi faire. Je suis parti comme une fillette. J'ai fugué le domicile parental.
Bravo Tobias ! Plus débile que toi, on n'en fait pas de nos jours.
Pourtant ça a toujours été l'idée. Avoir assez d'argent en poche et prendre mes jambes à mon cou sans jamais me retourner. Sans jamais regarder derrière moi et tirant un trait définitivement sur son nom.
Soudain, la pluie au-dessus de ma tête s'est arrêtée et une ombre s'est pointée.
Son ombre, armée d'un parapluie et d'un air désapprobateur. Soucieux. Inquiet.
« Qu'est-ce que tu fous là Tobias ?
— Laisse-moi. »
Je ne veux pas lui faire face. Je ne veux pas le voir. Ni même lui parler.
« Va te chercher un autre petit poulain en détresse. Après tout, ça doit être facile pour toi. Tu les enchaînes, non ? »
Je suis furieux.
Contre lui.
Mais là, c'est moi qui ai mal. C'est injuste, tellement injuste.
Dis-moi Nick, ne ressens-tu donc rien ?
« Je ne sais pas ce que Nathan t'a dit exactement, mais ne l'écoute pas.
— Pourquoi pas ? Tu te l'es tapé aussi, non ?
— Regarde-moi.
— Va te faire.
— Tobias, regarde-moi.
— Fous-moi la paix. J'aurais jamais dû venir vers toi. J'ai été con.
— Putain, mais tu me casses les couilles ! »
Je n'ai pas compris. En quelques secondes seulement, le parapluie s'est retrouvé dans la boue et sa main est venue s'emparer du col de mon tee-shirt mouillé.
« C'est quoi ton problème à la fin ?!
— C'est toi mon problème ! Toi ! »
Parce que je veux que tu aies mal comme moi j'ai mal. Je veux partager cette douleur.
Hors de question que je sois le seul à souffrir. J'ai trop donné.
« Tu me fais vivre une nuit pratiquement inoubliable et t'invites un autre gars qui, au lieu de me serrer la main, me tape les fesses en guise de salutations et dont j'ai dû écouter les éloges pendant près de trois heures sans rien dire !
— Nathan est juste... Nathan. Et non, je ne me suis pas envoyé en l'air avec ! Il ment comme il respire c'est pour ça que j'ai pris mes distances avec lui ! T'es jaloux c'est ça ?
— OUI ET ALORS ?! »
Ah. Merde. C'est sorti tout seul sans que je n'aie le temps de réfléchir à ce que j'allais dire.
« Tu es...
— Je t'emmerde ! Laisse-moi tout seul maintenant ! T'es content de toi ? T'es qu'un trou du cul qui joue avec les gens ! Je te déteste va...
— Mourir ? »
Il sait. Il sait ce que j'allais dire parce qu'en un rien de temps, Nick s'est habitué à moi plus que moi, je ne me suis habitué à lui. Je devais l'apprivoiser et je crois qu'au final, ça s'est retourné contre moi.
C'est sans doute à cause de ça que je n'ai pas repoussé son baiser. Ni ses bras.
Parce que j'en avais besoin. J'ai besoin de lui. Aussi désespéré que je suis, j'ai besoin de lui dans ma vie.
Je ne veux pas être seul.
« Tobias ? »
Je ne veux plus être seul.
Ne pars pas.
Ne m'abandonne pas. Pas toi aussi. S'il te plaît.
Reste avec moi.
« Tobias ! Hé ! »
Dis-moi Nick ? Est-ce que tu as mal ?
Moi j'ai mal. Vraiment mal.
Je crois que je souffre de cette maladie que l'on appelle « amour ».
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