CHAPITRE 3 - Vérité
Le ciel. Combien d'ères, de millénaires avait-il vu défiler face à lui ? Combien de vices avait-il pardonné au monde ? Combien d'astres avait-il accueilli en son sein ? Combien en avait-il senti la vie s'éteindre ? Combien de mortels l'avaient déçu ? Ou alors, combien d'être étaient devenus des héros ?
Peut-être que jamais je ne le saurais. Que c'était ainsi que devait se dérouler la chose. Mais errer sans but était-il réellement une bonne option ? Hormis me laisser porter par le vent léger et les paroles de mes géniteurs, je n'avais rien. Je n'avais aucun rêve, juste un but inatteignable.
C'était quelque chose de curieux lorsque je voyais ceux autour de moi. Ëmlaï désirait plus que tout vivre dans un monde qu'elle jugerait elle-même parfait. Ma mère, Aëtryn, avait l'idéologie de conduire les esprits vers un lieu doux et saint où personne ne pourrait leur faire de mal. Mon père, Lostïss, avait un rêve, une vocation qui le permettait d'avancer, mais... Je n'avais jamais su ce qu'il en était.
Et il y avait moi. Je désirais faire quelque chose pour ces ombres que j'étais le seul à voir et qui criait leur désarroi. Je voulais plus que tout en ce monde punir les dieux pour le destin qu'ils avaient imposé à ces créatures. Mais tout cela n'était qu'une utopie que je ne pourrais jamais réaliser.
Je baissai les yeux sur l'animal que je chevauchai. Les loups des Montagnes Grises étaient splendides. Dans les légendes, on les décrivaient de façons pittoresques. Ils devaient être aussi grands que les pics, aussi majestueux que les saules qui veillaient sur le monde. Leur pelage était aussi blanc que la neige d'hiver. Là où passaient leurs pattes, la vie fleurissait.
Dans un sens, cela était proche de la réalité. Ce qui était dit dans ce mythe ne devait juste pas être pris au pied de la lettre. Ils étaient grands à leur manière, non pas de taille, mais à la noblesse de leur bravoure, de leur amour. Ils étaient majestueux, oui, et tout comme les saules pleureurs, ils étaient des gardiens. Leur manteau reflétait les flocons frais qui tombaient au petit matin, réveillant doucement le peuple des neiges. Là où ils voyageaient, la vie arrivait en abondance comme un privilège offert.
Je les enviais. Eux, qui étaient soudés comme la plus dure des pierres. Eux, qui se laissaient portés par le vent, mais qui pouvaient aisément en vivre contrairement à moi. Ils semblaient heureux d'être ce qu'ils étaient. Les loups des Montagnes grises avaient été... Acceptés par le monde.
Je laissais mes lèvres s'étirer dans un triste sourire alors que je regardai mes géniteurs et Ëmlaï quelques pas devant. Mon cœur se serrait et je n'avais qu'une envie. Je voulais faire demi-tour et m'enfuir lâchement.
— De quoi as-tu si peur ?
Je sursautai. Une voix avait résonné dans ma tête comme une douce comptine. Une voix profonde et tendre, comme celle d'une véritable mère aurait dû avoir.
— Parle-moi, petit elfe.
À nouveau. Je baissai les yeux vers le loup que je montai et compris bien vite. Mon cœur vibra avec amour et fierté alors que je caressai la louve d'une main légère. Je relevai vivement la tête, voulant dire aux autres ce qu'il se passait, mais je vis la large tête de la louve se secouer.
— Ils ne comprendraient pas.
Alors, je me tus. Je fermai les paupières un moment avant de les rouvrir et de sourire délicatement.
— J'ai peur de beaucoup de choses. Que ce soit de ce monde, de respirer.
— De quoi es-tu réellement effrayé ? me demanda la louve.
— Je...
J'hésitai. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que les mots qui devaient sortir, même moi, je me rendais compte de l'ampleur de ceux-ci. Mais était-ce une bonne chose de réellement tout garder pour moi alors que pour une fois, une oreille attentive était là, juste pour ma personne ?
— J'ai peur de la cruauté de ce monde lorsque je vois les ombres souffrir en son sein. J'ai peur de respirer, car je sais que d'une certaine manière, on ne veut pas de moi, déclarai-je dans un faible murmure.
— Tu vois les ombres de ce monde ?
Sa voix était teintée d'une certaine surprise, mais moi, mon corps s'était tendu. Alors, je n'étais pas fou ?! Je n'étais pas le seul à les voir ! Elles existaient et leurs cris, leurs souffrances, étaient bien réelles ! J'étais à la fois terrorisé d'apprendre cela et heureux de savoir que je n'étais pas dingue.
Je me détendis et acquiesçai. Je savais que la louve comprendrait.
— Mais je peux le sentir. D'autres craintes persistent.
— Je ne... même si je vous le disais, cela ne changerait rien.
— Alors, si tu me le dis, rien ne changera. Pourquoi ne pas m'en parler ?
Devais-je réellement lui en faire part ? Devait-elle réellement savoir la noirceur de mes pensées ? Mais cela pesait sur ma conscience. Je pouvais lui confier cela. Mais le voulais-je vraiment ?
— En ce monde, sache que toute chose est prédestinée. Si tu ne te rends pas compte de l'importance de ton existence, alors comment les autres le pourraient-ils ?
J'écarquillai les yeux tandis que mon souffle se coupa brusquement dans ma poitrine. Tout comme je le savais, elle aussi. Elle connaissait mes craintes, les frayeurs les plus intenses.
— Petit elfe, aujourd'hui, tu ne sais peut-être pas ton influence sur l'avenir. Mais un jour, tout ceux que tu as connus, tout ceux qui ont trouvés ta route, tout ceux qui t'ont haïs ou aimés, tout cela, tu verras, aura été fait dans un but bien précis.
— Par les dieux ? soufflai-je amèrement.
— Non. Ton destin et celui des divins sont liés, certes. Mais il va s'écouler bon nombre d'années avant que tu ne comprennes. Ta vie n'est pas et ne sera jamais dictée par les eux.
— Que voulez-vous dire ?
J'étais perdu. Je ne comprenais rien de ce qu'elle disait. Elle semblait parler de l'avenir, d'un futur lointain, qu'elle-même ne verrait pas.
— Tu es un être bien étrange, petit elfe.
— Vous l'êtes également.
— Un jour, tu comprendras mes paroles. Sache, que tu es important pour le bien-être de ce monde. Tu l'es à ta manière.
— Mais, je... je ne suis personne.
— Tu sais que c'est faux. N'oublie jamais qui tu es.
Et puis, le silence. Je n'insistais pas, conscient qu'elle ne me parlerait plus.
Ses paroles tournaient dans ma tête. Elles partaient et revenaient inlassablement. Elles s'emmêlaient ensembles sans que je ne puisse en comprendre le sens. Mais j'avais confiance en elle. Elle était sage, et je savais que je pouvais croire en ses paroles. Je pouvais compter sur ses mots bien plus qu'en d'autres choses.
Alors, je fermai les yeux. Je pris une longue et profonde inspiration qui avait pour but de remettre mes idées en place, de me détendre et me reprendre. J'ouvris les yeux et la cruelle réalité du monde me revint violemment en face.
Les ombres naviguaient sur l'air, comme le chant des feuillages d'antan. Leurs cris résonnaient et il s'accrochaient à tous, leur suppliant de les aider. Mais ils ne voyaient rien, n'entendaient rien.
Lorsqu'elles me touchèrent, je ressentis le froid qui les consumait. La tristesse qui les emplissait. La rancœur qui les engouffrait. Mais je ne pouvais rien. Alors, comme les autres, et avec beaucoup de honte, je les ignorais.
La louve s'arrêta au niveau de ses frères et j'observai la raison pour laquelle ils s'étaient stoppés.
— Nous y sommes. Le royaume des Avariels.
Je regardai un cours instant Ëmlaï, et la vit me sourire. Je reportai mon attention sur ce qui m'intéressais réellement. Je n'avais pas hâte d'y être de nouveau mais je ne pouvais qu'admirer cette vue.
Dans le ciel se trouvait un morceau de terre. Celui-ci semblait avoir été arraché au sol par un titan, et maintenant, l'air le portait avec force. Un fragment du monde qui était étrangement distordu. Les pics qui ornaient la partie qui devait être rattachée au sol directement, donnaient l'impression d'être des racines tirées avec force. Elles semblaient brisées.
Le sommet était décoré de dunes de terres, d'herbes verdoyantes, d'arbres et de fleurs multiples. Le tout était surplombé par de longs édifices semblables à des forteresses. Ils montaient haut dans le ciel, si haut qu'ils semblaient vouloir rattraper le bleu azur. Le haut de ces bâtisses était un dôme fait de vitraux dont plusieurs endroits avaient de larges fenêtres. Il en était de même pour les murs des forteresses. Il n'y avait aucune porte.
Autour de cela, on pouvait voir des oiseaux blancs voler par dizaines. Du moins, c'était ce que j'avais cru lors de ma première venue ici. Ceux-ci s'étaient révélés être des Avariels. J'avais été subjugué et je l'étais encore, alors que quelques-uns se posaient devant nous.
Ils gardèrent la tête haute, fiers comme l'était leur race. L'un d'eux se dirigea vers moi, sans dire un mot, et me tendit une main. Je la pris, pas gêné pour un sou, tandis que Ëmlaï et mes géniteurs, eux, osaient à peine les toucher.
L'avariel face à moi était grand, incroyablement beau. Ses longs cheveux noirs tombaient en cascade sur ses épaules et sur ses larges ailes d'un blanc immaculé. Son corps était svelte, et ses yeux d'un noir profond, intense. Je pouvais voir qu'il savait quelque chose à mon sujet, mais il ne pipa pas à un mot.
La première fois que j'étais venu, il m'avait regardé de la même manière. Ses yeux sombres donnaient l'impression qu'il me scrutait, qu'il lisait en moi comme dans un livre ouvert. Je me sentais inconfortablement vulnérable.
Il tira sur ma main d'un geste doux, comme pour me sortir de mes pensées. Ma main fut posé sur son cou alors qu'il m'incita à faire de même pour l'autre. Je fis ce qu'il voulait et il me souleva de ma louve. Son bras passa sous mes cuisses pour me donner un appuie et son autre bras entoura mon dos. Il fit un signe de tête, certainement pour remercier la louve.
Il engagea quelques pas alors que je pouvais voir ses ailes se mouver doucement. Puis, d'un mouvement ample, elles s'ouvrirent en grand. Elles étaient incroyablement belles. Sublimes ! Mon cœur tambourinait devant tant de beauté.
J'entendis Ëmlaï crier, alors que je voyais juste en haut qu'elle se trouvait dans la même position que moi. Puis, vint mes géniteurs. Ma mère était dans notre position alors que mon père tenait à la seule force de ses bras. Ses mains étaient fermement liées à celles de l'avariel.
Par la suite, vint mon tour. Les grandes ailes se mirent à battre mais on ne décollait pas. Il semblait juste vouloir sentir l'air dans ses plumes.
Sans que je ne m'y attendais, me surprenant comme la première fois, il décolla. La puissance de ses ailes terrassa une bonne partie du sol et les loups hurlèrent, comme pour nous souhaiter un bon voyage.
Les paroles de la louve résonnèrent dans mon cœur à nouveau, et j'acquiesçai. Je ne devais pas oublier.
J'aurais voulu sentir la brise fraîche sur mon corps mais je ne pouvais pas. Le masque empêchait mon visage d'être vu et le vent de l'atteindre. Mes vêtements couvraient l'entièreté de mon être pour dissimuler la couleur de ma peau, et les gants qui ornaient mes mains étaient toujours présents.
Je ne pouvais qu'admirer la fierté de l'avariel qui battait avec ferveur, les longs cheveux noirs qui ondulaient avec l'air sauvage, et le ciel azur qui brillait comme rarement il le faisait. Je profitai de ce moment de tranquillité qui n'allait pas durer.
C'est avec cette pensée que les ailes cessèrent de battre et se refermèrent pour passer à travers l'une des fenêtres du vitrail. Il la traversa et les rouvrit en restant sur place pour descendre lentement, avec sûreté.
Les pieds de l'avariel foulèrent le sol et je relâchai ma prise alors que mes genoux se posèrent sur le marbre. Ma tête s'inclina face au trône majestueux. J'attendis comme tout le monde que quelque chose se passe. Des bruits de vêtements se firent entendre et il ne me fallu pas plus de temps pour comprendre qu'il arrivait vers nous.
Sous l'imposante présence du roi des Avariels, ma tête se baissai un peu plus mais s'arrêta brusquement. Un doigt s'était posé sous mon menton et m'avait obligé à remonter. Je déglutis difficilement, pris de terreur en croyant que j'avais fait quelque chose de mal.
Finalement, je fus accueillit par le visage souriant et chaleureux du roi. Ses longs cheveux blonds bouclés et attachés en demi-queue étaient aussi brillants que le soleil. Ses ailes scintillaient de cette même lumière ainsi que ses yeux.
Je laissais le soulagement m'envahir alors qu'il me faisait signe de me lever.
— Comment vas-tu, Daath ? demanda le roi.
— Très bien, mon Seigneur. Et vous ?
— Appelle-moi Ilïos.
Je souris sincèrement et acquiesçai alors que son sourire s'agrandit. Il leva le regard derrière moi et fit un signe de tête.
Je vis plusieurs avariels s'en aller, et quelques instants après, j'entendis les grandes portes se refermer. Seul le roi et l'avariel qui m'avait emmené jusque-là était présent.
La main du roi se porta sur mon masque et allait l'enlever lorsque la voix de ma mère retentit :
— Mon Seigneur, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de...
Elle se tut brusquement en voyant le regard froid du roi sur elle. Elle déglutit et inclina de nouveau la tête tandis que la main de mon père se posait sur la sienne.
Mon cœur se serra.J'avais mal, terriblement mal, trop mal. C'était quelque chose de douloureux de savoir que je ne plaisais pas à mes parents. Ils pouvaient dire que c'était pour moi qu'ils le faisaient, c'était un mensonge égoïste.
Je fermai les yeux alors que je sentis le masque quitter mon visage. La brise caressa mon visage, suivit d'une main. J'ouvris les paupières. La main du roi caressait ma face avec admiration. Je me trouvais important à cet instant. L'émotion qui traversait ses iris, était quelque chose que je n'avais jamais vu.
J'étais à la fois heureux et terrifié de ce regard si sincère.
Bonjour bonjour !
Comment avez-vous trouvé ce troisième chapitre ?
Des avis sur les paroles de la louve ? Des pensées de Daath ?
N'hésitez pas à voter et commenter. ^-^ Sur ce, je vous dis à très bientôt !
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