CHAPITRE 1 - Une histoire devenue légende
Dans les montagnes recouvertes d'un tapis blanc, là où le vent n'était que brise légère et où la chaleur du feu n'était que funeste, une femme portant le titre de « reine » à merveille parcourait la forêt d'arbres gelés sous le ciel sombre et gris, menaçant de se mettre à pleurer pour l'événement lugubre qui s'annonçait. Ses longs cheveux blancs tombaient sensuellement en cascade sur ses formes et ses yeux polaires semblaient transcender la réalité elle-même.
D'un geste faible, elle releva sa main sur le givre de l'arbre et y prit douloureusement appuie. Elle soupira, laissant la buée blanche franchir ses lèvres bleutées. Sa respiration se calait dans sa poitrine avec un dernier regard pour le ciel. Ses forces l'abandonnaient à chaque seconde qui transperçait le temps. Elle pouvait le sentir comme le sang qui coulait dans ses veines, parcourant son corps si lentement que cela en était douloureux.
Elle ferma les yeux, cessant de lutter contre l'inévitable, laissant ses forces la quitter tandis qu'elle perçut son corps se fracasser avec brutalité sur le tapis de neige. Les flocons la recouvraient peu à peu, avec douceur, comme si ils savaient parfaitement qui était cette elfe. Alors qu'elle avait lutté pour ouvrir les yeux, la chose qu'elle vit fut le contraste entre la neige blanche et son sang si rouge qui sillonnait avec langueur ses longues mèches.
Avec regret, un sourire naquit sur ses lèvres tremblotantes et elle ferma les paupières, voyant les souvenirs de sa vie défiler devant ses yeux, impuissants. Mais la douleur ? Elle ne ressentait rien. Son corps était si froid, qu'il semblait être un simple glaçon qui venait de se briser dans une chute trop brutale. Elle avait été usée par le temps, abîmée par le chagrin qui avait conquis son être depuis bien trop d'années.
La dernière chose qui lui fut donnée d'entendre était les bruits de pas empressés.
— Lücisse, souffla une voix.
On souleva le corps de celle-ci avec facilité. Les mains tremblantes de l'elfe l'enveloppa avec toute la précaution au monde et ses yeux froids scrutèrent Lücisse avec inquiétude, regret et colère.
Naturellement, l'elfe se téléporta au sein du château fait de glace, qui était transpercé par la lueur des lumières aussi brillantes que le ciel. Le froid avait envoûté l'air il y a de cela bon nombre de millénaires, et y avait élu domicile depuis lors. Pour Lücisse, elle qui portait un peuple défunt derrière elle, ce royaume était un trésor fait de gel pure.
D'un geste tendre et inquiet, elle fut déposée sur un lit dans lequel son corps s'enfonça. Le confort la gagna légèrement et Lücisse émergea de celui-ci. Une couverture de soie recouvrait délicatement son corps, comme une caresse timide. Sa tête, qui avait heurté le sol avec violence, fut guérie par la grande main noire qui s'était posé sur elle.
Sous cette douce chaleur, Lücisse ouvrit doucement ses yeux polaires pour les ancrer dans ceux de son vis-à-vis.
— Tu n'aurais pas dû sortir, gronda la voix du sauveur.
— Je voulais... je voulais voir...
— Je n'en ai que faire de ton envie. Nous t'avons demandé de te reposer, et tu...
La voix se brisa douloureusement et ses mains se joignirent avec les siennes, se serrant fermement pour ne pas laisser les émotions la submerger.
Ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau noire jusqu'au sang et celui-ci commença à s'écouler sur le givre du château. Le contraste entre ces deux couleurs si vives le fit frissonner. Il se souvint de la vie longue et éternelle qu'il lui restait alors que la seule qui l'importait était souffrante sur son lit. Une main gelée vint se poser sur les siennes avec douceur et son cœur se serrait douloureusement.
Il n'arrivait plus à être celui qu'il avait été, à être celui qu'il avait promis d'être. Elle ne méritait pas de mourir. Elle et lui, plus d'une chose les avaient unis, et maintenant plus d'une chose les séparaient.
— Pardonne-moi de... Je ne voulais pas te faire subir ça, souffla Lücisse avec difficulté.
Aucune réponse ne vint et la seule chose que la reine put faire, fut de laisser couler ses larmes silencieusement.
— Devrais-je aller chercher Naos et tes enfants ?
— Sëroth, je..., tenta-t-elle de dire.
L'hybride se leva soudainement du lit, les poings fermement serrés. Il ne pouvait pas entendre cela.
— Je n'aurais pas le temps de... Tous vous dire ce que je veux... Sëroth, écoute-moi, sanglota-t-elle.
Il ne se retourna pas et resta dos à elle, le regard fermé pour empêcher ses larmes de couler.
— Sëroth, répéta l'elfe de neige d'une voix suppliante. Je t'en prie...
Il se retourna finalement et son cœur fut violemment possédé par une tristesse qu'il n'avait connu qu'une fois, il y a de cela bon nombre d'années. Il haïssait ce sentiment autant qu'il avait fini par se haïr.
— J'ai... J'ai eu peur toutes ces années de me retrouver seule. Depuis que mes parents sont morts, j'ai toujours voulu sentir que j'étais aimée... j'avais peur. Peur de... Ce sentiment de solitude si douloureux, d'être abandonnée. J'ai passé ma vie à rechercher une émotion qui pourrait me combler, et je... Je...
Elle se mit à tousser violemment et Sëroth s'avança vers elle, s'asseyant sur le coin du lit. D'un geste protecteur, il la ramena contre lui avec douceur.
— Tellement sont morts autour de moi... Que je... j'ai essayé de vivre avec leurs disparitions, mais pourquoi est-ce que... C'est si dur. Et j'ai... J'ai perdu Naos, et désormais... Désormais, je ne peux rien faire, et toi... Toi, tu es là. Tu as toujours été là. Avec toi... Cette impression de solitude disparaissait si facilement... Bien plus qu'avec Naos, mais au début... Je ne voulais pas y croire. Les années sont passées, et maintenant... Tu es devenu si important pour moi... Je sais que c'est mal, mais... Je veux que tu sois à mes côtés pour mes derniers moments, et je...
Sa voix se brisa en comprenant l'ampleur de ce qu'elle disait. L'hybride raffermit sa prise sans même dire un mot.
— J'ai l'impression d'être si incomplète que je... Plus les années passaient et plus je devais me forcer à garder en moi ce maudit ressenti... Je sais que... Quelque chose me manque. Quelque chose dont mon cœur s'en souvient seul.
— Il arrive parfois qu'il se souvienne de choses que tu as tenté d'oublier, murmura Sëroth.
— Je sais que je ne... Je n'ai pas tenté de d'omettre cela. C'est impossible...
— Souhaites-tu que je fasse quelque chose en particulier quand tu ne seras plus...
À son tour, la voix de Sëroth se retrouva bloquée dans sa gorge. Ses yeux lui brûlaient en sentant le corps froid contre lui et en comprenant ce qui attendait Lücisse.
— Je veux que tu... Veille sur mes enfants.
— Tu sais bien que je le ferai même si tu me le demandes pas, souffla-t-il.
— Alors... Raconte-moi.
Le corps de l'hybride se raidit instantanément en comprenant ce que sa reine voulait. Sa mâchoire se contracta et Lücisse, sachant parfaitement que Sëroth était réticent à cette idée, posa sa tête sur son épaule.
— Je te l'ai déjà montré, soupira-t-il.
— Je veux entendre ta voix jusqu'à la fin. Je veux... je veux pouvoir t'entendre me raconter qui tu étais... D'où tu viens, pourquoi tu as fait ça et qui tu es devenu... Fais-le... Pour moi, le supplia-t-elle presque.
— Tu veux vraiment t'en souvenir ? Tu veux vraiment savoir ? chuchota-t-il.
— Plus que tout au monde, souffla-t-elle en enlaçant étroitement leurs doigts. Je veux comprendre ce qui me lie à toi avec autant de force.
— Et si cela ne te plaisait pas ? Et si dans tes derniers instants tu viendrais à me haïr ?
— Jamais... je ne...
Lücisse se mit à tousser de nouveau et le sang coula le long de ses lèvres. La main libre de Sëroth remonta jusqu'à celles-ci et essuya le liquide pourpre et chaud.
— Si je te déteste un jour... Ce serait comme si je me détestais moi-même, avoua tristement la reine.
L'hybride se contenta d'ancrer son regard dans celui de Lücisse, parcourant par la suite son visage presque éteint de toute vie.
— Je n'ai jamais... Tu es le seul qui... Sëroth... je...
Il plaqua sa main sur la bouche de sa reine en faisant un signe négatif de la tête.
— Ne fais pas ça. C'est mal, souffla-t-il à son tour.
Lücisse acquiesça, et d'un geste lent, le roi des Ombres rompit le lien de leurs mains. Elle ne put que poser sur lui un regard de tristesse mélangé à l'angoisse, mais celui-ci disparut aussi vite qu'il fut arrivé. En un mouvement puissant et doux, Sëroth avait ramené Lücisse entre ses jambes et s'était appuyé contre le mur accosté au lit.
D'un geste commun, ils lièrent de nouveau leurs doigts avant que les bras de Sëroth ne resserrent son emprise.
— Il fait chaud... Il fait enfin chaud, ricana-t-elle faiblement.
— Si quelqu'un arrive...
Il ne continua pas sa phrase en sentant les doigts de sa reine serrer un peu plus ses mains.
— Mon histoire n'est qu'une légende dorénavant, déclara l'hybride.
— Alors raconte-moi ta légende, roi des Ombres.
Il posa son front sur son épaule, et en prenant une longue inspiration... Son récit commença sous l'oreille attentive de son unique reine.
Bonjour bonjour !
Comment avez-vous trouvé ce premier chapitre ?
Sur ce, je vous dis à très bientôt !
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