The old piano

Il s'en souvient.

Ah, oui ! il s'en souvient, de ses belles années.
Lorsque ce couloir était un auditoire dans lequel les élèves se tassaient, écoutant silencieusement les pianistes.
Ils étaient plusieurs.

Il y avait le Pianiste
Lui jouait de grands airs. Du Mozart. Du Bach. Ses doigts étaient durs et sûrs d'eux. Il amenait toujours des partitions.

Il y avait les quelques débutants.
Eux jouaient des classiques simples. Leurs doigts étaient moites et hésitants. Ils amenaient des feuilles emplie de notes désignées par leurs noms.

Et il y avait le Virtuose.
Le Virtuose n'était pas le Pianiste. Il ne jouait pas souvent les airs classiques. Ses doigts étaient doux et amoureux des touches du Piano. Il jouait à l'oreille. Il composait en direct. Il improvisait, comme ce jour où il avait brodé une superbe musique autour des quelques notes de la vieille gare du train à vapeur. C'est d'ailleurs grâce à lui que le Piano connaît les notes de la vieille gare. C'est lui que le Piano préférait.

Et puis les années sont passées. Le Pianiste et le Virtuose sont partis.
D'aucun ont essayé d'imiter le Virtuose. Mais personne n'y parvenais.

Et puis un jour, le couloir est resté vide.

Le Piano s'en souvient bien également, de ce jour-là. Il avait attendu dix heure. Puis midi. Puis seize heure. Mais même à ces heures libres de cours, personne n'était venu.
Il y avait toujours ces quelques élèves qui lui jetaient un coup d'œil en se rendant en biologie, mais même eux ne revenaient pas, trop timides pour s'imposer.

Et puis l'établissement avait été rénové. Le Piano était resté. Son couloir était devenu la salle des élèves, et il trônait au milieu du mur du fond. Les vieux professeurs qui venaient manger en écoutant les pianistes étaient partis, remplacés par de plus jeunes, ignorants de l'histoire du Piano.

Les fantômes du Pianiste et du Virtuose hantent les touches poussiéreuses et son bois clair, cassé par endroits. Mais au fil des années, la seule personne qu'il voit est cette femme qui passe un coup de plumeau sur son clavier.

Fini, les élèves massés en demi-cercle. Fini, l'accordage mensuel par cet amoureux du métier. Le Piano et son histoire tombent doucement dans l'oubli.

Il voit les long hivers que les élèves passent dans cette grande salle, réunis autour des tables, chahutant doucement.
Il sent les regards curieux lancés sur lui.
Il entends les pas hésitants qui s'arrêtent à quelques mètres alors qu'un élève l'inspecte distraitement, puis fait demi-tour et rejoint son groupe.

Personne ne veut plus toucher le Vieux Piano. Il doit être désaccordé, de tout façon, depuis le temps. À quoi bon ? Aucune partition ne rendrait bien.

Le Piano regarde cette salle dans laquelle une classe vient d'arriver. C'est une classe calme, il la reconnaît. Et il reconnaît ce jeune homme brun, Elliot, qui lui a tourné autour de longs moments ces dernières semaines.

Le Piano, le Vieux Piano, est désormais résilient. Il sait que sont temps est fini, et que lorsque le directeur s'en ira, il s'en ira avec lui.
Il profite des fantômes du Pianiste et du Virtuose sur ses touches, de la chaude lumière du soleil qui tombe sur lui par la baie vitrée et du calme de la salle. Il se nourrit des souvenirs qu'elle contient. Et des souvenirs du couloirs éparpillés à l'intérieur.

Le Piano, le Vieux Piano, sent une présence.
Elliot.
Ses doigtes flirtent avec les touches, appuyant dessus au hasard. Derrière lui, sa classe le regarde en souriant.
- Vas-y, Elliot !

Le jeune homme brun, Elliot, pose avec délicatesse ses doigts sur les touches. Puis il appuie dessus, doucement, amoureusement, et une mélodie jaillit du Vieux Piano. Ni bancale, ni désaccordée.
Non, cette mélodie transporte. Elle sonne comme une forêt enchantée. Magique.

Le Piano se sent plus réchauffé par ce contact que par les rayons du soleil.

~••~

Quelques mois ont passé. Elliot reviens aussi souvent qu'il le peut, et plus seulement avec sa classe. C'est lui, désormais, le Virtuose.
Le Piano n'a pas été restauré, mais le père d'Elliot l'a accordé avec beaucoup de soin et de douceur. C'est lui, désormais, qui revient tous les mois.
Elliot a amené une fille aux cheveux châtains, qui a sorti des partitions de son sac. Il la regarde jouer, le rouge aux joues. C'est elle, désormais, la Pianiste.

Les fantômes du Pianiste et du Virtuose continuent de jouer la première mélodie d'Elliot en boucle. Et les couloirs sont remplis de nostalgie. Et de l'histoire du Vieux Piano.

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