J'étais tellement nerveux que mes doigts se sont raidis. Je serrais et desserrais mes poings. Et si j'échouais ? J'avais fait ça à maintes reprises, mais je me sentais terrifié à chaque fois. Je pris une respiration lente et profonde et pensai à YoonGi. Il devait être ivre maintenant, cliquant sur son briquet d'une main et tenant son téléphone de l'autre. Il était peut-être allongé sur le canapé et réfléchissait aux raisons pour lesquelles il devrait continuer à vivre. Ou les raisons pour lesquelles il ne devrait pas.

Comment YoonGi voit-il le monde et lui-même ? J'ai fait face à cette question chaque fois que j'ai essayé de le sauver. Je ne pouvais pas comprendre comment il pouvait continuer d'essayer de se détruire. Ça ne voulait pas dire que j'étais ravi de vivre dans ce monde ou que chaque jour de ma vie était rempli de bonheur. En fait, je n'ai jamais été captivé par quoi que ce soit, pas même par la vie et la mort.

Avec du recul, je n'étais pas différent quand j'ai commencé tout ça. Serais-je capable de réparer les erreurs et les fautes et tous nous sauver ? Je n'avais pas saisi la profondeur et le poids de cette question. Il était vrai que je voulais désespérément tous nous sauver. Personne ne mérite de mourir, de désespérer, d'être réprimé et d'être méprisé. En plus de cela, ils étaient mes amis. Nous avions peut-être nos défauts et nos cicatrices et avions été blessés. Nous n'étions peut-être personne. Mais nous étions vivants. Nous avions des jours à vivre, des plans à suivre et des rêves à réaliser.

Au début, je n'y ai pas beaucoup réfléchi. Je pensais que tout dépendrait de l'effort que je fournirais après avoir compris qui je devais sauver et de quoi. C'était ce que j'avais pensé. Je croyais que je pouvais tout résoudre en les persuadant et en changeant les choses. J'étais aussi stupide et naïf. Mais ce n'était rien d'autre qu'une tentative de sauver ma propre peau. Après une série d'essais et d'erreurs, j'ai eu une révélation. Ce n'était pas si simple de sauver les autres.

YoonGi n'était pas facile à gérer. Il était probablement le plus difficile de tous. Il changeait toujours l'heure et le lieu de ses tentatives de suicide. J'ai dû l'approcher différemment des autres. Une solution qui fonctionnait bien la dernière fois ne fonctionnait pas la prochaine. Juste au moment où je pensais enfin éclaircir un mystère, ça conduisait à un nouvel accroc.

Au début, je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ses raisons. Après toutes mes tentatives, tout ce que je pouvais deviner était que la détresse de YoonGi était liée à son conflit intérieur. NamJoon avait été pris dans une bagarre à cause de ces clients impolis à la station-service. Mais YoonGi était différent. Il n'avait aucun but précis et aucune cause définie. Il avait trop de variables.

J'ai essayé d'imaginer ce qui se passait dans la tête de YoonGi. Une fois, je l'ai suivi discrètement pendant des heures. Ses pas étaient peu sûrs et imprévisibles. Il chancelait dans les rues de nuit et essayait de se tuer par le feu. Il s'accroupissait parfois par terre et écoutait de la musique qui sortait de quelque part à l'intérieur d'une galerie marchande souterraine. Après une nuit à le suivre, j'ai réalisé à quel point ma propre vie était ennuyeuse, morne et fade. Ce n'était pas que j'enviais YoonGi. La souffrance qu'il a dû endurer, passant d'un extrême à l'autre, dépassait mon imagination. Tout ce que je pouvais faire était de le regarder chanceler.

Un obstacle était toujours suivi d'un autre. Une nouvelle couche de désespoir tombait avant même que la précédente ne soit retirée. Je ne pourrai peut-être pas sauver YoonGi après tout. Je n'arrivais pas à trouver de solution. Mais à ce moment-là, l'espoir a pris son envol. J'ai entendu une fois que l'espoir avait des ailes. C'était un petit oiseau avec des ailes.

Un oiseau a volé dans le studio de YoonGi qui se trouvait dans un bâtiment abandonné au milieu d'un quartier de réaménagement. Le quartier était censé être démoli depuis longtemps, mais il a été déserté lorsque le plan de réaménagement a été abandonné. L'oiseau est entré par une fenêtre cassée. YoonGi se tenait au milieu de la pièce avec un briquet à la main. Le studio entier sentait fortement l'essence. Je me tenais juste devant la porte. J'étais sur le point d'entrer quand j'ai entendu un gros bruit et un battement d'ailes. La porte était à moitié ouverte, alors j'ai jeté un coup d'œil à travers. YoonGi avait le dos tourné.

L'oiseau s'est effondré sur le sol. Il a battu des ailes à nouveau mais n'a pas réussi à s'envoler. YoonGi est resté complètement immobile et a regardé l'oiseau. Je ne pouvais toujours pas voir son visage. L'oiseau avançait dans la pièce à la recherche d'une issue. Il heurta ses ailes contre le mur et la chaise et les plumes qui tombaient dérivèrent sur le sol. YoonGi continuait de le fixer. Sa main qui tenait le briquet était toujours suspendue dans le vide. Il laissa finalement tomber son bras, s'effondra et couvrit sa tête de ses mains.

Je me suis rendu dans son studio ce soir-là. C'était spacieux mais désert. Un canapé sale, une chaise et un piano ont étés tout ce que j'ai pu trouver là-bas. Des morceaux de papier froissés étaient éparpillés partout sur le sol. Il a dû essayer d'allumer un feu. Certains ressemblaient à des lignes de musique avec des paroles griffonnées dessus.

J'ai regardé autour de moi. J'ai trouvé la chose avec des ailes. L'oiseau était accroupi derrière le piano, il y avait du sang séché autour des blessures sur ses ailes. Il semblait pétrifié et s'est recroquevillé de peur quand je me suis approché. De minuscules gouttes de sang étaient étalées sur le sol. Des miettes de pain et de l'eau étaient disposés devant le piano.

Je me suis reculé. Même si je le laissais partir par la fenêtre, il ne pourrait pas encore voler. Combien de temps faudrait-il pour que les blessures guérissent ? YoonGi resterait-il sain et sauf tant que que l'oiseau était ici ? Puis, une pensée m'est venue à l'esprit. YoonGi a dû s'arrêter à cause de ça. Ce petit oiseau blessé. Une chose fragile qui ne pouvait ni se protéger ni se sauver. Un petit être qui a confié sa vie à YoonGi.

Après ce jour, j'ai eu une prise de conscience. Si toutes les variables liées aux tentatives suicidaires de YoonGi existaient en lui-même, pourquoi ne pas en extirper au moins une ? Je devrais chercher la bonne cible et créer la bonne situation. Une variable qui pourrait donner à YoonGi une raison d'arrêter de se détruire. Quelqu'un qui pourrait partager ses cicatrices et ses désirs. Ce n'était pas moi. "Ce n'est pas quelque chose que tu peux faire seul." Je suis douloureusement devenu conscient de la pleine signification de ces mots que j'avais entendus peu de temps après que tout cela ait commencé.

Je me suis rendu compte que JungKook avait le même regard que YoonGi lorsque NamJoon l'a dit. "JungKook a toujours cette photo." Il parlait de la photo que nous avons prise ensemble sur la plage au lycée. NamJoon voulait apparemment me faire savoir que JungKook pensait toujours à moi, mais je me suis souvenu d'une scène complètement différente.

Le jour où nous sommes partis à la recherche de ce rocher qui réalisait les rêves, nous avons ri, nous sommes plaints et nous sommes amusés sous le soleil brûlant. Et, dévasté de constater que le rocher avait disparu, j'ai crié mon rêve, que même moi je ne pouvais pas entendre, à la mer.

À ce moment, j'ai vu JungKook crier une question à YoonGi. Je ne pouvais pas entendre ce qu'il disait, mais je pouvais sentir que c'était important pour JungKook. Qu'est-ce qu'il a demandé à YoonGi ? Pourquoi lui ? Je n'y avais pas vraiment réfléchi à l'époque. YoonGi n'était pas aussi enjoué que HoSeok, pas aussi amical que JiMin et pas aussi fiable que NamJoon. Pourquoi YoonGi ? J'ai soudain compris. C'est YoonGi qui a sauvé JungKook. Les deux avaient le même regard dans les yeux.

Ce n'était pas difficile d'envoyer JungKook à YoonGi. JungKook était seul à l'école et à la maison. Il n'avait nulle part où aller après les cours. Il passait généralement son temps au fast-food de HoSeok ou s'attardait dans le conteneur de NamJoon. J'ai verrouillé la porte du conteneur et ai obligé HoSeok à quitter le magasin avant que JungKook ne passe. Après avoir erré pendant un moment, JungKook s'est finalement dirigé vers le studio de YoonGi. Il semblait avoir des sentiments mitigés. Dois-je entrer ? Et s'il pense que je suis agaçant ? L'espoir et la peur tourbillonnaient sur le visage de JungKook. Depuis ce jour, il s'est rendu au studio de YoonGi tous les jours. Au début, YoonGi lui a dit sèchement de s'en aller, mais il ne le pensait pas vraiment.

Une ombre apparut bientôt. C'était JungKook. Je me suis enfoui plus profondément dans le siège. Ils ne savaient pas encore que j'étais de retour. Excepté NamJoon, que j'ai rencontré à la station-service. NamJoon a dit que tout le monde serait ravi, mais j'ai refusé de les rencontrer. J'attendais le bon moment. Je devais attendre que nous soyons tous ensemble.

Peut-être étions-nous reliés ensemble par des fils et nous soutenions mutuellement. Ce n'était pas facile de tracer ce réseau de ficelles. C'était comme un labyrinthe complexe. Quand certains nœuds étaient défaits, d'autres parties se cassaient. Lorsqu'un fil était trop tiré, tout s'effondrait en un instant. J'ai dû faire des liens, un fil à une autre, en observant de près les autres, pour les amener à se sauver les uns les autres sans s'en rendre compte.

JungKook s'arrêta devant le studio de YoonGi et leva les yeux vers le deuxième étage. Il n'avait pas l'air très enjoué. YoonGi avait traversé une période difficile au cours des dix derniers jours. Il buvait beaucoup et se tourmentait. J'ai poussé JungKook dans ce gouffre d'agonie. La souffrance de YoonGi a dû être trop écrasante pour JungKook. Une fois, JungKook a laissé tomber YoonGi. Cette fois-là, YoonGi s'est jeté dans les flammes. Mais cruellement, YoonGi n'est pas mort. JungKook ne s'est jamais pardonné de ne pas avoir réussi à l'arrêter.

Environ dix minutes s'étaient écoulées depuis que JungKook était entré dans le studio de YoonGi. Le son de quelque chose qui se brisait m'est parvenu de la fenêtre du deuxième étage, et YoonGi, dont les lèvres étaient abîmées, apparut à l'entrée de l'immeuble en titubant. Il s'empressa de descendre la route en pente. J'ai levé les yeux vers la fenêtre du deuxième étage. JungKook devait être assis là-haut près du miroir brisé. Il devait être en train de penser qu'il ne pouvait pas sauver YoonGi. Il devait penser que c'était sans espoir.

J'ai démarré la voiture après avoir vu JungKook sortir en courant du bâtiment. YoonGi devait être en train de se diriger vers le motel en bas du pâté de maisons. Je devrais laisser un indice à JungKook quant à l'endroit où se trouvait YoonGi. C'était tout ce que je pouvais faire. J'ai déposé du tissu taché de sang près de la porte du motel.

Assis dans la voiture, j'ai vu JungKook monter les escaliers du motel. J'ai laissé une photo devant le miroir dans le studio de YoonGi tôt ce matin. C'était la photo de nous tous prise ce jour-là quand nous sommes allés à la plage. Est-ce que JungKook avait vu la photo ? Je ne pourrais pas savoir si JungKook avait suivi YoonGi à cause de cette photo, s'il avait décidé d'essayer en voyant une petite graine d'espoir, ou s'il était motivé par autre chose.

Je ne savais pas comment JungKook pouvait sauver YoonGi. Ce moment décisif de la vie, ce dernier moment, pour chacun de nous, y compris JungKook et YoonGi, ne peut pas être perturbé. Il ne peut être partagé que par ceux qui souffrent de la même blessure, comprennent les peurs, rêves et défaites de l'autre, et par conséquent voient à travers l'autre jusqu'à son essence même.

J'ai regardé la fenêtre du motel. Je me suis demandé de quoi parlaient JungKook et YoonGi à l'intérieur. Et j'ai désespérément souhaité que la chose avec des ailes puisse s'envoler de là pour atteindre le ciel.