NamJoon - 17 décembre année 21

J'ai continué à ralentir mon rythme et me suis finalement arrêté. C'était l'aube dans un village de campagne où même les bus ne circulaient pas fréquemment. Tout le village était recouvert d'une neige lumineuse qui était tombée cette nuit. Les arbres étaient recroquevillés comme de massives bêtes blanches et répandaient de la neige à chaque fois que le vent soufflait. Je savais sans regarder en arrière que j'étais le seul qui laissait des empreintes de pas à travers le champ de neige dans le village. Mes deux pieds étaient depuis longtemps trempés par les semelles craquelées de mes baskets. J'ai entendu une fois dire que Dieu nous rend seuls pour nous conduire à Lui.* Mais je n'étais pas seul. Je ne suivais pas le chemin qui menait à moi. C'était une retraite. Je me fuyais moi-même. *Demian de Hermann Hesse

Ma famille est arrivée dans ce village l'automne dernier. La quantité d'affaires que nous amenions avec nous continuait de se faire de plus en plus petite à chaque fois que nous déménagions pour une nouvelle ville. Désormais nous n'avions plus besoin que d'un petit fourgon de livraison pour nous déplacer. Nous n'étions pas en mesure d'être pointilleux quant à l'endroit où nous vivions. Il n'y avait que deux conditions. L'une était un hôpital pour papa et l'autre était un employeur qui était disposé à embaucher quelqu'un sans diplôme d'études secondaires.

Ce village avait les deux. Le bus qui circulait deux fois par jour s'arrêtait devant l'hôpital géré par le comté et une série de petits restaurants bordaient le cours d'eau derrière la ville. Ces restaurants vendaient du ragoût et des frites faites à base de petits poissons pêchés dans le ruisseau, et les mois d'été étaient leur haute saison.

Des foules cherchant une excursion au bord de l'eau affluaient des villes proches et la demande de livraisons pour ceux qui restaient au village avec l'aire de repos sur la crête montagneuse était élevée. Pendant l'hiver, lorsque le ruisseau gelait, les restaurants utilisaient du poisson conservé pêché en été. Il n'y avait pas autant de touristes qu'en été, mais les appels pour les livraisons restaient réguliers. J'étais l'un des livreurs de la ville.

Bien sûr, il y avait aussi de la concurrence ici. La plupart des familles vivaient de l'agriculture et, comme on peut le deviner, n'étaient pas très riches. Le service de livraison était le seul emploi à temps partiel disponible pour les garçons en ville. Les propriétaires de restaurants nous ont fait entrer en concurrence les uns avec les autres. "N'est-il pas naturel que j'engage celui qui m'impressionne le plus ?" Pour eux, peu importait que nous soyons mineurs et sans permis de conduire. Les garçons qui avaient déjà été embauchés agissaient de façon très territoriale. Ils n'étaient que quelques-uns, mais ils m'ont menacé de bizutage sévère.

Pendant les vacances, la compétition est devenue plus féroce. Nous avons fait des courses de manière volontaire et compétitive et avons sorti les poubelles pour les propriétaires. Leur connivence n'a fait que nous pousser plus loin. Et pourtant, de façon presque inattendue, nous en sommes venus à développer une sorte de solidarité entre nous. Nous étions rivaux, mais nous avions une sorte de sympathie les uns pour les autres. Si l'un de nous ne se présentait pas, les autres se demandaient ce qui s'était passé. Ils m'ont en outre rappelé le temps que j'ai passé dans cette salle de classe transformée en débarras au lycée. Certains d'entre eux ressemblaient à YoonGi et certains à JiMin. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander. Si mes amis de l'école s'étaient rencontrés ici dans ce village, aurions-nous étés en compétition et aurions-nous essayé de nous surpasser ? Si j'avais rencontré ces livreurs à l'école, serions-nous devenus amis ?

La neige est tombée abondamment lorsque notre concurrence, nos instincts territoriaux et notre étrange sens de la solidarité ont tous atteint leur apogée. Ensuite, la compétition s'est calmée instantanément. Un scooter était indispensable pour effectuer des livraisons au village avec l'aire de repos, mais il était très dangereux de conduire une moto légère le long du sentier montagneux couvert de neige. Le sentier qui menait au village avec l'aire de repos était le raide et sinueux. La livraison à pied n'était pas une option.

En fin de compte, c'était une confrontation entre TaeHyung et moi. TaeHyung avait deux ans de moins que moi et vivait aux environs du village près du verger. TaeHyung n'était pas son vrai nom. C'était soit JongSik ou JongHun. Mais il me rappelait TaeHyung. Il n'avait pas ce sourire idiot ou ne s'ouvrait pas facilement à tout le monde avec sa nature douce et naïve. Au contraire, il semblait toujours agressif, en colère et mécontent. De l'extérieur, il ressemblait à YoonGi, mais curieusement, il me rappelait davantage TaeHyung.

TaeHyung et moi étions les seuls assez misérablement pauvres pour prendre le risque et continuer à faire des livraisons dans cette ville de montagne enneigée. C'était la même chose ce jour-là. Quand encore une autre commande a été téléphonée au restaurant, j'étais en train de me promener le long du ruisseau. Personne d'autre ne s'était présenté car le bulletin météorologique prévoyait de fortes chutes de neige dans l'après-midi. TaeHyung est apparu quelques minutes plus tard. Au lieu de rentrer dans le restaurant et de bavarder comme d'habitude, il s'est juste effondré sur le sol près du pont et n'a pas bougé. C'était un de ces jours. Ces jours où son visage étaient coupé et couvert de quelques ecchymoses. Ces jours où ses yeux étaient injectés de sang et ses vêtements étaient tachés de sang. Est-ce qu'il avait des problèmes ? Est-ce que quelqu'un le frappait ? Je ne lui ai pas demandé.

Il a commencé à neiger pendant que j'attendais que la nourriture soit préparée. Au moment où j'ai senti quelque chose de froid frôler mon cou, la neige a commencé à tomber plus épaisse et plus lourde. "Tu es sûr que tout ira bien ?" Le propriétaire tourna la tête. TaeHyung se leva d'un bond et je tournai mon visage vers lui. "Bien sûr !" avons-nous répondu simultanément. "On ne sait jamais quelle quantité de neige tombera encore de ce genre de ciel", a expliqué quelqu'un à l'intérieur du restaurant. "Il a tout juste commencé à neiger. Je reviens dans une minute." Le propriétaire me lança un regard empli de doutes. "Mais tu n'es toujours pas très doué pour conduire le scooter." TaeHyung est venu, déclarant qu'il avait conduit le scooter plusieurs fois. Le propriétaire a claqué sa langue quand il a vu son visage. "Non, pas toi aujourd'hui. Va te reposer." Je n'ai pas raté l'occasion et l'ai tout de suite saisie. "Il y a une première fois pour tout. Aujourd'hui est le premier jour où je fais une livraison dans la neige. Vous savez que je suis très prudent." Le propriétaire a cédé. "Viens ici. Tu devras faire plusieurs allers-retours, alors sois prudent."

Je pouvais sentir le regard de TaeHyung me suivre dans mon dos alors que j'entrais dans le restaurant. Il planait autour de moi pendant que j'emballais les aliments préparés et les mettais dans le réceptacle. C'était étrange. TaeHyung était généralement trop fier pour agir comme ça. Quand je l'ai regardé, il a fait un pas vers moi comme s'il avait quelque chose à dire. Puis, il s'est retourné de nouveau. Le propriétaire ne cessait de me harceler au sujet de la conduite sur une route enneigée. J'ai fait semblant d'écouter en hochant la tête avec enthousiasme. Conduire un scooter n'était pas quelque chose qui exigeait beaucoup d'attention, de compétence et de stress.

Contrairement à ce que j'avais pensé, ce n'était pas facile de gravir la pente à travers des rafales de neige sur un scooter. La neige n'avait pas commencé à adhérer sur la route, mais mes nerfs étaient à vif car elle volait dans toutes les directions en flocons épais. Le scooter décrépit se débattit sur la pente. C'était comme si le scooter s'accrochait à moi. Il faisait froid, mais je ruisselais de sueur et tous mes muscles étaient crispés. La minute suivante, ma sueur a séché et j'ai senti un frisson dans mon dos. Je n'arrêtais pas de me répéter cette pensée. J'ai monté et descendu cette route sans aucun problème tout l'automne et jusqu'au début de l'hiver. Par ailleurs, la neige ne colle pas et la route n'est pas glissante.

Le scooter glissait, impuissant, sur la descente lors du troisième voyage. Je venais juste de reprendre confiance et pensais que j'étais assez bon pour manœuvrer le scooter un jour de neige. Comme la neige tombait depuis un moment et que la route était peu fréquentée, elle a commencé à s'accumuler ici et là. Mais c'était toujours convenable au centre de la route et la pente n'était pas si raide. Puis, dès que cette pensée m'a traversée l'esprit, la roue arrière a glissé. Surpris, j'ai serré fortement les freins. Les tenais-je trop fermement ? Cette pensée a envahi mon esprit. Je pense que je me souvenais que le propriétaire avait dit quelque chose à propos des freins. Les avertissements du propriétaire que je n'avais écoutés qu'à moitié me traversèrent l'esprit. Le scooter a semblé reprendre le contrôle pendant un instant mais les roues se sont mises à zigzaguer avant même que je ne puisse laisser échapper un soupir de soulagement. L'instant d'après, j'ai été projeté sur la route. Je suis tombé comme si le scooter m'avait jeté aussi fort qu'il le pouvait. Le scooter a glissé tout seul sur la route et a dû heurter quelque chose. J'ai entendu un bruit sourd.

Je me suis levé d'un coup. Je ne pouvais pas me permettre de vérifier si j'étais blessé ou l'endroit où j'avais mal. J'ai couru vers le scooter, qui était renversé sous un arbre sur le côté droit de la route. Il était couvert de feuilles mortes. Je l'ai ramassé pour découvrir une rayure profonde et immanquable au bas de sa carrosserie. J'ai inséré la clé et l'ai tournée. Il n'a pas démarré. De la sueur coula le long de ma nuque. Chaque articulation de mon corps me faisait mal. J'étais saisi de peur. Je n'avais aucun moyen de payer pour le scooter.

J'ai de nouveau tourné la clé, cette fois en donnant un coup de pied au moteur. Le moteur a semblé cliqueter et tourner mais est mort tout aussi rapidement. J'ai juré sous mon souffle, ai fermé les yeux et frappai le sol aussi fort que possible. Ma main, qui tenait la clé, ne pouvait pas s'arrêter de trembler. Les visages de mes parents et de mon frère ont traversés mon esprit. J'ai levé les yeux vers le ciel et me suis ressaisi. J'ai serré et desserré mes poings. Ensuite, j'ai de nouveau tourné la clé.

Le moteur a finalement redémarré après plusieurs tentatives. Le scooter a pris vie, résonnant comme le cri aigu d'un animal mourant. Je me suis effondré au sol. J'étais épuisé. La rayure profonde était visible. Je me suis rapidement remis sur pieds et l'ai frotté fort avec la pointe de ma basket. C'était un vieux scooter déjà couvert de nombreuses bosses et rayures. Ça pourrait passer inaperçu.

Quand je me suis levé, une de mes chevilles me faisait souffrir. Ce n'est qu'alors que j'ai commencé à vérifier mon propre état. Heureusement, il n'y avait pas de blessures graves. Il y avait une petite coupure au-dessus de l'os de ma cheville gauche qui saignait. Mes cuisses et ma taille pourraient me faire mal le lendemain matin, mais j'étais déjà passé par-là.

TaeHyung m'a regardé garer le scooter et entrer dans le restaurant. Est-ce qu'il avait remarqué ? Je suis devenu nerveux mais ai discuté avec le propriétaire le plus naturellement possible. La prochaine commande de livraison est arrivée peu après. Je devais sortir à nouveau avant même d'avoir eu le temps de me réchauffer.

"Hé..." m'interpella TaeHyung tandis que j'approchais du scooter. Est-ce qu'il avait vu la rayure ? J'ai répondu d'une voix délibérément forte. "Quoi ?" Après quelques instants d'hésitation, TaeHyung a continué. "J'ai une faveur à te demander." "Une faveur ? Quelle faveur ?" C'est à ce moment-là que mon téléphone a sonné. Je levai une main pour le faire taire et me retournai. C'était maman. Papa avait essayé de sortir seul et était tombé. Elle m'a demandé de l'emmener à l'hôpital. J'ai fermé les yeux. La colère monta en moi. J'ai serré les dents. Je pouvais sentir mon agacement remonter lentement de mon estomac. Des flocons de neige, maintenant nettement plus gros, sont tombés sur mon visage. Je montais et descendais cette route glissante par ce temps pour ne gagner presque rien. La coupure à ma cheville gauche me faisait mal et mes cuisses me brûlaient. Mais j'avais l'intention de remonter sur ce scooter à nouveau. C'était le seul moyen de gagner ce peu d'argent aujourd'hui.

Je pouvais comprendre pourquoi il avait essayé de marcher seul. C'était sa dernière fierté en tant que chef de notre famille et sa tentative de garder sa dignité de parent. Mais nous ne pouvions pas nous permettre de tels luxes face à la pauvreté. La dignité, la fierté, le sens de la justice et la morale ne faisaient qu'alourdir le fardeau et la somme d'argent à dépenser. Quand j'ai ouvert les yeux, TaeHyung me fixait. Je lui ai remis la clé.

Quand papa et moi sommes descendus du bus qui venait de l'hôpital, le soleil était déjà couché. Les grands flocons de neige avaient continué de croître et ont créé des congères. Le bus roulait au pas. Il avait fallu deux fois plus de temps que d'habitude pour se rendre à l'hôpital et rentrer chez nous. J'ai marché en direction de chez nous en portant papa sur le dos sans personne en vue pour nous tenir un parapluie. Mes cheveux étaient humides et mes mains qui le tenaient étaient engourdies par le froid.

J'ai fait une pause sous un arbre devant la route sur le talus. J'ai repris mon souffle et ai levé les yeux. Une vue panoramique du village est apparue devant mes yeux. Le village couvert de neige semblait tranquille et paisible. De chaudes lumières jaunes passaient à travers les fenêtres de différentes maisons ici et là. L'odeur de riz vapeur et de ragoût a accentué mon appétit. Lorsque nous sommes entrés dans l'allée après avoir traversé le pont, des chiens ont commencé à aboyer. Bien que nous habitions ce village depuis plusieurs mois maintenant, les chiens m'aboyaient toujours comme un étranger. Maman a surgi quand nous sommes entrés. "Il doit recevoir un traitement ambulatoire pour au moins trois jours de plus." J'ai allongé papa dans sa chambre et je suis sorti. La neige ne se dissipait pas. "Pourquoi est-ce que tu me détestes autant ? Laisse-moi au moins savoir la raison." J'ai crié aux chiens qui aboyaient à tue-tête. J'ai entendu parler de l'accident de TaeHyung le lendemain.

Lorsque je suis passé devant le restaurant qui bordait le ruisseau, j'ai vu le propriétaire parler avec un policier. J'ai me suis instinctivement figé. Je pensais qu'il était venu me chercher. J'avais endommagé le scooter la veille. Je pouvais avoir des ennuis en conduisant en étant mineur et sans permis de conduire. Est-ce que je devrais rentrer chez moi ? Mais le bus ne viendrait pas avant des heures. Il n'était tout simplement pas possible de s'enfuir avec papa dans cet état.

"Vous avez entendu ?" C'était la propriétaire d'un autre restaurant d'à côté. Elle a dit que l'accident s'était produit lorsque TaeHyung roulait dans une descente après sa livraison. Son corps gisait là depuis plus de trois heures quand quelqu'un dans une voiture qui passait l'a trouvé. Un résident de la ville avait appelé le propriétaire du restaurant, mais personne n'avait entrepris de recherches.

Le policier a déclaré que TaeHyung était un conducteur non qualifié. Il lui a également reproché de ne pas avoir porté de casque. J'ai remarqué un casque que je n'avais jamais vu avant placé sur le comptoir du restaurant. Le propriétaire n'arrêtait pas de répéter qu'il n'avait jamais forcé TaeHyung à sortir effectuer des livraisons et avait même essayé de l'en dissuader. C'était vrai. TaeHyung et moi avions insisté sur le fait que ça ne nous dérangeait pas. Les voisins se sont tous impliqués. C'était un petit village où tout le monde se connaissait. Ils avaient au moins un souvenir ou deux sur tout le monde là-bas, qu'il s'agisse d'un combat de poing, d'un commérage ou d'une trahison. Une série d'informations à son sujet s'est diffusée. Il vivait avec sa mère et sa sœur et n'avait pas de père.

La mère de TaeHyung se tordait de douleur sur un banc devant le restaurant et gémissait. Ramenez mon fils. Ramenez mon pauvre, pauvre fils. C'est une mort injustifiée. Au début, les voisins ont essayé de la calmer et se sont lamentés avec elle. Mais il faisait froid et le soleil s'est couché tôt. Le soir, la mère de TaeHyung s'est retrouvée seule, et l'odeur de dîner s'est répandue à travers les fenêtres comme toujours. Chaque fois que le vent soufflait sur les arbres bordant le ruisseau, de la neige en tombait par morceaux. Elle restait simplement assise là au milieu de tout ça.

Je l'ai vue assise seule pendant que je ramenais papa de l'hôpital. Sans m'en rendre compte, j'ai arrêté de marcher et me suis souvenu du lieu de l'accident. Après avoir entendu parler de TaeHyung, j'avais parcouru le sentier par moi-même. Mon souffle s'était figé et s'était échoué au sol sous forme de cristaux de glace. La forme de TaeHyung dessinée par un contour blanc sur la route était à moitié effacée. Je m'étais arrêté à ses pieds. Des feuilles humides s'envolaient et des traces grisâtres de sel étaient restées. Ça aurait pu être moi qui gisais là. Si j'avais fait cette livraison, si ça avait été moi au lieu de TaeHyung, alors ça serait mes contours tracés sur le sol. Ça aurait pu être ma famille qui gémissait sur ce banc au lieu de celle de TaeHyung.

J'ai repris mon chemin après que papa a toussé violemment. "NamJoon." Papa m'a appelé quand nous allions entrer dans la ruelle après avoir traversé le pont. Dès que j'ai ralenti, les chiens ont commencé à aboyer. Papa continua d'une voix faible et frêle. Il était à peine audible, perdu au milieu des aboiements féroces. J'ai fait comme si je ne l'avais pas entendu.

Une semaine de plus passa. Le village est rapidement revenu à la normale. La mère de TaeHyung pleurait parfois amèrement devant le restaurant, mais personne ne partageait sa peine. Les gens ont simplement snobé la sœur de TaeHyung jusqu'à ce qu'elle l'emmène. Certains ont dit que ce n'était qu'un accident de la route. J'ai commencé à travailler dans un autre restaurant. En fait, j'étais chargé d'effectuer toutes les livraisons au village avec l'aire de repos. Une autre chute de neige abondante a suivi et le sentier a continué de geler et de dégeler. Les ordres de livraison se faisaient désormais moins nombreux mais personne n'a postulé pour faire le travail de livraison. Je faisais cinq ou six livraisons par jour et mes revenus ont beaucoup augmenté. Je me suis toujours assuré de porter le casque et l'équipement de protection. Je n'ai jamais quitté la route des yeux et tout mon être était attentif.

Hier soir, j'ai fait ma dernière livraison. Je ne savais pas que ce serait ma dernière à ce moment-là, mais ça l'était. De toute façon, l'aire de repos fermait pendant l'hiver. Quand je me suis rendu là-haut, des gens étaient rassemblés dans le bureau. Ils semblaient discuter des ventes de l'installation. Je n'ai pas reconnu certains des visages. Ils devaient être des étrangers qui venaient d'emménager. Pendant que je déposais la nourriture et que je prenais l'argent, l'un d'entre eux a commencé à parler de l'accident de TaeHyung. Un autre inconnu a claqué sa langue et a mentionné à quel point il était dangereux de rouler par temps de neige. L'étranger qui a évoqué l'accident de TaeHyung m'a averti de toujours faire très attention. Je l'ai remercié de s'inquiéter pour moi. Mais je ne le pensais pas. S'il était tellement préoccupé par la pente enneigée et ma sécurité, il n'aurait pas dû commander de la nourriture en premier lieu.

"Tu sais ce qui est vraiment dangereux ?" lâcha l'inconnu juste avant de fermer la porte derrière moi. "Le sel et les feuilles mouillées, pas la neige elle-même. À moins que vous ne soyez un très bon conducteur, vous déraperez si vous roulez dessus. Est-ce qu'il ne neigeait pas ce jour-là ? Dans ce cas, il a dû..." Ses derniers mots furent inaudibles tandis que la porte se referma. J'ai traversé la zone de repos vide et lugubre. Je suis passé devant le snack-bar étroit et le comptoir de spécialités locales au rabais et je me suis dirigé vers la sortie.

J'ai descendu les escaliers un par un. Il faisait en dessous de zéro, mais il ne faisait pas si froid. La clé glissait de mes doigts et je la tournais en vain. J'ai serré et desserré mon poing. Le vieux scooter a fait un grand bruit de ferraille et a finalement démarré. Je suis lentement reparti de l'aire de repos. Un virage s'est amorcé au niveau du panneau de l'aire de repos. J'ai tourné à droite dans un mouvement large, ai descendu une courte ligne droite et suis arrivé à un autre virage vers la gauche. C'était l'endroit où j'ai glissé en premier puis là où TaeHyung a eu des difficultés.

J'ai gardé mes yeux ouverts et ai rapidement dépassé l'endroit. J'ai essayé de me convaincre que je ne quittais pas la route des yeux pour rester en sécurité, mais c'était de la culpabilité. La culpabilité d'être le seul à avoir survécu. La culpabilité d'avoir été soulagé d'être celui qui était encore en vie. La culpabilité de ne pas m'être dénoncé. La culpabilité de ne pas avoir pris la parole pour défendre ses compétences de conduite et de ne pas avoir avoué que je n'avais jamais vu de casque au restaurant. Peut-être que j'étais juste un hypocrite qui prétendait se sentir coupable.

J'avais dispersé les feuilles mouillées à l'endroit où TaeHyung avait chuté. Je ne voulais pas que ça se produise, mais j'étais responsable de tout ça. J'étais celui qui avait répandu le sel. Avec de bonnes intentions, pour empêcher la route de glisser. En fait, je l'ai fait pour moi-même parce que je pensais vraiment que je ferais la prochaine livraison et celle après. "Tu sais ce qui est vraiment dangereux ?" Ce que j'avais entendu à l'aire de repos se répétait dans ma tête. "Il a dû rouler dessus et glisser." Si j'avais enlevé les feuilles, si je n'avais pas dispersé de sel, aurait-il été en sécurité ?

Plusieurs personnes étaient déjà à l'arrêt de bus en train d'attendre le premier de la journée. J'ai hoché la tête en guise de salutation puis je l'ai gardée baisée. J'ai essayé de n'avoir aucun contact visuel avec qui que ce soit. Le premier bus de la journée est arrivé.

Le bus s'est progressivement arrêté. La tête toujours baissée, je suis monté après les autres passagers. Je n'avais pas de plan précis. Je ne faisais que m'éloigner. Du visage épuisé de maman. De mon frère qui s'égarait. De papa qui luttait contre sa maladie. De la fortune de notre famille qui s'effondrait. De ma famille qui exigeait de moi le sacrifice et l'obéissance. De moi qui essayait d'accepter mon destin. Et, surtout, de la pauvreté. La pauvreté ronge le cœur de la vie. Elle transforme ce qui est précieux en quelque chose de vide de sens. Elle vous fait abandonner ce qui ne doit pas être abandonné. Elle vous fait douter, avoir peur et désespérer.

La nuit dernière, j'ai quitté l'aire de repos, je suis passé par le restaurant, puis je suis rentré chez moi. Je ne me souviens pas qui j'ai rencontré, ce que j'ai dit et ce que j'ai pensé entre temps. Tout mon corps et mon esprit étaient engourdis. Je ne pouvais pas dire s'il y avait du vent, s'il faisait froid, qu'est-ce que ça sentait ou sur qui je suis tombé. Mon cerveau semblait avoir gelé. Je me déplaçais mécaniquement comme un zombie, ignorant qui je suis, ce que j'ai fait, ce que je fais et ce que je pense. Ce sont les chiens qui aboyaient dans l'allée menant à chez moi qui m'ont ramenés à la réalité. À ce moment, tous mes sens, qui étaient paralysés, se sont réveillés en même temps et d'innombrables scènes de mon passé sont apparues devant mes yeux : les jours de déplacement d'un endroit à l'autre, le moment où j'ai glissé sur la route, moi qui me montrait servile envers le propriétaire du restaurant et qui était en concurrence avec les autres garçons pour décrocher les travaux de livraison, les garçons qui se moquaient de moi, et moi regardant mes amis dans leurs uniformes scolaires en attendant le bus. Le bruit des chiens qui aboient et la vue de leurs yeux menaçants remplis de haine ont été ajoutés à ces souvenirs.

J'ai presque crié, "Arrête ça ! Qu'est-ce que tu veux-tu que je fasse ?" Mais je me suis retenu. La voix de papa résonna à mes oreilles. La voix faible et frêle de papa. J'ai pensé à ce qu'il m'avait dit cette nuit-là quand nous sommes rentrés de l'hôpital... Ce que j'avais prétendu ne pas entendre mais que j'avais entendu aussi clairement que le jour à travers les aboiements des chiens. Ce à quoi j'avais pensé sans cesse depuis ce jour. Ce à quoi j'avais essayé de ne pas penser. "Pars, NamJoon. Tu dois survivre."

Le bus est parti et devait arriver à Songju quelques heures plus tard. Je n'ai pas laissé de message lorsque j'ai quitté Songju il y a un an. Maintenant, je rentrais en ville sans prévenir personne. J'ai pensé à mes amis. Je ne suis resté en contact avec aucun d'entre eux. Je me suis demandé ce qu'ils faisaient et s'ils étaient toujours là. Je ne pouvais pas voir à travers la fenêtre couverte de givre. J'ai lentement écrit sur la fenêtre avec mon index. "Je dois survivre."

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