5 - Daenerys
Le vent s'était fait plus froid depuis plusieurs jours, les nuages plus gris et l'air devenait saturé d'humidité. À force de chevaucher Drogon, l'intérieur de ses cuisses était devenu rouges, et son dos lui lançait des signaux de douleur qu'elle ignorait. Elle ne sentait plus ses doigts, engourdis par le froid qui les avait atteints malgré l'épaisseur de cuir qui les protégeait. Ses joues lui brûlaient, abîmées par le vent qui lui fouettait la peau avec véhémence. Pourtant, elle paraissait déterminée. Du haut de son dragon, elle contemplait chaque jour des paysages différents qui défilaient sous ses pieds : elle était passée de plaines vertes et abondantes en céréales, à de grandes et silencieuses montagnes du Bief, puis des étendues de neige et de glaces, qu'elle avait survolé durant des jours. Pourtant, elle n'apercevait toujours pas le Mur, sa destination finale. Elle sentait Drogon se fatiguer, voler plus lentement et moins longtemps. Elle s'arrêtait alors plus régulièrement, dans de petites auberges où personne ne la reconnaissait grâce à son capuchon qui cachait sa chevelure argentée. Cela l'arrangeait en quelque sorte : elle ne savait pas de quoi seraient capables les Nordiens en la voyant seule et exposée au danger, sachant que son armée avançait sur Winterfell dans le but de déclarer une guerre. Elle savait que certains n'hésiteraient pas à l'égorger dans son sommeil. Elle avait peut-être échappé à la mort une fois, mais elle n'était pas certaine que ses assassins s'encombreraient de son corps alors qu'il était si facile pour eux de le découper en morceau et le jeter dans la mer.
L'obscurité commençait à engloutir le ciel, la jeune reine ordonna d'une pression à Drogon de descendre sur terre. Dans un rugissement qui résonna dans les plaines à des lieux à la ronde, la bête se posa lourdement. Sitôt qu'elle fut descendue, il se recroquevilla dans un souffle qui balaya les cheveux de la dragonnière et ferma les yeux. Daenerys s'engagea dans un bois et marcha un peu plus d'une heure avant d'apercevoir une lumière qui brillaient un peu plus loin. C'était une auberge, flanquée de deux étangs. Elle était petite mais abritait visiblement du monde. Daenerys rabattit son capuchon sur sa tête et entra.
Des voix jaillissaient de toutes parts. Les tables étaient pleines, entourées d'hommes collés les uns contre les autres, une bière à la main. Certains, abrutis par l'alcool, chantaient d'une voix engourdie et rauque des refrains populaires qui circulaient à l'entour, certains contant les exploits de leur jeune reine.
« Et la belle jouvencelle
Quoique pas si jouvencelle que ça
Monta sur le trône
Et encula le roi
Et lorsque la reine dragon viendra
Oh oui parce qu'elle viendra
Elle montrera ses crocs et la déchiquettera
Et nous on la baisera, on la baisera ! »
Des rires jaillirent dans toutes l'auberge, jusqu'à la serveuse dont son corset révélait tant ses seins, que si elle n'avait rien mis cela aurait rendu le même résultat. Ils chanteront moins lorsqu'ils se brûleront. Elle aperçut une place dans un coin, libre, près du feu de plus est. Elle s'y assit donc. L'odeur de dinde rôtie et de tourte à la myrtille emplit ses narines et la fit saliver. Elle ne mangeait que le soir, ne voulant pas perdre de temps la journée. Il y faisait beaucoup plus chaud que dehors, ce qui était assez agréable.
-Vous voulez quoi, m'dame ?
Un jeune garçon s'était dirigé vers sa table. Il devait être âgé de sept ou huit ans, ses mèches de cheveux négligées tombant sur son jeune visage crasseux.
-Le menu du soir.
-Vous v'lez une dinde entière ou la moitié ?
-La moitié ira très bien. Reste-t-il une chambre ?
-Oui, mais une seule et c'est pas la plus grande. Vous en v'lez une ?
-Oui.
-Ça f'ra deux dragons d'or et cinq pièces d'argent.
Elle sortit sa bourse emplie de pièces qui tintèrent lorsqu'elle la posa sur la table. Elle vit le petit écarquiller les yeux.
-Cette auberge c'est pas pour les riches m'dame. Les chambres, c'est pas les plus confortables qui existent.
-Ça ira très bien. Dans combien de temps ce sera prêt ?
-Dans quelques minutes m'dame. Vous voulez une bière avec ?
-Non, merci.
Il partit. Elle n'avait jamais vraiment aimé les bières. Trop amer, sans saveur. Juste devant elle étaient assis quatre hommes chacun plus costauds que l'autre qui ne semblait point participer à la fête. Elle changea légèrement de place afin de pouvoir les entendre.
« ... qu'elle va pouvoir gagner face à un dragon ? Moi j'y crois pas.
-Et pourtant, notre seigneur croit en elle.
-Il est amoureux, t'as pas vu ? Tout le monde le sait à présent, y a que eux qui croient que leur secret est gardé. T'aurais vu la tête de lord Royce lorsqu'il a entendu la nouvelle.
-C'est n'importe quoi. Les Lannister ou les Targaryen ont peut-être l'habitude de se baiser entre frères et sœurs, oncles et tantes, cousins ou cousines, mais pas les Stark. Ils ont toujours conservé leur honneur.
-Les Stark oui, mais les Arryn, qui sait?
-Quoique lord Snow ne s'est pas gêné. Il a tout de même baisé sa tante !
Des rires fusèrent autour de la table. Daenerys sentit une rage monter en elle, mais au moment où elle allait se laisser aller par la colère, le gamin revint, une moitié de dinde sur un plateau. Il posa devant elle une écuelle et une cuillère en bois, puis repartit. Tout en mangeant, elle réfléchit aux propos des soldats. Les hommes qui étaient assis devant elle étaient certainement des soldats de Lord Robert Arryn. En effet, ils portaient tous le même uniforme, et elle put même apercevoir l'emblème de la maison Arryn cousu sur une des épaulières d'un des hommes. Après quelques minutes, elle se décida à prêter de nouveau oreille à leur conversation.
-Parait que quand la nouvelle est arrivée à Winterfell, Lady Sansa s'est enfermée dans ses appartements et n'est réapparue que quand Lady Arya est revenue.
-De quoi, quand le roi est mort ?
-Ouais. Y en a qui disent qu'elle est ressortie plus maigre et plus pâle que jamais.
-J'pense qu'elle ne s'inquiétait pas tant pour son frère, mais plutôt sur ce qu'il allait advenir d'elle-même.
-Notre Reine a plus tendance à s'inquiéter pour le Nord que pour elle-même, ces temps-ci. Parait qu'elle dort plus et qu'elle mange très peu, puis qu'elle passe son temps dans le bois sacré.
-Notre Reine ? Nous servions le Roi des Six Couronnes, pas la Reine du Nord.
-Notre seigneur a ployé le genoux. Nous servons le Nord à présent.
Daenerys faillit s'étouffer. Ainsi donc, Sansa avait pu gagner le Val en même temps qu'une armée de cinquante mille hommes !
-Parait que Vivesaigues la soutient aussi. Son oncle est prêt à ployer le genoux. La jeune louve obtiendrait alors le Nord, le Val et le Conflans pour elle toute seule.
-Lord Tully ? Ca m'étonnerait.
-Il a servi le Jeune Loup, pourquoi pas sa sœur ? On dit que son armée a déjà dépassé Motte la Forêt.
-Déjà ? En si peu de temps ?
-Faut croire que la peur de voir un dragon fait bouger le cul de lord Tully plus vite qu'il n'en est capable.
Ils rirent de nouveau. Daenerys était restée paralysée, une cuisse de dinde dans la main depuis quelques temps. Elle aurait dû y songer. Elle aurait dû savoir que Sansa avait de la famille dans les quatre coins de Westeros qui pouvait à tout moment la rejoindre. C'était ces points là qu'elle aurait dû attaquer en premier. Mais elle s'était concentrée sur le Nord et n'avait point vu les ennemis qui la rejoignaient de tous les côtés. La jeune reine n'avait plus très faim désormais.
Le lendemain, elle reprit l'envol sur le dos de Drogon, ses pensées dirigées vers la conversation qu'elle avait espionnée la veille. Elle ne savait combien d'hommes possédait la maison Tully, mais elle pouvait en déduire que le nombre n'était pas moindre. Elle poussa un cri de rage qui se noya dans le silence de l'air. Elle avait sous-estimé son ennemi, comme tous ceux qui avaient voulu la mettre à leur pied. Elle allait tomber dans son piège, comme tout ceux qui avaient essayé de la combattre. Mais j'ai un dragon. Et face à un dragon, les chèvres autant que les loups brûlaient sous son feu.
Deux jours étaient passés lorsqu'elle aperçut enfin le Mur. La dernière fois, il était encore entier. Cette fois-ci, une partie avait été détruite par son propre dragon. Elle se posa à quelques mètres de Châteaunoir et marcha jusqu'à l'énorme grille de fer qui gardait son entrée. Derrière les remparts, des hommes hurlèrent des ordres, puis après quelques minutes d'attente, elle put enfin entrer. Il n'y avait pas beaucoup de soldats dans la cour principale, la plupart étant sur le Mur lui-même, ou au-delà. A vrai dire, depuis que les sauvageons avaient cessé d'être une menace, la Garde de Nuit n'avait plus rien à combattre et plusieurs étaient partis au-delà, dans l'espoir d'une nouvelle vie dans le froid de l'hiver. Un homme maigre mais haut de taille la mena jusque dans la tour du Lord Commandant. Son capuchon cachait toujours son visage et personne ne sembla se soucier de qui elle pouvait bien être. Lorsqu'elle entra, un feu brûlait dans l'âtre et un homme d'une énorme corpulence était assis devant le bureau. Ce n'était pas un homme de la Garde de Nuit, mais un sauvageon, pourvu d'une barbe rousse hirsute et doté d'yeux bleus semblables à ceux des marcheurs blancs. Elle reconnut Tormund Fléau d'Ogre, un des plus proches amis de Jon qu'elle avait rencontré durant la guerre contre le Roi de la Nuit.
-J'étais sur que vous alliez venir, fit-il lorsqu'elle ôta sa capuche de sa chevelure.
-Où est Jon Snow ? Fit-elle d'un ton froid.
Rien qu'à prononcer son nom, une rage la saisissait. Il l'observa un moment, une expression impassible sur son visage abîmé par les guerres. Il n'était point surpris de la voir. La nouvelle de son arrivée s'était répendu jusqu'ici.
-Il est mort.
Ces mots la transpercèrent comme une lame froide.
-Vous mentez. Où est-il ? Obéissez à votre reine.
Il laissa échapper un petit rire.
-La Garde de Nuit n'obéit à personne, ne possède aucun roi, ou reine.
-Vous n'êtes pas de la Garde de Nuit.
-Non, c'est vrai. Pas officiellement du moins. Je suis revenu dans le seul but d'enterrer mon meilleur ami là où il voulait être enterré. Le Mur était sa vraie maison. Ici était sa place pour l'éternité. Vous voulez voir son corps comme preuve ? Ça risque de pas être beau, mais, ma foi, si vous insistez...
-Non. Ce n'est pas la peine.
Sa gorge s'était nouée. Une sensation bizarre lui avait engourdi les mains, le corps même. Il était mort sans qu'elle n'ait obtenu sa vengeance. La rage qu'elle pensait évacuer en lui enfonçant un poignard dans le cœur lui griffait les entrailles.
-Comment ?
-Avec honneur. En se battant contre une horde de Thenns qui voulaient notre peau. Il était gravement blessé. C'était à peine il y a quelques jours. Il aurait pu s'en sortir, il était fort ce Jon, mais un messager nous est parvenu. Seuls les dieux savent comment il nous a trouvé, dans les grandes plaines d'au-delà du Mur. Il nous a dit que vous étiez revenue et que vous aviez assassiné le Roi. Je sais pas si c'est ses blessures, la tempête qui a soufflé ou le chagrin de vous voir revenir, mais quoi qu'il en soit, cette nuit-là, il est mort.
Elle ne sut que répondre. Sa gorge se noua.
-Vous n'êtes pas la bienvenue ici.
-Je suis la Reine. Je suis la bienvenue partout.
-Je vais vous dire qui est souverain de ces terres. Jon Snow était mon roi. Jon Snow était un homme juste, qui a fait ce qu'il fallait pour protéger ses terres. Un homme qui a préféré son peuple à sa couronne. Un homme qui est mort pour protéger des sauvageons qu'il ne connaissait même pas. Un homme juste, honorable. Cet homme, ce roi, est mort. À la place gouverne sa jeune sœur, aussi juste et honorable que lui. Alors, je vous en prie, brûlez les murs, massacrez nos hommes, mais je ne changerai pas d'avis. N'étant point de la Garde de Nuit, je dois choisir une reine certes, alors je choisirai la Jeune Louve. C'est elle qui nous a donné de nouveaux hommes, des provisions pour tenir la fin de l'hiver, des vêtements, des armes, de l'argent pour remettre sur pied les anciennes forteresses. Pas vous.
Elle resta sans voix, ressentant la rage lui brûler le corps. Sa colère lui hurlait de se jeter sur lui et de le tuer, sa raison lui insinuait de partir.
Après de longues minutes passées dans le silence, elle déclara d'une voix sèche :
-Si je gagne, vous serez le second à mourir.
-Qui sera le premier ?
-Votre Reine, lui cracha-t-elle.
Puis elle partit plus vite qu'elle n'était venue, la rage lui tordant son visage.
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