11 - Sansa
Elle était morte.
C'était impossible.
Impossible.
Arya Stark ne pouvait pas mourir. Pas ainsi.
C'était certainement un cauchemar dont elle allait se réveiller très vite. Elle s'étouffa d'un sanglot et laissa tomber sa tête contre celle de sa sœur. Elle n'était pas morte. Elle allait se réveiller. Pourtant, rien ne se passa.
Ses yeux fixaient toujours le néant.
Son regard était éteint.
Elle laissa échapper un hurlement.
De rage, ou de désespoir, elle n'en savait rien.
Tout ce qu'elle savait, c'était que sa sœur était morte. Par sa faute.
Au loin, elle entendit des voix. « Défendez la reine ! ». D'autres allaient mourir par sa faute.
Tous étaient en train de mourir par sa faute.
Il fallait que cela cesse.
-ARRETEZ ! Hurla-t-elle. ARRETEZ TOUS !
-Sansa !
C'était la voix de Robert. Il était remonté. Il avait vu. Il avait vu que c'était sa faute si Arya était morte.
-Sansa ! Regarde-moi !
Elle redressa son buste. Il encadra son visage de ses mains. Le sien était recouvert de sang et de crasse. Au loin, très loin, elle entendait les combats, des hommes hurler. Ils mouraient par sa faute. Il fallait que cela cesse.
-On est en train de gagner !
-Arrête les combats.
Elle se demanda comment sa voix pouvait être aussi posée, aussi sèche. La colère avait fait place. Un millier de pensées s'emmêlait dans sa tête, pourtant, c'était comme si elle était sûre de ce qu'elle faisait.
-Sansa, on...
-J'ai dit, arrête les combats !
Avait-elle crié ? Ou hurlé ? Elle n'en savait rien.
-Fait sonner les cloches, ordonna-t-elle.
-Non...
-Fait sonner les cloches !
Il fit tomber ses mains. Son visage était marqué d'une expression d'incompréhension.
-Fait ce que ta reine t'ordonne.
Sa voix était pleine de haine. Elle aurait voulu lui dire que ce n'était pas contre lui. Mais elle n'en avait pas la force.
Il se releva. Elle entendit des voix. Puis au bout de quelques instants, les cloches sonnèrent.
**
-San... Votre Majesté, c'est de la folie ! Tenta Robert, courant après elle dans les couloirs du château. Nous étions en train de gagner ! Nos armées étaient en train de vaincre les siennes !
-Je me fous bien de savoir combien de ses hommes sont morts. Ce que je veux, c'est sa mort à elle.
Il la suivait comme un limier requérant sa gamelle. Malgré les grands pas qu'elle faisait, il parvenait toujours à la suivre, trottinant à ses côtés. Elle savait ce qu'il pensait. Il la croyait folle. Noyée dans le chagrin. Mais ce n'était pas le chagrin qui l'étouffait, c'était la colère.
-Et tu vas te rendre ? Tu vas t'agenouiller devant elle ? C'est comme ça que tu souhaites la mort des gens ?
Il ne comprenait pas, il ne comprenait rien. Personne ne pouvait comprendre. Elle se contenta de garder le silence, la tête couronné, droite, puis bifurqua à droite.
-Sansa ! C'est de la folie !
Plus loin, bouchant le passage, se tenait son oncle et quelques-un de ses seigneurs. Bien sûr. Il fallait que toute la compagnie se ramène.
-Votre Majesté, avec tout le respect que je vous dois, je ne vous laisserai pas faire ceci, déclara Lord Tully, lorsqu'elle arriva à sa hauteur. Robert se positionna à ses côtés.
-Avec tout le respect que vous me devez, écartez-vous de mon chemin.
-Mes hommes se sont battus pour vous, sont morts pour vous, et cela ne signifie-t-il rien ?
-Cela signifie beaucoup pour moi.
-Alors pourquoi au nom des Sept allez vous vous rendre ?
Elle garda le silence. Elle voulait ordonner à ses gardes de les écarter mais le respect qu'elle portait à son oncle l'en empêchait.
-Sansa, (elle sursauta à l'appel de son prénom), vous faites une grave erreur.
-C'est vous qui faites une erreur en me faisant perdre mon temps. Ecartez-vous de suite de mon chemin.
-Je ne vous laisserai pas...
-Je suis votre reine. Vous vous devez d'obéir à mes ordres.
Il la fixa, déçu. Terriblement déçu. Sansa aurait tout donné pour ne pas subir ce regard, mais elle n'avait plus le temps pour se lamenter.
-Lorsque je me suis agenouillé, je pensais jurer loyauté et fidélité à une reine censée et déterminée à garder la seule chose qui lui restait de sa famille. J'ai fait erreur.
Ce n'est qu'à ce moment là qu'il s'écarta. Elle tenta d'assimiler ces mots, mais ils lui restèrent en travers de la gorge. Il comprendra plus tard. Ils comprendront tous plus tard. Elle se fraya un chemin entre tous ses seigneurs et Lords présents, sentant leur regard cuisant sur son dos. Le froid, dehors, était véhément, mais ce qui était pire, c'était ses hommes qui la fixaient comme leur bourreau. Tous avaient jeté leur épée à terre. Beaucoup étaient recouverts de sang, de boue, ou de crasse, mais leur silence était presque aussi affreux que s'ils s'étaient tous mis à hurler. Elle traversa la cour. Elle aperçut des corps au sol. Elle ne sut s'ils s'agissait des ennemis ou de ses propres soldats.
Elle passa la grande porte et traversa la ville d'hiver, des gardes l'encadrant. Certains de ses seigneurs l'avaient suivie. Lord Glover, lord Manderly et lord Karstark étaient de ceux-ci. Elle savait que la plupart se trouvaient sur les remparts. Elle sentait leur regards peser sur ses épaules.
L'air empestait la mort et le sang. Des corps étaient alignés sur le bas-côtés. Elle n'eut le courage de les regarder. Elle le devait pourtant, ils étaient morts pour elle, pour sa cause, pour sa couronne, pour ses terres. Ils ne le regretteront pas.
Elle continua de marcher. Elle avait l'étrange impression de s'engager sur un chemin qu'elle ne reverrait plus jamais, comme si au bout l'attendait la mort. Comme si elle marchait en direction d'une condamnation. Elle pensa alors qu'il fallait qu'elle prie. Une dernière fois. Peut-être cela ne servirait-il à rien. Après tout, les dieux n'avaient jamais été là pour elle. Pourquoi maintenant ? Puis elle se souvint de Arya. Si j'avais prié, peut-être serait-elle encore en vie ? Peut-être les dieux m'aurait-ils permis d'ouvrir les yeux et de m'apercevoir que quelqu'un tentait de me tuer dans mon dos ? Elle n'en savait rien.
Mais peut-être que si elle ne priait pas maintenant, elle allait mourir.
La dernière des Stark, tuée par une Targaryenne. Quelle fin tragique. Qu'aurait pensé son père ? Sur ses cinq enfants légitimes, elle était la seule à avoir survécu. Il n'aurait pas voulu que sa lignée disparaisse par sa bêtise.
Peut-être son oncle avait-il raison. Peut-être faisait-elle une grave erreur. Ou peut-être pas.
Puissent les dieux m'entendre. Puissent les dieux avoir pitié de moi. Puissent les dieux m'offrir miséricorde. Puissent les dieux me guider dans la sagesse, puissent les douces feuilles de l'arbre-coeur me souffler des conseils, avant que je n'affronte l'ennemi.
Seul le sifflement du vent lui répondit.
Puissent les dieux me pardonner. Si j'ai fait des erreurs, pardonnez-moi, je pensais faire le bien pour mon peuple.
Elle arriva en bordure de la ville. Devant elle, s'étendait des rangs incomplets de soldats et mercenaires fatigués et salis par la guerre.
Puissent les dieux être bon et justes, et m'accorder une dernière fois miséricorde. Je ne fais ceci que pour mon peuple, en pensant faire le bien. Pardonnez-moi si je fais une erreur.
Fallait-il rajouter quelque chose ? Non. Elle espérait qu'ils l'avaient entendue.
Daenerys était là, face à elle, en retrait par rapport aux rangs de ses immaculés, mais guère plus loin que quelques pieds. Son visage était abîmé : plusieurs plaies maculaient sa tendre peau pâle et sa chevelure tressées était emmêlées. Une seule chose lui sabotait son expression : un sourire et un air de domination et d'arrogance. On verra si tu souriras toujours quand tu verras ce qui reste de ton armée se faire massacrer.
-Lady Sansa, commença-t-elle. La dernière fois que nous nous sommes vues, c'était en amies.
-Amies est un grand mot, Ma Dame.
Ce mot lui arracha une grimace. Elle méritait plus l'appellation de sorcière ou monstre que de Dame.
-Désormais, ce sera Votre Majesté, ne vous déplaise.
Oh, si, il m'en déplaît.
-Pour le moment, nous resterons sur « Ma Dame ».
Elle lui adressa son plus noir sourire. Une bourrasque de vent glacial balaya ses cheveux sur le côté. Aucune des deux souveraines ne frissonna.
-Si vous êtes ici, c'est pour déposer votre couronne à mes pieds et me reconnaître comme votre reine légitime.
-Pourquoi ? Pourquoi cette guerre ? Vous n'avez rien d'une Nordienne. Seul un Stark peut gouverner le Nord.
-Je gouvernerai sur les Sept couronnes. Pas une de moins.
-Il n'y a même plus de Trône de Fer, ricana-t-elle. Sur quoi allez-vous gouverner ? Vous allez en reconstruire un ? Rassembler toutes les épées de vos ennemis vaincus et les forger dans le souffle du dragon ? Ah, non, pardonnez-moi, vous n'avez plus de dragons.
Une expression de rage lui tordit la face.
-Qu'est un Targaryen sans un dragon, dites-moi ? continua-t-elle. Rien. Vous êtes comme les autres. Un prétendant au trône de plus, dans une guerre qui ne se terminera jamais.
-A quoi voulez-vous en venir ?
A gagner du temps.
-A vous faire comprendre que vous n'avez pas votre place ici. Ni nulle part ailleurs sur Westeros. Personne ne souhaitait votre venue ici. Vous n'avez fait que répandre la guerre et le sang dans votre sillage.
-Je vous ai aidé à combattre les morts.
-Très généreux. Mais aviez-vous réellement le choix ? Si vous n'aviez pas été là, il est vrai, j'aurai été la première à me diriger vers le Sud, les yeux couleurs bleus, au milieu d'une immense armée. Mais vous auriez été obligée de les affronter à un moment ou à un autre, à moins de gouverner sur un continent peuplé de morts.
-Cette discussion n'a aucun sens.
Que fabriquent-ils, au nom de tous les dieux qui puissent exister sur terre ?
-Elle en a. Je ne veux plus me battre. Je ne veux voir un homme de plus mourir. Nous avons causé trop de morts.
-Déposez votre couronne à terre, et je vous promets que plus aucun de vos hommes ne mourra.
-Vos promesses ne valent rien. Vous n'avez aucun honneur.
-Pourtant, c'est votre seul choix pour sauvegarder votre peuple de me croire.
Qu'allait-elle répondre ? Elle avait usé tout le temps qu'elle possédait. Il ne lui restait à présent que la miséricorde des dieux pour sauver son salut et celui de son peuple.
Un immense silence se posa sur la plaine.
Sansa s'avança, lentement.
Faites qu'ils arrivent. Dieux du Nord, si vous m'entendez, faites qu'ils arrivent maintenant, je vous en conjure.
Elle pouvait toujours essayer seule, mais elle ne trouverait que la mort, et sa lignée s'éteindrait. Je le ferais pour mon peuple. Ils pourront vivre. Ils n'auront plus de reine mais ils pourront vivre.
Elle dégaina silencieusement son poignard, sous sa pelisse.
Le moment était donc venu pour elle de mourir. Elle savait qu'à l'instant ou elle se jetterait sur Daenerys, des dizaine de piques de ses immaculés la traverseraient. Et elle n'aura jamais la certitude de savoir si elle avait réussi.
Mais avait-elle le choix ?
Brusquement, la terre trembla légèrement. Le cœur de Sansa se gonfla. Elle n'allait finalement peut-être pas mourir aujourd'hui. Tous autour d'elle se mouvèrent discrètement, même les immaculé d'habitude si impassibles.
Daenerys fronça les sourcils. En guise de réponse, Sansa lui accorda un sourire presque cruel.
C'est alors qu'une armée entière de sauvageons sortit de la forêt et s'engagèrent sur l'immense plaine où étaient positionnés Daenerys et son armée. Les soldats ouestriens et essosiens ainsi que les immaculés se virent tout à coup submergés par des guerriers redoutables armés de haches, de fléau ou de toutes sortes d'outils qui pouvaient servir d'armes. Déstabilisés par cette surprise, les plus proches gardes de la reine se retournèrent pour faire face à l'ennemi qui laissa la Targaryenne sans défense.
Et la chance de Sansa se dessina.
Elle se rua alors sur sa rivale, le poignard à la main et le lui enfonça. Où exactement, elle n'en savait strictement rien, mais elle en savait suffisamment pour savoir que son coup était douloureux à la seul vue de l'expression d'effroi de la Targaryenne.
-Pour Bran, mon petit frère, prononça-t-elle, une haine irréfutable dans sa voix.
Elle retira son poignard pour le replanter une deuxième fois. Le corps de Daenerys sursauta de nouveau et un filet de sang coula de sa bouche entrouverte.
-Pour Jon, mon frère.
Tuer ne lui avait jamais autant procuré de plaisir et de satisfaction. Autour d'elle régnait le chaos, des hurlements, des cris de rage, des bruits de corps transpercés, mais elle ne voyait que Daenerys et ses yeux agrandis par la terreur.
Elle lui asséna un troisième coup.
-Pour Arya (sa voix se brisa légèrement, mais elle se reprit rapidement), ma sœur.
Le corps de sa rivale se convulsa, et une quantité abondante de sang s'échappa entre ses lèvres. Il lui restait un dernier coup. Cette fois-ci, elle profita d'observer son expression lorsqu'elle lui enfonça une dernière fois son poignard dans son corps. Elle la vit suffoquer, baver de nouveau du sang mais elle s'assura qu'elle soit encore vivante pour entendre une dernière fois le son de sa voix.
-Pour le Nord.
Puis Daenerys Targaryen s'effondra au sol, morte.
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