1 - Sansa
Sansa revêtit sa pelisse et sortit. Elle procédait chaque jour à une inspection de Winterfell, visitant les hommes de garde et écoutant leur rapport de première main, observant Ulmer et ses élèves au pas de tir à l'arc, discutant avec les marchands dans les rues étroites de la ville.
Cet après-midi là, il y avait foule dans la cour. Une commère lavait son petit linge dans la fontaine des Trois Rois et l'accrochait à sécher sur son trident. Un homme vendait des pommes dans une brouette et une femme proposait des harengs et des oignons hachés. Des poulets et des enfants traînaient dans les jambes de tout le monde. Divers savants, scribes et mestres s'étaient assis sous la colonnade pour étudier et débattre. Les petits gens s'inclinaient gauchement à son passage et certains nobles et chevaliers qui traînaient dans les lieux lui baisèrent la main. Pourtant, aucun ne m'adresse la parole. Certains marchands étaient intimidés, d'autres jeunes filles l'admiraient timidement. Est-ce cela être Reine ? Se sentir seule alors que je suis tant entourée? Elle n'avait pas encore terminé son tour matinal qu'elle ressentait déjà l'envie de s'enfermer dans ses appartements. Il faisait froid, qui plus est. L'humidité traversait son épaisse fourrure et la faisait frissonner. Personne ne pourra me reprocher quoi que ce soit. Je suis la reine. Au moment où elle décida faire demi-tour, une voix résonna dans son dos.
-Votre Majesté ! Votre Majesté !
Un de ses messagers courait maladroitement vers elle, trébuchant dans la neige durcie. Ses joues rosies par l'effort, son halètement de chien par la course qu'il venait de faire et ses oreilles décollées lui donnaient un air idiot.
-Votre Majesté...ils...des chevaliers...du Val...deux...heu, non, trois...ils ont un message.
-Du Val ?
Il a du trop boire. Elle se demanda ce que l'on ressentait lorsque l'on devenait abruti de vin. Peut-être oubliait-on un moment toutes les mauvaises choses de la vie. Je devrais essayer un jour.
-Oui, Votre Majesté.
Qu'est que les chevaliers du Val viennent faire ici ?
-Des chevaliers ou des messagers ?
-Des...messagers...
Idiot, abruti et bête qui plus est. Cela commence à faire beaucoup pour un seul homme.
-Ils demandent à vous voir, ajouta-t-il, le souffle un peu moins court.
-J'avais compris, grinça-t-elle entre ses dents.
Dans la Grande Salle, la température y était plus agréable et Sansa put se défaire de sa pelisse qui lui pesait sur les épaules. Fixant les trois messages du Val, elle s'installa gracieusement sur son trône. Tous étaient vêtus de la même manière, une armure en fer, l'emblème de la maison Arryn incrusté sur la poitrine, un morceau de tissu qui leur servait de cape et un casque à moitié cabossé.
-Votre Majesté, commença le premier des trois, un grand doté d'une touffue barbe rousse. Notre seigneur, Lord Robert Arryn, a souhaité nous faire transmettre d'urgence un message venu du Sud.
-Pourquoi ne me l'a-t-il pas fait transmettre par corbeaux ?
-La voie des airs est surveillée votre Majesté.
Par qui ?
-Le Bief s'est rejoint à elle, Castral Roc s'est incliné, de même que Accalmie et Sombreval. Goëville est sur le point de céder. Hautjardin est encerclé et tente de rationner les provisions, mais ils n'auront bientôt plus rien. Dorne reste pour l'instant écarté. Elle...
-Attendez, le coupa-t-elle. Vous parlez bien de Daenerys Targaryen ?
-Euh, oui.
-Comment peut-elle surveiller la voie des airs si elle n'a aucune armée ?
Les trois hommes se regardèrent d'un air surpris et il y eut un long moment de silence avant que le plus petit s'avance et lui expose la situation :
-Lorsqu'elle a été ressuscitée, à Volantis, elle a soumis Myr et Tyrosh pour récupérer leurs armées, plus tard complétées par Lys. Pentos a essayé de résister, mais Drogon a brûlé la cité. Ce qui reste de la compagnie Dorée s'est également mise à son service. Arrivée sur Westeros, les Immaculés qui s'étaient installés dans le Bief l'ont rejointe. Puis elle a pris Port-Real pour la deuxième fois et a assassiné le Roi.
Celui du milieu, qui n'avait pas dit un mot depuis le début s'avança. Il était brun, jeune comparé aux deux autres.
-Elle compte conquérir Westeros comme l'a fait Aegon Targaryen et ses deux sœurs.
-Aegon et ses sœurs avaient trois dragons. Elle n'en a qu'un.
-Mais elle a le triple en armée.
Sansa ferma les yeux. Ce n'est qu'un cauchemar. Faites que ce ne soit qu'un cauchemar.
-Quand comptera-t-elle prendre le Nord ?
-Elle remonte le chemin, peu à peu. Nous avons encore plusieurs semaines pour nous préparer.
-Nous ?
Le plus grand prit la parole.
-Lord Arryn a rassemblé son ost et son armée. Tous les seigneurs du Val le suivent. Il veut se battre pour vous, Votre Majesté.
Il se fout de moi.
-Pourquoi risquerait-il sa vie pour une cause qui n'est pas la sienne ? Il pourrait très bien rester dans son château. Les Eyriés sont imprenables.
-Imprenable pour une armée, oui, mais pour un dragon...
-Quand compte-t-il partir ?
-Lorsque vous le lui ordonnerez.
-Je ne suis pas sa reine. Le Val ne fait pas partie du Nord.
-Ce sont les mots qu'il nous a ordonnés de dire.
Le Nord obtiendrait plus d'hommes. Plus de chances de la vaincre. Plus de chances de garder la couronne.
-Combien d'hommes ?
-50 000, Votre Majesté.
Au nom de tous les dieux qui puissent exister sur ces terres. Le Nord posséderait la plus grande armée que le monde n'ait jamais connu. Ses immaculés ne seront rien à côté. Mais aura-t-on assez de provisions pour cela ?
-Nous avons assez de provisions pour tenir des années, mais c'était sans compter une armée de 50 000 hommes.
-Lord Arryn amènera ses propres provisions.
Nous pourrons alors tenir un siège de plusieurs mois.
-Dites-lui que je l'attends.
-A vos ordres, Votre Majesté.
Les trois partirent du même pas. Une fois seule, Sansa quitta la salle.
Sa chandelle avait rendu l'âme dans une flaque de cire, mais la lumière du matin brillait à travers les volets de sa fenêtre. Sansa s'était endormie à son travail. Des papiers couvraient la table, certains griffonnés, d'autres vierges, d'autres encore déjà enroulés, prêt à être envoyés. Elle les avaient elle-même écrits, toute la nuit elle y avait passé. Du moins une partie.
Le repas de la veille s'était figé près de son coude, à peine touché. Le cuisinier avait garni son tranchoir presque à le faire déborder, pour que finalement le contenu y pourrisse. Du gâchis, songea-t-elle. Certains se battraient pour moins que cela. Une pellicule de gras froid lustrait les reliefs de ragoûts.
La porte s'ouvrit dans un grincement.
-D'habitude, je ne t'entends pas venir, lança-t-elle, s'avachissant contre le dossier de sa chaise.
-Tu as passé la nuit à écrire, répliqua Arya.
-Je n'ai pas été choisie Reine pour alimenter les bordels.
-Non, mais tu devrais faire des pauses.
J'en ai trop pris, ces temps-ci.
-Que faisais-tu ?
Elle franchit le seuil et referma la porte derrière elle.
-J'ai demandé à tous les seigneurs du Nord de se replier sur Winterfell. L'armée Arryn ne tardera pas.
-Il faudrait cinq châteaux comme Winterfell pour accueillir autant d'hommes.
-Pourquoi es-tu revenue ? Elle se leva de son siège et gagna la fenêtre, observant le dehors. La populace commençait déjà à s'activer. Elle ne parvenait pas à deviner l'heure qu'il pouvait être.
-Tu avais besoin de moi.
-Je n'ai besoin de personne.
-Une reine a des conseillers, une Main. Toi, tu es seule.
-Bien des Rois sont tombés pour avoir été trahis par leur plus proches conseillers. L'Histoire est là pour nous l'enseigner.
-Bran connaissait l'histoire mieux que personne, et il avait son Conseil.
-Ne parle pas de Bran.
Dans la cour, un petit garçon sortit d'une cachette et regarda de tous les côtés, apeuré. Des plus grands surgirent de derrière et lui donnèrent des coups. Sansa ferma les yeux. Comme la vie est cruelle.
-Tu devrais te reposer, lui conseilla-t-elle.
-Je n'ai pas le temps pour cela.
Le petit garçon était à présent au sol, encerclé par les grands qui le battaient et hurlait. Sansa s'éloigna de la fenêtre et s'empara de sa pelisse au passage. Alors qu'elle s'apprêtait à sortir, Arya lui barra le passage.
-J'insiste. Tu as une tête a vouloir dormir.
-Je dormirai lorsque Daenerys sera morte. Pour de bon.
Sur-ce, elle sortit.
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