Chapitre 4

_ Daniel Goleman expose clairement comment apprendre à reconnaître et à gérer les émotions, et donc à développer cette intelligence émotionnelle.

Mon professeur dicte passionnément son cours, il le vit, et à chacun de ces cours je bois ses mots comme les paroles d'une chanson. Sauf aujourd'hui, parce que malgré mes nombreuses tentatives de rester concentrée, mes pensées se ramènent toutes à une seule chose, une seule personne : Elias. C'est comme si je n'avais plus aucun contrôle sur mes pensées, elles vont toutes vers cet homme, mais pourquoi ? Je ne suis pas du genre à croire au coup de foudre, et bien que certains pourraient y penser, ce n'est pas mon cas. J'ai toujours trouvé ça plutôt ridicule, comment pourrait-on aimer une personne d'un simple regard ? Sans même la connaître, ça me semble en tout points de vue impossible.
Je ne comprends définitivement pas ce qui m'arrive, ça n'a aucune logique, aucune direction. Peut-être que j'exagère. Sa beauté presque surnaturelle m'a laissée sans voix, et c'est probablement pour ça qu'il ne cesse d'habiter mon esprit. Pourquoi devrais-je accorder de l'intérêt à ce jeune homme qui est sûrement le plus désagréable que je connaisse ?

_ Bryséis, tu n'as rien écrit, constate Eden.

Je secoue vigoureusement la tête, espérant chasser ces pensées et me concentrer sur le cours.

_ Qu'est-ce que tu as ? m'interroge soudainement mon amie.
_ Rien, je vais bien.

Elle hausse les sourcils, les yeux toujours sur moi, elle ne me croit pas une seconde et son expression faciale m'indique que j'ai intérêt à lui sortir autre chose.

_ Je suis juste un peu stressée avec la danse, soupiré-je.

Eden me considère un instant avant de simplement hocher la tête, puis elle se concentre de nouveau sur cours en rabattant ses longs cheveux en une queue de cheval.
Je n'ai pas pensé une seule seconde à la danse depuis qu'Elias m'a révélé son prénom, alors que c'est ce à quoi de devrais songer en ce moment. Je me sens tout à coup stupide de lui avoir accordé autant d'importance alors que j'ai des choses plus conséquentes sur les épaules. Si je veux intégrer une grande école de danse il va falloir que je sois plus rigoureuse, c'est un domaine très compétitif, beaucoup craquent sous la pression et finissent par abandonner, ou il y a ceux qui n'ont tout simplement pas les compétences nécessaires. Il faut travailler dur, et je ne peux donc pas me laisser déstabiliser par un imbécile.

Le cours touche à sa fin, les étudiants sortent petit a petit de l'amphithéâtre, Eden m'attrape le bras pour m'inciter à marcher plus vite.

_ Tu sais que si tu as besoin de parler je suis là, m'assure t-elle. Et puis étant étudiante en psychologie je pense être qualifiée pour te donner d'excellents conseils !

Nous rions ensemble, sachant parfaitement qu'elle ne comprend strictement rien à ce que raconte nos professeurs.

_ Merci mais je t'assure que ça va aller, souris-je.
_ Comme tu veux, fait-elle peu convaincue.
_ On se voit toujours demain ?

Elle roule des yeux, elle a parfaitement compris que je mettais fin à cette conversation. De toute façon qu'est-ce que je pourrais lui dire ? Je ne vais pas mal, mon esprit est seulement hanté par un jeune homme du nom d'Elias.

_ Oui on se voit demain, confirme mon amie.

Nous sortons de l'université, Eden me fait un dernier signe avant de rejoindre sa voiture tandis que je commence mon chemin à pied jusqu'à chez moi.
Mes parents étaient réticents au début à me laisser partir dans un autre pays, mais malgré tout ils m'ont soutenue et continuent de le faire. Tout le monde n'a pas cette chance, d'autant plus lorsqu'on a été adopté. Mais je l'ai eue, et jamais ma famille ne m'a fait me sentir à part. Découvrir le monde fait partie de ce que je veux le plus, ces multiples paysages et cultures me fascinent. C'est intéressant de voir comment les autres pensent, vivent. En arrivant ici, j'ai cru débarquer sur une autre planète, aussi effrayant qu'extraordinaire, car je ne regrette rien.
Avec le temps j'ai fini par m'habituer, et si au début tout était étranger, aujourd'hui tout m'est familier, j'ai adopté ma propre petite routine. Chaque jour de la semaine, je vais au studio m'entraîner avec mon groupe, puis je vais en cours avant de pouvoir me consacrer un peu de temps. Durant ce temps libre, je me perds dans la musique que je pourrais écouter pendant des heures, je vais voir mes amis, rien qui sorte de l'ordinaire. Il n'y que mes week-ends qui ne sont jamais planifiés.

Bercée par The Chainsmokers, je suis le chemin habituel jusqu'à chez moi, et sans réfléchir, je passe par la forêt pour éviter la population urbaine. Mon père aurait probablement hurlé en disant que je suis inconsciente de passer par ici toute seule, mais je ne suis pas du genre peureux.

Je retire mes écouteurs et les range dans mon sac, les divers bruits de la nature me parviennent immédiatement. Que ça soit le doux chant des oiseaux ou le bruit du vent qui s'abat sur les branches des arbres, je suis apaisée par cet écho. J'adore ce sentiment, celui d'avoir l'impression d'être coupée du monde même si ce n'est que pour quelques instants. Il me faut une dizaine de minutes pour arriver jusqu'à chez moi lorsque je passe par la forêt, par moment peut-être une vingtaine de minutes lorsque je prends mon temps.
Je retrouve finalement la route et les bruits urbains me forcent à remettre mes écouteurs. Mon doigt glisse sur l'écran de mon téléphone à la recherche d'une musique, j'enclenche la chanson choisie par mon professeur de danse pour la nouvelle chorégraphie. Instantanément, je suis propulsée dans un autre monde, et je visualise chaque mouvement de mon corps lors de cet enchaînement en suivant la musique. La visualisation des mouvements est importante, elle aide à la concentration, notre professeur nous conseille, enfin nous ordonne presque de faire ça tous les jours. En allant en cours, en rentrant chez nous, sous la douche, c'est limite si elle ne veut pas qu'on le fasse en dormant.

Une main se pose brutalement sur mon épaule, je sursaute et me retourne vivement vers cette personne. Jake. Je souffle avant de retirer mes écouteurs, un sourire étire ses lèvres. Il n'a rien à voir avec les premiers sourires qu'il m'a offerts qui étaient séducteurs, celui-là est amical et presque gêné. Bien que j'avoue que ce qu'il s'est passé au bar était embarrassant, je suis la seule qui devrais être mal à l'aise, pas lui.

- Désolé je ne voulais pas te faire peur, s'excuse-t-il.
- C'est rien t'inquiète pas, lui souris-je mal à l'aise.

Le brun passe nerveusement sa main dans son cou, il évite pendant quelques instants mon regard.

- Qu'est-ce que tu fais là ? finit-il par demander.
- Je rentre chez moi et toi ?
- Je dois rejoindre des amis dans le centre.

Le fait qu'il soit aussi gêné n'arrange pas non plus mon malaise, au contraire. Ma rencontre avec son ami, ce satané Elias, ne devrait pas le perturber à ce point. Si on réfléchit bien, il n'y a pas de quoi en faire toute une histoire, je ne sais pas ce qui le rend aussi mal.

- Je peux te raccompagner ? C'est sur mon chemin, propose le beau brun.
- Oui bien sûr !

Je lui offre un sourire avant de me remettre à marcher.

- Autant profiter de cette occasion pour mieux apprendre à ce connaître, lance-t-il.
- Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- J'aimerais savoir ce qui pousse une jeune française à venir aux États-Unis pour ses études. Ne me dis pas qu'il n'y a pas d'école de danse en France ! plaisante Jake.

Je souris et hausse tout simplement les épaules, je ne suis pas vraiment sûre de vouloir lui dire toutes les raisons de ma venue, après tout je ne le connais pas, mais si je ne m'ouvre pas un minimum je ne le connaîtrai jamais.

- J'ai toujours voulu partir à l'étranger pour mes études et ma mère biologique est originaire des États-Unis, je suppose que j'ai voulu en voir un peu plus, pour mieux la connaître...
- Je suis pas sûr de comprendre, hésite-t-il.
- J'ai été adoptée.

Il me scrute avec des yeux ronds, ne sachant probablement pas comment réagir. C'est vrai que ça peut être un sujet délicat mais pas dans mon cas. Mes parents adoptifs sont mes parents, et même si je tiens en savoir un peu plus sur mes géniteurs, ça ne changera pas ce fait.

- Mes parents adoptifs n'arrivaient pas à avoir d'enfants, ils m'ont adoptée lorsque j'avais cinq ans et ils ne m'ont jamais caché la vérité, continué-je.

Je n'ai pas de nombreux souvenirs de ces cinq premières années de ma vie, je n'ai aucun souvenir distinct des foyers dans lesquels j'ai été avant d'arriver chez mes parents. Mes yeux se posent sur Jake, je lui offre un large sourire pour lui faire comprendre que je ne suis pas mal par rapport à ça, et un rictus se forme sur le coin de ses lèvres.

- Et toi, parle moi un peu de toi, parce que depuis le début c'est de moi qu'on parle, enchainé-je.
- J'ai 24 ans, et contrairement à toi je ne suis jamais parti, je suis né ici.
- Tu n'as jamais voulu partir ?
- Non, répond-il directement. Toute ma famille est ici, je ne m'imagine pas ailleurs.

Ses paroles sont touchantes, il semble être entièrement dévoué à sa famille, c'est très noble de sa part. Ça me surprend, je n'aurai jamais imaginé ça de lui, ça lui donne un côté presque innocent, c'est surprenant. Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences, cliché mais vrai.
J'ai des millions de questions pour lui, des questions qui me brûlent les lèvres. Et qui concernent son ami, Elias. Mais ma bouche reste bien fermée, je veux en savoir plus mais la scène à laquelle il a assisté me bloque, il semblait troublé, gêné pour quelque chose qui me dépasse. Il aurait préféré que je ne rencontre pas Elias, je ne sais pour quelle raison, alors mieux vaut ne pas aborder le sujet.
Je lève les yeux et constate que nous sommes devant mon immeuble.

- C'est ici, lui indiqué-je.
- J'ai été heureux de te voir Bryséis, sourit-il.
- Moi aussi Jake, on se revoit bientôt.
- Fais attention à toi, Bryséis.

Ses mots me prennent au dépourvu. Les sourcils maintenant froncés, il affiche lui une mine presque souciante, qu'est-ce qui l'inquiète ? Je ne vois aucune raison valable à son inquiétude, de plus nous ne nous connaissons que peu, son attention n'est sans doute que bienveillante.

- Tu as mon numéro en cas de besoin, me rappelle-t-il avant de me tourner le dos avec un dernier sourire.

***

Le plaid de laine posé sur mes épaules m'offre une chaleur agréable, j'apporte ma tasse de thé à mes lèvres et emplis mes narines de son arôme fruité, les yeux concentrés sur la télévision qui diffuse une série policière. Je ne regarde ce programme que le vendredi soir, un peu comme un rituel ancré depuis mon enfance. L'image de ma mère affalée sur le canapé, une boîte de chocolats sur les genoux, c'est comme ça qu'elle les regardait sa série presque tout les vendredis avec mon père et moi. Le bruit de mon téléphone me ramène sur Terre, je me redresse sur le canapé, éteins la télévision avant d'attraper le téléphone sur la table basse.

« Allô ? » entends-je à l'autre bout du fil.
- Salut maman ! m'exclamé-je.
« Ma chérie, je suis heureuse de t'entendre ! » dit-elle joyeuse.
- Moi aussi.
« Dis moi comment ça se passe en Amérique ? Depuis le temps que je ne t'ai pas eu au téléphone » me reproche t-elle.

Je grimace sachant bien que je suis en tort, mais je n'ai jamais aimé communiquer par téléphone, un peu comme mon père, ma mère insiste pour que je l'appelle au moins une fois toutes les deux semaines, je ne l'ai pas fait la semaine dernière. Elle s'inquiète toujours.

- Désolée, j'ai été pas mal occupée entre les cours et la danse... je n'arrête pas, me justifié-je.
« Je m'en doute bien mon cœur, mais je veux juste que tu me donne un signe de vie de temps en temps... »
- Promis maman.
« Bon alors, qu'as-tu de beau à me raconter ? »

Durant plus d'une heure je raconte tout à ma mère, que ce soit la folie de mon amie, Eden, les cours, ou alors l'exigence demandée en danse, je lui dis vraiment tout ce qui me passe par la tête, et ma mère écoute attentivement.
J'ai toujours eu une grande admiration pour mes parents, bienveillants et forts, ils m'ont énormément guidée durant tous mes choix, ils m'ont soutenue. Ils se connaissent depuis le lycée, c'est de là qu'est né leur amour, ils sont la preuve que parfois ça peut durer, même si je ne suis pas adepte de cette théorie, j'aime l'idée de cette possibilité, comme tout le monde je suppose.
Ma mère est une femme magnifique, sa peau légèrement caramélisée, ses longs cheveux bruns et les traits harmonieux de son visage la rendent douce. Mon père quand à lui, est l'autorité incarnée, que ça soit de par son physique mais aussi par sa profession dans les services de l'ordre, personnes ne viendrait lui chercher des ennuis, alors qu'au fond c'est quelqu'un de très sensible. Ma mère est sage femme, c'est un peu ironique sachant qu'elle même ne peut pas avoir d'enfant. Je sais que ça n'a pas été facile pour elle, elle m'a souvent dit que j'étais le miracle de sa vie, mais je me demande toujours si elle ne regrette pas de ne pas avoir eu d'enfant biologique, un tourment personnel.

- Je te laisse maman je vais aller me coucher, préviens-je.
« Très bien, bonne nuit, je t'aime Bryséis »
- Je t'aime aussi, embrasse papa pour moi.

Je finis par raccrocher, il est un peu plus de vingt-deux heures, la fatigue se fait ressentir dans chaque muscle de mon corps. Je me lève difficilement du canapé avant de me diriger directement dans ma chambre. J'enfile rapidement un pyjama puis je m'engouffre dans mes draps chauds, et en tendant le bras pour éteindre la lumière, mes yeux tombent sur le morceau de papier avec le numéro de Jake dessus.
J'avale difficilement ma salive, ce petit morceau de papier me fait penser à une personne : Elias, l'ami de Jake. Je l'avais presque oublié, mais il finit par revenir en force dans mon esprit. Mais bordel pourquoi je n'arrête pas d'y penser ? C'est hors de contrôle, je ne le supporte pas. Un long soupir s'échappe de mes lèvres. Fatiguée de tout ça, j'éteins la lumière et me m'allonge complètement.

***

Le bruit de l'eau, les oiseaux qui chantent et le vent qui vient caresser les feuilles des arbres. Je suis debout au milieu de la forêt. Mes yeux scrutent les environs à la recherche d'une quelconque présence, mais rien, cette forêt semble vide, la seule chose qui la rend vivante c'est le soleil qui vient éclairer toute sa surface. Face à moi, j'aperçois une rivière, et derrière moi, seuls les arbres sont perceptibles. Je connais cet endroit. Mon cœur cogne plus fort contre ma cage thoracique.

- Il y a quelqu'un ? crié-je.

Ma voix fait écho dans toute la forêt, le son rebondi sur les arbres, il fait vibrer l'eau. Soudain, le ciel s'assombrit et le vent se lève. Mes longs cheveux frivolent dans les airs, les branches des arbres sont prêtes à être arrachées, l'eau de la rivière s'agite tout autant.
Qu'est-ce qui se passe ?
Il faut que je sorte d'ici.
Je me retourne, prête à partir, mais un arbre prend feu d'un seul coup. Je fais un bond en arrière, stupéfaite. Tout va beaucoup trop vite pour être compréhensible. La chaleur de ce feu est étouffante, chaque cellule de mon corps s'en imprègne. J'avale difficilement ma salive, l'atmosphère toute entière semble s'alourdir et crée un horrible poids sur mes épaules, je suis terrifiée.

- Bryséis.

Je me retourne brusquement vers la source de cette voix. Une femme se tient là, debout dans la rivière. Elle porte une longue robe blanche, et ses longs cheveux noirs, trempés, collent sur son visage, elle semble sortir de l'enfer. Elle connaît mon prénom. Ça me frappe d'un coup, cette femme ne fait que me fixer, sans aucune expression sur le visage.

- Qui êtes-vous ?! demandé-je en tremblant.

Elle ne bouge pas, elle ne dit rien. Ça ne fait qu'accentuer mes craintes, mes jambes flageolent, mes mains sont de plus en plus moites, mon cœur va exploser. Je n'arrive plus à contrôler mon angoisse.
Je ne comprends rien.
Le vent frappe de plus en plus fort, la pluie se met à tomber, mais le feu continue cependant de se propager. Une atmosphère véritablement apocalyptique règne, et je ne peux plus respirer. Ça ressemble à la fin du monde.
La femme lève alors les bras et les écarte avant de lever la tête vers le ciel gris et menaçant. Puis, elle tombe lourdement en arrière et disparaît dans l'eau, sous mon regard ahuri.

***

Mes yeux s'ouvrent brusquement. Je me redresse, la respiration haletante. Je pose ma main crispée sur ma poitrine dans l'espoir de calmer les battements fous de mon cœur.

C'était quoi ça ?

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Je m'excuse pour ce retard, mais en période de rentrée c'est toujours compliqué ! J'espère que la vôtre s'est bien passée ! 😊

On en apprend un peu plus sur Bryséis dans ce chapitre et non on ne voit pas Elias, un peu de patience 😉 Mais j'espère que ce nouveau petit mystère vous aidera à prendre votre mal en patience ! Qu'est-ce que c'est ce rêve à votre avis ?

J'espère qu'il vous aura plu, n'hésitez pas à laisser un commentaire !

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