Chapitre 3

Je suis perdue, toutes mes pensées vont dans des directions opposés, pour au final ne revenir qu'à une seule chose : Lui.
Étant dans l'incapacité de fermer les yeux, j'ai veillé toute la nuit, je n'ai fait que réfléchir, et je me souviens encore de chaque détail de son visage, ainsi que de ses yeux sombres, bloqués sur moi. Il réussi à faire disparaître le monde durant une fraction de seconde.
Je ne trouve pas d'explication suffisante à ce qu'il m'est m'arrivé, à ce que je ressens en ce moment, qui n'est rien d'autre que le vide... les couleurs qui égaillaient autrefois mon entourage se sont évanouies. Ça me paraît stupide.
C'était incroyablement effrayant. Cette attraction qui c'est créée lorsque nos regard se sont croisés, aussi improbable que cela puisse sembler, nous l'avons tous deux ressenti, et Jake en eu conscience aussi. Je devrais vouloir le fuir, espérer ne plus le revoir, mais c'est tout le contraire, le mystère qu'il apporte avec lui me laisse sans voix.

_ Alors qu'est-ce que tu en penses ?

Soudain consciente du monde réel, je pose les yeux sur Nakia, au milieu du studio de danse. Elle vient d'effectuer un enchaînement, et je n'y ai absolument pas fait attention.

_ Tu vas bien ? Interroge-t-elle inquiète.
_ Oui, excuse moi, (je me racle la gorge), je n'ai pas beaucoup dormi c'est tout...
_ On peut arrêter si tu veux.
_ Non t'inquiète pas, ça va aller, lui assuré-je.

Elle fronce les sourcils, peu convaincue mais finit par se décaler sur le coté pour le laisser la place. Je m'avance lentement vers le milieu du studio sous ses yeux attentifs. Les paupières closes, je me concentre sur ma respiration, je fais abstraction du reste. Mais je revois ses yeux noirs.

Doucement et gracieusement, je laisse tomber mon corps sur le sol encore froid, presque en étoile sur le ventre, et me relève dans un geste fluide sur mes genoux. Tout en souplesse, mon corps se cambre vers l'arrière, tourne, avant de revenir droit. Une fois sur mes pieds, toujours près du sol, je tourne sur moi même, mes bras suivent les mouvements de mon corps comme s'ils en étaient l'extension.
Je soutiens le poids de mon corps avec la seule force de mes bras, et je me maintiens en équilibre quelques secondes. Une main au sol, mon corps est maintenant supportée par une de mes jambes, et je me cambre encore.

Je raconte une histoire, je dis quelque chose à travers chaque mouvement, je dois me laisser complètement aller.

Sur mes deux jambes, je tourne sur moi même, mes bras suivent chaque mouvement, j'accélère la cadence, tout en restant harmonieuse. J'ai l'impression d'être seule, je ne saurais dire quelle force me pousse à réaliser mon enchaînement ainsi étant donné mon manque de sommeil, mais je le fais.

_ Pas mal du tout ! observe mon amie. Si c'est le manque de sommeil qui te fait danser comme ça, tu devrais dormir moins souvent !

Un rictus se forme sur le coin de mes lèvres, la respiration haletante, je me dirige vers mon sac pour en sortir une bouteille d'eau.

_ Sérieusement, qu'est-ce qui t'arrive ? reprend t-elle.

Je hausse les épaules.

_ Rien de particulier.

Je n'ai aucune idée de ce qu'il arrive, c'est la vérité. Mais je sais que quelque chose est en train de se passer en moi. Je le sens, ce pressentiment que je fais face à quelque chose de plus grand que moi.

***

Trouver la seule librairie de la ville n'a pas été pas bien compliqué. Ce qui m'étonne, c'est qu'elle soit vraiment à l'écart de tout autre commerce. Le bâtiment ne date pas d'aujourd'hui, malgré quelques rénovations visibles, les marques de son passage à travers le temps sont perceptibles.

Je traverse la rue pour faire face à la grande porte de la librairie, et la pousse lentement.
Tout est si calme, la pièce est illuminée par les baies vitrées, diverses étagères où sont disposés des centaines de livres occupent tout l'espace. Dans un coin près des fenêtres, deux fauteuils entourent une petite table basse. Derrière le comptoir, un  rideau masque l'entrée d'une autre pièce. Et Anne en sort soudainement. La vieille dame m'aperçoit, et un grand sourire s'étire sur ses lèvres.

_ Bryséis, je suis heureuse de te revoir !

Anne fait le tour du comptoir, et s'avance vers moi. Habillée d'un robe sombre, un plaid en laine recouvre chaudement ses épaules, et ses cheveux gris sont attachés comme lors de notre première rencontre. Son air naturellement joyeux et bienveillant me fait chaud au cœur, après avoir autant torturé mon esprit avec des pensées sans fondement, voir une personne aussi sereine me fait le plus grand bien.

_ Je me suis dis que c'était le bon moment pour venir vous rendre visite, souris-je.
_ Tu as très bien fait, et puis comme tu peux le constater, je n'ai pas grand monde, rit-elle.

Il n'y a personne.

_ Voudrais-tu une tasse de thé ? Propose la vieille femme.
_ Je ne voudrais pas vous déranger, bafouillé-je.
_ Ça me gêne pas voyons ! Vas donc t'asseoir le temps que je prépare ça.

Elle repart de l'autre côté, je vais donc m'asseoir sur un de ses fauteuils. J'ai comme une impression de déjà vu, sans être jamais entrée ici. Cela provient probablement de ma grand mère. Tout ses livres, et ses fauteuils au coin de sa véranda pour pouvoir s'échapper du monde et se plonger dans un univers fictif, elle adorait ça. Je me souviens encore de toutes ces fois où je lui ai rendu visite, à chaque fois elle y était assise, et lorsqu'elle me voyait, un magnifique sourire étirait des lèvres. J'aimais énormément ma grand-mère, bien que je n'étais pas sa véritable petite fille, elle m'a tout de suite considéré comme tel.

Anna revient alors, un plateau dans ses mains, deux tasses en verres dessus, et le pose délicatement sur la petite table en s'asseyant en face de moi.

_ Vas-y je t'en prie, me sourit-elle.
_ Merci.

Je la gratifie d'un sourire avant d'attraper la tasse de verre. La couleur bleue du thé me laisse d'abord sans voix, je n'en avais jamais vu de cette couleur, pourtant ma mère adore le thé, elle en boit tout le temps des différents. Je devrais lui en rapporter de celui-là.

_ C'est à base de Clitoria ternatea, une plante d'Asie, m'apprend Anne. C'est très rare d'en trouver ici.
_ J'en avais jamais vu de tel. Ma mère est une adoratrice de thé, je pensais les avoir tous vu, mais il faut croire que non.

J'apporte la tasse à mes lèvres, et laisse le liquide bleuté traverser ma gorge. Je me délecte de ce nouveau goût, à la fois doux et prononcé.

_ C'est délicieux.
_ Ravis que cela te plaise, elle sourit une nouvelle fois.

Mes yeux se perdent dans les étagères, des livres de tout époque semblent être disposés, du moins certains paraissent plus anciens que d'autres.

_ Ça fait longtemps que vous tenez cette librairie ? questionné-je.
_ Depuis toujours, cette boutique à appartenu à ma mère et sa mère avant elle. (elle jette un coup d'œil à sa boutique, l'air nostalgique). C'est mon héritage.

Anne boit une gorgée de son thé avant de reposer la tasse, un sourire aux lèvres. Cette femme respire la joie de vivre, la sérénité.

_ Parle moi un peu de toi, depuis combien de temps es-tu là ? Je suppose que tu t'es installée il y a peu de temps, il n'y a pas un visage que je ne reconnais pas.
_ Vous avez raison, je suis là depuis seulement quatre mois. J'ai été prise ici à l'université, j'étudie la psychologie.
_ Tu as accent assez prononcé, note Anne.
_ Je suis française.

La première fois que j'ai dit ça a Eden, elle s'est empressée de me demander ce que je faisais ici, que j'aurais mieux fait d'aller dans des grandes villes d'Amérique. Certes j'aurais pu, mais je n'ai clairement pas les moyens d'étudier à New-York.

_ Pourquoi avoir décider d'aller aussi loin pour faire tes études ?
_ Cette partie du monde m'a toujours énormément intéressée, souris-je. Et puis ma mère est originaire d'Amérique.
_ Et lorsque que tu n'es pas à l'université, que fais-tu ? demande curieusement Anne.
_ Je prends des cours de danse moderne, j'espère pouvoir intégrer une école de danse plus tard, mais c'est peut-être trop ambitieux...

Anne me sourit doucement, si chaleureuse qu'elle en devient presque maternelle.

_ Pas du tout, si c'est ce que tu veux faire, il faut te donner tous les moyens d'y arriver, affirme-t-elle. Peu importe ce que peuvent dire les autres, la décision t'appartient.

Un grand sourire apparaît sur mes lèvres. Elle me rappelle définitivement ma grand-mère. Toujours de sages paroles à revendre, la main sur le cœur, c'est le genre de personne à qui on peut se confier sans avoir peur d'être jugé.

_ Pour le moment que pense tu de notre petite ville ?
_ C'est très différent de Paris, plaisanté-je, mais il y a un mélange de modernité et d'histoire ici que je n'avais jamais vu avant. Et sans compter que les gens sont assez superstitieux...
_ Oui, c'est vrai, sourit Anne. En même temps, cette ville est le berceau de beaucoup de légendes.
_ Lesquelles ?
_ Il y en a tellement que je ne pourrais pas tout t'en dire ! Mais... reste à savoir lesquelles sont vraies et lesquelles sont fausses.

Je n'arrive pas à trouver ça ridicule, au contraire. Je suis complètement fascinée. J'adorerais pouvoir croire en un monde fantastique sans aucune limite, mais je suis bien trop rationnelle pour ça. Ça n'en reste pas moins merveilleux. Mais il y a certaines de ces superstitions, de ces légendes qui sont complètement absurdes et que je ne peux pas concevoir.

_ Ne me dites pas que vous croyez aux vampires, supplié-je donc.

Le rire d'Anne résonne dans la librairie, et elle secoue vigoureusement la tête, comme si c'était l'idée la plus absurde que j'avais eue.

_ Je te rassure, personne ne croit aux vampires ici, glousse-t-elle.

Mon rire rejoint le sien. Pendant une durée de temps indéterminée, nos discussions vaguent vers divers sujet. Anne m'apprend qu'elle n'a pas d'enfant, et qu'autrefois, elle fut mariée au « plus bel homme que Dieu lui ai permis de voir » a-t-elle dit. Malheureusement l'âge a fini par l'emporter plus tôt que prévu. Et étonnement, Anne ne semblait pas triste, « ce n'est qu'une étape de la vie » a-t-elle ajouté. Sa façon de penser est très noble. Je n'y avais personnellement jamais songé, jusqu'à la mort de ma grand-mère. J'aime la penser quelque part, dans un endroit merveilleux. Même si je doute fortement sur la notion de la vie après la mort.
Nous sommes interrompues par la sonnerie de mon téléphone, je m'excuse et le sors de mon sac.

_ C'est ma mère, je la rappellerai plus tard.

En raccrochant, l'heure s'affiche sur mon écran. L'après-midi touche bientôt à sa fin, je n'arrive pas à croire qu'on soit restée autant de temps.

_ Je n'ai pas vu le temps passer !
_ Nous avons bien discuter ! justifie Anne.
_ Je ferais mieux d'y aller, (je me lève du fauteuil suivie de Anne), merci beaucoup pour le thé !
_ Pour le peu de fois où j'ai de la compagnie, ça m'a fait plaisir, sourit-elle.

Une pointe de tristesse me frappe dans sa remarque. C'est une femme extraordinaire, je conçois qu'on puisse la percevoir comme étrange, mais au point de l'éviter ? Ou de la traiter de sorcière ? C'est absurde. Je ne comprendrai jamais certaines mentalités...

_ Je repasserai vous voir, promets-je.

Nous nous dirigeons jusqu'à la sortie.

_ À bientôt dans ce cas !
_ Passez une bonne soirée.

Elle s'éloigne de moi au moment où je pousse la porte. À travers la vitre je la vois me faire un signe de la main auquel je réponds avant qu'elle ne disparaisse derrière les rideaux. Les yeux encore rivés sur la boutique, je continue de marcher. Mauvaise idée. Il suffit d'une fraction de seconde pour que mon corps rencontre une masse. Le choc est brutal et je sens le sol se dérober sous mes pieds, mais avant que je ne perde totalement mon équilibre, on me rattrape par l'avant bras.
Un frisson parcourt mon échine quand je sens une main s'y accrocher fermement, et les battements de mon cœur s'intensifient.
Je lève la tête, et alors, je fais face à l'homme responsable de mon insomnie.

Pendant une fraction de seconde, ses yeux plongés dans les miens, la mystérieuse attraction constatée lors de notre première rencontre refait surface aussitôt. Je me perds dans son regard, le souffle brutalement coupé, comme si le monde arrêtait de tourner. J'ai l'impression que je n'arriverai pas à m'en détacher, ni à me défaire de l'agréable chaleur que sa main dégage. Habillé d'un simple tee-shirt noir, il n'a pas l'air affecté par le froid qui règne dehors. J'ai l'impression de pouvoir presque sentir sa chaleur corporelle, transperçant ma peau comme ses yeux transpercent les miens.

_ Tu pourrais faire plus attention, peste-t-il soudain.

Brutalement sortie de ma brève torpeur, je me redresse. Le temps est passé au ralenti pendant un si court instant que j'en ai le tournis. J'avale difficilement ma salive en essayant d'ignorer le nouveau frisson qui se propage le long de ma colonne vertébrale à cause provoqué de sa voix rauque et suave que j'entends pour la première fois.
Malgré ça, le ton qu'il vient de prendre m'irrite affreusement, alors je me dégage brusquement de sa prise et soutiens durement son regard.

_ Tu es la fille qui tourne autour de Jake, déclare-t-il d'un air presque condescendant.
_ Je tourne autour de personne, et même si c'était le cas, ça ne te regarde pas, rétorqué-je froidement.
_ Inutile d'être sur la défensive, gamine.

Au-delà de son apparence sublime, il n'en est pas moins une personne des plus désagréables. Il semble n'avoir aucun respect pour les autres, et je suppose que tout ce qui l'intéresse c'est sa petite personne. Sa beauté ne doit donc d'avoir d'égale que son mépris. Et pourtant, cette attraction indéfinissable est toujours là, alors malgré le fait qu'il soit absolument détestable, je ne peux me résoudre à le lui dire. Mon esprit me hurle de l'envoyer balader, mais je me sens incapable de l'écouter. Totalement incapable...

_ Tu me fais perdre mon temps, siffle-t-il entre des dents.
_ Alors qu'est-ce que tu fais encore là ?

Je croise les bras et lui accorde un regard désobligeant. Alors, Il me regarde de haut en bas, et tout son corps semble se tendre. Le temps d'un instant, il arrime de nouveau ses yeux aux miens, et l'énergie qui se dégage alors de son regard me foudroie littéralement. Je serre les poings, sentant mon cœur bondir sans raison. Et que ce soit sous l'énervement ou autre, je remarque l'expression de son visage changer, sans que rien ne le justifie. Brisant alors brutalement le contact visuel, il secoue la tête et passe sa main dans ses légères boucles brunes. Puis, il me contourne pour poursuivre son chemin, sans un mot, sans un regard. Je sens mes épaules s'affaisser, alors que là tension qui s'était créée retombe brutalement.

Qu'est-ce que je suis censée faire ?

Je dois le laisser partir. Vu le spécimen, le choix le plus sage serait de l'ignorer. Parce que pour rien au monde je ne souhaiterais le revoir. Mais une question ne peut pas faire de mal, une seule.

_ Comment tu t'appelles ? demandé-je en me retournant.

Il arrête alors de marcher, et pendant une seconde, il ne bouge pas, juste le temps qu'il me faut pour regretter mon geste. Mais ses épaules larges finissent par pivoter, puis sa tête aussi. Et alors, nos regards s'accrochent de nouveau.

_ Elias, se présente-t-il d'une voix plus suave que nécessaire.

Un sourire au coin des ses lèvres rosée, il fini par me tourner le dos et entrer dans la librairie. Tout de suite, je dois expirer bruyamment, et passe les mains sur mon visage. Je me maudis intérieurement de lui avoir accordé mon attention, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Il y avait en moi cette pulsion, cette force inexplicable, qui pressait sur ma poitrine et m'accrochait à chacun de ses regards comme si j'en dépendais. C'est fou à penser, mais j'ai juste perdu le contrôle de moi même, le temps d'un instant.

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Dernier chapitre pour cette année ! J'espère comme d'habitude qu'il va vous plaire, n'hésitez pas à commenter ! ♥️

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