Chapitre 21
Un long moment où plane le silence s'écoule. Ces quelques secondes me semblent durer une éternité, mais c'est le temps qu'il me faut pour assimilier ses mots.
Son âme-soeur ?
Sans que je puisse me retenir, un rire s'échappe de mes lèvres. C'est complètement absurde, qui peut croire à une telle chose ? Le concept n'est que pour moi le fruit de l'imagination des auteurs, des cinéastes, des conteurs... mais en aucun cas une chose avérée. Alors je ris encore plus, nerveuse évidemment mais surtout surprise qu'il puisse me sortir une ineptie pareille.
Elias grogne, semble subitement retrouver ses esprits et s'éloigne de moi. Les poings serrs, son expression maintenant froide, très contrariée, chose qui ne manque pas d'accentuer mon ricanement.
- Ne me dis pas que tu es sérieux, me moqué-je.
Le bouclé me lance un regard noir, et mon sourire finit par s'éteindre lentement. Le visage maintenant crispé, je n'arrive pas à y croire. Depuis récemment, je dois m'adapter à l'existence d'une espèce que je pensais encore il y a quelques semaines fictive, plus ma folie précoce, je ne peux pas en plus croire que mon âme s'est liée à celle d'un loup garou. Le monde n'est pas censé être aussi complexe, les choses sont simples, la Terre peuplé d'êtres vivants, formés de cellules et de connexions nerveuses, nous venons au monde, vivons puis mourrons. Et si l'imagination humaine a permis la création de mondes fantastiques, la possibilité de croire au grand amour... tout cela n'est pas la réalité, simplement une échappatoire. Enfin, c'est ce que je pensais...
- Elias c'est pas possible... c'est..., bafouillé-je nerveusement.
- Tu n'as rien trouvé sur les âmes-soeurs lors de tes recherches ? demande-t-il froidement.
Effectivement, je me souviens avoir lu quelques pages sur le sujet.
- Si, mais je pensais que c'était une simple légende.
- Comme les loups garous, ironise Elias.
Je relève les yeux vers lui. Fixant un point devant lui, il ne semble pas vouloir confronter mon regard, mais je perçois clairement son agacement. Que ce soit par le ton qu'il emploie ou sa mâchoire contractée, mais comment pensait-il que j'allais réagir ? C'est de la pure folie.
- Quoi ? Je suis censée croire toutes les légendes maintenant ? lancé-je exaspérée.
Elias soupire et passe une main dans ses cheveux. Visiblement, il n'est pas loin de craquer. Brusquement, il se lève de mon canapé en direction de ma cuisine. Bien décidée à avoir des explications, je me lève à mon tour.
- Comment c'est possible ? Je ne suis pas comme toi et...
Je passe une main dans mes cheveux, des questions s'ajoutent à celle qui me hantent déjà et je ne peux tout simplement pas imaginer que cela puisse être possible. Je relève finalement les yeux vers lui, interpelée par son silence
- Je peux savoir ce que tu fais ?
Mais il s'obstine à ne pas me répondre. Le loup ouvre tout mes placards jusqu'à trouver une bouteille d'alcool, qu'il ouvre sans se faire prier avant d'apporter le goulot à ses lèvres. Comme si ça lui était vital, il boit sans ménagement. La détresse de cette scène ébranle mes propres sentiments et j'ai presque l'impression de pouvoir ressentir ce qu'il ressent.
Ma poitrine s'alourdit, l'incompréhension de cette situation ajoutée au comportement du loup me plonge dans une angoisse profonde.
- Est-ce que c'est vraiment nécéssaire ? m'agacé-je.
Elias se contente de poser son regard noir sur moi, au sens propre comme littéral, ses yeux sont tels des éclairs, me foudroyant sur place.
- Tu m'saoule Bryséis, lâche-t-il froidement.
Le loup reprend une grosse gorgée, ses yeux braqués sur moi, il avance jusqu'à me contourner pour retourner dans le salon. Ses mots n'arrangent en rien mon mécontentement. Je le trouve particulièrement sans gêne, à débarquer ainsi chez moi, blessé, en disant que nous sommes liés pour ensuite m'insulter.
- À quoi tu t'attendais ? Que je ne pose pas de question à propos de tout ça ? (Le ton de ma voix à subitement changé, irritée, je m'empresse de le rejoindre.) Te rends-tu seulement compte à quel point tout ça peut être déroutant pour moi ?
Elias ne dit pas un mot, son dos me fait face, la seule chose que je peux percevoir est sa respiration qui se fait de plus en plus lourde. Tout ce que j'ai pu accumuler jusqu'à maintenant semble vouloir s'expulser hors de mon corps, comme un volcan en éruption. Je crains de ne pouvoir contrôler mes mots, surtout quand je le vois ainsi impassible. Ne comprend-il pas ma position ?
- Putain Bryséis, grogne le loup qui se retourne finalement vers moi, sois claire et épargne-moi tes lamentations.
Mon coeur cogne fortement contre ma poitrine poussé par ma haine et mes paroles forcent le passage de mes lèvres. Je ne peux plus les retenir tant elles me tiraillent l'estomac.
- Je ne veux pas être liée à toi, m'emporté-je, tu...
Avant de terminer ma phrase, je me stoppe hésitant à continuer, inquiète de sa réaction face aux mots que je m'apprête à prononcer.
- Je quoi ? (Il s'avance vers moi tel un prédateur, son visage déformé par la colère.) Dis moi Bryséis.
Je recule au fur et à mesure que lui avance jusqu'a ce que mon dos heurte l'un des murs de mon appartement. Mon prénom est sorti de ses lèvres comme un venin qu'on crache, il est plus qu'évident qu'il n'apprécie guère la tournure de la conversation mais je ne peux plus prétendre que je n'ai pas peur. J'ai cru pouvoir encaisser le fait qu'il est un loup-garou et je me suis convaincu de ne plus m'inquiéter à propos de cela parce qu'il m'a sauvé la vie et je ne peux nier le fait que d'une façon inexplicable nos corps semblent appeler l'autre. Je me suis laissée prendre dans cette tornade, échappant à tout contrôle, je me suis laissée, pendant une fraction de seconde, attirée, mais c'est trop.
- Tu es un loup-garou.
Son regard se fait plus dur mais je perçois malgré tout une pointe de tristesse vite effacée pour laisser place entière à sa colère. Elias pose une de ses mains non loin de mon visage contre le mur derrière moi, et il reste là, impassible, à soutenir mon regard. À la fois magnifiques et terrifiants, ses yeux sont si sombre que je peux à peine différencier ses iris de ses pupilles. Étouffée par celui-ci, je baisse la tête. Ses yeux parviennent presque à me faire regretter mes mots. Bien que je souhaite y mettre fin, cette attraction est toujours là, toujours aussi forte et une infime partie de moi veut plonger dans ses bras. Pourquoi ai-je de telle pensées ?
Mon coeur tambourine contre ma poitrine, le silence est un véritable supplice et sentir son regard sur moi n'arrange rien.
- As-tu peur ? demande t-il froidement.
Je n'ose pas répondre, ni l'affronter. Bien sûr que j'ai peur, mais aussi étrange que cela est, je n'en reste pas moins encore attirée par lui.
Peur et attirance, deux idées contradictoires qui s'entrechoquent en permanence, il n'y a rien de plus dur que d'être en lutte avec soi-même.
- Crois-tu que je suis ravi d'avoir une simple humaine pour âme-soeur ? Tu penses que je veux être lié à une putain d'aliénée ?! Elias crie presque ses mots, tremblant de colère.
Je sursaute, le ton de sa voix est dénué de tout bon sentiment, seuls les plus durs l'animent. Des paroles qui me font mal, beaucoup plus qu'elles ne devraient, mais c'est moi qui ai provoqué ça. C'est ce que je voulais, qu'il s'éloigne.
- Je ne l'ai pas choisi. (Sa main attrape durement mon visage et instinctivement, je ferme les yeux.) Crois-moi, crache t-il, si j'avais eu le choix il y a longtemps que je ne serais plus là.
Pendant un court instant, ses yeux changent, faisant apparaitre leur caractère plus animal, et la peur traverse tout mes pores. Mais ce n'est pas ce qui me domine.
Le coup franc que m'a donné ses mots dans l'estomac est bien plus douloureux que la peur. Envahie par une profonde tristesse, elle me submerge, aussi pénible que lorsque mes poumons sont remplis d'eau, je veux que ça cesse.
Heureusement ou malheureusement, Elias lâche brutalement mon visage, tourne les talons et quitte mon appartement en claquant la porte.
Plongée de nouveau dans un silence de mort, mon esprit lui est bruyant et se rejoue en boucle les mots du loup. C'est mieux comme ça, c'est mieux comme ça... ne cessé-je de me répéter, mais ma poitrine me brûle toujours autant et des larmes s'échappent finalement de mes yeux. Emportée par un tsunami d'émotion, je me laisse glisser lentement contre le mur jusqu'au sol, épuisée. Je devrais me sentir soulagée qu'il soit parti mais c'est totalement l'inverse, pourtant je sais que je n'ai pas besoin d'un être aussi différent de moi dans vie, cela ne m'apporterait que des problèmes.
Alors pourquoi je me sens si coupable ?
***
Une vibration incessante me tire péniblement du sommeil, il me faut quelques secondes pour parvenir à ouvrir les yeux, un bref regard autour de moi me permet de me rappeler que je me suis écroulée sur mon canapé hier soir après le passage d'Elias.
Elias.
Un soupir s'échappe de mes lèvres et une douleur aigue vient piquer mon coeur. Je passe ma main sur mon visage avant d'attraper mon portable sur le sol. Le nom de mon amie affiché sur l'écran, je constate avec mécontentement l'heure avant de lui répondre.
- Il est pas encore huit heure Eden alors j'espère pour toi que tu as une bonne raison pour m'appeler, râlé-je le téléphone à l'oreille.
- La meilleure des raisons, c'est que je refuse de passer en année supérieure sans toi alors ma chérie, m'annonce-t-elle, toi et moi on va bosser je vais te filer tout les cours que tu as manqué et-
- T'as vraiment pris les cours pour moi ? la coupé-je.
- Oui, j'ai donc dû renoncer à draguer la belle blonde du cours de psycho-bio alors bouge toi parce que si j'ai abandonné la chance que j'avais de la chopper c'est pour te sauver les fesses donc tu m'es redevable.
J'éclate de rire. C'est exactement ce dont j'ai besoin, je dois sortir de cet appartement et reprendre le cour de ma vie et donc mes cours.
- Très bien, je viens.
- Je t'attends à la bibliothèque du campus.
Eden raccroche, sans perdre plus de temps je file dans la salle de bain me préparer pour la rejoindre. Rapidement, sans me laisser le temps de penser à quoi que ce soit qui puisse encore me faire mal, je ne dois surtout pas céder et replonger dans une boucle infernale de questions et de culpabilité. J'ai fait ce que je devais faire, je dois passer à autre chose.
***
La rouquine, comme promis, a pris le temps pour me donner tous mes cours manquants et malgré tout mes efforts pour rester concentrée, je n'ai pas réussi à me détacher de mes souvenirs d'hier soir. Eden a évidemment remarqué mon trouble mais n'a posé aucune question, elle s'est contenté de me lancer des regards inquiets que j'ai pris soin d'ignorer. Je n'ai aucune envie d'en parler même si je pense que mon amie doit se dire qu'il s'agit de mon « séjour » à l'hôpital qui me rend si morose. Je ne peux définitivement pas lui parler d'Elias qui est en fait un loup-garou auquel je suis, selon lui, liée.
Mais je constate, à la jambe qu'elle ne cesse de gigoter et à ses yeux qui ne cessent de se relever vers moi à chaque fois que les miens se perdent dans le vide qu'elle meurt d'envie de m'interroger. À sa place, j'aurais probablement déjà engagé la conversation mais j'espère qu'elle n'en fera rien.
Quelques étudiants s'installent aux tables autour de la nôtre, d'autres arpentent les allées. Il y a plus de monde que ce que j'avais pensé et si en temps normal ça m'indiffère, aujourd'hui je peux sentir le poids de leurs regards sur moi. C'est insupportable mais je ne peux absolument rien faire. Les rumeurs circulent plus vite que les virus ici et j'en ai entendu des choses, le mot « folle » est parfois murmuré autour de moi et leur pitié se lie dans leurs yeux. Et bien que ça soit dur à encaisser, ce que j'encaisse le moins est le « aliénée » d'Elias.
Un groupe d'étudiants sur la table derrière la nôtre, face à moi et dos à Eden, ne cesse de jeter des coups d'oeil dans ma direction, en murmurant. Mal à l'aise, mon coeur se remet à tambouriner dans ma poitrine, je baisse les yeux.
Eden fronce les sourcils, puis se retourne brusquement l'air froid.
- Qu'est-ce que vous regardez comme ça ? fait-elle agressive.
- Eden, l'appelé-je, laisse tomber.
Ses yeux verts se reposent sur moi, une lueur de compassion brillant dans son regard.
- Ignore les, que des sale cons.
- C'est ce que je fais ne t'inquiète pas...
Elle fronce les sourcils et se penche vers moi inquiète.
- Tu veux en parler ?
- Non.
J'ose relever la tête, l'intervention de mon amie n'a fait qu'attirer les regards sur nous. Observée, je me sens soudainement comme une pariât. Ne supportant plus ça, je me lève en disant à la rousse que je vais chercher un livre, elle n'est pas dupe bien sûr mais elle ne fait aucune remarque et hoche la tête.
Un noeud à la gorge, je disparais rapidement entre les allées où je me permets enfin de souffler un bon coup afin de relâcher la pression. Je savais que mon retour ne serait pas facile mais j'ai naïvement pensé que je ne serais pas le sujet de ragots. Visiblement il va falloir que je m'y habitue.
Ont-ils raison ? Suis-je folle ?
- Tout va bien ?
Interpellée, je me redresse et tourne la tête vers l'étudiant à côté de moi. Frêle, un air abattu sur le visage au style presque gothique et des cheveux noirs tombant sur sa poitrine, il m'observe avec attention, les bras chargés de livre.
- Ça va, affirmé-je.
Peu convaincante visiblement. Il reste planté là, ses yeux noirs ne me quittent pas une seule seconde. Gênée, je détourne le regard en bougeant nerveusement sur mes pieds, bien qu'il semble particulièrement étrange, je ne me sens pas pour autant inquiétée par sa présence.
- Et toi...?
Tentative désespérée de le faire réagir ou de commencer une conversation, mais le jeune homme reste tout simplement silencieux et se contente de hausser les épaules, un échange très riche...
Alors que je me décide à finalement partir et mettre fin à ce malaise, mes yeux se posent sur les livres qu'il tient, des titres bien sombre qui avant ne m'auraient jamais interpellée. Mais aujourd'hui les choses sont bien différentes.
« Les morts sont parmi nous. » ou encore « Les messages de l'au-delà »
- Tu crois en ces choses là ? osé-je demander en pointant les livres du doigt.
- Pas toi ?
Il y a quelques mois je lui aurai dit non sans hésiter, maintenant je n'ai aucune réponses, toutes mes certitudes ont été remises en question, le monde dans lequel je croyais vivre est en réalité bien plus mystérieux, plus compliqué.
- Je ne sais pas...
Un sourire, discret, étire quelques secondes ses lèvres. Je fronce les sourcils. Il est étrange. Mais peut-être le suis-je aussi a ses yeux.
- De quoi parlent-ils ? l'interrogé-je sur ses ouvrages.
Je ne peux m'empêcher de penser à Hanna Walsh. Je l'ai vue lorsque j'étais enfermée et elle m'a conduite à certaines réponses, j'ai vu le dossier de cette femme. Comme moi, elle a été torturée. Mais elle n'a pas survécu. Elle est morte, mais je l'ai vue.
- Des médiums.
Mon coeur s'arrête.
- Tu parles bien de ceux qui peuvent...
L'idée est surréaliste, j'hésite à terminer ma phrase, mais finalement il le fait pour moi.
- Communiquer avec les morts, oui.
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