Chapitre 14
Perry sentit l'air lui brûler les poumons, mais elle continuait de courir en direction d'une vieille habitation, le cœur battant la chamade. Il faisait nuit, mais la lumière de la lune et quelques lampes placées dans les rues lui permirent de se déplacer sans tomber.
- Perry, attends-moi !
Le cri d'Asher derrière elle ne la fit pas ralentir pour autant. Elle avait filé hors de la maison, prenant juste le temps de mettre son kukushakup. Elle ne savait même pas si Mila et Anna les suivaient, elle était pressée de voir Alaric. Quand Asher lui avait annoncé la nouvelle, elle n'avait pas réagi pendant un moment, comme paralysée. Puis, elle avait ressenti ce besoin urgent de vérifier par elle-même qu'Asher disait vrai. Elle ne supporterai plus d'autres morts.
- Perry ! Ralentis.
L'adolescente arriva devant une grande porte, le souffle court. Elle frappa et le temps qu'on vienne ouvrir, Asher la rejoignit, transpirant. Une femme âgée les fit entrer et patienter dans le hall.
- T'es une rapide, toi. Tu m'as épuisé, souffla Asher, qui peinait à reprendre son souffle.
L'adolescente allait ouvrir la bouche, s'apprêtant à s'excuser, quand la vieille dame réapparut et leur demanda de la suivre. Elle ne parlait pas bien anglais, mais réussit à se faire comprendre.
- Ça fait longtemps qu'il a repris connaissance ?
La femme fronça les sourcils et jeta un regard perplexe à Perrine. Visiblement, communiquer avec elle s'avèrerait ardu. Perry poussa un profond soupir, regrettant que Dena ne soit pas là. Elle espérait que tous s'était bien passé avec Kashina, et qu'elle irait dormir chez elle, dans la maison de la vieille Ashaisha, avec Mila et Anna.
- C'est là, dit la native américaine de son accent prononcé.
Perry et Asher entrèrent dans une vaste pièce, plus grande que l'ancienne chambre d'Alaric, à la clinique. Ce dernier était allongé dans un grand lit, quelques bandages enroulés autour de ces blessures. En s'approchant, Perry remarqua que ses yeux étaient grands ouverts, et il tourna la tête vers elle en entendant des pas approcher. Ses yeux se mirent à briller quand il les reconnut, et poussa un soupir de soulagement.
- Rick, mon vieux ! s'exclama Asher. Enfin de retour parmi nous.
Alaric sourit tristement et tendit le bras vers lui.
- Approche, murmura-t-il.
Asher partit s'asseoir sur le bord du lit, en veillant à ne pas déranger son ami.
- Comment te sens-tu ?
- J'ai l'impression qu'un éléphant s'est couché sur moi, à part ça, tout roule, murmura-t-il d'une voix éraillée. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Tu te souviens pas ?
Alaric secoua la tête, et Asher échangea un regard avec Perry, les yeux écarquillés.
- De quoi tu te rappelles, exactement ?
- Pas grand-chose, d'avoir dit au revoir à Olivia et les gosses, d'être allé au taf...
Il marqua une pause et ferma très fort les yeux.
- Et merde, jura-t-il. L'avion, le crash... C'était pas un rêve ?
Il posa enfin son regard sur Perry, qui était quelques mètres derrière Asher.
- Perry, murmura le pilote.
- Hey, murmura la jeune fille, soudain gênée. Je suis contente de te voir.
Alaric esquissa un sourire fatigué.
- Et moi donc, petite. Tu bas bien ? Comment va ta jambe ?
Perry toucha sa cuisse. Elle allait beaucoup mieux depuis que Adsila l'avait soigné.
- Beaucoup mieux, merci. C'est en train de guérir.
- Comment ça se fait ? D'ailleurs on est où ?
Asher se pencha vers lui et posa une main sur la sienne.
- C'est une longue histoire, mon pote. Mais on est en sécurité, dans une grande ville d'indiens qui nous ont aidé.
- Des indiens ? Qui vivent dans une forêt ?
Asher acquiesça.
- Ouais, mon frère, on se croirait presque dans un mauvais film d'horreur.
Alaric souffla, transpirant et se tenant le ventre .
- Je crois que c'est le cas, Ash.
- On va te laisser te reposer, déclara ce dernier en se levant. Tu as besoin de dormir.
Alaric hocha la tête et ferma les yeux, tandis que Perry et Asher sortaient. Dans l'entrée, ils croisèrent Mila et Anna, qui étaient accompagnées de Mike et William. Les adolescents dormaient à poing fermés et William n'avait pas voulu les réveiller, décrétant qu'ils avaient besoin de se reposer et qu'ils pourraient rendre visite à Alaric le lendemain.
- Vous l'avez vu ?
- Comment va-t-il ? enchaîna Mila, impatiente.
Mike, qui avait posé la question en premier, passa un bras autour des épaules de son amie. La jeune fille lui offrit un sourire reconnaissant, sous les yeux glacials de Asher.
- Bien, répondit-il sèchement, en détournant les yeux. Mais il est très fatigué et il souffre encore.
- Est-ce qu'on peut aller le voir ? demanda William.
Perry secoua la tête, l'air navrée.
- Il vient de s'endormir.
- Notre visite l'a épuisé, renchérir Asher. Nous ferions mieux d'aller nous coucher.
- Bon, nous reviendrons demain, dit Mike. Il ne va pas s'envoler.
Mila ouvrit la bouche pour protester, mais Mike, devinant son intention, lui plaqua une main sur les lèvres.
- On a attendu plusieurs jours, on peut bien patienter quelques heures.
Vaincue, Mila leva les yeux au ciel et se détourna pour sortir.
En rentrant dans la maison, Perry partit directement s'allonger, dans l'intention de rattraper quelques heures de sommeil, seulement le sommeil ne vint pas. Elle contemplait le plafond, cogitant sur tout ce qui venait de se passer.
Elle espérait que Chogan s'en sorte, ainsi que tous les autres malades. Elle espérait aussi qu'Alaric guérisse complètement, qu'il retrouve sa famille. Elle le voulait aussi pour elle, et pour Wade, Eliott, Mila, Anna, Mike, William et Asher. Elle voulait sentir l'étreinte de sa mère, lui souffler que tout irait bien, qu'elle était rentrée à la maison.
Mais elle n'était pas chez elle, et pour le moment, Perry se devait d'être forte.
Le lendemain matin, après avoir pris le petit déjeuner, elle se rendit dans la grand-place, où un rassemblement avait lieu. Nashoba avait convoqué tous les habitants pour leur faire part des avancées de Bly sur ses recherches concernant le virus. Il avait trouvé dans le sang de toutes les personnes malades, un composant étrange qu'il soupçonnait être la cause de plusieurs symptômes. Il n'avait pas le remède dans l'enceinte de Dhenema, mais il connaissait une plante, une fleur plus exactement, qui pourrait soigner partiellement les patients et leur éviter d'atroces douleurs.
Un groupe d'hommes de main de Nashoba devait donc partir en expédition pour aller chercher l'antidote. Pez, étant le bras droit de Chogan, dirigerait les opérations. En attendant leur départ, prévu dans trois jours, quelques femmes de la communauté s'activaient dans les préparatifs du voyage. Ce dernier durant un peu moins d'une semaine, il fallait penser au stock de nourriture et d'eau, à une trousse de secours et le plus important, les armes.
Tandis que Dena passait la journée avec Pez, Perrine profitait du soleil en compagnie de Wade. Ils se promenaient près des champs, où Su s'acharnait à la tâche, se retrouvant avec beaucoup moins de main-d'œuvre depuis l'épidémie.
- J'ai cru que Mila allait faire un infarctus quand Mike a annoncé qu'il partirait aussi, dit Wade, pensif. D'ailleurs, je comprends pas pourquoi il tient absolument à accompagner Pez en expédition.
Perry ne répondit pas de suite, plongée dans la contemplation du paysage.
- Regarde autour de toi.
- Pourquoi ? s'étonna l'adolescent en haussant un sourcil.
- Fais-le, c'est tout.
Wade s'exécuta sous l'insistance dont faisait preuve son amie. Il contempla les champs, les petites maisons uniques avec leur toit de forme hexagonale, le petit ruisseau en contrebas, les hauts murs qui entouraient cette petite ville. Il jeta ensuite un regard interrogateur à Perrine, ne comprenant pas où elle voulait en venir.
- C'est avec l'aide de Chogan qu'on a pu trouver cet endroit et être en sécurité, déclara-t-elle. Et s'il peux lui aussi faire quelque chose pour lui sauver la vie, Mike n'hésitera pas.
Le petit silence qui suivit son explication rendit la jeune fille mal à l'aise.
- Enfin, ce n'est que mon avis, ajouta-t-elle, tandis que Wade la dévorait des yeux.
- Belle et intelligente, tu m'épates !
Perry, au comble de la gêne, sentit ses joues chauffer sous les compliments de Wade. Elle détourna la tête et murmura un petit merci.
Au bout du chemin, ils aperçurent Dena et Pez qui étaient assis près du ruisseau, en bas d'une pente raide. Voir ce grand gaillard au crâne rasé assis en compagnie d'une femme autour d'un pique-nique était assez cocasse.
- Ils sont mignons, non ? Fit remarquer Wade en imitant une voix de fille.
Perry lui donna un coup de coude dans les côtes, un sourire amusé aux lèvres.
- Quoi ? Tu penses qu'ils ne sont pas chou, toi ?
- Je ne l'aurais peut-être pas dit comme ça, mais si, je suis d'accord, reconnut la blonde, ses yeux brillants d'un éclat rêveur en observant son amie.
- T'es jalouse ou quoi ? la taquina Wade. Tu penses à ton petit-ami ?
- Bien sûr que non, s'insurgea-t-elle, et puis, je n'ai pas de petit-ami.
Perrry ne vit pas le sourire victorieux qui se dessina sur les lèvres de Wade, trop occupée à contempler Dena qui éclatait de rire sous les yeux épris de Pez.
En rentrant, Perry et Wade trouvèrent William et les autres garçons installés dans le salon. Mila et Mike se regardaient en chien de faïence, les bras croisés. William essayait d'arranger les choses, avec calme, comme à son habitude, Anna et Asher observaient sans savoir comment réagir, et Eliott, imperturbable, grignotait tout ce qu'il trouvait sur la table. C'était à se demander comment il faisait pour ne pas devenir obèse avec tout ce qu'il ingurgitait dans la journée.
- Quel ambiance, se plaint Wade. Qu'est-ce qu'il se passe, ici ?
- Nous somme venus voir les filles pour dîner ensemble, expliqua William, mais les choses ont dérapé quand on a abordé le sujet qui fâche, soupira-t-il.
- Il parle de l'expédition, expliqua Mike. Il y a une certaine personne ici présente qui ne comprends pas pourquoi je tiens à partir.
- Eh, bien non, rétorqua Mila, les dents serrées. Cette personne, comme tu dis, ne comprends absolument pas pourquoi son ami veut se mettre volontairement en danger, alors qu'il est en sécurité.
- Bordel, jura Mike, perdant patience, je t'ai expliqué plusieurs fois que je ne le faisait pas par envie, mais par devoir ! Je ne peux pas rester les bras croisés alors que je peux faire quelque chose pour sauver les personnes qui nous ont aidé quand on en avait le plus besoin. Sans eux, on serait toujours dans la forêt, à errer près de la carcasse du TNB, à se faire dévorer par ces horribles créatures qui ont tué Chiara !
- Justement, on est en sécurité, et toi tu veux retourner là où Chiara est morte. Tu te mets en danger, en te cachant sous tes airs de preux chevalier. Mais ouvre les yeux, bon sang ! On est pas dans un film, où le mec s'en sort indemne et où il s'est trouvé de super facultés lui permettant de survivre. Laisse ces hommes faire leur travail, ils ont l'habitude de tuer ces wendigo et de survivre dans ce milieu hostile et cauchemardesque. Certes, ils nous ont sauvé, mais on leur doit rien. On se doit de rester vivant pour rentrer chez nous, le moment venu. Se mettre en danger en étant un poids pour les autres, ça n'aide personne.
- Calmez-vous, intervint William, ça ne sert à rien de s'emporter. Vous avez tous les deux tort et raison à la fois.
Mike se leva et toisa Mila avec dégoût et déception.
- Je ne te pensais pas si égoïste, si peu reconnaissante envers ceux qui t'ont tendu la main. S'il y a bien une chose que je dois à ce crash, c'est de m'avoir ouvert les yeux. Je me rends compte que je ne te connais pas, que je ne t'ai même sûrement jamais vraiment connu. Que tu le veuilles ou pas, je partirai, et je reviendrai pour sauver tous ces malades, pour sauver Chogan, Lenno et rendre son fils à Nashoba.
Il se passa une main sur la nuque, soupira profondément sous les yeux écarquillés de Mila, et se détourna pour partir. Il ajouta, avant de franchir la porte, de ne pas l'attendre pour manger. Quand la porte se referma derrière lui, Mila éclata en sanglot avant d'aller se réfugier dans la chambre.
Anna et Asher se levèrent en même temps pour la suivre, mais elle ordonna qu'on la laisse tranquille, sa voix légèrement étouffée par le mur.
Un lourd silence s'abbatit dans la pièce, personne ne sachant quoi dire. Ce fut Aranck, qui venait leur apporter le repas, qui détentit l'ambiance en leur donnant des nouvelles de la clinique. Chogan avait reprit connaissance, Lenno crachait du sang, Hateya, la femme de Paco, était toujours dans le coma et deux malades arrivaient à se déplacer sans trop d'effort.
Apprendre que le frère de Dena s'était réveillé soulagea tout le monde, et en fin de soirée, même Mila consentit à sortir de sa chambre pour profiter de la bonne humeur générale. Ils espéraient cependant que le fils adoptif de Nashoba irait mieux.
***
Dena déboula en trombe dans la chambre de son frère. Adsila tenta de l'arrêter, en vain. La jeune algonquienne était trop excitée, et rien ni personne ne pourrait l'empêcher d'aller voir Chogan. Elle avait passé une bonne partie de la journée avec Pez, et avant de la quitter pour ses obligations, ce dernier lui avait annoncé ses sentiments. Il lui avait expliqué que cela faisait plusieurs années qu'il l'aimait, sans oser lui avouer, craignant qu'elle le rejette. Seulement, avec l'épidémie et les wendigo qui se faisaient toujours plus nombreux, Pez ne voulait plus attendre. Alors, il avait courageusement invité la jeune femme, ayant remarqué qu'elle rougissait souvent en sa compagnie.
Dena, en entendant les confessions de Pez, avait paniqué. Elle n'avait pas osé lui avouer son amour en retour, et avait accueilli comme un soulagement bienvenu la venue d'un soldat, qui avait interpellé le meilleur ami de Chogan pour des questions d'organisation sur leur départ prochain. Si Pez avait été déçu, il n'en montra rien. Et Dee regrettait déjà de ne pas avoir eu le courage de lui dire combien elle l'aimait aussi.
- Dee...
Ce murmure fit sortir de sa torpeur la jeune Dhenemienne. Les larmes aux yeux, elle vit Chogan, le teint pâle, allongé dans le lit. Bien qu'elle l'ait déjà vu dans cet état, Dena ne s'habituait pas à voir son grand frère, d'ordinaire si fort, si brave, affaibli.
- Pourquoi es-tu venue, petite sotte ? C'est dangereux...
Une quinte de toux l'interrompit, sous les yeux alarmés de sa petite sœur.
- Même malade, tu me réprimandes, s'agaça Dena, qui se précipitait au chevet de Chogan.
Elle lui tendit un mouchoir, qu'il refusa avec toute la force qu'il avait encore.
- Ne me touches pas, tu pourrais tomber malade aussi.
- Et alors ? Au moins, on serait ensemble, plaisanta Dena.
Au vu du regard noir que lui jeta son frère, cela ne fit rire qu'elle.
- Arrêtes de me regarder comme ça, lui dit-elle d'une voix boudeuse, j'ai l'impression d'avoir cinq ans.
- Pour faire une chose aussi inconsciente, tu n'as pas vraiment grandi, l'invectiva Chogan.
- Arrêtes avec ça ! Je suis venue pour voir de mes propres yeux que ton grand corps d'asperge était encore entier.
Chogan haussa un sourcil. Puis il secoua la tête en éclatant de rire.
- Mon grand corps d'asperge ? Vraiment ?
Dena sourit aussi, contaminée par l'amusement peint sur les traits de Chogan.
- Il faut dire que tu as un peu maigri, mon vieux. Alors, fais-moi le plaisir de te rétablir correctement, de retrouver un corps de guerrier invaincu et de sortir de ce lit. Parce que si tu tardes trop, je viendrais te chercher moi-même par la peau du cul et te ramener à la maison.
Elle ajouta d'une voix faible :
- Je ne veux pas te perdre, Cho, alors guéris, s'il-te-plaît.
Désemparé par le regard empli de terreur de sa sœur, Chogan acquiesça mollement, puisqu'il ne savait pas s'il allait s'en sortir. Néanmoins, il voulait la rassurer, il n'avait qu'elle et elle n'avait que lui, et il comprenait son désarroi. Si les rôles étaient inversés, il ressentirait la même chose qu'elle. Il ne se remettrait jamais de sa mort, et c'était pareil pour elle.
- Tu ne me perdras pas, Dee.
La jeune femme lui sourit tristement, puis brusquement, comme s'il ne s'était rien passé, elle retrouva son attitude joyeuse et taquine.
- Et puis, je connais une certaine personne qui attend impatiemment que son preux chevalier lui déclare sa flamme.
- De quoi parles-tu, encore ? souffla Chogan en levant les yeux au ciel.
- Oh, ne fais pas celui qui ne comprends pas de quoi je parle. Tu es amoureux de Kashina et c'est réciproque, espèce de mollusque desséché !
Elle s'inquiète vraiment beaucoup pour toi.
Chogan ne répondit pas, retrouvant son attitude taciturne habituelle. Il ne se voyait aborder un tel sujet avec personne, et encore moins avec sa petite sœur. Il n'était pas très doué pour tout ce qui concernait les affaires de cœur. Et il n'avait certainement rien d'un preux chevalier !
- Tu devrais partir.
Dena hocha la tête, s'approcha vivement et fit un gros bisou à son frère, avant de s'enfuir en rigolant. Son rire résonna un moment dans le couloir, et Chogan observa avec un mélange d'horreur et d'amusement la silhouette élancée de Dena disparaître. Elle était vraiment inconsciente ! Voulait-elle tomber malade ?
Aucun des deux ne se doutait que c'était la dernière fois qu'ils se voyaient.
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