chapitre 36 : l'abandon

Je me réveille. Et rien. L'horrible sensation du vide à mes côtes me fait redresser plus vite que mes paupières n'ont le temps de s'ouvrir.

Je tâte la place à côté de moi et en effet, rien.

J'allume la lampe sur ma table de chevet et rien.

Rien, ni personne... Juste une horrible chambre de motel pathétique, au papier peint qui se décolle, une moquette qui embaume et des rideaux déchirés.

Une chambre à mon effigie, apparemment... Parce que j'y suis seule.

D'un revers de main, je repousse les draps de mes cuisses et me rapproche de la salle de bains, en espérant de toutes les forces que cette porte fermée me sépare de lui.

— Rip ?

Pas de réponses.

Je frappe un coup, puis un autre... Puis la porte s'ouvre... Sur une salle de bains aussi vide que l'est le restant de la chambre.

Je vois mon propre visage se décomposer dans le reflet du miroir, brisé comme le verre dont il est composé.

Je me mords la lèvre, enjambe mes affaires et ouvre la porte en grand. À moitié aveuglée par les rayons du soleil, je m'écorche mes pieds nus sur les grilles brûlantes de l'escalier de l'édifice.

Je les dévale quand même, ignorant la douleur et court à travers le parking vide.

Vraiment vide. Même la voiture de Rip ainsi que la mienne ont disparu.

Un gémissement s'échappe de mes lèvres alors que je rebrousse chemin vers l'édifice de sa chambre.

Mais j'ai beau frapper sur sa porte, rien ne me répond.

Rien, rien, rien, encore rien... Et personne.

— Il est parti, ma p'tite.

Je manque de sursauter lorsque la voix bourrue de Ronda surgit derrière moi. Je baisse le regard en dessous de la balustrade et l'aperçois, ses mains enfouies dans son tablier. Elvis à ses côtés, ils me regardent tous deux avec cette petite étincelle que je méprise par-dessus tout : la pitié.

Mes doigts tremblants essayent de se raccrocher aux barreaux pour éviter que je tombe et je parviens enfin à desserrer mes lèvres.

— Mais il va revenir, non ?

— Il a donné ses clefs à Gene, ce matin. Désolé, Samy... Je ne pense pas.

Mes genoux qui sont supposés me garder debout s'écroulent sous moi. Le métal barellé vient s'enfoncer dans ma peau déjà blessée, mais ce n'est rien par rapport à la douleur qui me déchire la poitrine.

— Mais... mais... il... il m'a dit que... qu'il allait rester...

Elvis et Ronda s'échangent un regard avant que la serveuse ne s'avance d'un pas et me dise :

— Je suis désolée. Vraiment.

— Mais... il a ma voiture, mes affaires. Il va revenir. Il va revenir.

Le répéter ne me fait pas vraiment quelque chose. Je n'en suis pas plus rassurée. Mes doigts glissent le long des barreaux et je viens m'asseoir contre la porte, sous le soleil de plomb que me brûle les cheveux.

Elvis vient monter les escaliers et s'agenouille à mes côtés.

— Tu ne devrais pas rester non plus.

— Il a ma voiture.

— Sam.

Je me pince les lèvres et quand je redresse la tête vers lui, mes yeux s'embrument de larmes.

— Je suis désolé, ma p'tite.

Je déteste les hommes. Je les déteste. Ils viennent, ruinent tout et partent. Putain !

Ronda arrive à son tour et s'assied sur la dernière marche en posant une main sur mon genou.

— Je confirme.

— Hey.

— Elvis.

Un sourire vient quand même étirer mes lèvres et je souffle à leur égard.

— Je ne vais pas mentir, je n'aurais jamais cru rencontrer des personnes comme vous, ici. Vous êtes... Incroyables.

— On le sait.

— Enfin, moi, je suis incroyable, lui, faudra revoir.

Et le sourire s'accentue. Je pose mes mains sur mon ventre pour plonger mon diaphragme et me forcer à prendre une grande inspiration et je finis par marmonner :

— Je vais juste me laver et... et partir. C'est la meilleure des choses à faire, non ?

— Il faut que tu prennes soin de toi, avant tout.

Ils ont raison.

Ils ont raison, putain.

***

Assise dans la cabine de douche, je laisse l'eau me ruisseler dessus. La mauvaise pression du pommeau me fait plus flageller le dos, qu'autre chose, mais tant pis.

Je ne bouge pas. Ma peau en devient rouge, mais je reste juste assise là, les genoux repliés à ma poitrine mes doigts passants sur les blessures de mes mollets. Quand la pulpe de mes doigts s'attarde sur les bleus que Rip a laissés sur moi, pour la première fois, j'en ressens la pression. Il n'y a plus d'excitation, plus de désir...

Ce sont des marques. Des marques de douleur.

Je ravale un sanglot, me redresse et file m'habiller. Mes gestes sont fantomatiques. Je ne prête même pas attention aux chaussettes de différentes couleurs que je porte avant d'enfiler mes boots de cowgirl.

Et encore d'un geste machinal, je ferme la porte de la chambre où on s'est confiés, comme un chapitre de mon histoire. D'un pas lent, je me dirige vers l'accueil où Ronda et Elvis se disent au revoir. Je le dépasse légèrement pour rendre mes clefs au gars de l'accueil, qui n'en a toujours autant rien à faire qu'à mon arrivée.

— Hey, ma p'tite...

— Tout va bien. Merci pour tout.

J'ajuste le cordon de mon appareil photo sur mon épaule et souffle sur une mèche qui m'empêchait de voir Ronda. Elle me tend un petit tupperware rempli de sandwich et me sourit.

— Voilà pour toi. Et n'oublie pas de boire.

— Je peux te déposer en ville, si tu veux.

Me propose Elvis, sa main dans son éternelle moustache. Je remercie Ronda pour la boîte, mais refuse l'offre du chauffeur.

— Ça ira. Merci quand même.

— Attends, tu ne vas quand même pas...

— Si, si, mais... Ne vous en faites pas. Ça ira pour moi.

— Il en est hors de question.

— J'ai encore plein de photos à faire de toute façon.

Je soupire en ressortant, mais me tourne quand même une dernière fois vers eux.

— Merci pour tout. Vous êtes...

— Incroyables ? Tu l'as mentionné.

J'étouffe un rire fluet dans le creux de mon épaule et après un dernier mouvement de la main, je m'éclipse une bonne fois pour toutes du motel.

***

Les pancartes néon sont derrière moi.

"Palm Tree Motel" n'est plus.

Juste un souvenir de bonheur et de malheur réunis ensemble comme une très mauvaise soupe qui fait vomir.

J'ai mal. Il fait chaud, mais pourtant j'avance. Je dépasse un rocher sur lequel repose un gros lézard à la cuirasse brune, de façon à ce qu'il se mélange à la roche. Il ne manque plus que Quentin Tarantino derrière moi, et je me croirais à l'affiche de son prochain film.

Sauf que si je m'écroule maintenant sur le goudron embrasé, il n'y aura pas quelqu'un qui crierait "CUT !".

Et ce lézard me dévorera tout cru.

Je suis tellement épuisée, que je ne remarque même pas que le cordon de mon appareil photo se détache tout doucement des sangles et avant que je ne puisse mettre un autre pas devant moi...

Il se brise au sol.

Bien sûr. Pourquoi ce serait autrement ?

Et je m'écroule à côté.

— Putain, putain, putain, mais putain ! Putain ! Putain de bordel de merde !

Je fais passer le bout de mes doigts sur l'objectif cassé et récupère la carte mémoire qui a sauté. En y voyant les rayures, je sais que c'est foutu.

Mes larmes brûlent sur mes joues et semblent s'évaporer immédiatement après. Le goudron fond contre mes cuisses, fait gonfler ma chair... Je suis en enfer, pas vrai ?

Je n'ai pas survécu à mon avortement, et on me punit. Je ne vois absolument pas d'autres explications.

Je m'apprête à baisser complètement les bras quand soudain, je sens la route gronder sous moi.

Je redresse la tête et au-delà des ondulations de chaleur de la route, je perçois une ombre de voiture. Elle se rapproche. Je porte la main à mon visage pour m'essuyer le visage avant de réaliser que le soleil ardent s'est déjà occupé de ça.

Un peu plus et je remarque que c'est un pick-up. Encore et c'est une Ford.

Ma Ford.

Et Rip à son volant.

Il s'arrête devant moi.

Quand il ouvre la portière et qu'il se poste en face de moi, il vient enfoncer ses mains dans les poches de son jean. Je ne me relève toujours pas. Très franchement, je ne sais pas si j'en ai la force.

— Hey.

— Hey.

— Tu vas où ?

— Je n'en sais rien. Toi ?

Silence. On jurerait entendre les vautours voler... Sauf qu'il n'y a même pas de vautours.

Rip s'agenouille devant moi et pose ses mains sur mon visage pour essayer de me faire redresser... Sauf que j'ai peur... J'ai peur que si je le fais, mes yeux s'embrumeront encore de larmes. J'essaye de me dégager, mais il ne m'en donne pas l'occasion et très bientôt je m'écroule dans ses bras.

— Je croyais que tu t'étais barré... Putain, je croyais que... que...

— Hey. Hey, je t'ai promis que je n'allais pas te laisser tomber, pas vrai ? J'ai dit que je resterais.

Je me cramponne à son dos et il cale ses bras en dessous de mon dos pour me relever sur mes jambes... Sauf que je reste dans ses bras, mes genoux haussés au-dessus de sa taille. J'ai peur que si j'ouvre mes yeux, que je cligne des paupières, que je le lâche...

Il sera parti. Encore. Encore, putain.

Mais la sensation de ses lèvres dans le creux sensible de mon cou fait envahir mon corps d'un million de sensations différentes.

— Tu es une guerrière, Sam. Tu n'es pas quelqu'un qui s'écroule à côté de la route.

Mes jambes trouvent leur appui sur le goudron et je parviens à puiser la force qui me reste pour arquer le bras et le gifler avec force. Sa tête a à peine le temps de vriller au quart que je me mets à vociférer :

— Espèce d'enculé ! Putain, tu es vraiment qu'un pauvre putain d'enculé ! Vraiment ! Tu... tu m'as laissé ! Seule ! En prenant ma caisse ?

— Tu as défoncé la mienne.

— Je peux en dire autant ! Si on est dans... Dans toute cette situation, c'est parce que toi, tu as...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'il colle sa bouche contre la mienne. Ses lèvres sont tellement pressées contre les miennes, quémandant le même appui, que je ne tarde pas à fondre sous son contact. Ses mains se perdent dans mes cheveux, ses doigts pressent ma nuque pour que nos bouches ne fassent plus qu'une. Après une bonne minute où mon âme entière s'embrase, où toute ma colère se fond, s'apaise, comme un glaçon dans un verre, un jour d'été, il se décolle soigneusement et pose son front contre le mien.

— Si je devais le refaire, je le referais encore et encore et encore... Juste pour t'avoir. Tu es cinglée, Sam. Je n'aurais jamais cru rencontrer une nana comme toi et très franchement, je ne pense pas que j'aurais voulu...

— Va te faire foutre ! Lâche-moi !

— ... Mais tout ce que je sais, c'est que tu as beau être ce... Cette foutue bombe qui risque de m'expliquer à tout instant... J'en voudrais encore et encore. J'ai passé... Cinq jours qui m'ont plus détruit qu'autre chose. Et pourtant je te veux encore. Va chercher la logique.

Mes doigts se figent sur ses mains qui tiennent mon visage et les mots se bousculent dans ma tête et ma bouche. Je ne sais pas. Je ne sais rien.

Je sais juste que c'est réciproque.

Rip m'a probablement encore plus cassé que David... Pourtant si j'arpentais cette route à pieds, c'est surement aussi parce que j'espérais qu'il revienne me chercher.

— Alors... Hm. Alors qu'est-ce qu'on fait ?

Un sourire vient étirer ses lèvres et il jette un coup d'œil aux alentours en haussant les épaules.

— On a deux options. On va par là...

Il indique la droite.

— Ou par là.

Il indique la gauche. Puis me regarde.

— Je n'en sais rien.

— Moi non plus.

— Hm.

— Mais... "On" ?

— Ouais. On. Nous.

Le fait qu'il y ait un "nous" fait rugir mon cœur dans ma poitrine et je m'en pince les lèvres.

Je me racle un instant la gorge et baisse le regard vers mon short duquel j'en sors les quelques pièces qui me restaient. Je prends une et la dépose dans la paume de Rip.

— Pile, on va à droite, face, on va à gauche. Choisis pour nous.

Nous.

— D'accord.

Il prend une petite inspiration et rejette la pièce en l'air. Elle volette quelques coups avant d'atterrir à nouveau dans sa paume. Quand il retire son autre main, il fait dévoiler le côté pile de la pièce... Et quand on se regarde, on souffle en chœur :

— Droite.

— On va à droite.

— Ça te va ?

— Pas de regards en arrière. Donc... Ouais. Il était temps. Non ?

Il caresse ma joue avant de planter ses doigts avec douceur dans mon menton et m'embrasse.

Tendrement, passionnément, à la folie...

Un homme. Mon homme.

— On y va alors ?

Il me prend par la main, entortillant ses doigts autour des miens et me fait rentrer dans le Pick-up.

Il rentre à son tour et on reste un instant à se regarder en silence. Nos respirations sont superficielles, nos cœurs battant la chamade se rencontrent en harmonie...

On hésite.

Mais étrangement, on n'a jamais été aussi certains de cette hésitation.

On forme un magnifique paradoxe, à nous deux.

— On y va ?

Je replonge mon regard sur la route désertique, le mythe 66... Et tout en m'attachant, je réponds.

— On y va.

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VOILÀ LE DERNIER CHAPITRE PLUS QUE L'ÉPILOGUE 😳😳😳😳

(J'avoue que j'ai passé toute la nuit à l'ecrire celui-là)

Alors en tout cas, à demain pour la dernière partie, surtout finale, de Motel... Gros bisous à vous 💙💙💙

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