chapitre 35 : me déclarer mort
J'avais vu dans ses yeux que quelque chose n'allait pas. Que nos ébats commençaient à ne plus suffire, que les nuits s'enchaînaient, se faisaient plus longues... Mais même si nous quittions nos chambres de plus en plus tard, les non-dits se pesaient.
Nous nous sommes cherchés, nous nous sommes provoqués, des nuits durant, mais pourtant, quand cette connexion s'est faite, j'y ai pris un autre plaisir.
Le jour, quand elle partait, je me surprenais à manquer sa peau, ses lèvres contre les miennes, ses ongles qui s'enfonçaient dans mes poignets, à chaque fois qu'elle prenait le dessus.
Il y avait même une matinée, alors qu'elle était en train de se rhabiller, les faibles rayons du soleil perforant mes stores luisants sur sa peau laiteuse, j'aurais voulu lui dire de rester. Pas pour recommencer notre folie nocturne, mais surtout parce que je me languissais déjà de ses bras.
C'est là que j'ai su que garder nos frustrations et nos complexes en nous, sans rien se dire, était au-delà de l'inimaginable.
Alors on s'était regardé, nos mains nouées, mes yeux plantés dans les siens et les siens plantés dans les miens.
En silence.
Un silence assourdissant...
Un silence qui voulait tout dire.
Et on s'était tout avoué. Nos passés foireux, ce qui nous brisaient... Ce qui nous avait guidé l'un envers l'autre...
Et putain, si j'avais su que me libérer de ces poids allait réveiller tout ce que j'ai enfoui en moi pendant autant d'années...
Et pourtant quand je tourne ma tête vers la frimousse endormie sur mon torse de Sam, je n'ai que de la douleur. Je repose mon regard sur le restant de la pièce silencieuse et me mordille la lèvre. Je n'ai pas le choix. Je n'en ai vraiment pas. Au plus le soleil continue à se lever, au plus je risque...
Alors je n'ai vraiment pas le choix.
Je prends donc une grande inspiration et d'un geste discret, retire son bras qui me barre le torse. Je me glisse en dehors du lit et me fige sur place quand elle se tourne de l'autre côté... Heureusement, ce n'est que pour se blottir contre ses coussins.
Je mime un "je suis désolé" du bout des lèvres et m'éclipse de la chambre.
***
Je ferme la porte de ma chambre et souffle. La culpabilité me tenaille autant qu'un poing qui viendrait saisir mon estomac. Je ne suis ni fatigué, ni affamé ou assoiffé... Je me sens juste coupable. J'en suis si aveuglé que je ne sais même pas où je pose les pieds et butte dans mes sacs. Tandis que je suis en train de me masser le tibia, quelque chose s'en glisse et en plissant je remarque que ce n'est nulle autre que la photo de moi et Shay. Je m'agenouille pour la ramasser et me pince les lèvres quand je fais face au sourire effacé de ma nièce.
Pour elle. Rien que pour elle, j'avais été prêt à laisser mes conneries derrière moi et assumer toute responsabilités... Pour qu'aujourd'hui je répète tout encore et encore ?
Je me redresse, enfoui la photo dans ma poche arrière et me dirige vers la salle de bains où j'avais laissé certains de mes affaires.
Je grimace lorsque je vois mon reflet dans le miroir. Une sale gueule encore tachée de terre et de croutes de sang, complété avec des cernes qui creusent mes joues. L'éclat blanc de mes dents en est presque un intrus.
— Fais chier...
Je tends ma main vers ma tondeuse qui traîne sur le rebord du lavabo et souffle en l'allumant. Le bourdonnement menaçant de la machine fait parsemer ma peau d'appréhension, mais je la porte quand même à ma tête. Les premières mèches qui tombent me font grincer des dents et ça me rappelle la première fois que mon frère et moi avions dû nous raser la tête pour l'académie. Tout le monde pleurait, geignait... Même si on fermait nos gueules quand les officiers commandants passaient.
Mais merde, ce n'est que des cheveux, en échange de ma sécurité.
Les lames coupent mes mèches jusqu'à la racine, faisant saupoudrer le rebord blanc du lavabo de poussière rouge du désert, de sang séché... Et quand je fais couler l'eau, afin de les nettoyer, des taches sanguines viennent le tacher.
J'en rattrape plusieurs, les fourre dans un petit sac en plastique et grogne en passant ma main sur ma tête rasée. Et quand je reviens dans la chambre... Mon cœur se ressert. Un lit vide, saupoudré de rayons de soleil persistants, des affaires au repos... Et la pensée que j'ai laissé Sam seule dans sa chambre, après tout ce qui s'est passé cette nuit me flingue, surtout face à cette solitude.
Mais je l'ai choisi, non ?
***
Une douche. Attacher ma caisse a celle de Sam et une sortie en fanfare. Je pars d'un motel désertique pour m'enfoncer encore plus dans le néant.
Quand je suis arrivé dans cet endroit, il n'y a même pas une semaine, je ne savais pas que j'allais rester. Je l'ai fait et j'en ai payé le prix. Et pourtant, alors que je devrais me précipiter sur la sortie comme un meurtrier, ce que je suis, je me surprend à jeter des regards dans le rétroviseur. Chaque mètre, chaque rebondissement me fait rager.
Mes doigts ripent sur mon volant et je plisse les yeux pour éviter de toiser le soleil éblouissant au-dessus de la route.
Il faut que j'aille suffisamment loin pour arrêter une bonne fois pour tout cet acharnement à mon égard. Je suis même sûr qu'ils sont déjà à ma poursuite...
Je le sais, parce que je me rappelle l'avoir fait moi-même. Je me souviens de ce type qui avait soi-disant causé du tort au groupe, durant son service... Je l'ai traqué. Je l'ai trouvé. Et je l'ai tué.
Le lendemain, on n'en parlait plus.
Et je sais que si je n'avais pas pointé le bout de mon nez avant l'aube, trois autres comme moi auraient pris le relais.
Finalement, je découvre enfin un côté de la route assez embûchée, juste à côté de quelques ravins aux pics rocheux et aiguisés.
Parfait.
J'arrête donc le pick-up de Sam et me dépêche de sortir. Sous moi, le goudron manque de faire fondre mes semelles, tant il est brûlant et rien que l'idée d'une pluie récente semble absurde, chassant tout de suite mes souvenirs avec Sam dans la ville fantôme.
Y compris celui où je la tenais fermement dans mes bras lorsque je l'avais embrassé.
Tout ce qui m'importe maintenant, c'est le corps restant et les mouches qui survolent la bâche qui le referme. Je m'essuie rapidement le nez d'où s'égoutte un fin filet de sueur et abaisse la trappe qui mène au coffre. J'attrape le corps par les bras, le fait tomber lourdement au sol et le traîne jusqu'à ma voiture.
Putain, j'arrive pas à le croire. Ma caisse. Ma Chevy d'amour que je portais tellement dans mon cœur que parfois, j'en oubliais tout le monde. Cobalt, ma vie de merde... Parfois même Shay. Jusqu'à ce qu'elle me vrille un tympan en me criant dessus.
Aujourd'hui, il n'y a plus personne pour faire ça... Et je vais aussi perdre ma caisse.
J'aurais tout perdu, à cause de Cobalt.
J'ouvre la portière, redresse le corps en bandant mes muscles du mieux que je peux et le hisse sur le siège en grognant.
Je rejette la bâche sur le goudron parsemé de vaguelettes de chaleur et soulève ses vêtements craquelants de sang séché. Pas de tatouages, pas de signe apparent... Tant mieux.
Je penche le corps aux yeux vitrés sur le volant, et le parsème de mes cheveux rasés que j'ai rapporté. Je referme la porte et me rapproche du pare-brise en brandissant mon arme.
Mon doigt sur la détente est tout de suite moins assuré. Pour la première fois, je tremble avant de tirer.
— Putain, t'as tué des pères de famille, mais tu peux pas péter ton foutu pare-brise !
Comme si le dire à voix haute me fait réaliser de la débilité de la situation, mon doigt se presse enfin. Trois coups suffisent pour casser la vitre et deux balles viennent éclabousser les débris de cervelle.
— Parfait...
Je range mon arme dans mon pantalon, me penche sur le coffre du pick-up pour attraper le bidon d'essence que j'ai rempli avant de partir et en retire le bouchon. Quand je commence à faire couler le liquide nauséabond sur les pneus et le capot défiguré par les soins de Sam, un petit bruit d'évaporation s'en échappe, tant la chaleur commence à grimper. Je continue, prenant soin de ne pas me tremper au passage avant de rejeter le bidon vidé dans le ravin où il disparaît dans une crevasse.
Je recule de quelques mètres porte ma main à ma poche pour en sortir un briquet, mais tout ce que je touche, c'est la photo de moi et Shay.
Pour la énième fois, je la regarde. Je pense qu'à force de l'avoir fait, ce bout de papier en a perdu toute sa signification. C'était censé être un souvenir de bonheur. L'un de ces trucs insignifiants qu'elle s'était mit en tête de faire.
"Alec, je veux devenir photographe, souris !"
Moi, sourire... Sa première photo était ma main appuyée sur l'objectif où on pouvait m'apercevoir entre deux doigts, boire une bière. Drôle ou pas, jusqu'à sa mort, cette photo était déployée en affiche, dans sa chambre.
Alors des photos, il y en avait plein. Mais ceux où l'on était tous les deux en train de sourire ? Il n'y en avait que deux... L'autre était dans ses bras, quand on l'avait mis en terre.
La seconde s'apprête à être réduite en cendres.
Je porte mon briquet au recoin de la photo déchirée de toute part et après un bref moment où j'embrasse son front une dernière fois, j'y mets le feu.
La photo enflammée lancée sur l'essence versée sur la voiture, s'embrase dans la seconde.
Adieu ma Chevy, adieu mes armes, adieu ma Shay... Adieu moi. Sur la banquette arrière, mon sac rempli de mes papiers et de mon argent commence à fumer sous la chaleur.
Fallait que ce soit réel.
Capitaine Alec Ripper, n'est plus.
Moi ? Non, moi je suis...
Un coup d'œil sur le désert environnant me fait soupirer.
... Rien. Personne.
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Désolée du retard, j'arrive a la fin du manuscrit 2 et ca demande bcp de corrections, j'ai pas bcp de temps 😭😭😭 mais voilà le chapitre de Rip ! Sûrement à demain pour celui de Sam et qui sait... L'épilogue !
(Oui oui, j'écris à six heures du matin après nuit blanche, tout va bien 😂😂)
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