chapitre 30 : je te gène ?
Un peu plus tôt.
Rip me vire. Comme une malpropre. Son ton froid m'a cloué le bec sur place et tout ce que je voulais faire, c'était arquer mon poing et le lui balancer dans la figure.
Mais bon.
Furieuse, je me dirige vers ma voiture qui est réparée à présent et grogne en claquant la porte derrière moi. Je risque un dernier regard sur Rip mais celui-ci a déjà disparu.
Et bien tant mieux. Je vais partir, le laisser à ses problèmes... Et puis merde. Merde, merde, merde ! Je suis restée plus longtemps que prévu, ici, de toute façon... Mon projet m'attend. La route m'attend. La vie, m'attend. Je ne vais pas la passer dans ce motel misérable.
J'aurais dû juste rester trois jours, faire quelques photos...
Et rien de plus.
Rien de plus.
Rien-de-plus.
Cramponnée à mon volant, mes doigts crispés sur le cuir chauffé par le soleil ardent j'essaye de trouver la force en moi pour me redresser et prendre mes clefs de voiture.
Non, non. Allez, Sam. Fais pas la conne.
Je grogne entre mes dents serrées et reprends mes clefs que je me dépêche d'enclencher. Je me prends aussi une cigarette que je m'empresse d'allumer et alors que la fumée toxique vient envahir mes poumons, je m'empresse de démarrer.
C'est dans ce genre de moments que je sais qu'il est vraiment l'heure de partir.
***
Et me revoilà sur la route, mes sacs à l'arrière, une énième cigarette en bouche, la longue route devant moi.
Pour combler le silence que seuls les bruits des pneus sur le goudron fracasse, je tends le bras vers la radio et tourne le bouton au maximum.
Les premières notes de guitare acoustique grésillent et lorsque je me concentre à nouveau sur la route, je remarque pour la première fois mon pare-brise encore cassé.
Sur l'une des fractures, il y a un pansement. Un pansement avec des têtes de pandas.
Et je ne peux m'empêcher de rire. Donc il croyait qu'en foutant un pansement sur le verre brisé, ça allait magiquement se ressouder ?
— Crétin.
Et pourtant je continue bêtement à sourire.
Plusieurs voitures me dépassent et je remarque que ça fait déjà un petit moment que mon pied n'est plus aussi ferme sur la pédale. Tout comme ma volonté de partir. Plus je m'éloigne du motel, plus je prends conscience que ce grand vide à l'intérieur de moi s'accentue. Pourtant, quand j'ose risquer un regard dans le rétroviseur et que j'aperçois au loin, les cactus qui encerclent les édifices du motel, je me re-motive.
Non, il m'a dit de dégager, je dégage. Il n'a pas voulu que je reste, je pars. C'est aussi simple que ça.
ça devrait être aussi simple que ça.
Cependant, je n'arrive pas à me sortir les deux para-militaires de la tête. Je n'arrive pas à oublier leurs holsters chargés, leurs muscles bandés et la malhonnêteté qui embrasait leurs yeux... Peu importe à quel point j'essaye de laisser la musique country me submerger, rien n'y fait.
Absolument rien.
Et quand je vois mon reflet dans le rétroviseur, quand je vois l'indécision briller dans mes yeux... Mon pied change de pédale et tout comme Rip le lendemain de notre première soirée, j'appuie de toutes mes forces dessus. Les pneus de mon pauvre Pick-up, qui ne vit pas ses meilleurs jours, crissent sur le goudron et font tourner la voiture jusqu'à ce qu'elle barre la route. On me klaxonne des deux côtés, mais je m'empresse de me mettre dans la bonne filiale, laissant derrière moi des marques de pneus noircis qui brûlent sous le soleil de plomb.
Je sais que je fais probablement une belle connerie, je sais que je vais probablement le regretter, mais putain ce que c'est plus fort que moi... Et quand je regagne à nouveau le parking, que j'ai en fait à peine quitté, je n'ai même pas attendu que la voiture s'arrête que je saute déjà à l'extérieur. Je laisse ma portière ouverte, y laissant le chapeau que John m'avait confié et contourne les quelques personnes qui sont encore présentes. J'ignore même le coup de coude que j'administre à un homme et saute sur la voiture de Rip.
Évidemment, fermée. J'ai beau tirer sur les poignées, sous les regards désapprobateurs des autres, j'ai beau y mettre mon pied afin de forcer l'ouverture... Rien. Je relâche le tout en jurant quelques insultes peu glorieuses, alors qu'il y a encore des enfants et reprends mon souffle en posant mes mains sur mes hanches.
Tout devient subitement si lourd... Le soleil, l'air sec qui brûle la peau en soufflant... Un faux vent qui pourrait arracher mon épiderme, net de mes pauvres muscles qui n'arrivent pas à ouvrir cette maudite voiture !
— Fais chier...
Et puis je vois Elvis. Près de son camion, avec Ronda qui lui tend une boîte avec des réserves pour la route, il semble être sur le point de partir, lui aussi.
Pas avant que je ne le retienne.
Je me remets à courir, pour la énième fois de la journée à la grande damnation de mes poumons qui ont une capacité pulmonaire d'un enfant de trois ans et me rapproche de ce qui me semble être le vieux couple.
— Elvis ! Est-ce que tu... Tu as...
— Doucement, petite, respire, prends un bon bol d'air, tu vas nous faire une syncope.
Grogne le vieil homme moustachu en posant sa main sur mon dos plié. Je lui fais un petit signe de la main pour lui indiquer que je vais bien, même si mon sang semble vriller dans mes veines. Quand je me redresse enfin, abattant mon t-shirt sur mon ventre à découvert, je fais face à deux regards dubitatifs.
— Si c'est à propos des gars qui sont à la recherche de Rip...
— Je ne peux rien expliquer parce que je n'ai aucune foutue idée de ce qui est en train de se passer, mais j'aurais besoin d'une clef.
— Une clef ?
— Oui, une clef anglaise ou peu importe ce qui servirait à défoncer le coffre d'une voiture ?
Ronda et Elvis s'échangent un regard mi-inquiet, mi-amusé, mais je n'ai pas le temps pour ça et comme une gamine, je commence à sursauter sur place, trépignante.
— Je veux juste un truc lourd ! Tu as un truc lourd à me filer ?
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— J'ai dit que je n'en savais rien... Tout ce que je sais, c'est que c'est un grand malentendu parce que c'est juste pas possible, pas vrai ?
— On ne comprend vraiment rien à ce que tu dis.
Moi non plus. Je sais juste que, là, maintenant, j'ai peur. Et il faut que je fasse rapidement quelque chose pour que ce sentiment dégage de mon être. Je n'ai pas le droit d'avoir peur.
Les Perkins n'ont jamais peur.
Elvis souffle un instant, mais n'en demande pas plus. Il se penche légèrement sur le cabinet de son camion, tend sa main sous les sièges et me donne un objet lourd que je ne saurais décrire, presque à peine soulever.
— Je crois que ça ferait l'affaire ?
— Merci. Merci !
Je leur fais un petit geste de la main en guise d'aurevoir et cours, encore une fois, vers la voiture de Rip. Je la contourne pour atteindre le coffre et en arquant mes bras du mieux que je le peux, j'abats l'objet sur la jointure qui referme la portière. Elle glisse et manque de peu de me fracasser la main, mais un juron plus tard et je suis déjà en train de cabosser la portière.
Rip va me tuer, c'est sûr. Abimer une telle voiture de collection est un réel crime contre l'humanité, je pense.
Mais tant pis.
Et puis enfin, elle s'ouvre. Je jette l'objet sur le bas-côté, range mes cheveux d'un seul côté de ma nuque suintante de sueur et commence à fouiller entre les gros caissons d'armes pour trouver quelque chose de plus discret.
"De plus discret"... Je fais face à une véritable armada et moi, je considère une seule de ces armes "discrets". Un tel coffre pourrait subvenir à la sécurité d'un petit village, sérieusement. Ce qui prouve d'autant plus que j'ai raison de m'inquiéter.
Ce n'est que quand je pose ma main sur une arme plus petite que les fusils que je me redresse et referme ce qui reste du coffre. Ronda et Elvis ont disparu dans le diner et il n'y a plus personne. La dernière voiture a quitté la route et n'est presque plus visible, au loin... Il n'y a que moi.
Il n'y a plus que Rip et ces... Psychopathes.
Mais cette fois-ci, ce n'est pas en courant que je rejoins l'édifice... Ma main tremblante tient à peine l'arme, alors que j'ai pourtant maintes et maintes fois tenus les lourds fusils du ranch. D'un pas lent et pas du tout rythmé avec mon souffle effréné, je monte le long de l'escalier et dépasse les quelques chambres aux portes closes.
Et puis il y a celle de Rip.
Mon cœur fait un triple salto arrière quand je perçois des bruits et des voix profondes de l'autre côté. Je ne comprends pas ce qu'ils se disent, mais je sais que c'est mouvementé. La tension est si palpable que j'en trouve même le courage de poser ma main sur la poignée...
Sauf que quand j'essaye de la tourner pour rentrer... Un petit bruit sec retentit, me paralysant sur place.
Non, ce n'est pas ce que je...
Et puis un autre. Quelque chose... Non, quelqu'un tombe par terre...
J'ouvre la porte et fais face à un premier corps, suintant de sang, inerte sur la petite moquette pourrie de la chambre.
Puis Rip. De dos, tenant une arme fumante sur laquelle est vissée un silencieux, la peau de ses bras recouvert de sang dont la sueur vient la faire égoutter silencieusement sur le sol.
Et un autre cadavre.
Un autre putain de cadavre.
Je devrais prendre mes jambes à mon cou, pas vrai ? Courir, crier, peut-être les deux en même temps... Mais je ne sais pas si c'est parce que l'adrénaline me bloque mes réflexes ou si c'est parce que je n'ai juste plus de forces, mais je reste immobile sur place. Tout comme tout le monde dans cette pièce.
Je parviens néanmoins à faire travailler certains de mes muscles et quand j'entrouvre mes lèvres, un petit chuchotement s'en échappe.
— Je... Je croyais que... Que tu n'allais plus jamais faire ça ?
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Beaucoup de peur, beaucoup d'appréhension des deux côtés, hein ?
Reste à savoir s'ils vont supporter tout ça et ne pas flipper...
À demain pour la suite ! 💙💙
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