chapitre 3 : une connexion
— Voilà votre steak, vos frites et votre coca, mademoiselle. Ça fera quinze dollars.
J'ai à peine perçu les mots de la bouche de la serveuse qui me mets mon plateau devant moi, tellement que la musique résonne dans mes oreilles. J'enlève donc mon casque de ma tête et fouille dans mon portefeuille à la recherche d'un billet de 20 dollars.
— Gardez la monnaie.
La femme sourit, faisant tordre ses bonnes joues rondes et me laisse face à mon dîner. L'odeur de la viande et du fromage fondu sur mes frites peut m'achever à tout instant, je dois me faire violence pour ne pas me jeter sur mon assiette comme une chevronnée... Après tout, ce n'était pas comme si j'étais seule. Ma fourchette et mon couteau en mains, je me mets à couper une part généreuse de mon steak qui m'a l'air d'être de la plus haute qualité, chose surprenante quant à la structure même du diner... Et là, avec cette saveur en bouche, j'ai l'impression que le monde en entier n'existe plus autour de moi... Qu'il n'y a que moi, mes frites, mon steak et ma boisson. Pas de guerre, pas de famine, pas de souffrance, pas de cœurs brisés... Rien que moi et ce petit moment de bonheur.
Il faudrait que j'apprenne à m'arrêter un peu plus souvent.
Un petit regard sur l'extérieur par-delà la vitre du diner me fait à nouveau frissonner. Ce vaste désert semble m'appeler. Le survol des vautours qui brise l'éclat lumineux de la lune ne fait qu'accroître mon envie de vite finir et de sortir prendre des photos. Soudain, autre chose percute mon attention et me fait sortir de ma rêverie. La clochette de la porte du diner résonne et un simple coup d'œil sur la vitre devant moi qui m'indique le reflet du nouvel arrivant.
Mes yeux peinent à décoller de cet homme à l'allure mystérieuse et au regard renfermé.
Je passe une main dans mes cheveux blonds qui retombent en cascade sur mes épaules et essaye de me reconcentrer sur ma nourriture.
Mais comment est-ce possible ?
Cet air obscur qui s'émane de lui, cette magnifique carrure qu'il cache sous des vêtements discrets, mais volatiles... Ses mains dans ses poches qui sont surplombés par un grand tatouage... Tout à fait mon style d'homme. Tout à fait le genre d'homme avec qui j'aimerai passer une nuit fougueuse dans ce motel pourri, juste parce que je sais qu'il saura répondre à toutes mes attentes...
Allez, Sam, calme-toi, tu n'es pas ici pour ça !
Je me racle vite fait la gorge pour pouvoir me débarrasser de cette boule qui me la noue et reprends une bouchée de mon dîner.
— Le retour de Rip ! Tu as décidé de rester, finalement ?
Apparemment, le nouvel arrivant impressionne aussi la serveuse du diner...
Rip.
Son nom résonne dans ma tête et m'assourdit quant au restant de la conversation. Puis une vague de plaisir me submerge quand le petit vent parfumé que le dénommé Rip soulève en passant à côté de moi pour aller s'installer au fond du diner. Je ne peux m'empêcher de relever la tête vers lui alors qu'il se débarrasse de la veste qu'il avait déjà replié sur ses coudes de base... Son teint de peau légèrement bronzé et ses yeux bleus grisés me fait croiser les jambes. À quel moment peut-on être aussi attiré par une autre personne ? Surtout quand on ne le connait pas ? Autant que je le sache, c'est un malade mental qui a tué sa femme et qui cherche à se débarrasser du corps dans le désert de Death Valley...
Il n'y a pas meilleur comme planque, après tout...
Un frisson d'horreur me parcourt l'échine alors que je termine mon repas et je m'installe plus confortablement sur la banquette, mon casque à nouveau sur les oreilles. Mes genoux repliés sur ma poitrine qui ne cesse d'être mise à découvert à cause de mon satané gilet, je passe en revue les dizaines de photos que j'ai faite en journée.
Et puis, je me déconcentre à nouveau.
Son regard, à cet homme sombre et mystérieux, se pose sur moi.
Je ne cache pas que mon plaisir en redouble. Je ne suis peut-être pas une personne très sociable, mais j'aime quand je provoque le même intérêt pour quelqu'un que moi je lui porte.
Et là, ce que je ressent... C'est une connexion.
Je n'ai même pas besoin de relever la tête pour savoir que c'est un regard insistant, car je le sens brûler ma peau comme de l'acide.
Finalement, ce petit motel en bas de route que je portais jusqu'à présent pas bien haut dans mon estime, s'avère être un peu plus intéressant que ce que je ne le pensais...
Alors s'il reste, comme l'a dit la serveuse, moi, je veux bien lui faire comprendre qu'il ne le regrettera pas.
C'était dans une légère tournure de fessier que je suis sorti du diner. Je n'allais pas rester là trop longtemps, j'aime laisser languir, je ne suis pas facile à attraper... Il le comprendra et ça le rendra dingue. C'est mon but, précisément... De rendre les hommes que je trouve intéressant dingue. En deux ans de temps, j'ai rarement autant été attiré par quelqu'un... C'est encore plus rare au premier regard.
Alors Rip aura sa chance.
En attendant, je fais un petit tour pour me calmer.
***
Mon gilet replié sur ma poitrine, je glisse entre les différents bâtiments du motel et y voit la vie défiler. Certaines chambres sont obscures, on n'y voit pas grand-chose, d'autres ont les rideaux tirés... Mais certaines reflètent des vies hors de commun.
C'est l'une des seules choses que j'aime dans les motels. On y voit toute sorte de gens. Des gens des trois quarts des USA qui viennent y faire leur repos pour continuer le lendemain à renaître. Mais dans ces chambrées aux lueurs tamisées, tout semble... S'arrêter. Être mis sur pause, en évidence... Chaque détail est souligné et j'ai envie de tout photographier.
Dans l'une des chambres devant laquelle je passe, un homme est assis sur son lit, essayant une perruque bleue à frange. Un maquillage fin, mais tout de même présent, féminise ses yeux. Du plat de la main, il mime le rythme d'une valse et se laisse lui-même guider dans une danse solitaire.
La prochaine chambre est moins emplie de joie. Un couple, très jeune, se prend la tête sur un sujet dont je perçois difficilement les mots. Leurs gestes de bras, leurs expressions colériques tordants leurs visages, semblent toutefois erronées. Cette dispute, même de là où je me trouve, sent l'amour. Quelque chose de fort, de profond, le style d'amour qui te retourne les entrailles en moins d'une fraction de seconde et qui te scarifie à vie...
Un amour semé d'embûches qui n'arrête pas de montrer de mauvaises facettes, de façon à ce que les personnes concernées aient l'impression qu'elles sont brisées pour l'éternité.
La chambre encore d'après me dévoile plus de passion. Deux femmes qui s'embrassent à pleine bouche, leurs mains fluettes sur le corps quasi dénudée de l'autre... De la sensualité, de l'amour dans chacune de leurs caresses.
Je soupire alors que j'en détourne ma tête et tombe nez à nez avec le jacuzzi du motel. L'eau éclairée dont les bulles sont encore inactives m'attire et après une rapide réflexion, je me décide d'y filer.
C'est peut-être une mauvaise chose, car il n'y a pas plus dangereux qu'une piscine ou un jacuzzi de motel, mais après tout, si leur nourriture m'a surprise, pourquoi pas ça ?
Et puis la nuit est trop belle.
Je l'allume donc et alors que l'eau est en train de chauffer, je me débarrasse doucement de mes affaires. Mon gilet, mon débardeur ainsi que mon short et mes boots y passent pour que je reste simplement en sous-vêtements. Je dépose mon casque et mon téléphone sur mes affaires pliées et enjambe le rebord pour y tremper un pied.
Et alors que la vapeur s'élève dans les cieux, un bruit de pas retente derrière moi brise le silence. Je tourne la tête et j'aperçois le fameux Rip qui semble se diriger vers sa chambre. Puis, il s'arrête quand il m'aperçois.
Nos regards se croisent, se connectent... Encore une fois.
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