chapitre 21 : le lien qui nous unie
Le soleil n'est même pas encore levé que j'ai les mains enfouies dans le moteur de la voiture de Sam. Je n'ai pas pu dormir après hier. Une foutue journée, voilà ce que c'était. Une foutue putain de journée qui avait mal commencé et qui avait fini encore pire.
Tout s'est passé bien trop vite.
L'instant d'avant je la tenais fermement dans mes bras et puis celui d'après.
Je l'ai blessé et je ne sais même pas vraiment comment ni pourquoi. Sa fureur à mon égard m'a rendu impuissant et tout ce que j'ai fait, c'était la regarder partir pieds nus sur la route.
La culpabilité m'a tenaillé et continuer de me tenailler au point où j'essaye de me rattraper comme je peux.
Je m'arrête au bout d'un certain temps, déjà couvert de sueur et souffle en essuyant mon front du revers de ma manche. Je jette un coup d'œil circulaire sur les environs désertiques et tel un enfant dont la curiosité prenait le dessus, je lâche mes affaires sur le sol et ouvre la portière passagère.
Je prends garde que mes mains soient assez propre pour ne pas laisser de traces, ouvre la boîte à gants et me retrouve à nouveau face à toutes ces photographies. Je m'arrête lorsque je vois la fameuse échographie tout au fond et souffle bruyamment. J'hésite avant de la saisir, sentant un nouveau frisson de culpabilité me parcourir, mais je finis quand même par le faire.
Je le vois... C'est un bébé humain, ça. Je sais que je n'y connais pas grand-chose, mais une chose est sûre, c'est que soit Sam me ment, soit un truc horrible a dû se passer.
Et à en juger l'état dans lequel elle est partie, j'opterai peut-être plus sur la seconde option.
Le cœur lourd, je m'apprête à reposer la photo quand une voix retente derrière moi.
— Je ne savais pas que tu allais être père ?
Je me redresse si violemment que j'en cogne la tête sur le toit du pick-up. La douleur insoutenable me vrille le crâne et je ne peux m'empêcher de laisser échapper quelques insultes. Je me masse ma peau dont je suis presque certain que du sang en perle et me redresse vers le propriétaire de la voix qui m'a fait aussi peur. Ce n'est autre qu'Elvis qui se tient devant moi, occupé à faire entortiller le bout de sa bouche pour la courber. Je ne sais pas d'où il est sorti ou encore comment il est arrivé, mais il est là. J'entre-ouvre plusieurs fois la bouche, cherchant mes mots, mais c'est quand ses petits yeux marrons se baissent sur l'échographie que je tiens entre mes mains, que je m'empresse de me justifier.
— Oh non ! Non, non, ce n'est pas à moi...
— Bien entendu. Ce truc pousse dans un utérus... Et je ne pense pas que tu en ais un.
Je sens mes joues me picoter sous la honte et je m'empresse d'enfermer la preuve de ma curiosité trop grande à nouveau dans la boite à gants. Je passe une main gênée dans ma nuque et me laisse appuyer sur la carcasse de la voiture.
— Ne lui dit pas que j'ai fouillé dans sa voiture.
— Oh. Crois-moi, fiston... J'en ai pas grand-chose à faire.
Son franc-parler me cloue sur place et alors qu'il vient contourner le pick-up pour jeter un coup d'œil sur le moteur que je tente toujours et encore de réparer, il grogne.
— C'est encore bien misérable.
— Je sais. Je ne peux pas réparer l'irréparable.
— Oh, ce n'est pas irréparable... C'est juste qu'il faut avoir les compétences pour.
J'en fronce les sourcils, me sentant légèrement attaqué. Je décroise les bras de mon torse et vient rejoindre Elvis qui fait éventer son chapeau de cowboy sur le moteur pour en essuyer la poussière et la suie.
— Je croyais que tu n'allais pas revenir avant des jours ?
— Oh, j'ai eu un petit contretemps en chemin. On m'a dit de ne pas sortir de l'état pour l'instant. D'autres livraisons allaient arriver.
— Et... Tu as choisi de revenir... Ici ?
Je finis ma phrase en indiquant les alentours désertiques. Il ne manquerait plus que la fameuse boule de foin qui traverserait la route au gré de la brise matinale, et ce serait le top. Cet endroit pourrait foutre la chair de poule à ceux qui ne sont pas habitués... À mon ton quelque peu dégoûté, Elvis relève le regard du moteur pour les planter dans les miens. On pourrait croire qu'il était énervé, mais entre ses sourcils broussailleux et sa moustache, c'était difficile à dire. Il marque un petit temps avant de répondre et finit par se tourner lui aussi, vers les environs.
— C'est tout ce que j'ai besoin. La belle vie de la cité ne m'a pas vraiment apporté... J'ai perdu beaucoup en restant parmi les gens.
Non. Pas de la colère, en fin de compte... Plutôt de la peine. De la lassitude, même. Il s'essuie ses mains légèrement couvertes de cambouis sur le revers de son vieux jean et souffle légèrement.
— T'es-tu déjà demandé pourquoi les gens choisissent de partir, Rip ? Pourquoi ils se retrouvent dans ce genre d'endroits, comme tu dis, alors que Las Vegas et ses hôtels exorbitants ne sont même pas à quelques kilomètres d'ici ?
Je devrais savoir la réponse, parce que j'en fais partie... Mais je reste silencieux en attendant la réponse du vieux chauffeur.
— Tout le monde a sa raison, bien sûr... Mais alors que beaucoup craignent le silence et choisissent presque d'installer leurs maisons à côté d'une autoroute, pour être bien certains qu'il y aura toujours assez de nuisance sonore pour ne jamais devoir réfléchir à sa vie, d'autres, préfèrent ceci.
— Comme toi ?
— Et comme ta copine, je pense... Enfin, celle à qui tu fouilles sa vie privée comme si tu en avais reçu l'autorisation.
La honte me submerge au point d'en être si désagréable que j'aurais préféré que le monde s'écroule sous mes pieds. Que je ne revois plus jamais la surface de la terre. Je souffle bruyamment pour essayer de me débarrasser de l'horrible sensation qui me tenaille les organes et relève le regard vers le ciel grisé où le soleil peine à percer. C'est une mauvaise journée. Une parmi tant d'autres. On peut même entendre le tonnerre gronder au loin, dans les nuages chargés.
De la pluie dans le désert... Il n'y en a que quand je passe... Qui sait, j'ai peut-être mon nuage personnel ?
— Je suis désolé.
— Encore une fois, fiston... Je n'en ai rien à faire. Ce serait elle qui devrait entendre tes excuses.
— Je n'ai rien demandé à personne, moi. J'ai juste voulu rester une nuit et après continuer à me casser. Pourquoi est-ce qu'il faut toujours qu'on me casse les couilles ?
Le visage quelque peu sévère d'Elvis se détend et il vient poser sa main sur mon bras pour me rassurer. Il m'adresse, ce que je pense être un sourire et marmonne dans sa moustache fournie.
— Peut-être parce que ce n'est juste pas ce que tu es destiné à faire.
— Ce n'est pas ici que j'ai envie de faire une révélation existentielle. Je peux pas la faire ailleurs ? Voir jamais ?
— Visiblement non. Parce que... Tu as essayé de partir, pas vrai ? Et regarde ce qui est arrivé.
Il m'indique la voiture encore cassée de Sam et continue, l'amusement brillant dans ses prunelles sombres.
— Si ça ce n'est pas un signe de choc, je ne sais pas ce que c'est.
Il a raison, putain. Putain de bordel de merde, j'en ai marre de la vie ! J'ai déjà assez du mal à gérer la mienne... Alors m'emporter dans celle de quelqu'un d'autre est encore pire... Surtout quand on voit ce qui est arrivé à Shay. Pourquoi est-ce qu'on continue de prétendre que c'est une si bonne idée que ça ?
Je me frotte les cheveux d'un geste nerveux et jette des coups d'yeux nerveux à l'édifice de motel, où Sam séjourne. Elvis m'assène un petit coup dans l'épaule qui manque de se déboîter sous sa force et se pointe devant moi pour capter mon entière attention.
— Si je peux te donner un conseil, fiston... C'est si tu as tellement envie de savoir quelque chose à propos d'elle... Tu n'as qu'à lui demander.
— Oh, non... Je ne peux pas faire ça.
— Et bien, tu ne peux pas fouiller dans ses affaires non plus. Alors qu'est-ce que ce sera ? Être honnête, mais mettre ta fierté d'homme de côté ? Ou continuer à être un sacré conna...
— C'est bon, c'est bon, j'ai compris.
Il me laisse après un coup d'œil qui en dit long et me laisse. Il disparaît aussi vite qu'il était apparu. Finalement, lui et Ronda ont ce côté Mary Poppins en commun... Je commence même à croire qu'en réalité, je suis mort et que ce motel est le purgatoire... Tous ceux qui nous entourent, ce ne sont que des esprits, destinés à nous tourmenter ou à nous apporter une meilleure perspective sur notre vie sur Terre. Dans tous les cas, c'est du grand n'importe quoi.
Elvis est à peine partie qu'un énième coup de tonnerre retente au-dessus de moi et qu'une averse immense vient s'abattre sur moi. En l'espace de deux secondes et demi, je me retrouve trempé de la tête aux pieds. Je tente de décoller mon t-shirt collé à ma peau, mais rien à faire.
Putain. Fantastique.
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Qui aurait cru qu'Elvis, derrière sa moustache, soit aussi bon en conseils ?
En tout cas, ça sent le virement de situation... Non ? 🤭
À demain pour le prochain chapitre 💙
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