chapitre 2 : je me barre
Quelque part près de Las Vegas, au Nevada, un peu plus tôt dans la journée.
La matinée perce à peine le désert lorsque j'arrive sur mon lieu de travail, un petit complexe d'hangars d'avions destiné à faire shooter les bourgeois de Las Vegas d'adrénaline. Comme à mon habitude, j'ouvre les portes des hangars et commence directement à vérifier mes machines.
Certains détestent les matinées, passent leur temps à repousser le moment fatidique où il faut repousser les draps et décoller sa tête de l'oreiller.
Pas moi.
Vu que tout le monde, déteste faire ça, moi, je fais l'inverse.
Rien que pour avoir au moins une bonne heure de solitude. Une heure où personne ne vient me péter les couilles et où je me retrouve seul avec mes avions. Ce ne sont bien sûr pas les miens mais ceux de...
— Alec Ripper... Je te croise enfin.
Je n'ai pas besoin de me retourner pour deviner à qui la voix appartient. A la place, je reste là où je suis, concentré sur mes outils et sur le capot ouvert de l'un des avions.
— Tu veux que j'aille où exactement ? Tu me gardes prisonnier.
— Prisonnier ? Dans ce que tu veux faire ? Dans ton élément ? Dans un bel appart à Las Vegas ? Je pense qu'il y a de nombreux prisonniers dans ce monde qui t'envient, alors...
Mon visiteur fait le tour de l'avion et pose sa main en plein sur la vitre. J'essaye de ne pas lui prêter attention, mais c'est plutôt dur à faire...Un homme à la carrure d'un rocher et au visage carré, marqué par des brûlures, c'est assez difficile à ignorer. Ce n'est autre que Loucas, chef de ma section du groupe paramilitaire de Cobalt. Je l'ai rejoint peu après avoir quitté l'armée, après la mort de mon frère, il y a quelques années...
Mais j'ai tour arrêté quand quelque chose d'autre s'est passé.
Eux, par contre, ne m'ont pas quitté. Je suppose que c'est ce qui arrive quand on fait confiance à des gars pas très réglo à qui seuls les plus désespérés des agents du FBI font confiance. Une fois qu'on signe un contrat, il n'y a pas de date de fin.
Même si tout au fond, on en meurt d'épuisement.
C'est mon cas. Chaque jour, j'essaye de les éviter, chaque jour, j'essaye de ne pas les voir... De me concentrer sur mon travail, sur les cris que poussent les femmes des célébrités qui veulent faire un looping ou deux au-dessus du désert et des casinos à Las Vegas. J'en profite pas mal, je ne vais pas mentir... Mais ces hangars, même s'ils sont conçus pour le sport et le grand frisson, sont qu'une couverture, une société de blanchissement pour toutes les activités du groupe Cobalt. Alors toute la passion que j'ai pour les vols en avion, la chasse et l'adrénaline, s'envole dans un éclat.
Je suis pas un gars comme Loucas.
C'est donc dans un soupir que je me redresse enfin vers les yeux insistants de mon visiteur et que je lui réponde.
— Laisse-moi tranquille.
— C'est une menace que j'entends ?
— C'est une prévention. Fous moi la paix, laisse-moi faire mon truc ici et allez-vous en. Il y a d'autres types comme moi, servez-vous d'eux. J'ai fait ce que j'ai à faire, un point, c'est tout.
Un sourire s'étire sur ses lèvres, faisant montrer une canine en moins et il enlève enfin les mains de l'avion. Dans un pas lent, trop lent, il vient me rejoindre et me jauge de ses 1m95 facile, ses bras puissants croisés sur son torse.
— Si tu veux tant partir que ça, Alec... Fallait le dire. Casse-toi, personne ne te retiens... Mais toi et moi, nous savons très bien que tu ne le feras pas.
— Pourquoi ça ?
— Pour elle. Tu refuses de quitter la ville parce qu'elle y est encore.
Une violente envie de lui fourrer mon poing dans les sinus s'empare de moi. Personne a le droit de parler de ça. Absolument personne. Surtout pas Loucas. Mes poings sont si serrés que le seul bruit qui casse le silence tendu entre nous, c'est celui de mes phalanges. Sauf que lui, ça le fait rire.
— C'est bien ce que je pensais. C'est pour ça, qu'on te veut parmi nous, Alec... Cette colère que tu as, cette haine... Tu peux l'utiliser à bon escient ! C'est pour ça que tu avais rejoint Cobalt dans un premier lieu !
— Et pour ça que je l'ai quitté.
Réponds-je aussi sec. Il soupire et ouvre sa veste qui donne sur un Glock dans son pantalon. Il n'en sort cependant qu'un gros cigare et un briquet. Une fois allumé, il me crache toute la fumée sur la figure.
— On aura besoin de toi pour un nouveau contrat. Ce soir. Minuit pétante. On viendra te chercher ici.
Un petit rire s'échappe de ma bouche et enlève la combinaison de pilote que je m'étais enfilé en arrivant. Je la lui mets entre ses mains, en passe une dans mes cheveux débraillés et grogne.
— Sans moi. Je me casse.
— Où est ce que tu vas aller, hein ? T'es comme le restant d'entre nous... Tu reviendras à l'heure indiquée.
— N'y compte pas.
— Je ne te donne même pas une semaine ! Fais gaffe à ce que tu fais, Alec, tu sais qu'on peut te retrouver partout où tu essayeras de fuir !
Mais trop tard, je suis déjà parti.
***
Je n'ai pas pris plus d'affaires de mon appartement que ça. Trois t-shirts, deux pantalons, une chemise à manches courtes, des chaussures, mon passeport, une liasse d'argent qui me permettra d'au moins faire deux tours du monde en jet privé et bien sûr, une photo d'elle.
Loucas avait raison. Partir d'ici, de cette ville, de ces contrées, c'est pas une chose facile. Sauf que je n'ai plus le choix, je ne ferai plus jamais parti de Cobalt, même si derrière moi, je laisse une vie parsemée d'adrénaline et d'une possible reconstruction. Dans un sens, partir est mon meilleur choix pour faire la paix avec moi-même, j'aurai dû le faire bien plus tôt...
Peut-être qu'elle serait encore là, si je l'avais fait.
Je claque la porte de mon appartement derrière moi dans l'esprit que c'est la dernière fois que je connaîtrai le confort dans lequel Cobalt m'a pourtant bien mis, mais ce n'est pas plus mal. Quitte à choisir, je préfère dormir à la rue, plutôt qu'ici. Dans cette ville qui pue le pourri et le pêché, tout ce que j'y vois c'est la souffrance.
Alors je me taille.
Goodbye Cobalt.
Et surtout toute la violence qui l'accompagne.
Je n'aime pas forcément voyager. Je suis plutôt du genre à ne jamais quitter un endroit de ma vie... Je suis né, j'ai grandi et j'ai sincèrement toujours cru que j'allais crever à Las Vegas. Pour quelqu'un qui a vu le déploiement dans les années vengeresses après le neuf septembre, c'est assez ironique, non ? L'armée, je l'ai intégré avec l'arrogance d'un enfant prépubère.
Mais comme chez tout le monde, l'arrogance finit toujours par nous retomber dessus... Le karma nous attaque toujours, à un moment ou un autre.
***
Je n'aime tellement pas voyager que ça ne fait que deux heures que je suis sur la route que l'impatience me fait tapoter mes mains sur le volant de ma vieille Chevrolet Camaro au capot relevé. Le vent de la vitesse dégage les cheveux sur mon front et l'espace d'un petit instant, je me permets de quitter la route des yeux pour regarder le ciel au-dessus de moi. Le soleil, qui brille désormais à son zénith, réfléchit sur mes lunettes de soleil d'aviation et j'essaye de me focaliser sur cette sensation. Ce n'est pas la même adrénaline que celui de mes loopings, mais bon... Ce n'est pas mal non plus. Et puis je peux me le permettre... Sur la Route 66 que j'ai directement emprunté, sachant que ça m'apportera le plus de distance possible entre moi et Las Vegas, il n'y a personne. Personne à part les lézards qui bronzent sur les rochers du désert et les vautours sur les cactus qui guettent la sortie d'un lapin.
Personne... Comme ça fait du bien.
Soudain, le klaxon d'un camion me réveille de ma torpeur et en effet je file droit dessus ! D'un coup de volant, je me remets dans ma tranche de route, pile avant qu'on ne percute et le vent que fait soulever l'énorme engin de transport me retourne les entrailles.
Et pour couronner le tout, mon portable vibre dans ma poche.
— Pas moyen d'être tranquille, putain...
J'accroche l'appareil sur mon tableau de bord et décroche quand le nom de Théo s'affiche.
— Alec ! Où t'es passé, putain ? Raquel est verte de ne pas avoir pu voler avec toi, aujourd'hui ! Si t'es pas là, on va perdre notre plus grand cliente !
— Bonjour à toi aussi, Théo... Puis calme-toi, c'est Vegas, les clients, ça court les rues...
Du bout des dents, je sors une cigarette de la pochette et me l'allume, tout en écoutant mon collègue du hangar râler.
— S'il te plaît, reviens ! T'es le moins chiant de tous ces connards, qu'est-ce que je vais faire sans toi ?
— Un conseil, mon frère... Pars, tant que t'en as encore l'occasion.
— De quoi ?
Je ne lui réponds pas, reprends mon portable et le balance sur la route à côté de moi.
Une bonne chose de faite !
***
C'est quand l'édifice d'un motel ainsi que son enseigne « Palm Tree Motel », percute mon champ de vision que je passe de cent kilomètres/heure à trente. Le choc est plutôt violent, mais je suis parti sans manger et ce diner me fait de l'œil. J'ai toute ma vie pour fuir, pas vrai ? Rien à cirer de cette pseudo-menace de Loucas, qu'il vienne après moi, il va voir...
J'embarque donc dans le parking, me prends mon sac avec mes affaires, mes clefs et saute au-dessus de la portière. Une fois mon sac basculé sur mon dos et mes lunettes enfilés dans le col de ma chemise à manches courtes qui volette sur mon torse nu et les tatouages de mes bras, mon œil virevolte sur les autres occupants. Une horde de bikers sort justement du diner du motel, leurs cuirs lustrés brillants sous le soleil fou, à leurs bras, leurs régulières qui ne manquaient pas moins de tatouages qu'eux... Celui qui semble en être le chef, à en juger ses patchs de président, enlève ses lunettes de ses petits yeux surmontés de gros sourcils et m'adresse une petite salutation avant d'indiquer ma voiture derrière moi.
— Magnifique caisse !
Mon sourire en coin de lèvres lui répond et je file à l'intérieur du diner qu'ils venaient pourtant de quitter. Je suis directement accueilli par une petite clochette et une odeur de café ce qui fait déjà gargouiller mon estomac. Je prends place sur l'un des grands tabouret en cuir rouge qui matche très bien les banquettes près des fenêtres et une femme forte de carrure à la peau chocolatée vient se pointer devant moi, sa cafetière en mains.
— Un beau petit gars qui se ramène ! C'est mon jour de chance.
— Hey, Ronda, je suis là, je te rappelle.
Grogne un homme assis à côté de moi avant que je n'ai eu le temps de répondre à ma serveuse. Celle-ci éclate d'un rire sonore qui fait presque trembler la pièce et lui lance une petite pique en retour.
— Quatre fois en un an que tu passes par mon diner et tu ne sais toujours pas que je ne suis pas intéressé, Elvis ?
— J'aurai essayé !
Ils s'échangent malgré tout un regard tendre qui m'arrache un sourire. Même si la violence est ma première réponse, je suis le premier à repérer les liens forts entre les personnes. Quelque chose que j'ai depuis tout petit... Et qui m'a bien pourri la vie. La dénommé Ronda se reconcentre néanmoins plus sérieusement sur moi et me demande.
— Qu'est-ce que tu veux, mon mignon ?
— Des œufs au plat, un peu de bacon et deux toasts, s'il vous plaît.
— Pour toi, ce sera Ronda.
Et après un clin d'œil elle se tourne vers la cuisine pour commencer à préparer mon repas. J'ai à peine le temps de poser ma tête sur mes pouces pour fermer un peu les yeux, en attendant, qu'Elvis, cet homme au ventre bedonnant qui dépasse sur sa ceinture à boucle de tête de taureau, vient s'asseoir sur le tabouret qui nous séparait.
— C'est quoi ton nom, petit ?
Mon nom. Personne a besoin de le savoir, je n'ai pas du tout envie de commencer à faire mes présentations distingués à des personnes que je ne connais pas. Je réfléchis vite fait et décide de simplement abréger mon nom de famille.
— Rip.
— Dis-moi, Rip, t'as l'air d'être du coin !
— De Vegas.
— De Vegas ? C'est dingue, vingt ans de carrière en tant que routier, vingt ans de Route 66 et pourtant... Pas une fois, je me suis arrêté dans cette ville !
— Tant mieux.
Elvis perd de son sourire qui se voulait pourtant accueillant, face à mon ton froid, mais au lieu de partir, il reprend, un peu plus tendre.
— Alors tu vas où comme ça ?
— J'en sais rien encore. Peut-être au nord. Je verrai quand je reprendrai la route, tout à l'heure.
— Je vais te donner un conseil... Ce motel est réputé pour donner de vraies illuminations sur la vie, t'inquiète pas que je m'y connais ! Alors reste au moins pour la nuit.
C'est peut-être pas une mauvaise idée...
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