chapitre 16 : souvenirs
Quel sacrilège... J'ai vexé la blondinette et ses airs hautains ! Encore avachi par terre, près des marches de l'un des édifices du Palm Tree Motel, une nouvelle bouteille de vodka en main, je la regarde s'éloigner sur la route du désert, avec ma caisse. Ouais, je suis un enculé. Ouais, je lui ai mal parlé. Mais putain, je m'en branle.
Après qu'elle soit partie en furie la veille, à peu près comme maintenant, je suis parti de me coucher dans ma chambre. Mais je ne sais pas si c'était parce que j'ai dormi seul avec les couilles encore pleines ou mon foutu cerveau qui a décidé de se réveiller, mais j'ai encore fait un cauchemar.
Il n'y a quasiment pas une nuit que je compte sans que ces saloperies reviennent. Pas tant des cauchemars, mais plutôt des souvenirs. Et comparés à eux, je préfère mille fois rêver d'un Freddy Krueger enragé et ses griffes en fer éviscérant de l'acier !
Jusqu'à là, la seule anesthésie possible contre eux, c'était le sexe facile, l'alcool ou le boulot et l'adrénaline qui l'accompagnait. C'est ce que Cobalt m'a fourni, après l'armée et la mort de mon frère.
Mais là, même au milieu de nulle part, comme Sam le dit si bien, je n'y échappe pas.
À ces putains de souvenirs qui me rongent la cervelle.
***
Deux ans plus tôt, Las Vegas, Nevada
— Ouvre cette porte.
— Non !
— Shay, je ne me répèterai pas, putain, ouvre cette putain de porte !
— La politesse ?
Je vais péter un câble. Je vais sincèrement péter un câble ! Je suis enfermé en dehors de ma propre maison, à brailler dans le couloir comme un dégénéré... Bon, on a vu pire à Vegas, mais quand bien même. Je reviens de service pour Cobalt, j'ai pas besoin qu'elle me casse encore plus les couilles que Louca et ses conneries...
Je balance mon sac au sol, défait ma veste militaire pour au moins respirer un peu et frappe si fort de mon poing sur le bois que la porte manque de flancher.
— Je te préviens, je défonce la porte !
— Tu ne feras jamais ça.
C'est vrai. Je ne ferai jamais ça. Je l'aime bien trop. Ma colère se mue donc en simple frustration et je détends mes doigts à vif. Je plaque mon front contre la porte et souffle.
— Shay, je t'en supplie... Tu pourras t'enfermer ailleurs si tu veux, mais juste laisse-moi entrer.
Aucune réponse. Je souffle de plus belle et me laisse tomber au sol, la tête contre la porte, mes genoux ramenés à moi.
— Tu pourrais au moins me rapporter une bière ?
— T'as qu'à te le faire.
— J'aimerais, mais je ne peux même pas rentrer dans ma putain de maison !
— Alec.
— Shay.
Réponds-je, empruntant la même tonalité de voix qu'elle. C'est un sanglot qui s'ensuit. Alerté, je tourne la tête vers la porte et demande.
— Shay ? Ça va ?
— Je... Je saigne...
L'adrénaline qui s'injecte dans mes veines me fait sursauter. Je me redresse sur mes jambes comme un kangourou et me remets à frapper sur la porte, plus suppliant encore.
— Ouvre-moi, Shay, je rigole pas ! Dis-moi où tu es blessée ?!
— En... Entre mes jambes... Je ne comprends pas, ça saigne...
Ah. Tout s'explique. Pourquoi c'est à moi qu'il faut que ça arrive, sérieusement ? Je passe une main dans ma nuque et répète une énième fois.
— Laisse-moi, rentrer, je vais t'expliquer.
— Je vais mourir !
— Non. Tu ne vas pas mourir. Mais sérieusement Shay, c'est pas un truc que je peux t'expliquer alors que je suis coincé dans un putain de couloir.
La porte s'ouvre enfin et je tombe nez à nez avec son petit minois en pleurs. Elle tente de s'essuyer ses yeux noirs bouffis à l'aide de son gros pull à capuche de tête de panda. Je balance le restant de mes affaires à l'intérieur et la prends tout de suite dans mes bras, malgré qu'elle étouffe des protestations dans mon ventre.
Ce n'est qu'une gamine, mais elle est toute ma vie.
— Alec, lâche-moi putain !
— Hey, j'ai l'unique droit de prononcer ce mot. Toi, tu te calmes.
La gamine souffle et se détache de moi. Elle déroule en boule et file se réfugier sur le grand canapé au milieu du salon. Elle s'abat sur les coussins et se réfugie dans un gros plaid gris de sorte qu'il n'y a que ses oreilles de panda qui ressortent. Je viens m'asseoir à ses côtés et croise mes doigts sur les genoux.
Je suis un mec. Un mec, putain. Et c'est moi, alors que je passe ma vie à me taper toutes les dévergondées un peu trop bourrées qui viennent à Vegas, ayant presque aucun respect pour la gent féminine, qui va devoir expliquer à une petite de 13 ans qu'elle ne va pas crever.
À mon rayon de soleil à la peau caramel qui m'a permis de ne pas m'écrouler après ce qui s'est passé en Irak. La seule raison pourquoi je ne suis pas revenu pour simplement me tirer une balle dans la tête.
Shay, c'est celle qui retire mon doigt de la détente. Et maintenant, son ventre se retourne contre elle.
— Qu'est-ce qui m'arrive ?
Je tourne ma tête vers elle et aperçoit ses grands yeux briller dans ma direction. Je souffle en passant mes doigts dans ma barbe qu'elle me dit toujours trop broussailleuse.
Comment expliquer ?
Même si je suis en crise dans ma tête, je fais tout ce que je peux pour ne pas lui montrer.
— Alors... Tu... Tu sais que tu grandis...
— Sérieux ?!
— Et tu vas devenir une femme, donc... Et bien une fois par mois, tu auras... Tes règles. Donc, ça. Le sang entre... Bref, tu as compris.
— Je vais saigner tous les mois ?! Et pour combien de temps ?!
— Longtemps.
— Tu as ça, toi ?
Le rire qui s'échappe de ma bouche la vexe et elle me lance un coussin dans la tête. Je l'ai amplement mérité.
— Non. Non, moi je n'ai pas mes règles, une fois par mois.
— Pourquoi ?
— Parce que je suis un homme. Et j'ai d'autres problèmes.
— Comme ?
— ça, je te le dirai que quand tu seras grande. Encore plus grande. Non, tu sais quoi ? Je ne te le dirai jamais, je continuerais à te séquestrer ici et ne laisserai personne s'approcher de toi.
Je la reprends dans mes bras, ignorant ses étouffements et ses petits poings qui me cognent les épaules pour se débattre. Depuis le temps, elle devrait savoir que ce n'est pas ce qui m'arrêtera. Jamais je ne la laisserai tomber, jamais je ne la laisserai partir, jamais je n'autoriserai quoi que ce soit d'arriver à ma gamine adorée.
Elle a déjà suffisamment perdu comme ça, je n'ai pas intérêt à coller sur elle toutes mes débauches.
Ma petite Shay souffle donc dans mon ventre et accepte enfin d'enrouler ses bras autour de ma taille, se blottissant tel un panda contre moi. Je n'ai pas souvent des marques d'affection, venant de sa part, depuis que le plus horrible des sorts lui est tombé dessus comme l'épée de Damoclès. Je peux compter ses étreintes sur le bout de mes doigts.
Je ne suis pas un gars affectif. Loin de là, même. Si je peux éviter les embrassades et les séances de câlins, je le ferai. Mais d'elle ? Ce sont des choses qui me manquent, quand je suis en service. Son odeur enfantine me caresse les narines et réchauffe mon cœur. Ça m'arrache même un petit sourire.
— ça fait mal, Alec.
— Je peux pas dire que je sais, mais... Je sais.
— J'aurai voulu qu'ils soient là. Que maman soit là.
Mon sourire disparaît et la culpabilité revient en galopant. Je n'ai pas envie d'en parler. Je sais qu'elle arrive à un âge où je devrais lui donner plus de détails, mais je préfère crever que de faire ça. Je me sors de son étreinte en me glissant telle une anguille et lui attrape ses mains pour la faire redresser sur ses jambes. Je jette un rapide coup d'œil sur ma montre pour voir l'heure, avant de me rappeler qu'on habite à Las Vegas et que rien ne ferme, et frappe dans mes mains.
— Va te prendre une veste, on sort.
La gamine fronce ses sourcils sur ses yeux sombre et marmonne en enfonçant ses mains dans son gros pull.
— Tu m'entraînes où, encore ?
— Je vais t'emmener au magasin pour t'acheter tout ce dont tu as besoin, enfin, du peu que j'en sait, et après, on va manger.
Le visage pourtant si sombre de Shay s'éclaircit et elle se met à sautiller sur place.
— On pourrait aller...
— Oui, oui, oui, je sais, on ira manger là-bas, si tu veux. Mais tu es sûre ? Parce que la dernière fois, tu avais à peine touché au premier étage du burger.
— Tu finiras.
Elle me contourne et file se réfugier dans sa chambre au bout du salon, claquant la porte derrière elle. Profitant du moment que je suis seul, je me rassieds doucement sur le canapé. J'étends mes jambes devant moi et me pose mes mains sur mon visage, afin de faire le vide dans ma tête. Ma gamine grandit. Et je me retrouve seul, face à cette énorme et lourde responsabilité.
Je l'avais accepté, sans broncher, sans sourciller, mettant de côtés tous mes vices et péchés qui ont fait de moi ce que je suis.
Mais ce genre de choses me font encore peur. J'ai peur de merder, avec elle. Alors qu'elle ne le mérite pas. Je ne lui montre jamais, je souris constamment, j'assume du matin au soir, mais quand sa porte se ferme, quand elle a le dos tourné, je dois littéralement prendre des cours de méditations.
Je dois pas merder.
Je dois pas merder.
Putain, je me le pardonnerai jamais si je foire.
— Alec ? Je t'ai perdu ?
Quand je retire les mains de mon visage, je tombe nez à nez à celui de Shay qui a tout de suite retrouvé plus de vitalité. Elle me tend sa main pour m'aider à me relever, mais peu importe à quel point je la laisse tirer, je bouge autant que Mjölnir quand ce n'est pas Thor ou Captain America qui tentent de le soulever.
— Bouge-toi !
— Tu sais que je t'aime, petite ?
— Tapette.
Je lui ébouriffe les cheveux en guise de vengeance. Je devrais peut-être l'éduquer un peu mieux... Mais je suis incapable de l'engueuler.
Jamais je ne lui ferai du mal.
Et je l'aime comme elle est. Ma petite furie.
Je pourrai pas vivre sans elle.
Je ne pourrai sincèrement pas vivre sans elle.
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Oulalala on en sait quand même vachement plus sur Rip ! Toujours un peu de mystère (parce que ce serait pas amusant sinon 🤭😂) mais un souvenir heureux qui se transforme pourtant en véritable douleur...
À demain pour celui de Sam !
(PS : NOUVELLE COVER A DECOUVRIR DANS LA SOIREEEEEEE)
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