chapitre 15 : changement d'humeur

Énervée, je me couche, énervée, je me réveille. Assaillie par la violente sensation de honte, je peine à décoller mon visage de mes oreillers. Mon drap miteux à vieux motifs fleurs délavé, relevé jusqu'à mon nez, je préfère encore en humer l'odeur terrible qui s'en échappe plutôt que me souvenir de ce qui s'est passé la veille.

Mais j'ai beau me cacher, j'ai beau me tortiller pour m'enfoncer dans le matelas, je ne peux y échapper. À cette montagne russe d'émotions, littéralement qui plus est, que j'ai vécu la veille. J'étais si proche de mon extase, de la profonde passion qui nous avait habité, Rip et moi, que j'avais mis trop de temps à remarquer que le groupe de vieilles dames en maillots de bains au loin, étaient en train de se diriger vers nous... Et quand l'une d'elle avait repêché mon panty déchiré des eaux...

NON. J'ai dit que je n'allais pas y repenser, bon Dieu !

Je grogne dans mon oreiller, exténué. Je ne suis même pas debout que j'ai déjà les jambes qui tremblent.

Foutu Rip. Foutu Rip !

***

Un foulard sur la tête, mon chapeau, mes lunettes de soleil qui prennent environ les trois quarts de mon visage...

J'ai tellement honte que je me suis volontairement transformée dans une femme au foyer bourgeoise qui a donné rendez-vous dans un diner à son amant de trois fois son âge.

Moi, mon amant n'est peut-être pas plus jeune que moi, mais j'ai quand même de quoi me cacher. J'ouvre la porte avec précautions, sauf que bien évidemment, la première chose sur quoi je tombe, c'est le van des vieilles dames. Telles des canaris, elles piaillent devant mon édifice. Je m'apprête à refermer la porte devant moi, quand elles relèvent leurs têtes dans ma direction.

Grillée.

Leurs rires légers se muent dans des chuchotements acerbes à mon égard. L'une d'elle abaisse même ses lunettes de soleil sur le bout de son nez et ses petites prunelles brunes me fusillent du regard comme deux soldats sur le champ de bataille de Verdun. Je n'ai plus le choix. Je dois aller de l'avant.

J'aborde donc un sourire plus que faux et descend les escaliers deux à deux. Je manque peut-être de m'écrouler au passage, mais bon sang ce que j'ai envie de fuir... Puis le moment me paraît comme une éternité. Je passe devant elle et je peux sentir leurs regards ardents me brûler la peau comme des lasers. Je suis fusillée sur place par quatre vieilles dames qui font claquer leurs langues sur leurs dentiers. C'est si oppressant que je manque plusieurs fois de trébucher.

Vieilles carnes.

L'insulte me fuse en tête et fait augmenter la culpabilité qui rongeait déjà suffisamment mon âme. Je suis bien élevée, putain, mon père s'est bien occupé de faire ça... Les personnages âgés ne doivent pas être insultées.

Tout ça, c'est de la faute à Rip. Même si le matin est encore jeune et que le Soleil est à peine présent, je compte bien lui faire partager mon mécontentement.

Justement, je l'aperçois au loin.

Rip est près de la borne d'essence, occupé à remplir le réservoir de sa Chevy. À peine debout, les épaules affaissées et ses lunettes de soleil fermement enfoncées dans ses yeux, il tient une cigarette à bout de lèvres. À cette vue, je m'empresse de venir le rejoindre et grogne en croisant mes mains sur ma poitrine.

— Tu veux tous nous tuer ?

— B'jour aussi...

— J'adore fumer aussi, mais à côté d'une borne d'essence ?

Il souffle toute la fumée sur mon visage avant de lancer le mégot quelque part au loin. Parmi l'odeur de la cigarette, je perçois aussi une pointe agressive d'alcool.

Il est complètement bourré, ou je rêve ?

J'en fronce les sourcils. Ma colère s'estompe et je le regarde avec inquiétude. Il titube en refermant le réservoir, s'appuie sur la portière et détache les derniers boutons de sa chemise en se laissant glisser par terre, sur le sol poussiéreux. Il enfonce sa main dans sa poche, en sort quelques babioles dont trois petites bouteilles de vodka complètement vidées avant de poser ses doigts sur ses clefs de voiture. Je les rattrape de justesse avant que le trousseau me fracasse le front.

— Allez ma grande, file avec ma caisse.

— Non, mais qu'est-ce qui t'arrives ?

— Répondre à cette question n'est pas dans notre contrat, tu me l'as fait bien comprendre. Alors casse-toi.

Je manque d'arquer mon pied et de l'assommer. À la place, je me retiens. Je jette un coup d'œil sur les environs, pour savoir si quelqu'un nous regarde, mais ce motel et son parking sont encore plus désert que la Death Valley à nos côtés. Je soupire sous le coup. Je retire mon chapeau de ma tête et m'agenouille en face de lui. Oui, je devrais partir, oui, il a raison et c'est ce que j'ai moi-même voulu... qu'il ne soit pour moi que ce grand homme sexy qui me sert qu'à une seule chose : me défouler.

Mais bon, Rip n'est pas un mouchoir et j'ai un putain de cœur. Je sais voir quand quelqu'un ne va bien. Il me rend service, alors autant lui donner un peu de dignité.

— Tu veux un conseil ?

— Non.

— Je vais te le donner quand même.

J'ignore son soupir et vient m'asseoir à ses côtés, collant mon bras au sien où figurent les bleus que j'ai laissé sur mon sillage.

— Évite de fumer à côté de l'essence. Il y a des moyens de se tuer un peu plus... Discrets.

— Tu es très utile.

— Je sais.

Je lui accorde un sourire, même s'il ne me regarde pas, trop occupé à broyer du noir de son côté. Mais putain, qu'est-ce qui a bien pu se passer entre notre partie de jambes en l'air en public et maintenant pour qu'il change autant ? Mille et une questions me brûlent la langue et une violente envie de le secouer comme un bananier s'empare de mes muscles. Rip est bourru, il broie du noir quasiment tout le temps depuis que je l'ai aperçu dans ce diner, pas à quelques mètres de là où on se tient. Sauf qu'aujourd'hui, quelque chose d'autre s'empare de lui. Une peine et une tristesse tellement violente que même mon propre cœur en tressaute.

En tout cas, ma colère envers lui s'en est allé.

Je pose ma main sur son genou et lui assure, du mieux que je peux.

— Allez, Rip. Redresse-toi. Je ne sais pas ce qui te mets dans de tels états, mais dis-toi que personne risque de te juger ici. Si la moustache d'Elvis passe, alors tout, mais absolument tout, passe, ici. On est au milieu de nulle part. Pas de jugement. On fuit tous un truc.

— Et qu'est-ce que tu fuis, toi, mademoiselle parfaite ? Je serais bien curieux de savoir quel sac Gucci que tu ne pouvais pas t'acheter t'as fait péter une durite et fuguer de chez tes parents...

Mon sourire s'estompe face à son ton froid. J'ai l'impression de m'être prise une gifle. J'en ai même les joues qui picotent. C'est avec irritation que je pose ma main sur la portière de la Chevy, saisit ses clefs et me redresse.

— Tu sais quoi Rip ? T'as envie de rester là à te bourrer la gueule avec de l'alcool mal dilué ? C'est ton problème.

— C'est ça.

— Mais en ce qui me concerne, t'es qu'un pauvre type.

— Je trinque à tes mots.

— Enculé...

Je l'enjambe et me dirige d'un pas si féroce vers le diner que mes talons en claquent contre les graviers. On ne pourra pas dire que je n'ai pas essayé. D'accord, je ne m'y prends pas toujours bien, mais là, je m'en fous. Je n'ai qu'une seule envie, c'est de prendre mes affaires, ma bouteille d'eau et mon appareil photo et de vite me casser d'ici avant que je ne revienne sur mes pas et lui administre ce coup de pied que je me suis pas autorisée.

Mais merde quoi, c'est quoi son problème ?!

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Ahlalalala quand Rip s'y met, il peut être un véritable connard... Une petite idée pourquoi ce si brusque changement d'humeur ?

Très hâte de vous laisser découvrir son chapitre suivant demain, en tout cas ! 

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