chapitre 11 : appel de la réalité

Il y a des avantages à être une femme. Manipuler les hommes, en fait partie. C'est dingue, même des grands tas de muscles bourrus comme Rip arrivent à se laisser faire une fois qu'on leur met les menottes. 

Dans notre cas, c'est littéral. 

Et le voir ronchonner dans sa barbe ? Je n'aurai pu rêver meilleur début de journée. Une fois qu'Elvis quitte la route déserte avec son grand camion, laissant derrière lui son caisson d'outils à mon réparateur par procuration. 

Défait et frustré, Rip se dandine d'un pied à l'autre. Je sais qu'il a un millier de mots peu glorieux à la bouche, mais j'aime le voir souffrir en silence. Et puis mon téléphone sonne. Je lui fais un signe que je reviens et me mets derrière un mur pour pouvoir regarder l'écran à l'ombre.

Le nom qui s'affiche m'arrache un rire jaune et mon bonheur jusqu'à là difficilement acquis, s'estompe.

Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas s'il faut que je réponde, après tout, ça va faire vraiment longtemps qu'on ne s'est pas parlé...

Mais il faut bien faire de temps en temps abstraction de ce que l'on ressent pour pouvoir enfin mettre un terme à des pages non tournées. Même si à ce stade, c'est le livre que j'ai envie de fermer et jeter dans un feu.

Je soupire lourdement et décroche sur une voix presque déçue.

— Je croyais que tu n'allais encore pas répondre.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Je veux que tu reviennes. S'il te plaît. Abandonnes ce projet fou que tu as, c'est ridicule.

Sa remarque augmente mon irritation déjà gonflée à bloc et je me colle au mur, la paroi rugueuse griffant mon dos.

— ça fait longtemps que tu n'as plus le droit de me dire ce qu'il faut que je fasse.

— Reviens pour le mariage.

Le mariage ? J'ai bien entendu ?!

— Ils... Ils vont se marier ?

— Oui.

Les putains de traîtres. Je me pince l'arête de mon nez et me mord violemment l'intérieur de ma bouche, jusqu'à ce que le gout métallique du sang me l'envahit.

— Réponds-moi, Sam.

— Tu sais quoi, maman ? Va bien te faire foutre, et tant que tu y es, transmets le message à David et Annie.

— Tu...

Mais avant que ma mère ne décide de me sermonner et m'attribuer l'oscar de la meilleure fille de l'année, je raccroche. Mes nerfs sont tellement à vif que je meurs d'envie de détacher mon appareil photo de mon épaule et de le balancer dans le mur, juste pour sentir ma rage s'évacuer de mon corps. Mais je pense que je vais devoir vivre avec pour le restant de ma vie... Peu importe où j'irai, peu importe les paysages que je verrai, ici ou dans le reste du monde, mes choix me poursuivront comme la marque de Caïn. Quant au bonheur que ma sœur Annie partage avec cet enculé de David...

Si je devais venir à leur mariage tout beau, tout rose, c'est seulement pour le pourrir. Je serais même prête à mettre feu à son voile, juste pour pouvoir voir sa jolie chevelure dorée partir en fumée.

Calme-toi, Sam.

Je remets mon chapeau sur la tête et après une petite inspiration pour reprendre mon calme, je reviens sur mes pas.

Et bien sûr, mes yeux se posent directement sur Rip.

Les mains sur ses hanches, dévoilant la bande de son caleçon, ses muscles dorsaux saillants sous son t-shirt noir, il observe de toute part ma voiture cabossée par sa faute. Cet homme a un effet curatif, car mon pas se transforme en trottinements et un sourire renaît sur mon visage.

— Ça va bien se passer. Tu vas t'en sortir.

En guise de réponse, il souffle. Je me hisse sur la pointe de mes pieds et lui embrasse sa joue barbue tout en abaissant ma main sur ses fesses. Je m'apprête à glisser mes doigts dans la poche de son jean quand il se retourne, le front froncé.

— Un peu de tenue, femme !

Je répète mon geste et parviens à saisir ses clefs avant qu'il n'ait le temps de me prendre mon poignet.

— Je vais te prendre ça, aujourd'hui.

La terreur envahit ses yeux quand il s'écrie.

— Ma bagnole ?!

— À ce soir, très cher !

Je lui vole un baiser ironique et m'en vais vers la Chevrolet noire de Rip, même si j'ai vraiment envie de m'attarder sur ses lèvres auxquelles je suis attirée comme un aimant.

— T'as pas intérêt à me la défoncer !

— Tu veux dire encore plus que tu l'as fait tout seul ?

Je pose ma main sur la porte du coffre, mais au moment où je m'apprête à le soulever, Rip vient m'assainir un petit coup sur mon bras. Je me masse la peau en le fusillant du regard, mais son geste est tout de suite accompagné d'une menace.

— Je t'ai bousillé ta bagnole, OK. Je te la répare, OK. Je fais... Tout ce que tu veux, là-dedans...

Complète-t-il en indiquant la rangée de chambres avant de continuer.

— Mais tu ne touches pas à mon coffre.

— Tu caches un corps dedans ?

— Non ! Mais ce sont mes affaires. Puis il y a assez de place pour ton sac à main sur le siège passager.

— Ce n'est pas un sac à main.

— Pas mon coffre. Un point, c'est tout.

Comment résister alors qu'il me fusille du regard ? Un peu plus et je vais sérieusement ouvrir ce coffre, juste pour pouvoir recevoir une fessée. Mais bon, j'ai déjà suffisamment du retard... Je détache donc mes doigts de la poignée et fait une courbette exagérée, faisant voleter mon chapeau pour accentuer mon geste.

— Oui, votre majesté. Je n'y toucherai pas, promis.

— Fais la maligne...

Il s'éloigne de nouveau vers ma voiture et je me retourne vers la sienne.

De ce que j'ai gagné de cette journée... Les muscles de Rip qui s'est transformé en mécanicien et une Camaro de 67... ça fait largement le poids contre l'appel de ma mère. Non ?

***

J'arrête la voiture en bordure du désert alors que le motel est bien derrière moi, à présent. Il n'y a que moi, le soleil brûlant à son zénith, deux nuages blancs et une étendue à l'infinie de rochers rouges. Je retire le clefs du contact et saute par-dessus la portière, mes bottines à talons claquants contre le bitume. Seule. Je suis... Seule. Je prends une grande inspiration et quitte la route pour dévaler la légère pente rocailleuse qui mène au vaste étendue rouge, sur l'une de mes épaules, mon appareil photo et sur l'autre mon sac avec une bouteille d'eau et deux autres objectifs. Le soleil qui cogne contre ma peau me fait un bien fou. De là d'où je viens, un tel soleil est rare et j'ai toujours l'habitude d'avoir le bout de mes doigts rouges de froid... Ici, tout, absolument tout est chaud. Même le bitume de la route derrière moi ondule sous les vagues de chaleur. Je rejoins un petit sentier de graviers, pour éviter les grosses crevasses et les rochers et souffle tout le poids qui trône sur mes poumons.

Mon projet est ridicule.

Moins ridicule que ce foutu mariage.

Je ne sais même pas pourquoi j'ai répondu. À quoi est-ce que je pouvais bien penser, de toute façon ? Entre ma mère et moi... ça fait depuis longtemps que je suis l'ombre de la famille... Et puis quand mon histoire d'amour a commencé, quand je suis passé du mauvais côté de la falaise, je n'ai eu le soutien d'absolument personne.

Je ne vais pas pleurer. Il ne faut pas que je pleure.

Je suis au milieu de l'un des endroits les plus magnifiques au monde, mon appareil photo en main, des cactus de deux mètres et de trois tonnes en face de moi... Je n'ai pas le droit de pleurer. Et puis j'ai déjà suffisamment versé de larmes pour tous ces connards.

Il faut que je passe à autre chose. Que je m'en tienne à mes plans, mes projets, peu importe ce qu'on peut bien penser de moi...

Mais même si mon caractère en acier trempé me dit de continuer à prendre des photos et siffloter légèrement au gré de la brise du midi, je n'en fais pas pour autant. Je m'assieds sur un rocher qui écorche mes genoux et laisse libre cours à mon cœur de tambouriner dans ma poitrine. J'enfouis mon visage dans mes mains et tire un peu sur mes cheveux pour remplacer la douleur qui règne en maître dans mon âme, par une autre.

Les cactus seront les seuls témoins de mes larmes.

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Hellllaaaw ! Les premiers indices sur le passé de Sam tombent, des théories ? 🤔

À demain pour la suite !

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