chapitre 1 : le diner

Quand je me gare sur le parking en face du désert, j'écrase ma cigarette dans le cendrier. Un énième mégot parmi tant d'autres. J'enclenche le frein à main, arrête la musique country qui gazouille en arrière-plan depuis quelques heures et pousse un grand soupir. J'appuie ma tête sur le volant au cuir déchiré de mon vieux pick-up Ford que mon père m'a laissé avant de mourir. Ouais. Tout ce qui me reste de lui, c'est ce vieux tas de ferraille un peu rouillé dont la peinture bleu ciel s'écaille.

Quand je relève la tête vers le motel où je vais séjourner durant les prochains jours, une sensation de désespoir ultime m'envahit. Faut-il que je sois au bout de ma vie, pour que je m'arrête ici... Mais bon, la ville la plus proche est à 100 kilomètres d'ici et la fatigue me submerge. ça fait déjà 50 km que mes paupières menacent de se fermer d'elles même.

L'enseigne « Palm Tree Motel », illuminée par du néon rouge grésille sur le toit de l'édifice et donne une aura tamisée au parking. Quelques voitures, certaines récentes, d'autres non, sont garées près des chambres des occupants, telles des carcasses sans vie qui attendent patiemment leurs maîtres pour renaître. Le motel est composé de plusieurs édifices de deux étages comportant une vingtaine de chambres chaque, et s'étend sur une belle distance afin de débaucher sur un diner encore actif.

Mon ventre qui gargouille m'indique qu'il serait peut-être temps pour moi de lever mes fesses de mon siège, d'aller me réserver une chambre et vite remplir mon estomac vide. Je ne sais pas ce qu'un pitoyable diner de motel sur le bas-côté de la route vaut, mais c'est certainement mieux que les immondes sandwichs jambon/fromage que je me tape depuis deux jours... Il me faut un repas chaud, une boisson fraiche et un bon plumard sur lequel délier mes vertèbres entassées.

Non pas que je m'en plaigne, j'adore voyager.

Après avoir sorti mes clefs du contact, je me penche sur la banquette arrière pour attraper mon sac de voyage, un gilet et sors en claquant la porte. J'enfile vite fait mon vêtement et me dirige vers l'accueil. Cependant, avant de rentrer, je me tourne, face au désert qui s'étend à l'infini de l'autre côté de la route, et je sais tout de suite que finalement, cet endroit n'est pas le pire... Ici, je pourrai pleinement exercer ma plus grande passion... La photographie. Les fleurs de cactus qui se referment doucement au fur et à mesure que la lune monte dans le ciel et ces majestueux murs de pierre qui se dressent sur le sol aride... Un paysage qui n'enchante pas beaucoup de monde, un paysage refoulé et dépourvu d'êtres humains... Tout ce que j'aime. Dès demain, je m'y mets... Dès demain, je file dans cette vaste étendue de rien et encore plus de rien... Pour y trouver quelque chose.

***

Chambre 309... Ah, j'y suis enfin. J'enfile mes clefs dans la porte qui ne s'ouvre qu'une fois que je l'ai enfoncé du bout de mon coude et un relent de moisi me défonce les narines. Même si je respire par la bouche, je la sens encore... Il va falloir s'y habituer, je suppose... Je ferme la porte d'un coup de pied et dépose le trousseau de clefs sur le petit meuble en dessous de la fenêtre qui donne sur le parking. Le gars à l'accueil m'avait filé la première clef qui lui venait sous la main, tant il était concentré par le match de foot diffusé à la télé.

J'aurai pu débarquer un bazooka sur chaque épaule, du sang plein les mains et trois têtes décapitées à la ceinture, qu'il ne m'aurait pas du tout calculé. Dans un sens, je ne vais pas me plaindre, car il m'a donné les clefs de l'un des bâtiments du complexe pas encore habitée...

Seule. Comme ça fait du bien.

Je ne vais cependant pas m'attarder sur mon petit « havre de paix », mon ventre continue à me tirailler ! Alors après avoir saisi mon téléphone, mon casque ainsi que mon portefeuille, je ressors aussitôt.

Je tuerai pour un steak saignant...

D'un pas trottinant, je me dirige vers le diner au bout du parking, mon gilet retombant peu à peu sur mes épaules à nouveau dénudées. Quand je pousse la grande porte transparente, une clochette annonce mon entrée. Tous les clients présents se retournent vers moi. Il n'y quasi que des hommes, surement les chauffards, propriétaires de la rangée de camions dehors... De vieux bonhommes tout ronds qui relèvent leurs casquettes à mon égard, faisant luire leurs sourires malsains. Un gars crache même son tabac à chiquer avant de se pourlécher ses lèvres, mais je n'y prête aucune attention. À la place, je pars m'asseoir sur l'une des banquettes en faux cuir rouge, près de la fenêtre. Mon casque autour du cou, fredonnant la même musique country que celle qui passait à la radio de ma voiture, je commence à passer en revue les plats qui se trouvent sur le menu. À ce stade, tout me donne envie... Je suis même prêt à commander une tour de pancakes, des toasts, des œufs, du bacon bien gras... Puis quand mes yeux se portent sur le plateau de frites et d'anneaux d'oignon avec du cheddar fondu, le tout accompagné d'un steak. Mon choix est fait. Une femme assez ronde sort de derrière le grand comptoir qui donne sur une cuisine, curieusement propre et après avoir sorti son calepin de notes de son tablier tacheté de graisse, elle me demande :

- Qu'est-ce que ça sera, mademoiselle ?

Son grand accent des contrées refoulées du Nevada butte contre mes oreilles et ce n'est qu'une fois que j'ai baissé le volume de ma musique que je lui réponds.

- Je voudrais le menu steak avec supplément cheddar ainsi qu'un grand verre de coca-cola, s'il vous plaît. Avec glaçons.

- Hm hm... Autre chose ?

Je lui fais signe que non et elle s'éloigne après un doux sourire. Je la regarde faire et remarque que sa présence apaise l'endroit. Elle rajoute un petit, je-ne-sais-quoi à toutes ces personnes miteuses qui manquent de se faire couvrir de toiles d'araignées. Qui aurait cru, pourtant ? Une personne aussi bienveillante au milieu de nulle part... Je sens que ce ne sera pas ma seule surprise.

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