BONUS DE NOËL | PARTIE 1

Un an plus tard, aux alentours de Noël, côte Mexicaine.

La passion, une fois consumée, a un goût amer. Tout comme la cendre, après le feu le plus ardent, elle stagne et ne fait que voleter autour de soi.

Et plus je regarde Rip, plus je passe mes doigts sur sa peau, plus j'ai l'impression de le perdre, comme cette même cendre. Une flamme éteinte qui avait jadis eu le don de me brûler dans tous les sens du terme.

Aujourd'hui, l'anxiété me ronge à un tel point que je perds le goût des choses. Une détresse pareille à nulle autre qui ne s'exprime pas avec des mots. Et si j'essaye de me focaliser sur les rivages que nous avons choisi de sillonner... Sur la tonne de photos que je prends... Sur les alliances et les vœux qui nous unissent... Il n'y a rien à faire. La douleur éclipse le soleil qui fait peut-être plus partie de ma vie que l'homme que j'ai épousé sur ces rochers Mexicains, il y a déjà quelques mois.

Bordel.

Enfoncée dans mon siège, une cigarette déjà bien entamée pendue à l'aurore de mes lèvres, je laisse la nuit défiler autour de moi. Les lueurs des réverbères sillonnant les flancs de l'autoroute déserte captent mon regard et privent mes paupières de se fermer. L'épilepsie menace de s'emparer de mon être. Une secousse, une seule et je m'en vais. La seule chose qui me retient, c'est la main de Rip, enfoncée dans la mienne.

Je me redresse finement, oblique vers lui un regard et passe des doigts invisibles sur ses traits dessinés. Malgré l'obscurité, je le vois comme s'il était en plein jour. Le regard rivé sur la route, il ne cligne même pas des yeux. Ses sourcils froncés, augmente le macabre qui l'entoure. Rip a toujours eu sa part d'ombre, mais à présent, c'est comme si un manteau funèbre l'enveloppait.

Depuis trois semaines, ses railleries habituelles se sont simplement muées en silence. Et même si je le provoque, comme à mon habitude, il ne le relève pas.

Et je déteste ça.

Je prends donc une grande inspiration et rejette ma cigarette par la fenêtre de cette voiture qu'on avait acheté à un gars plutôt douteux, il y a trois semaines à Juárez. Voilà encore un souvenir embrumé de mauvais alcool et de sexe intense sur un toit d'un hôtel alors que le soleil se couchait. Un souvenir identique à tant d'autres et pourtant si unique.

Rien à voir avec la torpeur incompréhensible qui fait partie de ces moments infernaux que je vis.

Je croise mes doigts plus fermement autour des siens pour attirer un minimum son attention de la route, mais quand je vois qu'il n'obtempère pas, je prends tout mon courage et énonce son prénom :

- Alec ?

- Hm ?

Ce n'est qu'un banal son. Même pas un mot. Toutefois, sa profondeur fait parsemer mon épiderme d'un bref frisson. Tout comme le manque d'envie qui semble prôner.

- On devrait s'arrêter.

- Non. Si on continue, on sera au port d'ici demain matin.

- Et moi je dis qu'on va s'arrêter.

Il grogne et je lâche enfin sa main. Je me penche sur la banquette arrière de mon pick-up et rattrape mon sac à main en cuir tressé pour en sortir une carte. Les routes mexicaines s'étalent sur les pans gigantesques, mais aussi devant les yeux plissés de Rip qui tente à tout prix de les repousser pour parvenir à garder son attention sur la route.

- Sam, tu m'aveugles, là.

J'ignore sa main tout comme sa remarque et allume la lumière au-dessus de nous pour chercher des points d'arrêt. Les nuits sont longues. Merveilleuses, oui, mais seulement quand on les passe avec quelqu'un qui en a quelque chose à foutre. J'ai aimé et chéri tous ces moments, jusqu'à présent. Me lever alors que le soleil faisait l'inverse, capturer ces paysages inédits avec mon appareil photo, entendre Rip râler parce qu'il jugeait que je n'en profitais pas assez, tant que mes rétines étaient cousues à mes objectifs...

Mais cette nuit est éternelle. Et je n'ai pas l'éternité devant moi.

C'est donc à contre-cœur que je pointe du doigt un insigne sur la carte dépliée et que j'ordonne à mon mari :

- Il y a un motel, à vingt minutes d'ici. On y va.

- C'est une blague ?

- J'ai l'air de plaisanter ?

Rip n'ose pas me regarder et tant mieux. Mon sac à main risque de faire quelques ravages.

- On va prendre du retard.

Me prévient-il en louchant sur moi, tandis que je replie la carte. Je croise ses prunelles séraphiques qui sont plutôt obsidiennes sous la nuit, mais ne leur prête aucune attention.

- Je m'en branle, Rip. Sérieux.

Je glisse une nouvelle cigarette entre mes lèvres en la sortant de son paquet froissé et presse mon doigt sur le bouton défectueux de la radio qui vient tout de suite briser la tension entre nous à coup de volumineuses notes de musique.

Et puis merde.

Y'en a marre, après tout.

***

J'ai connu mon lot de motels, depuis Palm Tree. Certains étaient luxueux. Avec des draps frais, des chaînes de télé développées jusqu'à s'en faire des crampes aux pouces, des petits déjeuners à s'en faire exploser le ventre. Des peignoirs voluptueux dans lesquels Rip et moi nous nous enveloppions comme dans des nuages de coton.

Malheureusement, d'autres étaient bien plus pourris.

Remplis de cafards, de tapisseries datant du siècle dernier... Sans parler des murs fins pouvant faire parvenir toute sorte de cris. Des cris qu'aucun être humain ne voudrait entendre, d'ailleurs.

Mais parmi toutes ces habitations éphémères, rien ne vaut ce que j'ai sous les yeux.

Le vent frais du soir vient balayer les ondulations dorées de mes épaules dénudées alors que je reste plantée sur le parking désertique du motel.

Enfin, désertique...

Ce n'est pas vraiment surprenant, à en juger les décorations de Noël qui ne conviennent absolument pas à cet environnement purement mexicain. Un bonhomme de neige gonflable semble s'incliner en face de moi, tandis que j'ai les yeux rivés sur le seul van noir garé devant l'une des chambres. L'escalier rouillé sous lequel il se trouve mène à à peine cinq petites chambres étroites.

À part ça, il n'y a rien.

La route est loin, il n'y a qu'une allée sablonneuse qui mène à ce flanc de colline miteux sur lequel flambe le motel Merida.

Du moins, ça, c'est ce qu'il essaye de faire.

Les trois quarts des insignes néons ne brillent plus. D'ailleurs le panneau du motel ne comporte plus le mot "bienvenidos", juste le nom. Comme si cet endroit était un mausolée et non un hébergement pour les touristes.

C'était une mauvaise idée. Une très mauvaise idée.

Malheureusement, quand je me tourne vers la voiture, je tombe nez à nez avec Rip qui range son portefeuille. Son t-shirt à peine enfoncé dans son jean élimé volète légèrement sur son ventre, tout comme le font ses cheveux sur son front. Un rythme régulier crée par ce vieux soir de décembre.

Rip ouvre en grand ses bras, forçant ses biceps à se rouler sous son vêtement, et me lance un sourire ironique.

- Tu es satisfaite, Samy ? De cet endroit ? C'est ça que tu préfères avant d'aller à Costa Rica ?

- Tu as pris deux chambres, j'espère ?

Son froncement de sourcils m'indique le contraire et je souffle.

- Super.

- Pourquoi faudrait-il que je prenne deux chambres ? Je pense que l'une d'elle suffit clairement pour une génération.

Grogne-t-il en lorgnant les chambres à nos côtés. Je lui arrache les clefs de sa main et me dirige vers le chiffre qu'ils portent, lui laissant nos affaires.

Il me rattrape en quelques foulées de pas et marmonne entre ses dents grinçantes :

- Pourquoi j'ai l'impression que j'ai fait quelque chose de mal ?

- Parce qu'un cerveau vit quelque part aux tréfonds de ta cavité cérébrale. Aussi étonnant que ça puisse paraître.

- Sam...

- Je suis fatiguée, je vais dormir.

Coupé-je avant qu'il n'ai le temps de trouver quelque chose à répliquer. J'ouvre la porte de la chambre qui claque directement contre un mur et ignore l'odeur impétueuse pour venir allumer la lumière sur l'une des grandes lampes. La faible lueur qui en sort me permet de distinguer le sol rêche sous mes pieds et le tapis arraché qui laisse paraître quelques zones de bois pourri.

- Tu es sûre que tu as envie de dormir ?

Rip ferme la porte derrière lui et retire son t-shirt, que pour en prendre un autre, propre. Je le regarde faire en me rasseyant, croise mes mains sur mes genoux et plisse les yeux à demi. Même si la faible lumière éclaire les traits musclés et dessinés de son torse et que d'ordinaire, je me dépêcherai de passer mes doigts dessus, je m'abstiens et parviens même à trouver le courage afin de lancer :

- Alec, c'est quoi ton problème ?

Rip se fige sur place pendant l'espace d'une infernale seconde, avant de hausser les épaules et de ricaner d'un ton mauvais :

- Je n'en ai pas. Mais toi, si, apparemment.

- Ça fait des jours que tu ne m'adresses presque plus la parole, tu...

- Putain, je le savais... C'est toujours et encore la même chose, avec toi.

Mes lèvres se soudent sous son agacement qui le force à balancer un sac dans un coin de la pièce. Il passe sa main dans la barbe recouvrant ses joues et me fait face.

Il change, d'un extrême à l'autre.

Et plus rien n'existe, à partir de là.

- Tu veux dire quoi, par-là ? Que je deviens sénile ?

- Non, Sam, putain, tu n'es pas sénile. Tu me fais juste chier. Quoi, j'aurais changé, c'est ça ? Tout ça parce que je parle pas autant que toi ? Je n'aime juste pas faire ça. Pourquoi tu ne t'habitues pas ? Je sais pas... Prends exemple.

Sa pique est jetée comme un cobra jetterait son venin. Je m'apprête à ouvrir la bouche pour répliquer, mais il vient s'asseoir sur le lit. Son poids enfonce même le matelas et fait grincer les ressorts rouillés qui le composent.

- Bref. Ça ne sert à rien de se disputer.

- Encore un truc qui doit être insupportable chez-moi, pas vrai ?

- Comment tu as deviné ?

Raille-t-il en braquant un regard sévère sur moi. J'enfonce mes ongles dans la chair de mes cuisses dénudées et laisse libre-court à ma fantaisie pour imaginer toutes sortes de gifles. Mais même lorsqu'il plisse les lèvres et que les poils de sa moustache se mettent à frémir sous le coup de la culpabilité, ou encore lorsqu'il tend la main dans ma direction, je me redresse. La confusion et la colère s'emmêlent dans mon ventre qui recrache à son tour le venin qu'il vient de recevoir. Une boule amère se noue dans ma gorge alors que je lui fais face. Incapable de trouver les mots adéquats pour une telle tête de con.

- Tu sais quoi ? Je vais aller m'occuper de la deuxième chambre. Toi, tu dormiras ici. Avec ton lot de cafards.

- Sam, ce n'est pas ce que je voulais dire, arrête d'être...

- D'être quoi ? Dis-moi, Rip ? Qu'est-ce que je pourrai bien être de plus, à tes yeux, hormis l'hystérique que tu décris ?

- Impulsive.

- Ouais. Ben je croyais que tu le savais déjà ça. Quand je t'ai aidé à enterrer des putains de cadavres dans le désert ! Quel magnifique mariage nous avons, là.

- Reviens t'asseoir.

- Vous me donnez un ordre, capitaine Ripper ? Parce que si non, je vous emmerde.

- Bordel, Sam, je...

Mais c'est trop tard. Je ramasse les sacs qui m'appartiennent et claque violemment la porte de la chambre miteuse derrière moi. Énervée, je dégringole le long des escaliers, passe à côté de notre voiture ainsi que le grand van noir qui a connu de bien meilleurs jours et me dirige tout droit vers l'accueil du motel, surmonté de quelques guirlandes de Noël.

Tu parles d'un foutu Noël...

Je vais passer mon réveillon à regarder des conneries de films en insultant l'homme qui me sert de mari de tous les sales trucs que je connais.

Mes yeux sont si plissés sous la colère que je ne distingue pas l'entrée du diner à celle de l'accueil. Je pousse donc la porte vitrée cachée par des volets tirés et fait irruption dans une pièce illuminée à l'aveugle.

Et il me faut une demi-seconde pour réaliser qu'il n'y a que quatre hommes présents autour d'une table, coupant de la cocaïne sur les plans décorés, tandis qu'une petite musique mexicaine retentit en fond.

La main toujours posée sur la poignée, je me fige devant la scène.

Mes muscles se raidissent, mon souffle se bloque... Et dans une seconde, mes jambes se déroberont sous moi.

L'un des hommes, le plus grand d'autre eux, porte un bonnet de père Noël sur son crâne rasé de près. Des tatouages longent le long de sa joue et partent se cacher sous le col repassé de sa chemise blanche repliée. Assis jusqu'à là sur le comptoir du diner, une cigarette à la bouche, il se laisse glisser sur le carrelage noir et blanc et dans un claquement de doigts, il ordonne à l'un des autres gars d'éteindre la musique.

Il n'y a plus que le silence.

Et son sourire éclatant.

- Ho ho ho... On dirait que le père Noël a été en avance, les gars...

Et voilà ! Après plus de cinq mois, à présent, Sam et Rip reviennent pour ce bonus de Noël ! Ça m'a trop manqué d'écrire sur ce livre et vu que j'ai atteins les 1k lecteurs sur les premiers chapitres, je me suis dit : comment vous remercier ?

Alors voici le bonus de Noël ! Il sera en trois chapitres et ce sera... Intense !

Parce que s'il y a bien une chose que je déteste, c'est Noël, mais bon, j'aime bien les ruiner (pour ceux qui lisent actuellement Winter, vous comprenez 😂)

Alors ruinons celui des Ripper's 😊🖤💀

Qu'en avez vous pensé ?

À mercredi pour le PDV de notre con adoré 🥰🖤💀

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top