Chapitre 3 ~ Lui

J'ai regardé Edward sans comprendre :
"Que voulez-vous dire ?"
Il a éclaté d'un rire sans joie :
"Votre père a signé un accord pour que vous épousiez Monsieur Gein. Seulement, il n'a pas précisé lequel."
Tandis que l'horreur se peignait sur mon visage, il posa sa main avec douceur sur mon épaule :
"Ma chère Serena, laissez-moi vous raconter une histoire."
Il me força à m'asseoir dans une chaise et commença :
"Il était une fois une femme et un homme qui s'aimaient. Ils eurent deux enfants ensemble. Seulement, le deuxième était né... Différent. Il ne pleurait jamais lorsqu'il était bébé. Cette différence provoqua un sentiment d'horreur chez la mère de cet enfant. Elle ne supportait pas de le voir, elle déléguait toutes les tâches se rapportant à l'enfant à la nourrice de ses fils. Au fil des années, cette répulsion se transforma en haine. Elle haïssait son fils cadet, souhaitant de tout son être qu'il meure. Elle commença à le frapper. Au début ce n'était que des claques sèches, sans sentiments, mais elles se transformèrent en coups de bâtons, ou même de fouet lorsqu'il faisait une bêtise que font tous les enfants."
J'ai froncé les sourcils :
"Mais... Et votre père ?
-Il n'était jamais là, toujours absent. Je crois qu'il souhaitait en savoir le moins possible sur cette histoire, mais lorsqu'il était là sa femme n'osait rien faire au plus jeune de leurs fils. Puis, il est mort. Et ce fut encore pire. Finalement, la mort de cette femme fut presque une libération pour ces enfants."
J'ai frissonné. Quelle mère atroce ils avaient !!! Cet... Henry battu durant son enfance éveillait en moi un étrange sentiment de pitié. Edward reprit :
"Le frère aîné prit grand soin de son petit frère. Il s'occupa de tous ses besoins, s'assurant qu'il aille toujours bien."
Il me regarda dans les yeux :
"Serena vous êtes une femme fantastique. Mon frère est un homme gentil et bon, je puis vous l'assurer !"
Je me suis relevée :
"Mais c'est toi que j'aime Edward ! Ne le comprends-tu donc pas ? Je ne veux pas épouser ton frère je veux t'épouser toi !"
J'étais passé au tutoiement tout naturellement.
Edward leva les sourcils au ciel :
"Je ne suis pas intéressé par le mariage, je suis sincèrement désolé."
Il s'apprêtait à quitter la pièce quand j'ai dit à voix basse :
"Tu as joué la comédie tout ce temps ?"
Sans se retourner, il haussa les épaules en disant :
"Bien sûr!"
Il me laissa dans son bureau, seule, désemparée et en larmes.

***

La lecture avait toujours été source de réconfort pour moi. Elle m'apaisait, calmait tous mes maux. Lorsque j'étais petite et que le ton montait entre mes parents, ce qui arrivait souvent, généralement à cause d'une femme, je montais dans ma chambre et je me pelotonnais dans mon lit, mon livre à la main. Ainsi, j'étais invincible. Je me plongeais dans des histoires invraisemblables, dans des histoires d'amour passionnées et des histoires de fantôme terrifiantes. Je crois que c'est cet amour de la lecture qui m'a poussé à demander à Nelly (la femme s'étant occupé de moi à mon réveil) s'il y avait une bibliothèque. Elle avait acquiescé et, sans un mot, m'y avait conduit. La bibliothèque était immense ! Je n'en avais jamais vu de telle. Les murs étaient recouverts de livres. De gros fauteuils d'apparence fort confortable trônaient au milieu de la pièce et ne semblait qu'attendre une personne pour qu'elle s'asseye. Il était là, lui aussi. Cet homme. Il paraissait plongé dans son livre, au point de ne même pas avoir remarqué ma présence. J'ai hésité à repartir, mais finalement l'attrait de ces livres fut plus fort que tout. J'en pris un au hasard et m'assit. J'avais du mal à me concentrer sur ma lecture en sachant qui était mon voisin.

J'ai fini par relever la tête. Certes il était beau. Il fallait le lui concéder. Ses traits étaient doux, presque enfantins, ceux d'Edward étaient plus marqués et plus durs. Mais, sa couleur... J'ai frissonné. Ce n'était pas naturel. Sa mère avait dû commettre de bien mauvaises choses pour qu'il se retrouve dans cet état là. Il a alors soudain parlé :
"Que lisez-vous mademoiselle ?"
J'ai sursauté. Il n'avait même pas levé les yeux de sa lecture. J'ai hésité :
"Oh et bien, ce n'est guère important je... Je ne voulais pas vous déranger!
-Vous ne me dérangez pas."
Il a levé la tête. Ses yeux bleus étaient profonds. J'ai cligné des yeux et me suis sentie rougir, gênée d'être fixée de la sorte. Le silence qui s'était installé devenait dérangeant. J'ai murmuré :
"Ils sont à vous tous ces livres ?"
Il a acquiescé :
"Oui. Edward n'a jamais aimé lire. Cela ne plaisait guère à notre mère."
Aucune émotion n'était visible sur le visage du jeune homme. Ni joie ni tristesse. Il se racla la gorge :
"Vous... Vous vous appelez Serena ?
-Oui. Et vous Henry ?
-C'est ça."
Difficile de faire une conversation plus ennuyante ! Il me demanda :
"Connaissez-vous Maupassant ?"
J'ai hoché la tête négativement. Il sourit, mettant clairement terme à la discussion :
"C'est un auteur français. Comme je suppose que vous ne parlez pas français, je vous traduirais l'une de ses nouvelles la prochaine fois !"
Je suis donc partie de la bibliothèque, encore toute chamboulée par ce garçon bizarre.

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