Chapitre 09
C'est lorsque Neige est entièrement ensevelie sous cette terre que je prends réellement conscience qu'elle n'est plus de ce monde. Les règles du cycle de la vie s'appliquent aux plantes, aux animaux, aux hommes et bien sûr aux miennes. Nous ne faisons pas exception. Je serre dans mes bras Ashley qui est en larmes devant cette triste perte. Elle s'y est beaucoup attachée, de même pour moi. Ce fut un choc de la voir dans les bras de Aust, transpercée par un énorme trou. Au début je pensais que c'était lui l'auteur de ce méfait, mais sa tristesse me prouvait le contraire. Il se force à sourire, c'est flagrant. Les coins de sa bouche tremble, il retient les mêmes sanglots qu'Ashley exprime ouvertement. Est-ce parce que ce n'est qu'un humain ? Une larme roule de ma joue et Wake me la retire du bout du doigt avec un sourire compatissant. Il ne peut pas comprendre. Il n'a pas passé autant de temps que nous avec cette mienne plus joyeuse que quiconque. Nous baissons la tête pour prier Galia pour qu'il accueille comme il se doit l'un des enfants de l'Éfrisis.
Après ce temps de prière, Ashley se précipite dans les buissons et en ressort avec un bouquet de fleur de fortune. Je sourie tendrement et la regarde le poser sur la bosse formée par l'enterrement.
- Neige, je resterai aussi souriante que toi. déclare-t-elle tandis que ses lèvres s'étirent.
Aust se tourne vers nous une fois ces funérailles occasionnelles achevées et dit qu'il est temps pour nous d'aller manger. Ma soeur saute sur place et acquiesce enthousiaste. Je ne me souviens pas que Ashley est aussi forte intérieurement. Sourire comme ça alors qu'elle vient de perdre quelqu'un à qui elle tient beaucoup est quelque chose que je n'aurai jamais cru voir chez elle. Au fond de moi ça me soulage et me rend triste en même temps. Je vais pouvoir la laisser grandir d'elle-même, elle évoluera d'elle-même. Cependant je ne lui serai plus d'aucune utilité un jour. Je n'aurai plus de raison de vivre si je ne peux plus la protéger. Elle se trouvera un loup digne d'elle, élèvera seule comme une grande ses louveteaux, et moi, je serai à côté à l'observer faire. La question de la mère de notre guide de route me revient en tête : "N'as-tu jamais pensé à vivre en tant qu'humaine ?" À ce stade-là, j'hésite encore. Ça me plairait peut être, tout comme me plairait de vivre toute ma vie en tant que loup. Mais si Ashley décide de vivre en tant que louve, je me retrouverai donc seule. La solitude me fait peur.
Je les suis hors de la forêt ne manquant pas de prendre mes distance avec Aust. Jamais je ne pourrai vivre avec lui. Je ne lui fais plus confiance, et je ne lui ferai plus confiance. Il m'a mentie, c'est impardonnable. Je ne veux plus jamais lui adresser la parole. Malgré ça, pourquoi je ne peux pas m'empêcher de lui lancer des regards furtifs ? Mes yeux sont comme attirés par lui. Et quand je m'en rends compte, il est trop tard, mon coeur commence déjà à se serrer. Quel est ce sentiment désagréable ?
Nous entrons dans un restaurant où l'odeur de la viande me fait immédiatement saliver et nous nous installons à une table suite à la proposition d'un serveur. Il nous offre les cartes des plats et je me fige en me souvenant d'un détail essentiel. Je ne sais pas lire. Et il en va de même pour Ashley. Nous nous regardons tandis qu'en face de moi, Aust manque d'éclater de rire. Il a vite comprit notre dilemme. Non ! Je ne dois pas lui adresser la parole ! C'est hors de question. Ma benjamine n'hésite pas à faire ce que je m'interdis tandis qu'en face d'elle, Wake lit tranquillement les pages avec des yeux brillants. — Lui il sait lire. Alors que je m'apprête à lui demander son aide, le serveur arrive avec son bloc-note miniature pour prendre nos commandes. L'humain se lance le premier et énonce tout ce qu'il souhaite manger, Wake fait de même, Ashley ne sachant pas quoi prendre laisse Aust choisir pour elle puis vient mon tour.
- Que vas-tu prendre Sony ? me demande ce dernier.
Je suis sûre qu'il sait que je refuse de lui parler. Après le coup bas qu'il m'a fait la dernière fois, en l'occurrence la veille, il sait pertinemment que je lui en veux encore, toujours et à jamais. Je l'ignore et ne dis pas un mot.
- Bon tant pis. Servez-lui un gros bol de tomates cerises, elle adore ça. dit-il au serveur.
Non ! Tout sauf les boules rouges ! Ça gicle partout et c'est acide ! Prise par impulsion, je me lève en tapant sur ma table.
- Non ! Pas ça !
Il rit et le serveur nous regard confus se demandant ce qu'il devait vraiment prendre pour moi.
- Alors que veux-tu ? répète mon voisin de face.
Si j'étais un loup je lui aurai sans doute montré les dents. Mais sous forme humaine, faire ça en revient à faire soit une grimace soit un sourire. Et ni l'un ni l'autre ne fait partie de mes options. Je me rassois et le regarde timidement. — Il a gagné la bataille mais pas la guerre.
- Ils font du boeuf ? questionné-je d'une petite voix.
- Oui, me répond-t-il. Il retourne son attention au serveur. Une côte de boeuf bien rouge pour la demoiselle.
Le serveur hoche la tête et nous quitte. Aust me sourit et se penche sur la table.
- Tu m'as enfin parlé. dit-il avec un grain de soulagement.
Ma gorge s'étrangle et un malaise me submerge. Je ne dois pas culpabiliser. Il l'a cherché il n'a que ce qu'il mérite. Pourquoi il serait contente de m'entendre lui parler alors que depuis le début il me ment. Il me perturbe beaucoup trop. Si c'est pour me sentir aussi chamboulée lorsque ça le concerne, j'aurai préféré ne jamais le rencontrer. Je n'aime pas le fait que je me focalise autant sur lui. Ça ne m'était jamais arrivé avant. Cela doit cesser. Je dois rentrer à la meute au plus vite. Je détourne la tête pour l'ignorer une nouvelle fois et Ashley nous regarde tristement.
Pourquoi a-t-il menti ? Pourquoi ai-je découvert la vérité ? Je ne fais que douter. Les scientifiques sont tous des monstres, ça ne fait aucun doute. Ils nous capturent, nous humilient, nous torturent, et lorsque nous ne servons plus à rien, ils nous égorgent comme de vulgaires animaux pour ensuite nous ouvrir les corps. J'ai des papillons dans le ventre en m'imaginant Aust faire ces atrocités. Des picotements assaillent les surface de mon coeur. Le Aust que je connais est tellement gentil, tellement attentionné, c'est un type génial. Alors pourquoi mon coeur et mes pensées sont en contradictions ? Je ne veux pas penser qu'il fasse ça, au fond de moi, ça me fait tellement mal. Comme si je me trahissais moi-même sans savoir comment.
Une fois nos repas dévorés, nous sortons du restaurant sans direction précise. Les main du garçon effleure inintentionnellement la mienne et je sens le feu se propager dans tout mon corps. Je m'éloigne vivement de lui en me rapprochant d'Ashley qui soupire en me voyant.
- Que s'est-il passé entre vous deux ? Vous êtes comme ça depuis qu'on est parti de chez sa famille.
- Ne t'inquiète pas pour ça. Plus vite nous rentrerons chez nous, plus vite les choses irons mieux.
- Sony, je pensais que tu commençais à apprécier Aust.
- Je le pensais aussi. Mais les choses ne sont plus ce qu'elles étaient.
Elle secoue la tête.
- Et pourquoi ? Il t'a fait quelque chose ?
- Il m'a menti.
- À propos de quoi ?
Dois-je lui dire ou non ? Je ne veux pas l'inquiéter inutilement. Cette histoire est uniquement entre lui et moi. Je ne veux pas l'effrayer en lui annonçant que c'est un scientifique. Ça ne ferait que lui causer du soucis. Je me résigne à lui dire la vérité et baisse la tête.
- Ça ne te concerne pas.
- Est-ce que c'est parce qu'il est un scientifique ?
Je me fige et je sens tous mes muscles se contracter douloureusement. Donc elle le sait déjà ?! Je pivote vers elle le visage en décomposition. Elle me prend dans ses bras et fait signe aux garçon de nous laisser entre soeurs. Ils acquiescent et prennent une direction différente en nous indiquant que le lieu de rendez-vous est la gare. Nous nous asseyons sur le rebord d'une petite fontaine. Elle répète sa question, et celle-ci ne fait que me ramener à l'évidence. Je ne peux rien y changer, que je sois heureuse, triste ou en colère, cela ne change rien au fait qu'il est un scientifique qui étudie les miennes. Nous sommes comme des rats de laboratoires pour lui, alors pourquoi est-il aussi gentil avec nous ? Avec moi ? Si c'est pour que je le haïsse par la suite, j'aurais préféré ne pas avoir autant d'attention de sa part. Je hoche la tête pour répondre à cette question et une larme venant du plus profond de mon coeur glisse sur ma joue.
- J'aurai dû m'en douter que tu allais réagir de cette manière si tu venais un jour à le savoir.
- Et toi ? Comment l'as-tu su ?
- Quand je dormais dans la chambre de Marie, notre sujet de conversation a fini par dériver sur vous deux. Et c'est là que j'ai su pour ses études et le travail qu'il faisait. Du moins, qu'il s'apprêtait à faire.
- Je ne comprends pas, pourquoi ne m'a-t-il rien dit ?
- Peut être parce qu'il savait que tu allais réagir comme ça.
- Non. Il y avait de nombreux moments où il aurait pu me dire la vérité. Je lui avais accordé ma confiance.
Elle hausse les épaules et essuie du bout du doigt ma joue.
- Je pense que c'est sa manière à lui de te garder le plus longtemps à ses côtés.
- Mais pourquoi ?! Ça n'a aucun sens ?! Et puis comment peux-tu en savoir plus que moi à ce sujet ? Tu vis en tant qu'humaine depuis beaucoup moins longtemps que moi. Tout ces sentiments, ce monde, tout est nouveau pour toi plus qu'à moi.
- C'est parce que j'arrive à m'imaginer vivre en tant qu'humaine comparée à toi.
Une douce lueur brille dans ses yeux et je la vois mûrir de plus en plus à chaque seconde qui passe. Elle est en âge de comprendre cela, alors que moi, je reste butée sur mon idée de vivre en loup toute ma vie. Elle me sourit et après que je me sois calmée, nous décidons de les rejoindre à la gare.
Je train arrive plus tôt que prévu, et nous voici déjà avec nos place en main. Nous montons dans le wagon F et nous nous postons devant nos cabines qui sont côtes à côtes. Alors que je m'apprête à entrer dans la même cabine qu'Ashley, celle-ci se penche vers moi et me sourit malicieusement.
- Dis-Sony, ça te gênerai de dormir dans la même cabine que Aust ?
- Que, quoi ? Mais pourquoi ?
Elle rougie et regarde attentivement autour d'elle pour que cela reste entre nous.
- Eh bien, j'aimerai bien, faire plus ample connaissance avec Wake . . .
Je comprends que son instinct animal parle également pour elle, et à contre coeur j'acquiesce. Son visage rayonne lorsque j'accepte et elle referme la porte devant moi. Je soupire me disant que je vais devoir partager la même chambre que l'humain. J'entre dans la sienne et je le vois écarquiller les yeux en me détaillant de la tête au pied. Est-ce si surprenant que ça que je vienne dormir avec lui ? Sans même me poser plus longtemps la question, je trouve déjà ma réponse. En temps normal, je n'aurai jamais fait ça. Je scrute la cabine de fond en comble, découvrant ce nouvel espace.
Face à la porte bleu qui permet l'entrée et la sortie de la cabine, il y a une grande fenêtre un peu sale donnant vue sur l'autre côté de la gare. Une petite table contre cette fenêtre est posée de sorte à pouvoir poser des choses dessus tels que des boissons ou aliments. Enfin, sur les deux côtés qui s'opposent se trouve deux lits suspendus, maintenus solidement contre les murs à hauteur de nos genoux pour pouvoir ranger en-dessous des valises et des sacs. Des oreillers et draps blancs sont placés en bout de lit pour que cela fasse plus rangé. Dans l'ensemble c'est vide, mais la présence de personnes rend les lieux soit plus conviviale, soit plus froid et tendu. Ici, je ne sais pas dans quelle catégorie je dois placer notre situation. Je lutte au fond de moi pour éviter de le regarder droit dans les yeux et me dirige vers le matelas qui m'est destinée, en l'occurrence, celui où il n'est pas assis. Le crépuscule que l'on aperçois dans un coin de la vitre teinte délicieusement l'espace qui nous est donné ainsi que son visage à la fois surpris et sérieux.
- Ce n'est pas Wake qui devait dormir avec moi ? questionne-t-il en me visant tout particulièrement.
Je ne daigne pas lui répondre et saisis son sac pour y prendre des vêtements pour la nuit qui se prépare. Je tente de trouver dans ce bric-à-brac de quoi me changer, mais hormis une deux-trois chemises pour hommes, je ne trouve rien d'autre. Il doit sans doute s'être dit que nous allions vite arriver à Migty City et que cela allait peut être être inutile de nous prendre des vêtements de rechange. Je soupire et sort de la grande poche une chemise bleue ciel. Je repose la sac sur son côté de la couchette et prends soin de ferme la porte et le rideau de la fenêtre. Au passage j'allume la lumière qui s'intensifie petit à petit.
- Sony, réponds-moi. tente-t-il de me faire parler.
Je lui lance un vif regard qui se fait le plus discret possible et je le vois, les yeux implorant, examinant mes moindre faits et gestes. L'espace entre les deux lits est restreint, et ses longues jambes n'arrangent pas les choses. J'essaye tant bien que mal de me mouvoir le plus librement au sol et sur le lit et saisis le bas de ma robe. Je la retire complètement sans faire attention à ses yeux qui ne me quittent pas, et la jette sur le bout de mon lit. Il écarte les yeux plus grands que jamais et pique un fard.
- Putain Sony, te déshabille pas devant moi. me lance-t-il gêné tout en détournant le regard.
Je remarque une étincelle briller dans ses pupilles et l'ignore aussitôt pour retirer les sous-vêtements restant. Après le nombre de fois où il m'a vu dans ce genre de tenue il ne devrait plus être aussi gêné, si ? Je les envoie rejoindre ma robe. Et enfile par les bras la chemise que je lui emprunte pour la soirée. Une fois en tenue convenable, il retrouve le courage de me refaire face. Ses poings sont serrés, je sais très bien qu'il a besoin de prendre les mains de quelqu'un pour se rassurer lui-même. Ça me fait de la peine de la voir comme ça, mais je ne peux pas me permettre de lui pardonner aussi simplement alors qu'il m'a mentie. La confiance d'un loup ne doit jamais être trompée.
- Sony, parle-moi, il se penche pour prendre sa tête entre les mains. Si tu savais comme je regrette de t'avoir cachée tout ça. Pardonne-moi, je t'en supplie.
- Je ne te pardonnerai jamais pour ça.
Il relève les yeux et voit avec effroi que les miens expriment la rancoeur qui domine sur ma culpabilité. Je n'aime pas le voir aussi vulnérable. Mais je n'aime encore moins qu'on me trompe alors que j'offre toute ma confiance.
- Mais essaye de comprendre . . .
- Comprendre quoi ?! le coupé-je hors de moi. Que tu m'as mentie ?! Ça je l'ai bien compris !
- Ce n'est pas ça . . .
- Laisse-moi parler ! Tu voulais que je te parle, alors laisse-moi te parler ! Avec Ashley on t'a suivi dans l'espoir de pouvoir rentrer chez nous. On ne savait pas qui tu étais. J'ai fait de mon mieux pour bien m'entendre avec toi puisqu'elle t'appréciait. Et toi ! Je t'ai accordée ma confiance et tu n'as cessé de me mentir !
- Sony, je vais t'expliquer . . .
- Non, tu vas me laisser parler ! Alors que je te faisais confiance et que j'étais prête à presque tout entendre de toi, tu ne m'as rien dit ! J'ai dû l'apprendre par ta mère ! Ce n'est même pas venant de toi ! Tu avais des milliers de moments où tu pouvais me dire la vérité. J'étais prête à tout donner tant que la confiance mutuelle y était. Je t'ai donné ma confiance. Et par la suite, j'étais prête à tout te donner de moi. Même ma soeur. Non, en fait, je ne peux même pas te céder à ma soeur. Rien qu'à m'imaginer la chose, mon coeur se serre. C'est désagréable cette sensation d'être oppressée par des sentiments dont je ne connais même pas le sens. ma voix s'étrangle douloureusement. Pourquoi suis-je devenue plus émotive ? Pourquoi cela ne concerne que toi ? Pourquoi l'idée de te voir avec une autre femme m'insupporte ? Pourquoi me suis-je attachée à toi . . . ?
Des larmes roulent sur mes joues, mes sentiments dont je ne connais pas la nature me submergent. Je ne tiens plus sur mes jambes et m'effondre sur mon lit. Un brouillard confus et perplexe se forme autour de son iris tandis que je tente tant bien que mal de dissimuler mes pleurs. Ses poings se serrent d'autant plus comme pour se retenir de me prendre les mains.
- Sony . . . réussit-il à dire après mon monologue.
- Pourquoi m'as-tu mentie ? conclué-je en le regardant dans le blanc des yeux.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top