Direct to the heart-TOME 2- Chapitre 9
Judicaëlle
Ça n'a pas vraiment eu l'air de plaire à Thor de me raccompagner chez lui, mais c'était soit ça, soit je dormais à la distillerie. Et je ne crois pas que j'y aurais bien dormi. Après tout, il y a des gars qui travaillent de nuit. Leur boucan m'empêcherait de fermer l'œil.
Le hic, c'est que Thor était venu à la brasserie en moto et que je déteste ces engins. Pour moi, monter sur l'un d'eux, c'est comme chevaucher un étalon sauvage ; tu ignores quand tu prendras un plongeon, mais ça arrivera certainement.
Je me suis néanmoins contentée de pincer les lèvres et j'ai pris le casque qu'il m'a tendu, puis l'ai attaché sur ma tête. Ensuite, je me suis installée derrière lui et j'ai fermé les yeux durant toute la ballade. Cette enflure a profité de ma crainte pour me faire une petite démonstration de la puissance de sa moto. Il s'est mis à slalomer entre les voitures comme s'il faisait une course dans « Mario Kart ». J'ai eu envie de l'étrangler, mais j'avais trop peur de tomber si jamais je détachais mes bras de sa taille. J'ai donc fermé les yeux et essayé de penser à autre chose, comme le corps musclé sur lequel je me pressais. Il n'y a pas à dire : cet homme est tout un phénomène.
En arrivant à l'entrepôt, je me suis empressée de descendre et j'ai mis de la distance entre la brute et moi. Et dire qu'il m'a empêchée de me casser le cou en me rattrapant lorsque je suis tombée de l'escabeau ! Il a vraiment de bons réflexes. Et une très mauvaise manie de me surprendre dans des positions délicates.
Puisqu'il est déjà tard, je me suis couche immédiatement alors que le biker ferme les lumières de la bâtisse. Il y en a cependant qui restent ouvertes ; mais elles brillent faiblement. Je parviens à ouvrir le canapé-lit et trouve, juste en dessous, un drap plié. Il est mince, mais le géant ne semble pas disposé à me donner plus.
Tandis que je m'installe, Thor part se doucher. Il n'est vraiment pas bavard...ni affable, d'ailleurs Je m'endors avant qu'il ne revienne.
Toutefois, je me réveille en grelottant alors que l'aube est encore loin. Le mince drap qui me couvre ne me protège pas de l'air frisquet de l'entrepôt. Bordel ! Il n'y a pas de chauffage, ici ? Je n'aurais peut-être pas dû acheter un pyjama composé de shorts courts et d'un mince débardeur
Je jette un coup d'œil vers le lit de mon colocataire. D'épaisses couvertures recouvrent son corps d'Apollon. Son visage est caché dans son oreiller.
Quel grossier personnage ! Me laisser geler comme un creton tandis qu'il est bien au chaud !
Je me lève en retenant un long soupir. Je dois bouger si je veux me réchauffer. Je décide donc de descendre de la mezzanine et de marcher un peu à travers l'entrepôt. Ça fait presque bizarre de ne pas entendre le bruit des poids qui cognent ensemble. C'est une mélodie presque rassurante contrairement à ce lourd silence.
Je m'approche d'un sac de boxe qui est à ma portée. Les autres ont d'ailleurs été relevés vers le plafond à l'aide de poulies, probablement pour dégager l'espace.
Mes yeux se promènent dans la salle et j'aperçois une table d'objets perdus. Des bandages égarés traînent dessus et je décide de les emprunter. Je les enroule autour de mes poignets et de mes mains. Ça faisait longtemps, mais je me rappelle moyennement de la procédure.
Puis, je saisis deux gants de boxe trop grands pour moi, mais ça fera l'affaire pour l'instant.
Je me place ensuite devant le sac de boxe et envoie un premier coup. Puis un deuxième. Dieu que ça fait du bien d'évacuer la pression accumulée au cours des derniers jours ! J'avais oublié à quel point boxer était libérateur.
Direct arrière. Crochet. Esquive. Uppercut.
J'entre en transe et frappe de plus en plus vite, de plus en plus fort, si bien que je ne me rends pas compte d'une autre présence.
Lorsqu'une voix gronde : « Plus haut, les poings », je sursaute comme jamais et me détourne vers sa provenance.
Thor se tient juste derrière moi et me fixe en croisant ses bras sur son torse, d'un air fort mécontent. Merde ! L'ai-je réveillé ?
— J'ai le sommeil léger, répond-il à ma question muette. Et le bruit d'un sac qu'on frappe me réveille instantanément.
Hum...à noter. La prochaine fois, je ferai du « shadow boxing ».
L'homme me détaille silencieusement, me mettant mal à l'aise. Il est vrai que je dois offrir un drôle de tableau, pieds nus, vêtue d'un mini short rose pâle et d'un débardeur en coton mince.
— Premièrement, dit-il en se penchant vers moi, on met une brassière de sport lorsqu'on s'entraîne et, deuxièmement, on ne boxe jamais sans s'échauffer sous risque de blessure.
— C'était justement ce que j'essayais de faire : me réchauffer. On se gèle les miches, ici !
— J'avais remarqué, dit-il en lorgnant les pointes de mes seins qui transparaissent à travers le tissu. C'est une habitude pour toi, de ne pas porter de soutien-gorge ?
— Je dormais, figure-toi, et je n'ai pas l'habitude d'emprisonner ma poitrine, la nuit.
— Mais plus maintenant.
Son corps est penché vers le mien, si près que je peux sentir une légère fragrance d'après-rasage aux arômes de bois de santal envahir mon sens olfactif.
— Tu as déjà boxé, affirme-t-il.
Ce n'est pas une question. Il m'a probablement observée pendant quelques minutes.
Il s'approche davantage et examine ma position.
— Je dois avouer que tu connais les bases, mais ton bassin doit pivoter, sinon tu ne parviendras jamais à procurer de la force à tes coups.
J'ai peut-être oublié certains trucs.
— Lors de ton crochet du droit, tu dois soulever ton pied. Ainsi, lorsque tu frapperas, ton bassin suivra le même mouvement.
Il se positionne alors derrière moi, et pose ses mains sur mes hanches, me prenant par surprise. Ouf ! Il fait chaud, tout d'un coup ! Le corps viril du coach de boxe se trouve derrière moi, à quelques centimètres du bien.
— Comme ça, me dit-il. Ça amplifie la puissance de tes coups et tu risques moins de te blesser.
Il recule et m'observe pendant que j'applique la technique.
— Où as-tu appris la boxe ? questionne-t-il.
— À l'école.
— Tu boxais à l'école ?
— Ouais, à l'heure du midi. Il y avait un sac de frappe et à force de voir les gars se pratiquer, j'ai eu envie d'essayer, moi aussi. Ça me permettait d'évacuer la pression.
— Je comprends mieux. Tu n'as jamais eu de vraies notions ; c'est pour cette raison que ta technique est aussi mauvaise.
Il n'a pas tort, pourtant je refuse de le laisser gagner cette manche.
— Et je suppose que tu es un pro dans le domaine pour donner cet avis ?
— Effectivement, j'ai déjà combattu durant mes jeunes années.
Jeunes ? Il ne doit pas avoir plus de trente ans.
— Ce n'est pas parce que tu as déjà fait des combats que ça fait de toi un bon entraîneur, rouspété-je en enlevant mes gants.
Je lève la tête (puisqu'il est immense) et plonge mon regard dans ses obsidiennes. J'ai l'impression de sauter dans un gouffre sans fin, toutefois, sa voix grave me sauve d'une chute certaine.
— Écoute-moi bien, Joëlle, je n'ai pas besoin de connaître ton point de vue sur ma façon d'enseigner. Ici, tu es chez moi, alors tu vas me faire le plaisir d'enlever ces bandages que tu as, soit-dit en passant, très mal mis, et tu vas retourner te coucher. J'ouvre le centre dans à peine trois heures, alors règle ton problème d'insomnie autrement que sur mes sacs de boxe et laisse-moi dormir.
J'ouvre la bouche, indignée par son manque de civisme.
— Je m'appelle Judicaëlle, le reprends-je, pas Joëlle.
— Trop long.
Connard ! S'il n'était pas aussi baraqué, je crois que je lui sauterais dessus et que je le mordrais à pleine dent comme une grosse pomme bien juteuse. Sauf que mes dents pointues perforeraient ses immenses biceps et qu'il réaliserait que je sais me défendre...à ma manière.
Il me tourne le dos et remonte sur la mezzanine, me laissant debout comme une cruche. Toutefois, je lui lance :
— L'entraîneur médiocre parle, le bon explique, le super démontre et le meilleur inspire. Et jusqu'à présent, tu n'as fait qu'ouvrir ta grande gueule. Ça démontre bien la médiocrité de ton enseignement.
Il s'immobilise et me fixe comme s'il croyait avoir mal entendu.
— Es-tu en train de m'insulter ? me demande-t-il d'une voix doucereuse.
— Ce n'est pas mon problème si tu te sens visé, le nargué-je en reprenant ses termes. En réalité, tu te dissimules derrière les boxeurs que tu entraînes, mais c'est uniquement pour cacher ce qui manque dans ton pantalon.
Lorsqu'il fait demi-tour et descend l'escalier, je réalise que j'ai peut-être exagéré un peu ma provocation en dévalorisant son organe masculin. Pourtant, c'était uniquement une métaphore pour signifier qu'il n'est peut-être pas aussi doué qui veut le laisser croire.
Le géant parait vouloir m'écraser comme un ver. Sa démarche déterminée, son regard étincelant de colère et ses membres crispés le rendent encore plus intimidant.
J'ai déjà vu ce regard. C'est celui précédant un accès de colère dont le résultat est très douloureux.
Mon cœur s'accélère lorsque je réalise que je n'y pourrai rien si ce mec me violente. En plus, nous sommes seuls dans ce grand entrepôt. J'aurai beau crier, nul ne viendra m'aider.
Je recule alors que le géant réduit de plus en plus la distance entre nous. Cette fois-ci, je suis prête à détaler, un peu plus vêtue qu'un simple drap de bain. Cependant, même si je courais pendant une demi-heure à travers les équipements d'entraînement, je suis certaine que Thor est mieux entraîné que moi.
Toutefois, je ne le laisserai pas me mettre une raclée. Je me suis juré que plus jamais un homme ne lèverait la main sur moi. Des éclats de souvenirs me traversent alors que je revois Dominique me brutaliser. Je tressaille et m'élance à travers le dojo. J'ignore si je suis complètement folle, mais je traverse les cordes du ring et me réfugie à l'intérieur.
— Mauvais choix, Joëlle, grogne Thor. L'endroit où tu te tiens, c'est mon sanctuaire.
Il abaisse les cordages pour se créer un passage et, d'un mouvement agile, pénètre dans le quadrilatère de la mort. Du moins, de ma mort. Je suis aculée comme une pauvre petite chose sans défense.
— Je m'appelle Judicaëlle, répété-je. Si tu n'es pas capable de retenir mon nom, c'est que ton cerveau est encore plus petit que tes couilles.
Nouveau grognement de sa part.
— Je rêve de te faire ravaler ces mots, me menace-t-il. Voyons maintenant comment tu t'en sors.
Il lève ses poings et se place en position de combat. Si je n'étais pas aussi effrayée, je serais impressionnée par son jeu de jambes. J'ai devant moi un vrai boxer, pas un amateur. Si jamais je reçois un seul coup, je suis certaine de mourir sur-le-champ ou, plutôt, sur le ring.
— Montre-moi ce que tu as dans le ventre, Joëlle, me lance-t-il.
Il tourne lestement autour de moi et je suis déstabilisée. Je suis vraiment dans le pétrin. Après ma mésaventure avec un mafieux, j'aurais dû me douter que ça tournerait également au vinaigre avec un biker.
Thor bondit vers moi et je vois son bras d'une longueur interminable s'approcher de mon visage. Au tout dernier moment, il le rétracte et se recule rapidement. Cet imbécile essaie de m'effrayer....et il y parvient très bien.
— Tu fais moins la fière, maintenant, se moque-t-il.
Il a raison. Je n'ai pas réfléchi, me croyant à l'abri, mais j'aurais dû me méfier de cet homme qui parait avoir deux armes à la place de ses poings.
Il m'accule dans un coin du ring où je ne peux m'enfuir et me pousse légèrement contre les cordages. Je rebondis en écarquillant les yeux et réalise avec horreur que je me rapproche à nouveau de lui malgré moi. Cet enfoiré me manipule comme une poupée de chiffon.
— Pauvre petite chose inoffensive, ajoute-t-il en me poussant un peu plus fort.
Je tente de m'enfuir, paniquée, mais mes pieds s'entremêlent ensemble. Résultat : Je m'aplatis comme un crêpe par terre. Contrairement à la croyance de plusieurs, un ring n'est pas monté sur de beaux coussins moelleux. Oh que non ! Lorsque ma tête heurte le sol, un voile obscurcit ma vision. J'ai l'impression d'être retournée quelques jours plus tôt, alors que mon ex me poussait en bas de l'escalier. J'entends un rire amusé, qui s'estompe alors que mes yeux restent fermés.
— Ça va ? interroge une voix que je ne reconnais pas immédiatement.
Je me recroqueville, couchée par terre, craignant une attaque puisque je suis en position de faiblesse.
— Laisse-moi, Dom, intimé-je d'une voix tremblante.
— Euh...qui est Dom ?
J'ouvre les yeux. Ce n'est pas Dominique qui est penché sur moi, mais plutôt le Dieu du tonnerre. Ou ce qui lui ressemble le plus. J'ai l'impression d'être examinée à la loupe lorsque son regard balai mon corps, puis s'arrête au niveau de mon abdomen. En chutant, mon haut s'est légèrement relevé, dévoilant mon bleu qui prend différentes teintes inquiétantes.
— C'est lui qui t'a fait ça ? demande-t-il.
Il me relève aisément alors que je n'ai pas encore repris complètement mes esprits.
— Alors ? insiste-t-il.
— Ce n'est pas de tes oignons, craché-je en rabaissant mon débardeur, les joues en feu.
Je suis tombée comme une merde. Jamais je n'ai été aussi humiliée.
— C'est à cause de lui que tu es partie ? questionne-t-il à nouveau.
Je lui jette un regard aussi tranchant qu'une lame de couteau.
— Est-ce que je t'en pose, moi, des questions sur ton passé ? Non, alors fous-moi la paix.
Je quitte le ring de boxe de peine et de misère. J'ai l'impression d'être prise dans une toile d'araignée. Lorsque je parviens à traverser les cordes, je m'éloigne en vitesse de mon tourmenteur et monte l'escalier. Puis, je rejoins mon lit et m'installe sous les draps, que je relève par-dessus ma tête. Je veux seulement effacer ces dernières minutes de mes souvenirs.
Je n'entends pas mon colocataire revenir, pas plus que je ne songe davantage à la fraicheur de l'entrepôt. Tandis que je ferme les yeux, je ne peux songer à autre chose qu'à deux billes ébène qui me fixent comme si elles allaient me dévorer.
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