Direct to the heart-TOME 2-Chapitre 19
Judicaëlle
Le dernier client de la matinée vient de quitter la boutique. Je profite de calme pour grignoter une barre énergisante. Je devrais me faire des goûters pour les prochains jours, mais je n'ai pas du tout eu le temps de concocter quoi que ce soit. Je ne suis pas une grande cuisinière, mais je sais préparer des pâtes...et des sandwichs.
Je ne me sens néanmoins pas à l'aise d'utiliser la cuisine de Thor. Je crains qu'il ne me rappelle à quel point ma présence lui déplait. Je me demande ce qu'il a contre moi. Pourtant, je ne lui ai rien fait. Bon...j'ai peut-être été légèrement déplaisante, surtout hier, mais il m'avait poussée à bout.
Comment pouvait-il croire que j'avais couché avec Lewis tandis que je l'ai laissé m'embrasser ? Il ne me porte apparemment pas en grande estime. Se doute-t-il que j'ai fui une relation toxique ? Que j'ai côtoyé de près des criminels ? Probablement pas.
Au moins, je n'ai rien fait d'illégal. Je suis partie avant. Je me demande ce qu'il penserait de moi s'il connaissait mon histoire. Il me virerait probablement de chez lui.
La sonnette d'entrée tinte, annonçant l'arrivée d'un nouveau visiteur.
— Salut ! me dit Maisie en s'approchant de moi, tout sourire.
— Maisie ! m'exclamé-je. Que fais-tu ici ?
— Je viens de me lever. Gabin est allé jouer au parc avec les enfants pendant que je me reposais.
— Ça se passe toujours bien avec le bébé ?
— Oui, mais j'ai du sommeil à reprendre puisque Lucas se réveille plusieurs fois par nuit. Au moins, il dort en journée, mais puisque Charlotte ne fait plus de sieste, c'est impossible pour moi de relaxer.
Ouf ! La vie de maman a l'air épuisante.
— C'est de l'adaptation au début, mais je vais y arriver. Après tout, Gabin n'était pas dans ma vie, avant, et j'y suis parvenue.
— Ah ouais ?
Je ne connais pas leur histoire, mais elle m'intéresse.
— Le père de Charlotte et Théo est décédé d'un accident de voiture, m'apprend-elle. J'étais enceinte et je me suis débrouillée seule jusqu'à ce que je rencontre Gabin. Cette maison était celle de ma grand-mère et elle me l'a léguée à sa mort. Je suis arrivée ici en songeant que la quiétude de l'endroit me permettrait d'y refaire ma vie avec mes enfants. Néanmoins, je ne me doutais pas que les Midnight Demons produisaient de l'alcool de contrebande dans le vieux hangar à côté de chez moi.
— Quoi ? Ils effectuaient du commerce illégal ?
— Oui, mais lorsque Gabin est devenu le chef du club, il a enregistré la brasserie et celle-ci est devenue réglementaire grâce à la nouvelle bâtisse et à leurs équipements novateurs. Au début, la bière était produite uniquement la nuit pour que personne ne les suspecte. Vers minuit, leur cortège de motos défilait jusqu'à leur repère et me réveillait, mes enfants et moi, en passant devant la maison. C'est de cette façon que Gabin et moi nous sommes connus. Les conditions étaient assez particulières, mais nous sommes tout de même tombés amoureux.
Je suis éberluée par son histoire. Si j'étais arrivée dans cette ville un an plus tôt, j'aurais fait partie d'une organisation clandestine. J'avais tout de même un peu raison de les craindre.
— Alors, comment ça se passe ? s'enquiert la jeune maman en examinant la boutique.
— Très bien, lui réponds-je avec honnêteté. J'ai l'impression d'avoir travaillé ici toute ma vie. Lorsque je suis seule, j'en profite pour lire l'étiquetage des bouteilles et à me renseigner sur les produits. C'est une vraie mine d'or. Par exemple, savais-tu que ce whisky à l'érable contient du sirop pur canadien provenant de la région du Québec ? Je suis tombée sur les bons de commandes et lorsque j'ai vu que la cabane à sucre se trouvait dans la région de Chaudière-Appalaches, j'en ai profité pour me documenter un peu. Ils produisent du sirop ambré bio. Je n'ai pu m'empêcher de goûter à la bouteille au fond du magasin.
Maisie s'esclaffe, amusée.
— Ce n'est pas grave. Elle est là pour qu'on puisse adoucir notre café. Gabin en raffole. Je dois dire que je suis heureuse de savoir à quel point cet emploi te plaît. Tu en parles avec une passion que même moi, je n'ai pas. Je suis meilleure pour gérer la paperasse et les téléphones. Toi, en revanche, tu es douée pour t'exprimer. Ce doit être pour cette raison que les clients achètent autant.
Je rougis, gênée par son compliment.
— Vous deviez vendre beaucoup de cidre de pomme au verger de ton père si tu présentais le produit ainsi, ajoute-t-elle.
— Malheureusement, il n'en produisait plus beaucoup depuis quelques années puisqu'il n'avait plus autant d'énergie qu'avant. Les clients réguliers s'arrachaient le cidre aussitôt qu'il était prêt. Mon frère n'a jamais apprécié son goût prononcé, alors il a décidé de ne pas en produire, contrairement à mon père.
— Oh ! C'est dommage. Je ne connais pas ton frère, Judicaëlle, mais je suis sûre que tu aurais été meilleure que lui pour gérer le verger. Tu aurais gardé le côté artisanal de la boutique.
Son commentaire me fait chaud au cœur. Pourtant, mes parents ont préféré que ce soit leur fils qui en hérite. J'ai essayé de ne pas m'offusquer de cette préférence, mais je ne peux arrêter de songer que, si j'avais été un garçon, c'est moi qui l'aurais dirigé.
— Bon, je vais retourner à la maison, annonce la jeune femme. Si Gabin s'aperçoit que je suis sortie, il va penser que je ne me suis pas reposée. À plus !
— Bon après-midi, lui souhaité-je alors qu'elle quitte la boutique.
Des clients arrivent justement et je me dépêche d'aller les servir avec enthousiasme.
***
Je retourne à l'entrepôt en taxi. Je commence à avoir hâte de pouvoir me servir de ma nouvelle moto, même si l'idée ne m'enchantait guère au départ. Toutefois, si je continue à utiliser un service de chauffeur, tout mon salaire va y passer. De plus, je suis trop éreintée pour marcher jusque chez Thor. Je vais devoir m'habituer à ce rythme de travail. « The Gates of Paradise » gère une grande clientèle et il est rare que je m'ennuie. Certains clients appellent également pour faire préparer des commandes, ce qui nécessite une certaine administration.
J'arrive donc vers dix-sept heures trente au club de boxe, qui est presque vide à cette heure-ci, et me dirige aussitôt vers la cuisine. Je meurs de faim. Ma barre énergisante ne m'a pas rempli la panse. Je compte me faire des pâtes à la carbonara et les dévorer.
Toutefois, la cuisine est déjà occupée. Thor est en train de concocter un plat dont les effluves relevés me parviennent jusqu'à l'entrée de la pièce. Il se tourne vers moi et me salut d'un geste de la tête, puis continue sa préparation.
Je me dirige vers l'armoire et en sort des pâtes, puis je remplis un chaudron d'eau.
— Qu'est-ce que tu fabriques ? me demande-t-il brusquement.
— Euh...des pâtes.
— Elles ne devraient jamais constituer ton plat principal. Tu devrais opter pour de la viande ou un substitut. J'ai préparé du saumon grillé aux fines herbes avec une salade. Ce sera parfait pour toi, surtout avec l'entraînement à venir.
Je cille sur le mot « entrainement ». Que veut-il dire par là ? J'ai l'intention de m'affaler sur mon canapé après la journée harassante qui vient de se terminer.
— Quel entraînement ? questionné-je. Je suis crevée, alors hors de question que je bouge un seul orteil ce soir.
— Pourtant, il le faudra. Gabin veut que tu apprennes à te défendre.
— Hein ? De quoi il se mêle ?
Je ne comprends pas pourquoi le chef des Midnight Demons a exigé que Thor m'entraîne. Est-ce un critère pour travailler à la brasserie ? Sûrement pas puisque Maisie m'en aurait informé.
— Depuis ton agression, il tient à ce que tu saches te battre. Maisie aura également droit à une séance d'auto-défense un peu plus tard.
Sauf que ce soir, c'est mort.
— Demain, annoncé-je.
— Demain est une excuse de perdant.
— Et toi, si tu continues de m'insulter, il se pourrait bien que tu perdes ton œil, marmonné-je.
— Ce n'est pas en attaquant avec des mots que tu vaincras ton adversaire, avise-t-il.
Ce type veut toujours avoir le dernier mot et je commence à en avoir marre, alors je réagis de façon complètement stupide. Je renverse l'assiette qu'il tient dans les mains pour lui montrer que son poisson, il peut bien se le mettre où je pense. L'assiette tombe par terre et son contenu s'éparpille sur le sol. Si je n'avais pas été aussi furibonde, j'aurais été navrée que sa salade d'asperges et d'haricots soit ainsi gaspillée. Pourtant, à cet instant, je me concentre sur la réaction du boxeur. Bizarrement, il ne bronche pas et son visage reste impassible.
— Une chance que j'en avais fait trop, dit-il seulement en prenant une autre assiette.
Il la remplit et la pose devant moi. Puis, il se prépare à son tour une bonne portion et s'assoit sur le tabouret à côté du mien.
Bouche bée, je n'ose pas bouger. Que vient-il de se passer ? Il est resté imperturbable face à ma provocation. Et moi qui étais certaine qu'il allait me zigouiller ! Après tout, j'ai sali sa cuisine impeccable.
Nous mangeons en silence. Je dois avouer qu'il cuisine mieux que moi. Son saumon est cuit à point et les épices aromatisent le met à la perfection. Si nous avions été en meilleurs termes, je l'aurais complimenté, mais je m'abstiens.
— Je t'attends pour le cours dans une demi-heure, m'informe Thor en se levant. Et ramasse ton bordel, ajoute-t-il en désignant le plancher.
— Oui, papa, grincé-je.
— Il y a deux choses que tu dois savoir de moi, Joëlle. La première, c'est que lorsque je me transforme en coach, je peux être un vrai tyran, et la deuxième, c'est que je n'accepte pas l'effronterie. Continue ainsi et je te vire de ma résidence et tu dormiras à la rue, est-ce clair ?
Je hoche la tête en pinçant les lèvres. J'aimerais tant lui exprimer le fond de ma pensée, mais j'ai trop peur qu'il mette ses menaces à exécution.
Il me tourne le dos et sort de la kitchenette tandis que je lui fais un doigt d'honneur qu'il ne voit pas.
Trente minutes plus tard, après avoir enfiler une tenue confortable constituée d'un short court en coton et d'un débardeur noir, je me trouve dans le gym en compagnie des autres boxeurs, occupés à s'échauffer. Je ne connais personne hormis Austin, qui me fait un signe de la main.
J'enroule les bandages autour de mes poignets et de mes mains du mieux que je le peux et attends que l'entraîneur daigne montrer le bout de son nez. Il arrive justement à ce moment et ne me lance pas un seul regard.
— Prenez une corde à sauter, ordonne-t-il.
Je jette un coup d'œil autour de moi et remarque que tout le monde s'est déjà muni de l'objet en question. Thor part le minuteur et tout le monde s'exécute pendant que je m'évertue à démêler ma corde. Je jette un coup d'œil autour de moi et réalise que les autres sont beaucoup plus doués que moi.
Mon regard croise au même moment celui du coach, dont la noirceur reflète les tourments qu'il s'apprête à m'infliger si je n'obéis pas à ses ordres. J'avoue que je suis tentée de le défier pendant un quart de seconde, mais lorsqu'il fait un pas dans ma direction, je m'exécute finalement...et m'emmêle les pieds. Super ! Au moins, les autres boxeurs sont trop concentrés par leur entraînement pour remarquer à quel point je suis nulle.
Cinq minutes plus tard, un coup de sifflet nous annonce la fin de cet exercice cardiovasculaire. J'avoue que je ne suis même pas essoufflée puisque j'ai passé la moitié du temps les pieds entortillés dans la corde.
— Prenez des haltères, lance ensuite Thor.
Je saisis les moins lourds puisque je suis sûre que cet enfoiré va m'en faire baver.
— Faites cinquante fentes alternées, ajoute-t-il.
L'exercice constitue à effectuer un pas en avant en pliant la jambe, sans toutefois que le genou touche à terre. Après dix répétitions, j'ai envie de m'affaler sur le matelas.
— Cueillir des pommes ne doit pas être si exigeant, sinon tu serais en meilleure forme, me glisse Thor en passant à côté de moi.
Je lui jette un regard noir.
— Plus bas, le genou, exige-t-il.
— Ne m'incite pas à te l'envoyer entre les deux jambes, grogné-je.
Il se penche et un subtil parfum d'agrumes, de verdure et de musc flotte jusqu'à moi, m'évoquant la fraîcheur, l'évasion, et l'exotisme. La fragrance me déstabilise au point que j'en oublie notre petite confrontation, qu'il me rappelle rapidement en se penchant et en me soufflant à l'oreille :
— Crois-moi, Joëlle, à la fin du cours, tu n'auras même plus la force d'ouvrir ta jolie bouche insolente.
Je déglutis, non pas à cause de sa « menace », mais à cause de son timbre de voix qui provoque des fourmillements le long de mon corps. Je réalise que ce n'est pas seulement son parfum qui offre une touche acidulée ; ses propos également me laissent un arrière-goût amer.
Quarante fentes plus tard, je n'ai effectivement plus envie de plaisanter. Ma peau moite reflète l'effort physique que j'ai dû effectuer. Mon front dégouline de sueur et je suis essoufflée comme si j'avais couru un marathon. Ça devait faire plus de six ans que je ne m'étais pas entraînée aussi intensément.
— Maintenant, faites cinquante pompes, annonce Thor.
Nos regards se croisent et je constate à quel point il jubile devant mon air déconfit. C'est incontestable : il veut me tuer. En bonne tricheuse que je suis, je pose mes genoux au sol, contrairement à mes voisins athlètes...et même à la femme qui participe au cours. J'avais remarqué davantage de boxeuses lors de ma première visite avec Maisie mais, ce soir, nous ne sommes que deux.
Thor passe à côté de moi, mais ne commente pas mes pompes de filles, à mon grand soulagement. Évidemment, j'abandonne bien avant la fin du décompte.
Il nous fait par la suite effectuer une course à obstacles à travers le gym et je traîne loin derrière. Il dispose quelques cônes en plastique ici et là, des ballons médicinaux ainsi que des plateformes d'aérobie et, à tour de rôle, nous exécutons l'entraînement à la station exigée. Si j'avais été plus en forme (et que je n'avais pas autant détesté l'entraîneur), j'aurais apprécié ce cours, surtout à cause de la diversité des exercices.
Thor ne me laisse point respirer et, plus la leçon avance, plus j'ai envie de lui exploser la gueule. Hélas, je devine qu'il est l'un des meilleurs boxeurs de ce gym et qu'il m'enverrait au tapis en un clignement d'yeux. Puisque je n'ai pas envie de faire connaissance avec le sol, je supporte silencieusement ses critiques.
Nous ne boxons que les quinze dernières minutes du cours, mais je manque d'énergie et la puissance de mes coups laisse à désirer. Thor m'a placée en équipe avec l'autre fille du groupe et elle boxe bien mieux que moi. Ses coups sont précis et rapides et je réalise que je n'atteindrai jamais son niveau, du moins, pas avant quelques années d'entraînement.
— Bonne soirée, dit finalement Thor, annonçant la fin de mon cauchemar.
Les boxeurs se saluent, puis se dirigent au vestiaire. J'aurais moi aussi besoin d'une bonne douche, mais Thor ne semble pas en avoir terminé avec moi. J'essaie de m'esquiver, mais il se dirige droit sur moi et sa carcasse me bloque le chemin.
— Quoi, encore ? Tu n'as pas assez pris ton pied à m'achever physiquement ?
Un sourire amusé étire ses lèvres.
— Chérie, je connais une meilleure façon de prendre son pied et elle est presqu'aussi intense physiquement.
Je cligne des yeux, éberluée. Est-ce sa façon de faire de l'humour ? Et depuis quand me donne-t-il du « chérie » ? J'en conclus que s'acharner sur moi le fait exulter.
— Je vais au lit, réponds-je seulement.
— Est-ce une invitation ?
Mais qu'a-t-il, ce soir ? Il m'a menacée de me mettre à la porte et maintenant, il fait des allusions sexuelles. Ce type est vraiment lunatique.
— Je ne suis pas désespérée à ce point, lui lancé-je en lui tournant le dos.
Son éclat de rire m'accompagne jusqu'au vestiaire, où je prends une douche avant de monter sur la mezzanine me coucher. Le club de boxe est maintenant désert et les lumières sont fermées. Parfait ! Je vais enfin pouvoir dormir. Le canapé ne m'a jamais paru aussi invitant. Je me glisse sous les couvertures et sombre aussitôt dans un sommeil loin d'être réparateur.
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