Chapitre 51

Alors que Sylvanie était encore seul à l'infirmerie de la base des Anti-Creeps, le calme régnait toujours dans la forêt obscure et touffue du Slenderman. Le ciel gris et brouillé par les flocons de neige qui tombaient par milliers et venaient terminer leur course sur le manteau d'aiguilles des sapins, conféraient à ces lieux sombres une atmosphère mystique et figée dans le temps. La douce lumière de la lune éclairait le lac recouvert d'une fine couche de glace, qui menaçait de se briser sous les pieds du moindre inconscient qui oserait faire un pas dessus.

Un peu plus en hauteur, quelqu'un observait le lac et la lune qui s'y reflétait. Assis en tailleur sur les fragiles ardoises à la couleur de la nuit, Masked se perdait de plus en plus dans ses pensées. Le visage découvert, masque en main, il était si angoissé qu'il en avait une boule dans la gorge l'empêchant de respirer correctement. Son regard mort couleur rubis se posa alors sur la tombe de sa défunte sœur adoptive. Il se téléporta donc sur le balcon du Slenderman, observant ce dernier depuis la porte vitrée de son bureau. L'homme eut la sensation que quelqu'un l'observait, mais lorsqu'il tourna la tête vers le balcon, le garçon avait déjà disparu. Debout sur la toiture du manoir, la main accrochée à la cheminée et l'autre tenant son précieux masque. Les sourcils froncés, il jeta un dernier regard à la tombe de Clockwork et recouvrit silencieusement sa figure avec son visage de plastique blanc.

Le Slenderman était assis à son vieux bureau en bois, faiblement éclairé par la lueur d'une vieille lampe à l'ampoule usée. Les tentacules sortis et s'agitant dans tous les sens, il lisait les rapports que ses proxys et certains membres du manoir avaient rédigés durant leurs missions. Se massant péniblement les tempes, l'homme se plaignit d'une voix lasse :

– Il faudrait peut-être que Sally apprenne enfin à écrire correctement, c'est vraiment illisible.

Il se redressa sur sa chaise tournante, et fit glisser une vieille clé rouillée entre ses longs doigts osseux. Cette dernière était accrochée à un cordon qu'il portait autour du cou. Il rangea l'objet dans le col de son costard, et l'un de ses tentacules vint se planter dans le mur derrière lui. Lorsqu'il se retourna, il constata silencieusement la présence de Masked, son tentacule à quelques millimètres de la tête de ce dernier.

– Combien de fois devrais-je te dire de frapper avant d'entrer ? J'ai manqué de te décapiter. Tu es là depuis longtemps ?

– Non, je suis arrivé il y a une dizaine de secondes. Tu m'as vite repéré.

L'homme se leva de son siège, et s'approcha de son interlocuteur, le surplombant de sa taille titanesque.

– Tu as quelque chose à me dire ?

– Oui.

– Parle donc, tu m'as l'air très préoccupé ces derniers temps. Que diable t'arrive-t-il ?

Le garçon marqua un long moment de silence et répondit :

- C'est au sujet de plusieurs choses. Déjà j'aimerais être affecté à la mission consistant à ramener tu sais qui lorsqu'on saura exactement où et quand le trouver.

– Bien je t'accorderai ça. Qu'y a-t-il ensuite ?

À nouveau, le tueur laissa un long moment de silence s'installer, se perdant quelques secondes dans ses pensées.

- J'ai remarqué que toi aussi tu étais assez agité ces derniers temps, alors je t'ai un peu suivi. Donc je me posais une question... Tu ne dors jamais ?

– Non, je n'ai pas besoin de dormir tout comme toi. Serais-tu inquiet pour moi ?

– Oui, mais il n'y a pas que ça...

Le garçon marcha alors jusqu'au bureau de l'homme et tapota l'ampoule de la lampe du bout de l'index, avant de tourner son regard à nouveau vers la créature en costard, puis il continua :

– Tu sais Slender, ça commence à faire un moment que je suis ici maintenant... Entre-temps, j'ai tissé des liens avec beaucoup de monde, et tu en fais partie. Je n'ai jamais vraiment eu de père, et les beaux-pères que j'ai eus étaient soit des trous de balle, soit des menteurs ou des hypocrites. Le dernier cumulait les trois. Alors... Oui, je tiens beaucoup à toi. Je te l'ai jamais dit, mais tu es un peu comme un père pour moi.

L'homme ne savait pas quoi répondre. Lui, le monstre, la chose des bois, le cauchemar des humains, les murmures dans l'ombre, lui, comme un père pour quelqu'un ? Il n'en revenait vraiment pas. Mais pourtant, venant de lui, cela lui faisait plaisir. Comme il était toujours silencieux, le garçon continua :

– Tu te rappelles ? Tu m'as dit que si tu pouvais faire quelque chose pour moi, tu n'hésiterais pas.

– Oui, je me rappelle, que puis-je faire pour toi ?

L'adolescent marqua à nouveau un temps de pause, et lui ordonna de sa voix démoniaque :

"Dors. Dors profondément"

Une fois fait, l'humanoïde sans visage s'écroula soudainement sur le bois du parquet de son bureau. Le masqué s'approcha de lui et l'observa dormir. Il se mordit la lèvre inférieure de douleur, une douleur intérieure, celle d'avoir trahi l'une des personnes qu'il appréciait le plus dans ce manoir. Il l'avait fait pour Clockwork, et maintenant que c'était fait, il ne pouvait plus reculer. Il se baissa et attrapa la clé de l'homme dans sa main avant de s'excuser d'une voix morne.

– Désolé... Je n'ai pas le choix, je fais ça pour Clockwork...

Dit-il en disparaissant soudainement. Il réapparut derrière la tombe de sa grande sœur adoptive et attendit, les bras croisés, planté derrière les deux bâtons de bois grossièrement attachés en croix. Après ce qu'il avait fait, il n'osait plus la regarder.

"Beau travail."

Le félicita une voix stricte et féminine, résonnant comme un écho lointain.

– Dépêche-toi de me montrer la voie, je l'ai endormi mais ça ne va pas durer longtemps.

– Parfait, ça sera suffisant. Tu les entends ? Ces murmures dans l'obscurité ? Suis-les, ils te mèneront jusqu'à moi.

Le garçon tourna la tête vers un étroit chemin de terre que la végétation avait recouvert depuis un moment. La forêt de Slenderman était déjà très sombre, mais ce chemin, l'était davantage, comme si cette partie de la forêt souhaitait se faire oublier de tous. En effet, il entendait les étranges murmures, ils provenaient de là. Ces murmures étaient comme, de multiples voix d'enfants qui disaient des mots à peine compréhensibles. Il sortit la clé de sa poche et la contempla quelques secondes avant de la ranger à nouveau dans sa poche. Puis, il s'aventura d'un pas décidé vers ce chemin semblant maudit.

Il marcha longtemps, suivant toujours les murmures discrets qui l'enfonçaient de plus en plus dans cette partie oubliée de la forêt. Au début, plusieurs paires d'yeux l'observaient, discrètement cachés dans la végétation, des animaux curieux de voir une forme de vie s'aventurer ici. Mais plus il avançait sur ce chemin, plus la végétation autour de lui semblait dépérir au fil des mètres qu'il parcourait. Jamais il ne se serait douté une seconde qu'une partie de la forêt avait dépéri. Les arbres n'avaient plus de feuilles et avaient les racines à l'air, la terre était aride, les squelettes d'animaux jonchaient le sol. Pour couronner le tout, en plus de l'obscurité anormalement omniprésente au vu de la condition des arbres, une sorte de brouillard s'épaississait de plus en plus tandis qu'il avançait toujours. Parfois, du coin de l'œil, il pouvait apercevoir d'étranges ombres, des formes sombres bouger. Des feux follets faisaient aussi parfois leur apparition çà et là. De temps à autre, de l'eau et de la vapeur jaillissaient bruyamment de geysers sur les côtés ou sur la route de l'adolescent, brisant le silence pesant qui régnait ici.

– Eh la fée. Pourquoi c'est mort ici ? C'est quoi ce brouillard ? Pourquoi il fait noir alors que les arbres ont plus de feuilles ?

- C'est ma malédiction qui a rongé cette partie de la forêt quand Slenderman m'a enfermé.

– Je vois. On est bientôt arrivés ?

– Oui. Tu vois cette montagne se dessiner derrière cet épais brouillard ? C'est juste là.

En effet, le brouillard qui s'estompait peu à peu, laissa apercevoir une grosse chaîne montagneuse de roches couvertes de végétation. Alors, devant le garçon, se trouvait camouflé par la mousse proéminente sur les murs; les arbustes et les buissons ainsi que du lierre qui pendait, un trou présent dans la roche. Quelque chose était gravé sur une stèle à moitié cassée, des écritures presque effacées par le temps. On pouvait quand même lire :

"Ici repose Eilof Mania. Ne pas entrer."

Le garçon ne prit pas la peine de lire et trancha la végétation qui l'empêchait de progresser d'un vif geste du tranchant de la main. À partir de là, les murmures s'intensifiaient de plus en plus, devenant de plus en plus bruyants au fil de sa progression dans la sombre grotte. Ils étaient devenus si bruyants qu'ils semblaient crier. Pourtant, ce qu'ils disaient restait totalement incompréhensible.

Finalement, lorsque le garçon arriva devant un cul-de-sac avec un simple pilier où une serrure était creusée, les murmures cessèrent. Le plus étrange dans cette grotte, ce n'était pas ces murmures, c'était l'absence totale d'insectes. Et d'autres types d'animaux habitant normalement les grottes. Masked plongea sa main dans la poche de son manteau, et en sortit la fameuse clé. Il ne perdit pas de temps pour l'insérer dans la serrure, et la tourner sans prendre le temps de réfléchir. Il voulait revoir Clockwork, il était déterminé à tout, absolument tout pour retrouver sa grande sœur adoptive, il ne reculerait devant rien et ne tremblerait pas. Car après tout, elle était morte par sa faute, et elle n'avait même pas tremblé d'un poil face à Lester lorsque Masked était en danger, alors il n'avait pas le droit d'hésiter à la ressusciter, quoi qu'il advienne.

Le sol autour de lui s'illumina d'un rouge et d'un noir menaçants, dessinant d'étranges textes brouillés. Ces textes se dirigèrent vers le cul-de-sac et semblèrent s'y infiltrer. La pierre devint rouge et se mit à fondre, dévoilant un étrange mur de verre et de glace, derrière lequel se tenait un être à l'apparence humanoïde. Un homme en costard noir à chemise rouge ainsi qu'une cravate elle aussi noire. Sa peau était grise et ses cheveux mi-longs étaient d'un gris un peu plus foncé que sa peau. Ses yeux étaient entièrement rouges, avec un fin cercle noir en guise de délimitation des pupilles. Sur sa tête, deux grosses cornes du même noir que son costard étaient dressées sur le haut de son crâne. Il posa la main sur le mur vitreux qui le séparait de l'adolescent. Ses lèvres s'écarquillèrent en un large sourire machiavélique, dévoilant ses dents pointues et acérées, semblables à la dentition d'un requin. L'expression hautaine et moqueuse, qu'il avait sur son visage n'impressionna guère le masqué, qui le dévisagea simplement avant de mettre les mains dans ses poches.

- C'est marrant, pour une fée tu ressembles pas à une fée. Et pour une fée, le peu d'aura que tu dégages est vachement démoniaque.

– Le peu d'aura que je dégage dis-tu ?

L'homme contracta sa main, et la glace qui le retenait se brisa, libérant soudainement toute l'étendue de son pouvoir. Une aura si puissante que la terre tremblait par sa simple présence. La pression de sa puissance ayant d'un seul coup été libérée déchaîna la météo. Un orage se manifesta instantanément, les vents soufflaient violemment en rafale, et la grotte menaçait de s'écrouler à tout moment.

- J'avoue, t'es plutôt fort. Mais toujours moins que moi. Aller on a fait un marché, ressuscite Clockwork maintenant que j'ai rempli ma part du contrat.

Lorsque le masqué lui tourna le dos, regardant la sortie avec insistance, l'homme ricana et fit apparaître une étrange épée à la lame rouge, complètement enflammée.

- J'ai volé cette épée dans les affaires de feu Samaël le Destructeur. Elle peut envoyer quiconque est tranché par cette épée en enfer.

– Donc elle peut aussi les ramener c'est ça ?

– Oui. Mais... On ne t'a jamais dit de ne pas faire confiance à un démon ?

Le masqué n'eut même pas le temps d'être surpris de sa phrase, que le démon lui transperça le dos avec sa lame. Le corps de l'adolescent s'enflamma et ses forces commencèrent à l'abandonner. Il tenta de lever son bras afin de frapper l'homme, mais son corps ne répondait déjà plus.

– Abruti. Je peux pas crever, donc je peux pas aller en enfer.

- C'est toi l'abruti. Ce n'est pas ton corps que cette épée tue. Elle aspire l'âme de celui qu'elle transperce et l'envoie en enfer pour toujours, immortel ou pas. Dis merci à Samaël pour cette magnifique création.

– Samaël ? Connais pas. Enfoiré. Tu me payeras ça... T'es qui bordel ?!

– Tu n'as toujours pas remarqué ? Eilof est l'anagramme du mot "Folie". Quant à "Mania" c'est simplement du grecque ancien qui signifie aussi folie. Je suis Zalgo, entité de la folie. Je ne te dis pas bonjour mais adieu, passe le bonjour à ces abrutis de Satan et Baphomet de ma part s'il te plaît. Et toutes mes condoléances pour Samaël aussi.

Alors, le démon trancha violemment la tête du masqué. Le corps décapité du garçon tomba lourdement au sol, tandis que sa tête vint rouler un peu plus loin. Il cracha du sang, et vit son propre corps se vider lui aussi, sans rien pouvoir faire. Ses forces le quittaient et ses yeux se fermèrent petit à petit. Il ne put prononcer qu'une chose avant de mourir, un simple nom.

– Clock.. Work..

Puis, son aura disparut complètement. Zalgo prit une grande inspiration, gonflant un maximum ses poumons avant de hurler, agitant fortement son aura. À nouveau, la terre entière se mit à trembler, les vents à souffler de puissantes bourrasques, un vent assez fort pour retourner une voiture, un char d'assaut ou pulvériser des bâtiments sur son passage. Une aura si intense que la gravité elle-même en était affectée. La créature se téléporta à l'extérieur de la grotte, avant que cette dernière ne s'écroule, broyant ce qu'il restait du corps du masqué sous les rochers.

– Héhéhé... Le subterfuge a fonctionné.

Ricana-t-il d'un air satisfait. D'un geste de la main, il réorganisa les lettres inscrites sur la pierre à l'entrée de la grotte, avant de disparaitre. Désormais on pouvait y lire :

"Ici est scellé Zalgo, l'entité de la folie. Ne pas entrer."

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