6🌟Team Ouin-Ouin
« Mademoiselle Stella, la bibliothèque va fermer. »
Je regarde le vieux bibliothécaire gratter son crâne dégarni, un petit sourire désolé sur les lèvres et de gros bouquins lévitant à ses côtés. Je réponds à son sourire et referme les ouvrages avant de les poser sur le chariot devant moi.
Mon chignon refait en quelques secondes, je réajuste mon sweat et suis monsieur Spencer jusqu'à la sortie de la bibliothèque du bâtiment central du Comité de la magie. J'adore l'ambiance qui se dégage de toutes ces allées remplies de livres abritant des secrets de notre monde trop peu exploité.
Les derniers rayons de soleil s'infiltrent à travers les rideaux poussiéreux et le silence apaisant dû au peu de visiteurs en cette fin de samedi après-midi est ce que je préfère.
« J'aime beaucoup passer l'heure dorée dans ce lieu. » murmuré-je alors que mes baskets font craquer le parquet. Je vois le sourire du bibliothécaire s'étirer lorsque nous arrivons à son bureau et qu'il s'assoit.
— Tu n'empruntes rien cette semaine ? me demande-t-il en regardant ma carte.
— Non, j'ai déjà tout ce qu'il me faut. Et je sais que vous êtes à cheval sur les retards.
— Hm. Je suis content que le Comité ait été déplacé sur un campus étudiant. Maintenant, il y a bien plus de visiteurs ici. Je me rappelle du temps où tu venais une fois par mois avec les Orphelins de Salem.
— « Vous avez le droit d'emprunter un seul livre par mois donc choisissez bien ! »
— Tu prenais toujours le plus gros et tu te vantais de l'avoir lu plusieurs fois dans le mois. Je me rappelle encore de ton impatience...
Spencer sourit à nouveau et se permet même de rire alors que je l'interroge du regard en mettant mon sac sur mon dos.
— Je repense à ce que tu viens de dire, sur l'heure dorée. Tu n'es pas la première à me l'avoir dit...
— Ah ?
— Ça m'a fait penser au petit Luna.
— ...Luna ? Lequel ?
— Miguel. Il y a quelques années, c'était la personne passant le plus de temps ici. Ça ne m'étonnerait même pas qu'il ait lu plus de la moitié des livres que nous possédons.
Je me contente de hausser les sourcils et de le remercier avant de quitter la bibliothèque. Marchant en direction de ma chambre étudiante, je sens déjà l'agitation crée par la soirée de bienvenue avec toutes ces personnes se baladant bien habillée sur les chemins goudronnés.
Mes écouteurs dans les oreilles, je chantonne en arrivant jusqu'à ma porte lorsque je vois Nora, habillée comme une bombe sexuelle, en train de m'attendre, les bras croisés sur sa poitrine.
— J'espère que tu écoutes du bon son pour te motiver pour ce soir !
— On n'est pas mieux qu'à dos de Chocobo ! Lalala-lalalala lala-lalalalalaaa !
— Putain Jill ! Hors de question que tu passes ta soirée à jouer à Final Fantasy !
Je fais une petite moue colérique qui ne fonctionne pas et ouvre la porte de ma chambre pour laisser ma meilleure amie fouiller dans mon armoire sans même me demander la permission.
Alors que je file sous la douche pour me débarrasser de la crasse de la journée, Nora me rejoint dans la salle de bain et balance des sous-vêtements et une petite robe noire que je n'ai pas mis depuis des lustres à côté de l'évier.
— Je m'occupe de ton maquillage, déclare-t-elle après que je me sois séché.
— Tu m'obliges vraiment à y aller ? Pas le choix ?
— Nope ! Tu dois t'intégrer et j'en ai marre qu'on dise de toi que tu es... bref, tu m'as compris. On vit dans une société magique où l'apparence compte énormément et si tu veux un bon travail plus tard, il faut te créer un réseau chez les sorcières et montrer que tu es motivée !
— Je n'aime pas être « comme ça ». Pas « moi ».
— Tu n'es plus toi depuis bien longtemps. Autant prétendre juste pour ce soir, non ?
— Pfff...
— Eh puis peut-être que le professeur Luna amènera le Président avec lui ? Tu sais ce que j'ai appris ce matin ? Qu'ils étaient meilleurs amis et surtout amis d'enfance ! Tu te rends compte ?! Notre professeur m'étonne chaque jour !
— Mouais... Il t'intéresse ?
Nora ne me répond qu'avec un sourire taquin avant de claquer du doigt pour me presser à ce que je m'habille. J'enfile la robe noire dont la jupe m'arrive un poil au-dessus des genoux avant de mettre un peu d'anticerne sous mes yeux et de crayon charbonneux pour souligner mon regard.
Comme souvent, elle vient derrière moi s'occuper de mes cheveux, les séchant et les coiffant à sa guise avec des sortilèges qu'elle a appris quand on était gosse. Transformant ma coiffure négligée en une belle chevelure blonde lisse s'arrêtant au début de mon décolleté et ayant un effet « de retour de la plage » comme si l'eau de mer la rendait à la fois disciplinée et sauvage.
— Du rouge à lèvres ?
— Bof...
— Allez, un peu de rose pour te donner de la vie ! Et voilà ! Tu es très belle comme ça !
Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire face au miroir alors que Nora me prend en photo. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas vu si... apprêtée.
Quand je pense qu'avant, je faisais des efforts monstres pour Abel. Je m'habillais toujours bien, une coloration impeccable cachant mes cheveux blancs prématurés, épilation professionnelle et j'en passe... Avec toujours un bon parfum et un bijou dans mon cou.
Maintenant, je n'en ai plus rien à foutre.
Je ne veux pas être belle pour les autres mais je ne veux même pas être belle pour moi, c'est dire...
En pensant au parfum...
Je regarde ceux présents sur le rebord de l'évier avant de soupirer et d'aller fouiller dans un sac au fond de mon armoire pour sortir la boite de mon parfum favori.
— C'est celui qu'Ilya t'avait offert pour ton anniversaire, non ?
— Ouais... J'avais trouvé ça tellement déplacé qu'il m'offre « La petite robe noire » un mois après l'enterrement de ton frère...
— Ilya a toujours été maladroit mais on l'aime comme ça.
Je me tourne vers Nora qui fixe un point invisible d'une expression indéchiffrable après que sa voix ait exprimé tant de douceur envers notre Russe préféré.
J'ai toujours soupçonné qu'elle était raide dingue d'Ilya alors qu'il a bien une vingtaine d'années de plus que nous. On l'a connu très tôt dans notre vie alors qu'il était déjà bien plus « vieux » que nous mais je ne sais pas, Ilya a l'air d'être un vampire.
Le genre d'homme qui ne vieillit jamais physiquement. Un peu comme Keanu Reeves.
Le genre d'homme dont je me méfie naturellement, comme ceux qui n'arrêtent pas de sourire et d'être gentils comme le professeur Luna. Ce sont ceux qui ont le plus à cacher.
🌙🌙🌙
Je regrette déjà d'être venue.
Nous sommes à la soirée de bienvenue depuis deux heures et Nora est déjà ivre. Je l'observe se balader dans la foule de sorciers et sorcières, saluant des inconnus et créant des liens d'un claquement de doigts.
Elle est tellement à l'aise que ça me rend jalouse.
« Tu es une étoile, Jill. »
Tu t'es trompé Abel. C'est ta sœur qui brille. Moi, je n'ai d'étoile que mon nom.
Nous sommes tous réunis dans une grande salle de réception où toutes les fenêtres sont ouvertes, nous laissant libre accès à une immense terrasse et à un jardin décoré spécialement pour l'événement.
Un bar à l'intérieur et à l'extérieur, des DJ set, des lampions et de la bonne nourriture... Une « opulence » dont je n'ai pas l'habitude. Tout pour satisfaire le monde magique et même les créatures féeriques se mêlant à la fête. Je remarque également la présence de quelques démons qui osent se mêler à la foule.
Avant l'arrivée du Président, ça n'aurait pas pu être possible tant les conflits entre nous étaient puissants. C'est pour ça que je l'admire : on le traite d'homme froid mais tout ce qu'il entreprend sert bien plus à la communauté que le précédent Conseil de la magie.
Je regarde Nora commencer à danser sur la piste avec d'autres filles de notre promotion et si avant j'aurais pu les rejoindre juste parce que j'aime bouger mon corps, la flemme me pousse à fuir dehors et traverser le jardin.
Je me mets à l'écart de l'agitation, un nouveau Cuba Libre entre les doigts, m'asseyant sur un banc sous une pergola où les plantes grimpantes sont sublimement illuminées par des guirlandes de LED de toutes les couleurs.
D'ici, j'arrive à voir l'agitation à l'intérieur et même sur la terrasse. Je suis sûr que Nora, la « sorcière de la nuit », met le feu à la piste. Et moi je suis là, à ne pas faire d'effort parce que je n'en ai plus envie depuis trop longtemps.
« J'ai envie de m'en griller une... » murmuré-je en fixant mon verre.
« Tiens. »
Je lève la tête et ne peux m'empêcher de soupirer en saisissant la clope et le zippo que me tend celui que j'aurais voulu éviter...
Non. C'est plutôt étrange avec le professeur Luna : j'ai autant envie de lui parler que de le descendre.
Moi qui adore apprendre, j'aimerais qu'il me partage son infinie connaissance.
Mais l'autre part de moi qui vois un faux-cul derrière tous ces sourires et cette gentillesse, ne veut que lui rappeler qu'il n'a rien d'exceptionnel.
Et pourtant, ce simple sourire qu'il m'adresse alors que je suis infecte avec lui...
Une veste noire sur un t-shirt pourpre et un pantalon gris, une barbe de trois jours et ses cheveux bruns légèrement bouclés coiffés en mode « retour de baise ». Tout cet ensemble associé en plus à la cigarette dans sa bouche et sa nonchalance ne le rend que désirable.
J'allume la clope qu'il m'a offerte et lui rends son zippo pour qu'il fasse de même. Nous soufflons en même temps notre fumée, fixant la fête un peu plus loin et jouant chacun à faire tourner les glaçons dans nos verres.
— Pas très soirée ? me demande-t-il.
— Mouais.
— Pas ce genre de soirée ?
— On n'est pas obligé de se parler. On peut juste fumer en silence. Si vous voulez parler avec une femme, il y en a une chiée là-bas qui se plierait en quatre pour avoir votre attention.
Je regrette immédiatement la dureté de mes mots alors que le sourire de l'espagnol disparait.
Putain, mais depuis quand je suis si méchante ? Je n'étais pas comme ça avant...
Est-ce que c'est parce que je t'ai perdu que j'ai changé, Abel ?
— Excusez-moi, murmuré-je avant de soupirer.
— C'était gratuit.
— Mais pas justifié.
— Si, si... un peu. Dès que je suis arrivé tout à l'heure, les femmes se sont ruées vers moi.
— Vous êtes en train d'aggraver votre cas en vous vantant, monsieur Luna.
— Et j'ai envie de vous tacler à chaque fois que vous ouvrez la bouche, mademoiselle Stella.
— Allez-y, pour l'instant c'est toujours moi qui gagne.
— Ce serait mal vu pour un professeur.
— Vous vous êtes tapé une élève le premier jour, franchement, on peut faire plus « mal vu » ? Eh oui professeur, il fallait être plus discret. Les rumeurs vont vite.
Je lève la tête vers lui et au lieu de voir une mine choquée, mon prof me surprend avec une tête que je qualifierais de « Je m'en bats les couilles, frère ».
Oua. Il entache sa réputation de professeur mais il s'en fiche tellement que ça en est beau.
« Je suis un Luna. Les gens ne s'étonnent même plus de ce genre d'événement. Ce serait limite bizarre que je ne drague pas mes étudiantes... »
Sa réflexion est prononcée sur le ton de la rigolade mais pourtant, je sens de l'amertume dans ses propos.
— Monsieur Luna ?
— Quoi ? Encore un tacle ?
— Vous n'êtes pas obligé de suivre ce que votre nom de famille, par sa réputation, vous impose.
— C'est de notoriété publique que depuis des décennies les hommes de la famille Luna sont des dragueurs, des infidèles même. Quand on grandit avec cette image de Don Juan au-dessus de la tête, ça crée une pression à laquelle on est obligé de se soumettre.
— Ou alors vous pouvez ne pas être celui que la société veut que vous soyez.
— Oh pitié ! s'exclame-t-il. Comme si vous pouviez comprendre ce que ça fait de grandir dans une famille qui inconsciemment vous impose une vie ?
— ... Aïe.
Je me mords la lèvre et détourne le regard, sentant que pour une fois, c'est lui qui vient de me frapper en plein dans la poitrine. Son silence transpire le regret et son soupire en rajoute une couche comme pour dire « mais c'est quoi notre problème ? ».
— Je ne voulais pas...
— Vous avez raison et tort à la fois. Je sais ce que ça fait d'avoir une famille dont le poids nous pèse toute une vie mais je ne sais pas ce que c'est que de grandir avec. Je n'ai pas eu cette occasion.
— Vraiment désolé... Putain...
— Je ne suis pas comme toutes ces filles, ces étudiantes que vous vous amusez à draguer et qui s'amusent comme des folles là-bas. Je ne suis pas comme eux, comme vous. J'ai souvent connu la misère avec mes pauvres repas de conserves froides et mon lit de carton... Mais je n'aime pas faire partie de la « Team Ouin-ouin » qui ne fait que s'apitoyer.
— Vous êtes plutôt dans la Team « j'ai vécu des choses que personne ne peut comprendre ».
— Excusez-moi d'avoir un peu galéré dans la vie contrairement à vous !
— Tu ne sais RIEN de moi !
Un instant, j'ai eu peur. Mon corps est en alerte.
Miguel Luna, le gentil professeur, a soudainement élevé la voix en me faisant frissonner avec son ton colérique. Il me fixe de haut, les sourcils froncés et presque une envie de me frapper dans les yeux.
« Oui, je fais partie d'une famille connue mais nous avons toujours été pauvres. Moi aussi, j'ai connu une vie très modeste. J'ai dû bosser à partir de 10 ans pour aider mes parents et même en m'émancipant à 16 ans, je les aidais toujours. J'ai connu la faim et les petits boulots merdiques et même si j'étais le meilleur pote d'une grande fortune de notre monde, je n'ai jamais voulu de sa pitié. Question d'égo. Alors ouais, j'ai peut-être moins galéré qu'une orpheline mais j'ai vu et fait des choses qui t'interdisent de me juger aussi facilement ! Fais chier ! »
Il m'a carrément hurlé dessus ces derniers mots et même des gens un peu plus loin se sont retournés tellement c'était puissant.
Une colère pure dirigée contre moi et totalement justifiée...
Alors j'avais raison. On ne peut pas être tout gentil sans avoir sa part d'ombre et Miguel Luna n'est pas une exception à la règle.
La lune et l'étoile n'arrive toujours pas à avoir une conversation normal sans s'échauffer ! Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Des similitudes entre Jill et Miguel ? De sa relation avec Nora ?
De l'engueulade avec notre Miguechou sur leur galère passé respective ? Est-ce qu'ils vont réussi à ne pas se tirer dessus à chaque fois qu'il se parle ?
🌙Continuez à me soutenir en cliquant sur la petite étoile et n'hésitez pas à me donner votre avis sur le chapitre en commentaire s'il vous a plu ! Je vous souhaite une bonne nouvelle année 2021, en espérant qu'elle sera moins relou que la précédente. On se retrouve samedi pour la suite !🌙
Eeyore (feat. sevenb) 🎶 midnight thoughts
https://youtu.be/dtOHS5GVIgo
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