10🌟Quatre-quarts au citron


J'ai toujours maudit mes pouvoirs et mon passé. Si personne ne vient m'emmerder, c'est parce qu'en arrivant aux Orphelins de Salem, Ilya Vitaïev a eu la meilleure idée du siècle : faire de mon deuxième nom, mon premier.

Ce qui fait que le premier a totalement disparu. Administrativement, je suis Jill S. Stella. Personne ne sait ce que le « S. » signifie et depuis des années, il n'est même plus écrit.

Alors si les gens savaient ce que j'ai fait, ce que je suis capable de faire et mes capacités, je serais encore traité différemment. Exploitée.

J'avoue m'être servie de mon pouvoir de nombreuses fois sur Nora mais la seule fois où je l'ai utilisé sur Abel, il a failli me quitter. Il savait pourquoi je ne l'utilisais pas, les effets secondaires et toutes les autres conséquences, me faisant jurer de ne jamais l'utiliser sur lui.

Un jour, j'avais craqué et j'avais failli le perdre. Depuis ce jour, j'ai enfoui cette « malédiction » tout au fond de moi...

Mais diable sa mère la pute que j'ai envie de l'utiliser sur Miguel Luna tellement il me casse les ovaires !

« Mademoiselle Stella ? »

J'arrête de tortiller le capuchon de mon stylo et lève la tête face à la conseillère d'orientation. Je vois le soleil décliner derrière elle et son impatience de terminer sa semaine en ce vendredi soir alors que je monopolise son temps.

— Alors ? me demande-t-elle à nouveau. Vous avez une idée de la spécialité que vous voulez prendre ? Le choix de votre futur métier se fait certes en troisième année mais c'est dès maintenant qu'il faut vous préparer.

— J'y réfléchis toujours.

— Lors de votre première demande de bourse, vous aviez inscrit vouloir être soit administratrice au Comité de la Magie, soit apothicaire. Or lors de votre deuxième demande, vous avez laissé le champ vide.

— C'est dur de se projeter dans notre monde actuel.

— Au contraire, c'est bien plus facile maintenant avec le nouveau système ! Vous avez l'intelligence et les capacités de pouvoir choisir n'importe quelle voie, mademoiselle Stella.

— Mouais...

La conseillère soupire et tourne son fauteuil vers la vitre pour observer d'un air bien trop dramatique l'extérieur. Je m'attendrais presque à ce qu'elle fasse un discours inspirant sur l'avenir et d'autres conneries.

— Vous avez choisi où vous allez faire votre stage obligatoire ? dit-elle finalement. Quel professeur allez-vous assister ?

— J'ai postulé auprès de la professeure de Démonologie et elle était d'accord.

— Il me faudra un accord écrit de sa part avant la fin de la semaine prochaine sinon l'administration vous mettra là où on a besoin de bras.

— C'est noté.

— N'oubliez pas d'envisager toutes les possibilités et de réfléchir à votre avenir avant qu'il ne soit trop tard.

Sa phrase résonne encore dans ma tête même après avoir quitté son bureau et rejoint ma chambre étudiante. Mes voisins de palier me proposent de manger avec eux ce soir dans la cuisine commune mais je décline poliment et m'enferme avant de me jeter sur mon lit.

Cela fait plusieurs heures mais pourtant, j'ai encore la dispute avec Miguel Luna sur le cœur.

Il m'a traitée de frustrée, le con.

Ma main glisse jusque sous mon lit d'où je sors une boite en métal avec à l'intérieur au moins six sextoys de différentes tailles, couleurs et fonctions, accompagné de lubrifiant. Il y a même des capotes que Nora m'avait données, mais elles sont surement périmées depuis le temps.

J'ai beau maintenir le fait qu'il n'y a pas que le cul dans la vie, je sais qu'un orgasme de temps en temps, ça aide à être heureux. Et je cumule de nombreux orgasmes en solitaire, au moins un soir sur deux.

En vrai, je crois que je suis bel et bien frustrée. J'ai parfois l'impression de vivre par procuration le quotidien de Nora, quitte à trop m'immiscer.

Mais ce n'est pas ma faute... Les mecs qui sont passés après Abel sont tous nul à chier. Il n'y en a eu que trois, pour tester, mais ce n'était vraiment pas dingue.

Des hommes qui pensent bien faire les choses, que le corps de chaque femme est pareil et qu'un truc qui plait à l'une doit forcément marcher sur une autre...

Peut-être que c'est pour ça que Miguel Luna a du succès ? Parce qu'il fait se sentir vraiment spéciale les filles avec lui ?

Moi, il me donne des envies de violence autant qu'il arrive à me passionner avec ses cours.

Allonger avec mon portable dans les mains, je fais défiler les contacts et arrive comme une cruche à lâcher l'appareil et le faire tomber sur mon visage.

Après avoir frotté mon nez, j'appuie sur le contact de Nora et tente de la joindre plusieurs fois d'affilé jusqu'à ce qu'à la cinquième fois, elle décroche enfin.

— Fous-moi la paix, Jill !

— Mais je n'ai encore rien dit !

— Laisse-moi deviner : tu vas tenter de me convaincre de ne pas sortir avec Esteban.

— Pfff, « Esteban ». Qui demande à se faire appeler par son deuxième prénom ? Il n'assume pas qu'une de ses élèves l'appelle Miguel ? Tu vois, ça démarre bien.

— On va juste boire un verre. Ça n'engage à rien.

— Non bien sûr. Une fille au hasard qui va boire un verre avec Miguel Luna aka le prof le plus sexy du campus qui fait fantasmer tout le monde. Sauf moi, bien sûr. Ça engage forcément à un truc au moins sexuel !

— Tout ne se rapporte pas au sexe, Jill.

Elle ose me piquer ma phrase et la retourner contre moi.

C'est sûr à 90% que si elle va à ce rencard, elle couchera avec lui. Les 10% restant sont de l'ordre de l'imprévu type attaque de démon dans un bar, tempête qui interrompt leur échange ou tout autre chose plus ou moins improbable.

— Nora, est-ce que tu es vraiment attiré par Miguel Luna ? Peu importe ce que je vais dire, tu iras, c'est ça ?

—Exactement. J'ai toujours vécu ma vie comme je le voulais et même si je t'adore Jill, je ferais ce que je veux. Tu as le droit d'avoir des différends avec lui et de le voir comme... Je n'en sais rien en fait. Je ne comprends pas pourquoi tu ne l'aimes pas ! Notre professeur est un amour !

— Les mecs trop gentils avec tout le monde, c'est louche. Les sorciers trop gentils, ça pue carrément le piège.

— Je dois sortir ce soir et me prévoir une tenue pour demain. Bonne soirée.

— Attends Nor-

Trop tard.

Elle a raison mais je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas envie qu'elle se retrouve seule avec lui.

Mais je n'y peux rien et c'est sur cette défaite que je passe ma soirée à jouer à Among Us et toute ma journée de samedi à glander devant Netflix et la dernière saison de Lucifer.

Toujours en sweat et jogging, des morceaux de cookie sur le ventre, je soupire lorsque mes yeux commencent à piquer et que mon corps ressent le manque de lumière. Mon regard dérivent sur la pile de livres qu'habituellement je dévore mais je n'ai pas la foi.

Elle doit déjà être prête pour son rencard... J'ai envie d'aller voir s'il prend le truc au sérieux. Juste une sortie rapide en prétextant un jogging, je le croise en route, le tacle, et retourne dans ma chambre.

Toujours ma curiosité qui me sort de ma flemmardise.

J'enfile mes baskets, prends mes écouteurs, mon portable et quitte la résidence étudiante après m'être étiré. Un peu de pop dans les oreilles, je cours à mon rythme le temps de faire le tour des jardins jusqu'à apercevoir mon professeur au loin en train de fumer assis sur un banc en pierre.

Entouré d'hortensia, Miguel Luna glisse sa cigarette entre ses lèvres et tourne délicatement la page du livre entre ses mains. Il se gratte le front, l'air concentré sur sa lecture alors que je l'observe discrètement.

D'accord. Nora a de la chance.

Une veste en cuir marron, un t-shirt gris, un jean et des sneakers. C'est simple mais ça fait son effet et diable que toute cette image de Miguel Luna est belle. Ça doit être son aura.

Soudain, il lève la tête vers moi et me fait le plus beau sourire que j'ai jamais vu...

« Ah. »

Jusqu'à ce qu'il se rende compte que c'est « moi » et que le sourire se transforme en mine dégoutée.

La déception que je lui provoque est insultante mais compréhensible et j'aurais réagi de la même façon.

— Vous êtes venu me taxer une clope ? dit-il tout en retournant à sa lecture.

— Non, je passais ici par hasard.

— Ben voyons...

— Quoi ? J'ai le droit de faire du sport un samedi soir ?

— Vous courrez trois-quatre fois par alternance. Soit le lundi-mercredi-vendredi et j'imagine le dimanche, soit le mardi-jeudi-samedi. Toujours le matin et j'imagine en après-midi le week-end. J'ai raison ?

C'est chiant de se confronter à un homme qui a déjà travaillé sur des enquêtes et qui a une mémoire absolue. Impossible de le contredire sur les faits qu'il expose.

— Vous êtes venu vous excuser alors ?

— Pardon ? Moi ? M'excuser ? Vous m'avez presque traité de frigide !

— Vous avez manqué de respect à mes couilles.

— Oh, pardonnez-moi les filles ! dis-je d'un ton mielleux en me penchant vers lui et en fixant son jean. Vraiment désolée !

— Vous êtes vraiment chiante, Jill.

Il fait claquer son livre, me faisant sursauter, et se lève d'un coup pour me faire face. Faisant à peine quelques centimètres de plus que moi, notre soudaine proximité me force à faire un pas en arrière qui manque de me faire chavirer dans les graviers et les hortensias.

Mais il le perçoit et me soutient juste à temps avec sa main dans mon dos.

Les derniers rayons du soleil donnent des couleurs bleues et roses à nos visages et un frisson délicieux me parcourt lorsque je sens sa main contre moi. Nous sommes vraiment très proches et je m'en veux de lui faire subir l'odeur de ma transpiration.

Lui, il sent bon... hein ? Ce n'est pas du parfum, ça. Mais... Je connais cette odeur.

« Vous sentez le gel douche DOP au quatre-quarts au citron. »

Son visage s'illumine en même temps que ses joues rougissent et je réponds à sa gêne avec un sourire sincère.

— Vous êtes un peu un enfant, murmuré-je d'un air taquin.

— Pas tant que ça... J'alterne avec « glace à la menthe givrée ».

— Vous savez que c'est hyper chimique, ce genre de gel douche ?

— Je suis sûr que vous êtes « dragibus ».

— « Authentique madeleine ».

— Mmm...

Je n'ai pas contrôlé ma langue léchant ma lèvre supérieure après la « madeleine » comme Miguel Luna ne contrôle pas son visage se rapprochant du mien. Ses paupières se ferment et il enfouit presque sa tête dans mes cheveux en respirant un grand coup avant de soupirer de plaisir contre mon oreille.

Je sens des fourmis au bout de mes doigts, un frisson agréable dans tout mon corps et cette rare envie d'en avoir plus.

Nous n'arrivons pas à discuter comme des adultes civilisés sans se prendre la tête et avec lui, je sens le pire de moi ressortir...

Alors pourquoi un simple contact entre nous me trouble autant ? Pourquoi est-ce que j'ai envie de m'excuser de toutes mes méchancetés et de revoir ce sourire un peu plus souvent ?

« Oups. »

Mon professeur s'éloigne légèrement après avoir senti la cendre de la cigarette dans sa main gauche tomber. L'infime temps pour qu'il vérifie si elle est finie, je reprends mes esprits et pose mes paumes sur son torse.

L'erreur. Diable, quelle erreur ! C'est encore pire de toucher ses pectoraux alors que je veux m'en éloigner !

— Je crois que je vous retiens depuis trop longtemps avec ma bêtise, murmuré-je en m'écartant.

— Ah oui... Mon rencard.

Je tique sur le mot « rencard » alors que sa main quitte mon dos comme son sourire charmeur. Il sort son cendrier de poche, écrase le reste de cigarette et j'en profite pour faire un acte de bonté en me baissant pour ramasser le plus de grains de cendre au sol.

Prête à les mettre dans son cendrier, je remarque en me relevant qu'il lève les yeux au ciel comme s'il avait failli se faire prendre en flagrant délit de... de quoi ?

— Est-ce que vous venez de mater mon cul ? demandé-je d'un air choqué.

— Hiiinnn....

— Hin ?

— Quoi ?

— Vous avez fait « Hiiin ». C'est quoi ce son que vous venez de produire ?

— Pourquoi je devrais vous répondre ?

— Parce que je risque de vous faire chier jusqu'à avoir une réponse. Alors ? C'est quoi ce « hiinnnn » ?

— Arrêtez.

— Mais allez-y !

¡Por Dios! Est-ce que je vous demande pourquoi vous vous léchez autant les lèvres en me regardant ?! Et après je ne vous fais pas d'effet ?!

— C'est un TIC ! m'exclamé-je. Ce n'est pas lié à de l'excitation ! Merde ! J'en ai marre qu'on me prenne pour une chaudasse à chaque fois que je me lèche la lèvre ! Je n'y peux rien !

— EH BEN MOI AUSSI ! Moi aussi je n'y peux rien ! Moi aussi, ce « hiinnn », c'est un TIC depuis que je suis gosse ! Voilà ! Bordel, pourquoi il n'y a jamais moyen de bien conclure une conversation avec vous ?!

J'agite les mains en l'air, exaspéré par la tournure que prend notre échange, encore, et m'en vais sans un mot de plus.

Sauf que Miguel Luna part dans la même direction que moi. J'accélère et me mets même à courir pour m'éloigner le plus loin possible de cette intensité qu'il crée involontairement avec son corps.

« Jill ? Tu fais un footing ? »

Je manque de trébucher en croisant la route de Nora sur la route du Comité de la magie. Elle est magnifique dans sa jupe noire et son débardeur lui faisant un magnifique décolleté mettant en avant sa généreuse poitrine. Quelques bagues, des boucles d'oreilles longues et son médaillon doré pour accompagner son maquillage.

— Ouais, j'avais besoin de... Ben tiens. J'ai croisé ton rencard, il arrive.

— Ah oui ! Je le vois ! Oua. Il est sexy, putain.

— Mouais... Ben... Bon rencard, du coup.

— Ce n'est pas un « rencard ».

Ah ben si. Vu comment il l'a appelé, c'est bien un rencard, ma chérie.

Je me contente de hausser les épaules et la salue de la main avant de m'éloigner.

Jetant un dernier coup d'œil à ce duo que je ne m'attendais pas à voir ensemble. Se faire la bise et rire ensemble alors qu'ils n'ont même pas encore bu une goutte d'alcool.

À les voir comme ça, l'un à côté de l'autre, j'ai un poids sur le cœur car ils sont malheureusement beau ensemble.

Même si j'ai tenté de faire part de mes réticences à ma meilleure amie et qu'elle sait que j'ai énormément de mal avec Miguel Luna, elle va m'ignorer.

Comment pourrait-elle faire autrement face à un homme qui sent le quatre-quarts au citron ?

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Du pouvoir que Jill pourrait avoir et de son indécision sur son orientation professionnelle ?

De la façon dont le rencard entre Nora et Miguel la perturbe ? De sa discussion avec Miguel et du rapprochement entre eux avant qu'ils ne s'engueulent (encore) ? Vos théories sur l'issu du rencard ?

🌙N'hésitez pas à me soutenir en cliquant sur la petite étoile et n'hésitez pas à me donner votre avis sur le chapitre en commentaire s'il vous a plu ! On se retrouve samedi pour la suite !🌙

Eeyore 🎶hedgehog's dilemma

https://youtu.be/vEepbyaJFCY

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