7 - Numéro 28

« Tu me laisses tirer une taffe ? Merci beau gosse... Tu fais quoi ce soir ? »

Je souffle ma fumée en fermant les yeux et en relâchant ma tête en arrière alors que la rousse à mes côtés me caresse le torse en me piquant mon joint. Une gamine trop maquillée, trop parfumée et déjà trop stone à mon goût.

J'avais besoin de cette pause, très longue pause, après ma découverte sur la nature de Bianca.

Cette femme dont j'aurais dû me foutre et qui maintenant parasite mon esprit.

Cet « ange ».

Notre discussion date d'hier soir et 24h après, je n'arrive pas à me la sortir de la tête :


— Connaitre l'histoire ne fait pas de toi un ange.

— Ça fait que tu n'auras pas l'obligation de me tuer. Et maintenant que je sais que tu es un démon, j'ai une requête à te faire. J'aimerais que tu m'aides à récupérer mes ailes.

— AHAHAHAH ! Non ! Non non non ! Je ne vais pas aider une folle comme toi ! Rien ne prouve que tu es un ange et je ne suis pas le genre de démon à aider une suicidaire à retrouver la raison !

— Je te laisse réfléchir mais j'espère que tu vas faire preuve de générosité. Même si tu es un démon, je sens qu'en toi, il y a de la bonté. Quand tu seras décidé à m'aider, appelle-moi. En attendant... Merci Thérius. Merci pour ce soir.


Je ne peux retenir un grognement qui éloigne les mains de la rousse sur moi. Le joint à nouveau entre mes lèvres, je savoure une dernière taffe avant de le laisser à la gamine à mes côtés et de terminer mon verre de whisky.

— Fini pour moi, gamine.

— Eh !.. Tu ne veux pas passer la soirée avec moi ?

— T'es à peine majeur et moi j'ai quoi... Environ la trentaine pour toi ? Bref, trouve-toi un autre animal.

Je glisse un billet au gérant du coffee shop et me tire de cet endroit avant de devenir complètement dingue. J'y ai passé presque toute la journée et je suis étonné que Ruby ne soit pas venu me chercher...

Ruby... Hum...

Une idée délicieuse me passe dans la tête avant que je ne la chasse lorsque, quelques minutes plus tard, l'univers décide de m'y confronter.

« Mon Prince ? »

Je croise les yeux noirs de Ruby sortant de mon immeuble, une house de guitare dans le dos. Elle est habillée d'un haut de kimono à fleurs rouges et blanches dévoilant un débardeur noir en dessous, un jean brut et des talons noirs. Ses cheveux bordeaux sont attachés à la va-vite et son maquillage est plus sombre que d'habitude.

— Excusez ma tenue, mon Prince, je ne pensais pas vous croiser. Vous étiez absent ce matin alors je me suis permis de revenir pour vous apporter votre dernière commande après ma répétition.

— Tu joues dans un groupe ? Guitariste ?

— Bassiste dans un groupe de démones appelées les « Félinfernales ». Je ne fais que du remplacement avant leur prochain concert. Leur bassiste a eu un accident de type mortel.

— Je ne pensais pas que tu pouvais avoir un loisir et encore moins lié à la musique.

Ruby ne répond qu'en haussant les épaules avant de pencher la tête pour me saluer et partir dans la direction opposée.

« Attends, je te raccompagne. »

Ce n'est que ma curiosité sur le fait que ma « démone dévouée » ait une vie normale et non pas un rapport avec ma peur d'être seul. Non. Non bien sûr que non, je ne suis pas autophobique. J'aurais très bien pu rentrer et passer la soirée seul. Je suis un grand lion... Hum. Je suis peut-être tout simplement guidé par ma faim.

Ruby fronce les sourcils avant de retrouver un air parfaitement neutre et d'accepter la proposition. Nous marchons de longues minutes en silence le long des canaux lorsqu'il se met soudain à pleuvoir.

Je n'ai que faire de ce printemps pluvieux et, au contraire, je le savoure après des années enfermées à la Frontière sans la moindre pluie. Je me tourne vers Ruby en attendant qu'elle s'abrite avec le parapluie rétractable accroché à sa ceinture mais elle n'en fait rien.

Elle fixe la route droit devant elle et je me surprends à la comparer à Bianca étant dix fois plus chaleureuse. Si la suicidaire lunatique m'est encore étrangère, je peux déjà reconnaitre qu'elle dégage une chaleur agréable et réconfortante lorsque je suis avec elle.

Pour Ruby... c'est différent. Compliqué même. Cela fait des mois que nous nous côtoyons presque tous les jours et j'ai encore du mal à la cerner. Elle m'est dévoué mais à la fois froide et lorsque j'ai envie d'elle, c'est sa possible soumission à cause de son respect de la hiérarchie qui me rebute.

— Vendredi, déclare-t-elle soudain en passant sa main sur son visage mouillé. On joue vendredi au « R.L Bar », une salle de concert au bout du Red District. C'est rock mais elles ont un répertoire de reprise classique.

— C'est noté... C'est la première fois que tu me dévoiles quelque chose de toi. Ton Prince aurait fini par briser ta carapace ?

— Je vous en informe au cas où vous désiriez tuer la solitude le temps d'un soir.

— Je ne suis jamais seul, Ruby. Et je tue le temps différemment.

— Miguel m'a dit que vous aimiez beaucoup ce genre de musique auparavant. Mais si vous avez d'autres obligations, je comprends.

Cette phrase sonnerait pourrait presque vouloir dire « J'ai envie que tu viennes me voir, Thérius » mais le ton de sa voix et son expression neutre n'y font rien. Ruby est décidément bien insensible.

Alors pourquoi sa froideur me donne envie de la dévorer ? Ma faim ne s'est pas calmée et la débarrasser de ses vêtements trempés serait si facile...

Nous continuons de marcher sous la pluie alors que je serre les poings de frustration, mes pensées oscillant entre la belle Bianca et la tentation du corps démoniaque de Ruby, lorsque nous arrivons devant le Luci's Delights.

— Tu ne rentres pas chez toi ? demandé-je en observant les cabines des autres prostituées allumées.

— Non, j'ai encore du travail ce soir. Je dois préparer mon matériel pour demain. Merci de m'avoir accompagné, mon Prince.

— Ruby...

— Pardon, « Mon Prince rempli d'ivresse et de sex-appeal ». Bonne soirée.

Je ne peux m'empêcher de sourire lorsqu'elle fait preuve d'une pointe d'humour dans nos discussions alors que je la regarde passer le rideau de perle et que j'entends ses talons claquer dans les escaliers.

Je fais la même chose et m'arrête devant le bureau de Lucidélice n'ayant même pas daigné me saluer lorsque je me pose dans le fauteuil face à lui.

— Tu as provoqué un sacré bordel, Thérius. Je parle d'un des organisateurs des combats clandestins qui s'est fait agresser hier soir dans sa boite par un certain « Oblivion ».

— La solitude m'a donné un nom de famille et visiblement, elle m'a fait passer pour un faible auprès des autres démons. Un tort que je me suis empressé de régler hier soir. Quelque chose d'autre à dire ?

— Non bien sûr... Sinon, pourquoi est-ce que tu es ici ? À cette heure-ci, je te croirais plutôt en boite à attraper des humaines pour en faire ton repas.

Je souris à sa remarque et me mets à fixer les perles du rideau à ma droite. L'agitation nocturne du Red District en fond sonore, je commence sérieusement à me demander si Ludwig Hoffman n'avait pas raison :

« Tu te sens mal à l'aise quand tu es seul, tu as tendance à accepter n'importe quelle activité en duo ou en groupe et ça même si tu n'en as pas envie mais juste pour éviter la solitude. »

J'ai besoin de m'occuper et surtout de tromper la faim. Peut-être qu'il est enfin temps de céder...

— C'est combien pour une de tes filles ?

— Ben tient, le plus attirant des démons de la région a maintenant besoin de payer pour du sexe ? On aura tout entendu ! Tous mes succubes à l'étage seront ravis de t'accorder toute une nuit gratuitement, merci ta réputation de « meilleur coup sorti de l'enfer » !

— D'accord, je rectifie : c'est combien pour une nuit avec Ruby ?

Luci lève enfin la tête vers moi et retire ses lunettes de soleil pour me dévoiler deux trous là où résidaient ses yeux avant son incarcération à la Porte de l'Enfer. Même s'il ne peut pas me voir, il n'est pas aveugle et sent qu'il y a quelque chose qui cloche chez moi.

Et encore, il n'est pas au courant pour Bianca.

— Si tu lui ordonnes, ce sera gratuit.

— Sauf que je ne veux pas lui ordonner. Du moins pas avec autant de facilité. Je veux qu'elle agisse comme si j'étais n'importe lequel de ses clients.

— Oh diable tu n'aimerais pas qu'elle fasse ça ! Si Ruby a du succès, c'est parce qu'elle n'est pas comme les autres...

— Développe.

— Généralement, les hommes et les femmes qui viennent la voir sont très bien placés dans la société : grandes responsabilités, hauts postes, familles parfaites ou richesse... Bref, il dénote comparé aux clients qui parcourent le Red District. Tu penses qu'ils recherchent quoi avec Ruby ?

— J'en sais rien... Une secrétaire facile à soumettre ?

Le rire de Lucidélice retentit dans toute la pièce pendant de longues secondes, m'énervant de plus en plus jusqu'à ce que je mette fin à son hilarité en sortant plusieurs billets de mon portefeuille que je pose devant lui. Un beau compte dont la grande majorité a été volée au démon d'hier soir, mais tout de même.

— Garde la monnaie.

— Attend Thérius ! se reprend-il en me voyant monter à l'étage. Tu ne peux pas débarquer comme ç-

— Je suis le lion noir des enfers donc si, je débarque comme je veux !

Je débarque à l'étage et traverse un couleur violet où la moquette rouge étouffe mes pas. Chaque porte a un symbole et certaines ont même le nom des démones travaillant régulièrement ici. Je vais jusqu'au bout de la pièce, là où doit se trouver les portes menant aux vitrines servant à attirer les clients dans la rue et me met à renifler.

Son odeur est encore dans l'air.

Je toque au hasard à l'une des portes lorsqu'un succube sous la forme d'une femme aux formes généreuses m'ouvre et me dévisage avant de sourire à pleine dent.

— Qu'est-ce que je peux faire pour toi, mon lion ?

— Rien ce soir, malheureusement. Je cherche Ruby, elle est dans l'une des cabines ?

— Ah la chanceuse... Elle doit être dans sa chambre. Numéro 28 au deuxième étage.

La démone me fait un clin d'œil avant de retourner à son travail pendant que je retourne vers les escaliers et grimpe les marches par deux jusqu'à l'étage supérieur. Ici, le couloir est plus large et il y a beaucoup moins de chambres.

L'ambiance est soignée voire chic et je ne mets pas longtemps à arriver à la chambre numéro 28 tout au fond. Son numéro y est gravé et juste en dessous, un dessin de rubis noir indique très bien à qui appartient cet antre dans laquelle je pénètre sans frapper.

« Désolé, je ne suis pas pr- »

Ses lèvres s'arrêtent de bouger lorsqu'elle se tourne vers moi, très surprise, alors que je suis totalement cloué au sol tant par son odeur enivrante remplissant la pièce que la musique lancinante s'emparant de mon corps.

Mais s'il n'y avait que ça, non.

Il y a sa tenue, son simple kimono à peine attaché et dévoilant sa lingerie fine dont le rouge contraste avec sa peau claire et ses cheveux bordeaux. Ses jambes couvertes d'un collant attaché par un porte-jarretelle et ses talons noirs et rouge.

Or, le plus surprenant, c'est sa chambre. Son ambiance appelant à la débauche et au sexe sauvage, brute. Une grande pièce avec un lit couvert de satin, un tapis en imitation fourrure, un petit canapé et une fenêtre à peine cachée par un épais rideau rouge. Il semble également y avoir une autre pièce faisant office de salle de bain mais de ce que je constate en détaillant rapidement la pièce, c'est que tout est conçu pour, et essentiellement, de la baise.

Tout y compris la table basse où trônent des menottes, une corde, un bandeau, plusieurs sextoys, un martinet et bien d'autres accessoires BDSM.

Ah, je crois que je commence à comprendre ce que voulait dire Luci.

— Mon Prince ? arrive-t-elle à articuler malgré son étonnement. Que faites-vous ici ? Vous avez une mission pour moi ?

— Oh putain ça va être dur... Et si seulement je ne parlais que de la situation.

J'expire lentement et tente de rassembler mes esprits lorsque je remarque quelque chose d'inhabituel chez elle. De la gêne. Ruby est visiblement mal à l'aise devant moi et c'est la première fois que je la vois tenter de cacher ses émotions avec grande difficulté.

Elle se mordille la lèvre, détourne le regard pour finalement lever la tête au plafond et prendre une grande inspiration avant de se masser la nuque et de faire disparaître le rougissement de ses joues.

— Je rêve ou... Je viens de te troubler ? fais-je remarquer pour en rajouter une couche.

— Vous avez rêvé, mon Prince. Est-ce que je peux continuer mon travail, s'il vous plait ? Je n'avais pas fini de vérifier mon matériel.

— Mais ton Prince est apte à t'aider dans cette tâche ! Je me porte volontaire pour tester ton matériel si tu le désires.

Le roulement des yeux de la démone me confirme qu'elle a bien retrouvé cette attitude si typique qu'elle a envers moi quand je l'exaspère un peu trop.

Soudain, le petit téléphone mural accroché au mur près de sa porte se met à sonner. Elle me frôle pour y répondre et de ce que j'entends, Luci lui confirme bel et bien que je ne suis pas ici en tant que son « supérieur » mais en tant que client.

Elle tente à nouveau de contenir ses émotions et je le remarque cette fois-ci par le tremblement de sa lèvre qu'elle n'arrête pas de mordiller. Elle raccroche doucement avant de se tourner vers moi en fermant les yeux pendant quelques secondes.

Lorsqu'elle les ouvre à nouveau, j'ai l'impression d'avoir devant moi une femme différente. Son regard est perçant et je sens même un frisson me parcourir alors que je n'ai aucune raison de me sentir inférieur à elle.

Sa démarche est subitement assurée et féline alors qu'elle laisse glisser son kimono en satin le long de ses bras pour finir par atterrir au sol à l'instant où elle s'arrête à quelques centimètres de moi.

Ses yeux noirs se rapprochant de plus en plus du jaune démoniaque me fixent avant de me dévisager des pieds à la tête comme si j'étais sa nouvelle proie, moi, le lion noir.

Son changement d'attitude me trouble tellement que je ne peux m'empêcher de déglutir, provoquant un sourire mauvais sur son visage lorsqu'elle avoue enfin ce que Lucidélice voulait me faire comprendre :

« Ici, c'est moi la maîtresse. C'est moi la reine et mes clients me sont soumis. Ce sont mes petits chiens, mes esclaves. Alors toi, fils de Satan, quelle est ta position dans mon antre ? »



Est-ce que vous entendez le fouet qui claque dans la chambre 28 ? Moi oui.

Votre avis sur ce que pense Thérius de la nature de Bianca ? Est-ce qu'il va y croire ? De sa faim qui le conduit jusqu'à Ruby quitte à payer une nuit avec elle ? Que va-t-il se passer dans cette chambre ?

🦁N'hésitez pas à voter et donner votre avis si ce chapitre vous a plu ! On se retrouve samedi prochain pour deux nouveaux chapitres (because le confinement me permet de vous faire encore des cadeaux) ! 🦁

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