1 - Autophobie
[10 ans après, 1er avril 2021. Quelques mois après la fin de The Marvelous Lightning...]
L'odeur de la pluie sur le goudron. Les arbres se rassasiant jusqu'à plus soif. Les fins rayons de soleil transperçant les nuages. Le ballet de parapluie filant devant mes yeux en ce temps maussade.
Je laisse l'eau couler sur mon visage et mes vêtements, savourant des sensations perdues depuis des années et revenant petit à petit.
C'était ça, la « vie ». Sentir du parfum, toucher du bois, goûter des lèvres, observer le monde tourner et régaler ses oreilles de musique. Je vivais avec toujours plus d'intensité chaque seconde de ma nouvelle existence.
Putain, j'en deviendrais presque philosophe.
« Thérius ? Qu'est-ce que tu fais à attendre sous la pluie ? Entre ! »
Je ne peux réprimer un sourire alors que j'entends la voix chaleureuse de Mercutio me presser à l'intérieur du Marvelous Diner. Je lève mollement la main pour lui faire comprendre que j'arrive mais ce dernier derrière moi ne bouge pas.
« T'inquiètes, je veux seulement savourer encore un peu cet instant. » déclaré-je avant de le rejoindre quelques secondes après à l'intérieur.
Lorsque je pénètre dans l'établissement, l'ambiance y est festive et la musique bat son plein. Un carrelage en damier que j'aimais fouler il y a des années de cela, une décoration vintage et des banquettes en skaï allant parfaitement avec le lieu. Et ces mêmes tables en formica sur lesquelles j'ai mangé d'innombrable repas...
Tout ici transpire la nostalgie pour moi. Le jukebox, le bar, les odeurs de nourriture et les gens faisant la fête sur la piste.
Au bar, Mercutio en train de préparer un cocktail pour sa petite-amie, l'humaine Sasha. Lui, a pris quelques années sur le visage mais il n'en reste pas moins séduisant, la preuve avec sa copine de dix ans de moins que lui. Cette fille qui m'a donné de l'espoir et a été la première à briser mes chaines.
Adossé contre un mur plus loin, Zéphyr. Le gamin devenu homme et celui ayant le plus changé dans mon entourage. Le blond a troqué ses habituels costumes pour une tenue décontracté et il semble attendre quelques choses. Ses yeux bleus scrutent toute la salle et nos regards se croisent pendant quelques secondes avant qu'elle n'arrive.
« Elle », ma sauveuse, Roxanne. Comme pour Sasha, c'est la deuxième à m'avoir rendu ma liberté et elle n'est pas qu'un détail dans ma vie. Elle est la seule à comprendre réellement ce que j'ai pu ressentir pendant toutes ces années de solitude.
Lorsque sa touffe de cheveux brune sort des vestiaires, le visage de Zéphyr s'illumine et son masque tombe comme à chaque fois que sa femme est dans les parages. Et malgré ça, je perçois une petite dispute entre eux ainsi que quelques éclairs sortir de ses paumes. Une bagatelle réglée par un simple baiser sur la joue de la vaudouiste entrainant le blond jusqu'à la piste de danse.
Il y a toute la famille Luna ainsi que quelques Hoffman comme Maeve, cette dernière avec son ventre arrondie qui est scotché dans les bras de Dante Luna débordant d'amour. Mon partenaire de crime, celui qui a radicalement changé depuis qu'il m'a oublié et qu'il s'est pris une flèche de Cupidon dans le cœur.
Je suis le seul à l'écart... Quasiment. A mon opposé, je peux voir Miguel Luna assis sur une des banquettes en train de boire un milkshake alors qu'il détaille la pièce comme moi. Je m'en vais le rejoindre lorsque les lumières s'éteignent et que Haley et son mari Ezra sortent de la cuisine avec un gâteau éclairé par une grande bougie.
« Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire Roxy ! Joyeux anniversaire ! »
Les invités applaudissent en cœur alors que la concernée les remercie d'un grand sourire avant de croiser mon regard et de hausser nonchalamment les épaules. Un geste voulant dire entre nous : « Un an de plus, un de moins, au final... Qu'est-ce que ça change pour nous ? »
Et malgré cela, je vois qu'elle passe un très bon moment entouré de ceux qu'elle apprécie et de son mari pourtant débordé de travail qui s'est libéré toute une journée pour elle.
D'une démarche nonchalante, j'approche de la table de Miguel et m'assoit en face de lui avant de lui piquer son milkshake. Ce dernier réagit d'un habituel « hiiiinnnn ! » dont il a le secret avant de poser sa tête dans ses bras et de contempler ceux qui nous entoure.
— Tu es vanné ? demandé-je en l'entendant soupirer.
— Le temps file à toute allure... Tout le monde avance ici, sauf moi.
— Tu m'as regardé ? Je suis celui qui a le plus stagné en dix ans d'emprisonnement.
— Sauf nous deux alors. Je ne me souviens que depuis peu de temps de ta présence dans ma vie et je me rends compte que tu m'as beaucoup influencé.
— J'ai failli te tuer et ça m'a valu la pire des punitions. Plus jamais je ne t'influence... Sauf quand il s'agit de fumettes, d'orgies, de barathons, d-
Je m'interromps en voyant ses yeux rieurs dépasser de ses bras, donnant un air espiègle à l'homme le plus gentil que je connaisse sur Terre. Me faisant regretter encore plus ma bêtise d'il y a dix ans sur sa personne.
Si Mercutio et Zéphyr était mes meilleurs amis et Dante mon partenaire de crime, Miguel était comme un petit-frère pour moi. Un petit-frère qui vous suit partout, qui tente de vous imiter, qui veut toujours vous ressembler et défend votre image... Mais également un petit-frère qui par peur, peut commettre l'erreur de vous dénoncer et d'amener une suite d'événements conduisant à votre exil.
« Tu leur as dit ? » demande-t-il en interrompant mes pensées.
Je termine le milkshake en l'ignorant avant de coller mon sourire le plus brillant sur mon visage et d'avouer :
— C'est des conneries alors j'attends une meilleure analyse de mon cas avant de leur en parler !
— Thérius... De ce que ma mémoire absolue se souvient c'est qu'il ne faut pas prendre les phobies que l'on nous diagnostique à la légère. Tu n'as pas à avoir honte vu ce que tu as vécu pendant ton emprisonnement à la Frontière entre la vie et la mort.
— Depuis quand est-ce que tu donnes des conseils ? On croirait entendre un vieux... J'aime le Miguel insouciant qu-
— On a tous changé, toi y comprit. Tu ne peux pas faire comme si de rien était, te construire une fausse vie et prétendre que tout va bien. Que tu es redevenu un lion. Parles-en au moins à Roxanne, elle pourrait comprendre mieux que personne.
« Qu'on me parle de quoi ? »
L'interruption de la vaudouiste devant notre table fait sursauter Miguel alors que j'avais perçu son arrivée quelques secondes avant lui. Madame Hoffman remercie l'espagnol pour son cadeau d'anniversaire avant de l'inviter à enflammer la piste de quelques pas de danse, lui permettant de prendre sa place face à moi.
— D'un plan à trois avec ton homme, plaisanté-je pour esquiver la question.
— Tu sais très bien que Zéphyr te foudroierait d'un seul coup si tu osais ne serait-ce que me toucher.
— Et tu obéis aveuglément à ton mari ? Toi, la Baronne ?
— J'obéis à mon cœur et il me dit de ne pas jouer avec les démons.
Le sourire malicieux de Roxy provoque un petit rire de ma part alors que ses yeux s'égarent sur la table. Nous restons silencieux pendant que les rires et les exclamations accompagnent la musique envoyée par le jukebox.
Ses doigts jouent sur le fornica pendant que les miens tordent la paille du milkshake que j'ai volé et pourtant, malgré ce calme entre nous, je me sens bien. Comme si avec elle, je n'avais pas besoin d'en faire des tonnes.
Il faut reconnaitre à Roxanne qu'elle a le pouvoir de faire tomber n'importe quel masque. Autant celui du dieu de la foudre que du fils de Satan.
— Tu as quelqu'un dans ta vie en ce moment ? me demande-t-elle soudainement.
— Une myriade. Pourquoi ? Tu veux devenir exclusive ?
— Depuis quand un lion ne peut se contenter que d'une lionne ? N'est-ce pas le genre de roi à avoir un harem ?
— Tu me connais bien. Mais non, la seule personne que j'ai dans ma vie actuellement c'est Miguel. Quel idée d'avoir accepté de faire une colocation avec ce faux Don Juan... Lui qui était lumineux et avide de femmes, voilà qu'il décide de se concentrer sur son avenir en préparant son examen pour devenir professeur !
— Il nous surprendra toujours... Bon, j'y retourne. Et n'oublie pas que tu as une réunion avec Zéphyr mardi prochain !
— Oui, oui, allez, bon 188ème anniversaire !
La métisse me tire la langue avant de retourner à sa fête, me laissant seul à fixer ma paille tordue pour finalement, après quelques minutes en solitaire, finir par rejoindre les autres sur la piste de danse.
« Une fausse vie », comme tu l'as dit... Mais comment retrouver celui que l'on était alors que le monde a changé ?
💫💫💫
« Autophobie. »
J'arque un sourcil tout m'affalant dans le siège en cuir alors que la pluie martèle la vitre du bureau. Devant moi, un homme qui m'était encore inconnu il y a quelques mois et pourtant, qui est avec Roxanne l'un des plus à même à comprendre ce que je ressens.
Le père de Zéphyr, Ludwig Hoffman, sirote son thé au citron avec la même nonchalance commune à son fils. Un air imperturbable peu importe ce qu'il dit et qui il a en face de lui, faisant sa force et lui donnant le surnom de « dragon » dans son milieu.
Ses cheveux blancs négligemment coiffé et jurant avec son costume parfaitement taillé, il a accepté de me recevoir dans son bureau au manoir Hoffman, entre deux rendez-vous professionnel, pour que je lui soumette mes inquiétudes.
— C'est exactement ce que m'a dit le médecin, réponds-je en croisant les bras.
— Et je pense qu'il est dans le vrai. Vu ce que tu m'as raconté, tu commences à souffrir d'une légère autophobie. La peur de la solitude.
— Un lion comme moi ? Une phobie ? Connerie.
— Tu te sens mal à l'aise quand tu es seul, tu as tendance à accepter n'importe quelle activité en duo ou en groupe et ça même si tu n'en a pas envie mais juste pour éviter la solitude. Tu te construis une fausse vie pour retrouver celui que tu étais avant mais tu as également peur de toi-même. L'autophobie, en plus d'avoir peur de la solitude, c'est avoir peur de soi. Tu ne te supporte pas, tu as du mal à regarder ton reflet car tu te méprise. Un sentiment à cause d'une peur du rejet des autres, de l'abandon et surtout parce que tu ne t'es pas encore pardonné à toi-même tes erreurs passés.
Je me redresse en soupirant d'exaspération face au discours de cet homme qui a l'air d'en savoir plus sur moi que moi-même et ça, par de simples observations et déductions.
Moi ? Thérius ? Le démon aux multiples vices et au charisme à en faire exploser les miroirs, j'aurais peur de moi-même ? C'est vrai que je ne me sens plus à l'aise comme avant lorsque je suis seul mais... De là à avoir développé une phobie post-traumatique ?
— Admettons que tu aies raison, commencé-je, comment tu en es arrivé à ce diagnostic alors que tu n'as rien d'un médecin ?
— J'ai passé une vingtaine d'année enfermé en prison, dans le noir et avec tous mes souvenirs perdus. Chacun de mes camarades de cellule sont morts à tour de rôle et j'ai même réussit à en devenir fou... Alors oui, je suis le mieux placé dans ton entourage pour savoir ce que ça fait, de revenir subitement à la vie.
— C'est vrai que tu as vécu un enfer comparé à moi.
— Chacun a son enfer. Pour ma part, comme j'aimais être entouré de gens, j'aurais bien plus mal vécu ton emprisonnement. Passons. Je suis suivi psychologiquement depuis et je participe à des groupes de soutiens et beaucoup de gens sont comme toi. C'est grâce à ça que je peux mettre un mot sur tes émotions.
— Alors qu'est-ce que je dois faire pour arrêter de jouer la comédie avec ceux que j'aime et redevenir celui que j'étais auparavant ?
— Il faut que tu retrouves une bonne estime de toi. Que tu arrêtes de te traiter inconsciemment comme... un démon ? Au sens figuré. Tu as des vices mais il y a du bon en toi, Thérius. Tout le monde le sait. Tu dois juste en prendre conscience.
Devenir un bon samaritain pour supporter mon reflet à nouveau ? Alors que je suis un démon et pire, l'un des fils de Satan ? On croirait entendre le début d'une blague.
Qu'avez-vous pensé de ce premier chapitre ? Des retrouvailles avec Thérius et toute sa bande ?
De sa relation avec les autres et surtout Miguel mais également de ce que lui confirme Lulu sur son autophobie ? On pose doucement les bases, tranquillement...
J'essaie d'avancer le plus possible sur l'écriture pour pouvoir vous proposer deux chapitres au lieu d'un (comme avec The Marvelous Lightning), ça fera un peu plus de lecture pendant le confinement ! Je vous tiendrais au courant si je passe à deux chapitres.
🦁N'hésitez pas d'ores et déjà à voter et donner votre avis si ce début vous a plu ! On se retrouve samedi prochain pour un autre chapitre. 🦁
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