Chapitre 2 : L'averse




Plus tôt dans la soirée

   Nous ne savions pas ce que nous fuyons. Ou alors, nous préférions l'ignorer. En fait, nous ne le savions que trop bien. Ils nous avaient retrouvés. Aucun de nous deux ne savait comment, mais c'était une évidence. Et maintenant, nous courrions à en perdre haleine à travers une forêt dans laquelle nous nous étions précédemment défendus d'entrer. Le brouillard épais menaçait de prendre encore plus d'ampleur qu'il n'en avait déjà, alors que la nuit était déjà tombée depuis plusieurs minutes. Derrière nous, les lampes torches s'étaient évaporées, ce qui n'était pas forcément une bonne nouvelle. Il nous était impossible de rejoindre les landes abandonnées que nous traversions précédemment; elles étaient trop exposées. Pourtant, le côté rassurant du vert pomme de l'herbe me manquait. Il avait suffit d'un simple 'Cours !' de la part de mon compagnon de voyage pour que je m'élance à une allure folle.

   Il me fallut quelques secondes pour me rendre compte que nous avions quitté la forêt et ses bois morbides. Je ralentis malgré moi, tournant la tête pour chercher Elliott. Il se tenait à quelques mètres de moi, immobile, les yeux levés vers le ciel. Je suivis son regard. Devant nous, un gigantesque manoir nous faisait face, trônant sur une lande impressionnante et la forêt à perte de vue d'où le brouillard semblait s'être dissipé dans cette partie du terrain. Du lierre desséché grimpait sur une partie de la façade ancienne, et un grand escalier devançait l'entrée principale du bâtiment. Ça avait tout d'un manoir abandonné comme dans les films d'horreurs, au fur et à mesure que je l'observais. Je compris dans le regard foncé d'Elliott qu'il valait mieux faire demi-tour.

   Une goutte tomba soudain sur ma joue, me faisant sursauter. Je levai la main sur ma joue, touchant la goutte d'eau avant de lever la tête vers le ciel. La pluie me surpris aussi inattendue que le tonnerre au-dessus de nos têtes. Non, je ne rêvais pas : il commençait à pleuvoir. Pas une petite pluie, non. Une véritable averse ! Sans attendre un quelconque accord, je courus en direction du manoir.

-  Non, Jenelle ! Appela Elliott. Ce n'est pas...

   Je l'ignorai, même si il avait semblé inquiet. Je montai les marches sans me préoccuper de l'avertissement, entendant bien vite mon compagnon courir sous la pluie pour me rattraper. Il escalada d'une traite les escaliers avant de me rejoindre en me lançant un terrible regard qui avait le don de lui donner un côté Bad Boy tout à fait craquant. Il savait bien que nous ne pouvions rester dehors par ce temps. Surtout pas en s'étant éloignés de la sorte. Je tentai de me réfugier contre le mur alors qu'Elliott toquait à la grande porte en bois à double battants. Les deux premiers essaies ne donnèrent que du silence, ainsi que les suivants.

-  Il n'est pas habité. Constata le brun, neutre.

   Je savais que ça l'arrangeait bien. Il n'avait pas du tout envie de rester ici.

-  Elliott. Appelais-je sans aucune envie de plaisanter. Je ne reste pas dehors. Tu sais très bien pourquoi.

   J'avais coupé toutes éventuelles questions stupides qu'il aurait pu me poser rien que pour faire demi-tour. Ses yeux marron foncé restèrent plantés sur moi durant plusieurs longues minutes, mais je n'en démordis pas alors qu'en temps normal, c'est moi qui me serait pliée sans même chercher à comprendre. La force qu'il exerçait sur moi était puissante. Il finit par souffler, avant de m'empoigner le bras sans douceur et sans un mot. Il me força à marcher à ses côtés à une allure que j'eus du mal à suivre, mais je n'opposa aucune résistance lorsque je compris que nous faisions le tour du bâtiment. Et bingo, une deuxième entrée plus petite nous attendait.

   Je n'étais plus si sûre de moi, surtout lorsqu'Elliott toqua une première fois et que personne ne répondit. Je portai ma main à mon cou, tripotant le pendentif qui était accroché à une chaîne en argent. C'était un tic qu'Elliott détestait autant que moi, mais qui durait depuis quelques mois déjà. Peut-être ce manoir sinistre n'était-il vraiment pas habité ?

   Pourtant, lorsqu'un visage aussi surprit qu'à la beauté innocente nous ouvrit la porte, c'est moi qui fut surprise de tomber sur un propriétaire jeune - et plutôt pas mal. Sa bouche forma un O parfait durant quelques secondes alors que la pluie continuait de nous tomber rageusement dessus. Jusqu'à ce qu'une voix provenant de l'intérieur ne le sorte de sa contemplation. Il n'avait pas dû s'attendre à voir des visiteurs à cette heure.

-  Dylan, qui c'est ?

-  On est vraiment désolé. S'empressa de s'excuser mon compagnon de voyage, Elliott. On s'est perdu, et la pluie... On est complètement trempés.

-  Si c'est encore ces satanés vendeurs de biscuits je te jure que je les met dehors ! S'exclama une autre voix, plus agacée. Ils vont se souvenir de moi, ces escrocs.

   Je ne pus m'empêcher de déglutir. Si ils ne nous trouvaient pas assez convainquants, nous étions bon pour continuer notre chemin sous cette averse. Et puis j'espérais ne pas m'être faite repérée lorsqu'Elliott avait dit que nous étions perdus. Même si je n'avais rien laissé paraître, je savais que ce n'était pas tout à fait la vérité. Il fallait le dire, Elliott était très crédible sans le faire exprès. Tout aussi inquiet que moi quant au reste de habitants, je le vis tourner ses yeux vers la provenance de la chaleureuse lumière provenant de l'intérieur. Ses cheveux bruns étaient inondés, et rejetaient le surplus d'eau en gouttes le long de son visage.

-  Ca va Lou'... Tenta une troisième voix, plus calme et douce. Ils n'étaient pas si méchants.

-  Tu veux rire ? Laisses-moi te rafraîchir la mémoire. ces sales gamins m'ont fait les poches sans même me donner rien qu'une boîte de biscuits ! Et ce blondie qui les excuse... Files-leur toute la banque pendant que tu y es !

-  C'est clair que, te connaissant, tu vas directement les envoyer balader. Reprocha la précédente voix.

-  Et encore, je ne suis pas sûr que 'balader' soit le terme.

-  Du calme, les gars. Tonna une énième voix, plus sérieuse.

   Qui que soit ce dernier intervenant, il eut le don faire taire les deux premiers. Intrigués, Elliott reporta son attention sur le jeune homme face à nous qui n'avait toujours pas dit un mot. Mon compagnon de route dû par intermittence cligner des yeux pour chasser l'eau de ses cils. Quant à moi, si je restai davantage sous la pluie, j'allais réellement tomber malade. Je serrais contre moi ma veste humide, me raccrochant à l'idée qu'elle m'aidait à me réchauffer.

-  On ne restera pas longtemps. Reprit Elliott. Juste le temps de se sécher... S'il vous plaît.

   Je constata le réel effort intérieur que dût faire le jeune homme pour céder. Il n'en avait pas franchement envie, mais peut-être fut-ce la pluie qui l'aida à changer d'avis.

-  Ok. Soupira-t-il. Entrez allez-y.

   Il ouvrit la porte en grand et se poussa pour nous laisser passer. Elliott m'échangea un regard étonné, avant de poser une main dans mon dos pour m'inciter à avancer. Nous entrâmes avec plus de ressentiment que nous en avions eu pour monter les marches menant au manoir. Derrière nous, le fameux Dylan referma la porte et nous découvrîmes la décoration fidèle à la devanture de l'établissement. N'étant pas entrés par l'entrée principale, la pièce dans laquelle nous nous trouvions ressemblait davantage à un grand salon qu'à un gigantesque hall, que j'aperçus d'ailleurs plus loin par une porte ouverte. Les fenêtres hautes étaient recouvertes de fins rideaux blancs, les meubles étant en bois, à part le canapé qui était la seule touche de modernisme.

   Cette atmosphère n'était pas du tout celui qui ressemblait et convenait à de jeunes adultes. Elliott et moi n'osâmes pas avancer davantage, se contentant de se serrer l'un contre l'autre comme pour se protéger ou se sentir en sécurité. Et je l'étais avec lui.

-  Salut ? S'étonna l'une des personnes.

   Dylan partit rejoindre toute une bande de garçons; j'en compta 4 avec lui. Ils étaient tous aussi surpris que l'avait été le châtain foncé en nous ouvrant. Leur arrivait-il seulement d'avoir de la visite ?

-  On peut faire quelque chose pour vous ? Demanda l'un d'entre eux, debout, aux cheveux noirs.

-  Bonsoir, hum... Commença Elliott, se tournant vers moi pour voir si j'allais bien. Voilà, on s'est perdu et on a fini par trouver ce manoir. Et comme il pleut...

-  Vous vous êtes dit que vous pourriez entrer voir ce qui se passait ? Coupa l'un à la peau claire sur le canapé gris, d'une voix glaciale.

   Croisant le regard noir abyssal du jeune homme, Elliott déglutit. Je le vis même me dépasser légèrement comme pour faire une barrière de protection.

-  Si ça ne vous dérange pas.

-  On veut juste se sécher un peu. Décidais-je d'intervenir calmement.

   Toutes les paires d'yeux se posèrent sur moi, à mon grand désarroi. Les quatre garçons dégageaient quelque chose de tellement fort que c'en était étrange. Un frisson me parcourut alors qu'ils me dévisageaient intensément.

-  Qu'est-ce que vous faites dans la forêt à cette heure-ci ? Demanda le blond, soucieux.

- On s'est promené. Répondit Elliott en forçant un sourire. Et puis l'heure nous a rattrapé et on s'est fait surprendre par la nuit. Le temps qu'on s'en rende compte, on s'était perdu.

   Depuis le début de notre entrée, le jeune homme aux cheveux noirs ne nous avait pas quitté des yeux. Pas une seule fois. On aurait dit qu'il réfléchissait. Ce ne serait pas étonnant si il se méfiait; Elliott mentait très mal.

-  On ne veut pas vous déranger. Repris-je. Vous avez sûrement des chose à faire... Laissez-nous juste le temps de nous sécher, et on repartira.

-  Et si l'averse ne s'est pas arrêtée ? Questionna d'une voix étrangement calme celui aux cheveux noirs.

   Je rencontra son regard d'un vert émeraude calculateur qui ne cilla pas.

-  Eh bien... Je ne sais pas trop. Avouais-je. On improvisera.

-  Hunter a raison. Intervint celui sur le canapé, et au regard bleuté. Vous allez vous tuer si vous y retournez.

-  En plus, vous ne savez même pas par où repartir. Compléta le blond.

-  Ils ont raison. M'intima Elliott en se penchant vers moi.

   Je vis à travers ses yeux marron foncé qu'il n'avait pas le moins du monde envie de retourner dehors. Je devais avouer que repartir sous la pluie ne m'enchantait pas non plus.

-  Il vaut mieux attendre que la pluie s'arrête.

-  Ce serait plus sage, en effet. Approuva le fameux Hunter, bras croisés. J'ai même une meilleure idée.

   Soudain perplexes, Elliott et moi fronçâmes les sourcils.

-  Laquelle ?

-  Vous allez rester dormir cette nuit. Lâcha le jeune homme.

   Je manqua de m'étouffer avec ma propre salive. Quoi ?

-  Non, attendez... Protesta Elliott en premier. On ne va pas vous déranger autant !

   Son regard était soudain plus dur. Je sus immédiatement que l'idée ne l'enchantait pas du tout. Mais en même temps, dehors il pleuvait à verse.

-  J'accepte volontiers ! S'exclama celui aux yeux bleu et aux cheveux châtain.

-   On se demande pourquoi... Marmonna le dit Dylan.

-  Je crois que je suis partant aussi. Concéda le blond, assis sur le bord du canapé tournant la tête vers le reste du groupe.

-  Ouais, c'est même une super idée. Ajouta Dylan.

-  Alors c'est décidé ! Fit Hunter en claquant des mains.

   Il se déplaça dans la pièce, ne nous quittant pas de son regard vert. Je vis Elliott se tendre à côté de moi. Oh, il allait refuser c'était certain. Et moi ? Je n'en étais pas certaine.

-  Vous n'avez pas le choix. Nous fit-il. Vous restez cette nuit.

-  On ne va pas...

-  D'accord. Coupais-je.

   Je sentais que j'allais le regretter, et pas simplement au vue du regard que me lança Elliott. Satisfait, un sourire étira les lèvres du propriétaire aux cheveux noirs dont les yeux me fixèrent inlassablement. J'étais surprise de ma propre audace à accepter une proposition si inconsciente. Pourtant, je l'avais fait sans hésiter. Alors que les autres garçons exprimaient leur enthousiasme, le fameux Hunter s'avança encore davantage pour ensuite pencher un sourire malicieux vers moi.

-  Ne vous inquiétez pas. Intima-t-il. Vous serez parfait ici.

   Ses yeux vert furent bientôt la seule chose que je vis. Alors qu'Elliott exprimait sa gratitude forcée et son soulagement, je ne fis pas de même. Au genre de regards affamés que me lançaient le reste de la bande, j'avais comme l'impression que ce n'était finalement pas vraiment une bonne idée de rester.

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