1🌹My One and Only

[20 ans plus tard]


Mes écouteurs bluetooth dans les oreilles, je secoue ma tête sur la voix de la divine Ella Fitzgerald chantant de belles chansons d'amour alors que je mets à jour mon budget du mois.

J'aime l'open-space quasiment vide le vendredi après-midi ainsi que l'odeur de café de ma collègue en face de moi, me partageant quelques petits gâteaux au chocolat.

— Tu as réservé assez de chambre pour le tournage de la semaine prochaine ? me demande-t-elle alors que je retire mes écouteurs.

— Tout est confirmé et pour une fois, j'ai pu en avoir une avec un lit King size pour la « starlette » sans payer un centime de plus !

— Oh ! Tu veux dire « Queen Size » pour notre reine ? Gloire à sa Majesté Coudrey !

Ma collègue Marion fait une révérence exagérée alors que les miettes tombent sur mon clavier tant je ris par son imitation.

— Ah ! Quand on parle de la louve... Regarde derrière.

— Elle sort à peine de réunion avec le boss ? Je croyais que tout était planifié pour le tournage ?

— Aucune idée. C'est toi la chargée de production qui s'en occupe, tu devrais sav- Oh !

— Quoi ?! Dis-moi ce que tu vois, ce n'est pas discret si je me retourne.

— Devine qui sort de la salle avec elle.

— Qui ? David ? Fatima ? Le diable en personne ?

— Un homme aussi « hot » que les flammes de l'enfer !

Je fronce les sourcils avant de me tourner et de capter enfin à qui elle fait référence. Un homme habillé d'une chemise blanche bien repassée et d'une cravate jurant avec son jean et ses Stan Smith. Il passe une main dans ses courts cheveux bruns, un poil négligés, avant de gratter sa fine barbe de trois jours et de rire.

Il serre chaleureusement la main de notre directeur de production ainsi que celle de Johanna Coudrey, une journaliste vedette travaillant avec notre boite et très souvent sur mes projets. Une femme qui aurait pu être mannequin tant elle est belle et avec des cheveux blonds aussi longs que sa fine paire de jambes.

Elle garde sa main dans la sienne, lui souriant à pleine dent jusqu'à rougir lorsqu'il replace une mèche blonde derrière son oreille. Un geste anodin pour lui mais émoustillant n'importe quelle femme dans son périmètre.

Cet homme « aussi hot que les flammes de l'enfer », c'est mon ami d'enfance et amour à sens unique de toujours. Mon Gigi.

— Je tuerais pour que Cartier me filme. Sentir son regard sur moi, me déshabiller...

— Marion... soufflé-je en la réprimandant. Tu en parles comme si notre chef op filmait des pornos.

— « Chef op », tu ne peux pas l'appeler normalement ?

— Je n'ai pas envie que les autres sachent qu'on est ami. Après on va dire qu'en tant que chargée de prod, je fais du favoritisme en le proposant pour les meilleurs tournages.

— Tout le monde sait que Cartier est un des meilleurs de la boite. Il a une patience légendaire et un charisme à se mettre tout le monde dans sa poche ! Dommage qu'il ait un prénom de vieux.

— Moi j'aime bien son prénom.

— Alors dis-le. À voix haute !

Je lève les yeux au ciel et m'apprête à l'ignorer royalement en retournant à mon tableau Excel lorsqu'un raclement de gorge derrière moi me fait sursauter. Je tourne doucement la tête et croise les yeux bleus de Johanna Coudrey, planté sur ses talons hauts et un sourire de politesse sur le visage.

« Bonjour Bertier ! Est-ce que tu m'as bien réservé une chambre avec un lit King Size cette fois-ci ? »

Je me lève de ma chaise pour lui serrer la main et répondre d'un hochement de tête. Elle m'a demandé ça avec cordialité car même si nous sommes souvent en contact par mail, dès notre rencontre nous avons su que nous ne serions jamais amies. Juste collègue.

— On y va en avion ? demande-t-elle en regardant mon écran sans gêne.

— Non, en train. C'était moins cher niveau budget et surtout plus écologique.

— Première classe ?

— Non. Restriction budgétaire.

— Tss. Bon, au moins, tu m'as ravie en mettant George sur le coup !

Elle tourne la tête vers Gigi encore en train de discuter avec mon boss lorsqu'il regarde dans notre direction et nous salue en souriant. Je réponds d'un haussement d'épaules qui fait apparaitre une petite ride entre ses sourcils et le pousse à venir nous rejoindre.

Je sens autant Johanna que Marion trépigner d'impatience à ce que « le mâle » arrive jusqu'à mon bureau. Sa démarche est comme quand nous étions lycée : nonchalante mais tellement naturelle qu'il n'a pas l'air d'un flemmard.

Les mains dans les poches, ils continuent à nous sourire avant de se tenir à côté de Johanna.

— Salut Marion. Léo.

— Léonore, rectifié-je. Est-ce que tu es prêt pour lundi, Cartier ?

Gigi roule des yeux en soupirant et je sens qu'il se retient de me faire une réflexion sur le fait que je l'ai appelé par son nom de famille.

Mais je n'y peux rien. C'est soit Cartier, soit Gigi. Je l'appellerais George quand j'aurais réussi à tirer un trait sur mon amour à sens unique.

— Tout est bon. Et pour toi ?

— Comment ça pour moi ?

— Tu es la chargée de prod sur ce tournage. Tu ne viens pas ?

— Bertier ne vient pas souvent sur les tournages d'« Incroyables maisons d'amoureux », répond Johanna à ma place. Enfin ça, c'était jusqu'à maintenant.

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas l'allusion de la journaliste lorsque j'entends mon boss m'appeler depuis son bureau. La blonde me sourit à nouveau quand je passe devant elle mais c'est le regard de Gigi qui me perturbe le plus.

Celui-là avec ses yeux verts... On comprend pourquoi des femmes se battent pour qu'ils nous regardent !

Ce n'est qu'en à peine quelques minutes que je comprends la question de mon ami d'enfance et l'allusion de Johanna : mon boss m'annonce cash, alors que nous sommes vendredi après-midi, que je vais devoir assister au tournage de l'épisode d'« Incroyables maisons d'amoureux » que j'ai préparé des mois en amont.

Je m'évertue à lui dire que ce n'est pas nécessaire, que j'aurais dû être prévenu bien avant pour tout organiser mais rien à faire. Ma présence est souhaitée par le couple interviewé mais également par mon directeur de production qui est convaincu que sur place, je serais bien plus efficace qu'à des kilomètres derrière mon bureau.

Il a totalement raison et c'est bon pour mon expérience professionnelle mais ça m'énerve.

Pas d'aller sur le terrain, non. J'aime être en contact avec les gens et le couple du prochain épisode est tellement mignon qu'il fait rêver... C'est plutôt le fait d'être avec Gigi.

Je suis plus vieille d'un an que lui et nous avons été séparés pendant presque six ans à cause de nos études et nos premiers boulots. Il a postulé dans ma boite parce qu'il pensait que ce serait sympa de travailler avec moi mais je déteste ça.

Je déteste le voir se faire draguer par tout le monde, entendre parler de lui autant aux repas de famille qu'au boulot, le croiser trop souvent...

Avec les études, je pensais avoir mis de côté mon amour irrationnel pour lui mais dès qu'il s'est immiscé dans mon quotidien, je me suis rendu compte que l'amour était encore plus fort. Je me suis même retrouvé à fantasmer sur lui et le fait qu'il puisse me faire l'amour sur mon bureau.

Mais non. C'est Gigi et je suis « Léo », son amie qu'il utilise comme sœur pour alibi.

— Alors ? me demande Marion lorsque je reviens à mon bureau. C'est vrai ce qu'a dit Johanna ? Tu pars vraiment sur le tournage ?

— Il faut croire.

— Oh la chance ! Il parait que la maison du couple de cet épisode est démentielle ! Puis ça faisait longtemps que tu n'étais pas allée sur le terrain. Et il y aura Cartier...

— Oui et ?

— Tu sais très bien.

Marion fait tourner son fauteuil pour venir jusqu'à moi et me chuchoter à l'oreille, après avoir regardé à droite et à gauche que personne ne nous écoute :

— T'es encore amoureuse de lui, non ?

— Chut !

— C'est bon, personne ne nous écoute ! T'es amoureuse du même mec depuis vingt ans ! VINGT ANS ! Il va falloir agir là ! Ou alors trouve-toi un autre à aimer.

— Tu parles. Tu crois que j'ai fait quoi à la fac ? Perdre ma virginité avec le premier mec sympa de ma promo ne m'a pas fait oublier Gigi... Eh puis...

— Quoi ?

— Ce n'est pas comme s'il n'était pas au courant de mes sentiments.

Marion fait de gros yeux, choquée par la révélation avant de se lever de sa place, d'attraper son paquet de clopes et de m'obliger à faire une pause pour que je lui raconte tout.

Mais au final, il n'y a pas grand-chose à raconter.

Je venais d'avoir mon baccalauréat et j'avais été invité à une grosse soirée pour les diplômés. Des filles m'avaient forcé à ramener Gigi avec moi, même si c'était réservé aux Terminales. Il avait bien évidemment été le « roi » ce soir-là tant on lui tournait autour.

Malgré son air désabusé aux premiers abords, son charisme naturel entrainait les gens vers lui et charmait tout le monde.

À cette soirée, j'avais fait une erreur. Depuis que j'aimais Gigi, j'avais été jalouse de toutes ces filles autour de lui et de ses copines. Je n'avais jamais été méchante et restais à leurs yeux « l'amie inoffensive et comme une sœur pour George ».

Or avec mes choix d'universités j'avais le cul entre deux chaises et je devais choisir de rester dans la région ou de partir dans le sud, loin de mes repères et de lui.

Alors j'ai fait un pari stupide : si j'avouais mon amour à Gigi et qu'il ne me rejetait pas, je resterais.

Plusieurs doses de courage liquides et alcoolisées après ce pari, aux alentours de 2h du matin, je suis allée dans la cuisine de l'hôte nous ayant invité pour retrouver Gigi entouré de deux filles pendues à ses lèvres.

J'ai débarqué avec une moue boudeuse alors que ses yeux verts pétillaient et m'invitaient à m'assoir à côté de lui sur un tabouret de bar.

« Gigi, je suis amoureuse de toi ! »

J'avais prononcé ces mots pile lorsque la musique dans le salon s'était arrêtée, accentuant mon aveu et l'empêchant de me demander de répéter. Mes yeux se fermant pour ne plus avoir à affronter la surprise dans son regard, j'ai continué à tout avouer grâce à l'alcool dans mon sang.

« Je t'aime depuis qu'on est gosse. Genre... Depuis que j'ai dix ans et que tu m'as dit de garder ta bague en plastique, celle que tu as offerte à Mélissa. Mais moi, je voulais la garder. Je sais que t'es du genre romantique qui raconte à tout va que tu attends ta femme parfaite mais peut-être moi je pourrais faire l'affaire ? Enfin j'en sais rien euh... Bon, je sais que je ne suis pas ton style de copine mais euh... Bref. Je t'aime beaucoup, Gigi. Est-ce que ça te dirait que... Je ne sais... qu'on essaie un truc ? »

Lorsque mes yeux s'étaient rouverts, j'avais reçu un coup de poignard en plein cœur.

Lui et les deux pouffes à ses côtés se retenaient de rire. Je n'avais pas eu le temps de fuir qu'il s'était levé pour glisser son bras sur mes épaules et secouer mes cheveux bruns avant de déclarer aux filles, tout sourire :

« Vous moquez pas de Léo ! T'es trop mignonne de m'avoir dit ça mais tu sais que toi et moi, on est partenaire de crime pour la vie ! On n'est pas fait pour être ensemble ! »

L'erreur. Je savais que Gigi ne m'aimait pas, du moins pas comme ça. Il me voyait encore comme une fille et non une femme.

« Comment est-ce que tu peux savoir ça sans même avoir essayé ! Tu m'as toujours vu comme une sœur et jamais autrement alors comme tu peux dire ça ?! Je te déteste George ! »

Je lui avais crié ça avant de me sauver de la soirée. Il m'avait envoyé des tas de messages le lendemain mais j'avais tout ignoré. De ma mère à la sienne, il parait qu'il s'en voulait de m'avoir tellement rendu en colère que je l'appelle par son prénom.

Je n'en avais rien à faire et quelques semaines plus tard, j'étais partie dans le sud sans lui dire au revoir.

On s'est retrouvé à peine deux ans plus tard pendant les vacances de Noël chez mes parents et l'épisode désastreux n'avait pas été évoqué.

Et depuis mon pari fou, je n'ai plus rien avoué. Lui et moi savons qu'il n'a pas oublié mais que ne pas remettre le sujet sur le tapis est mieux comme ça.

Pour ne pas briser le reste de relation amicale que nous avons.


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https://youtu.be/BD3RRu6Pk24

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