Chapitre 5

(Jack)

Bravo Jack. Si tu essayais d'être odieux c'est gagné. J'ai pourtant réussi à l'éviter toute la semaine, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle débarque aujourd'hui. Je pensais qu'elle était sortie avec les autres. Et lorsqu'elle est apparue comme ça, sortie de nulle part, j'ai paniqué. Elle est toujours aussi belle, aussi souriante et spontanée. Et cette lèvre qu'elle mordille me rend fou. Je pense que Maddy a raison, l'éviter ne m'aide pas, j'ai déjà essayé. Mais être si près d'elle sans la toucher m'est insupportable.

Et c'est toujours aussi tendu que je m'installe sur mon canapé à l'abri dans mon loft. D'ici, j'entends les doux bruits de la vie citadine tout en étant protégé du monde extérieur... C'est une ancienne brasserie aménagée en appartement totalement ouvert, avec une chambre en mezzanine. Dans le garage attenant, j'ai même une salle de sport privée. Les verrières opacifiées m'apportent de la lumière sans laisser la possibilité de voir l'intérieur. C'est mon sanctuaire. Ici je n'ai pas à craindre le regard des autres, pas d'appréhension si je dois perdre le contrôle.

D'ailleurs je sens monter une envie irrépressible de boire. Comme jamais. Mes mains tremblent, ma gorge sèche me brûle. Il y a trois ans, j'aurais fait monter une fille levée au hasard dans un bar pour me noyer dans le sexe et l'alcool, et tout aurait fini dans un bain de sang. Maintenant je me limite aux potions de Maddy et quelques gorgées mesurées, comme je l'ai promis à la vieille dame. Elle sait que je ne peux pas nier ma nature et qu'il y a dans cette ville des personnes prêtes à tout pour de l'argent. Après tout, je suis un vampire, non?

Je me lève en soupirant pour prendre un des flacons qu'elle m'a préparé. Ce n'est pas aussi rassasiant que du sang, mais ça me permettra de tenir pour la nuit.

Je ne saurais dire, aujourd'hui encore ce qui m'attire le plus chez cette fille, de son physique ou de sa personnalité. Je me rappelle tous ces petits détails à propos de Lyra. Sa passion pour la lecture et les livres, qu'elle tient de sa grand-mère. Ces petites manies pour lire un livre neuf sans en abîmer la reliure.  Je me rappelle aussi la première fois que je l'ai vue.

    Je pensais avoir une préférence pour les blondes, mais je me souviendrais toute ma vie – quelle ironie d'utiliser ce terme – de la première fois où mes yeux se sont posés sur elle. Elle avait dix-huit ans, le monde à ses pieds. C'était lors d'un repas de famille imposé par mon père. Il tenait à garder les apparences, surtout par déférence envers ma pauvre mère. Nous venions de déménager pour la énième fois. Parce que j'avais dérapé...pour la énième fois. Il avait donc tenté le tout pour le tout, en se rapprochant de son vieil ami de l'armée, qui vivait en Louisiane dans la famille de sa femme, tout en sachant que je n'étais certainement pas le bienvenu.

Ce jour-là, nous devions les rencontrer pour la première fois. Elle est entrée, si belle et si peu sure d'elle ! Une jolie brunette, les cheveux négligemment relevé en chignon fait à la va vite. Un jean taille basse, un t shirt trop grand dévoilant une épaule. Et des yeux noirs. Lorsque son regard s'est posé sur moi, j'ai su que j'étais perdu. Ils étaient si expressifs et si mystérieux à la fois.

Je jouais mon rôle à la perfection, le fils parfait d'une famille parfaite et me montrait souriant et avenant avec nos invités. Elle m'amusait plus que je ne voulais l'admettre : elle répondait du tac au tac à mes petites taquineries, intervenait toujours de manière pertinente dans la conversation. Et ces yeux qui auraient pu me fusiller sur place même si elle essayait d'être parfaitement courtoise. Ce regard qui aujourd'hui encore hante mes pensées.

Par la suite, pour le plus grand bonheur de mon père, j'avais arrêté de rechigner à participer aux sorties familiales. J'étais même presque amusé de faire semblant d'apprécier les repas avec sa famille. Rien ne m'amusait plus que de voir sa jolie peau rosir lorsque je lui faisais un commentaire piquant. J'adorais son enthousiasme lorsqu'elle racontait une histoire. Je recherchais toujours plus sa compagnie... Bien entendu, ce fut sa grand-mère qui le remarqua en premier.

Je me rendais deux à trois fois par semaine chez elle pour apprendre à contrôler ma soif et mon tempérament. J'apprenais à me satisfaire des potions que GrandMa me préparait, et elle traçait pour moi des runes qui me permettaient de ne pas céder à toutes les tentations que peuvent présenter la vie en société pour un jeune vampire. Au début je traînais les pieds pour y aller, mais ensuite je traînais surtout sur le domaine avant de partir simplement pour croiser Lyra. Au cours d'une séance avec GrandMa, elle était venue discrètement s'asseoir dans un coin du bureau, à même le sol. Je savais qu'elle partageait l'univers de sa grand-mère mais j'étais mal à l'aise de la savoir si près. J'avais du m'énerver une ou deux fois. La bienséance m'empêchait de la chasser de la pièce alors que je n'étais qu'un invité dans la maison... Je ne saurais dire si elle s'en est aperçu, mais Maddy lui demanda gentiment de nous laisser seuls. Puis elle se tourna vers moi :
- Jack, assieds toi un instant.
Nous nous installâmes de part et d'autre de son bureau.
- Tout d'abord je tenais à te féliciter pour tes progrès. Je sais qu'il n'est rien de plus difficile pour un vampire que de lutter contre sa nature, en particulier dans ses premières années. Surtout que de toi à moi, au vue des incidents que tu as provoqués ces dix dernières années, je pensais qu'il nous faudrait plus de temps pour arriver à te convaincre. Et je pensais qu'il faudrait plus qu'une jolie fille pour te déstabiliser. Maintenant, j'ai besoin de parler de quelque chose avec toi, et je sais que cela ne sera pas facile mais je t'ai promis de toujours être honnête avec toi.

A ce moment là, je craignais qu'elle ne m'annonce que son travail était terminé, ou qu'elle en avait assez de me voir si souvent.

- Je sais que Lyra compte beaucoup pour toi. Oh je me rends compte que tu fais tout ce que tu peux pour le cacher, mais crois moi, une vieille dame comme moi sait reconnaître les petits signes. Ton père s'excuse régulièrement de l'impertinence dont tu fais preuve lorsqu'elle est là... or je sais parfaitement que tu essaies de lutter.

Que pouvais-je lui répondre ? Je préférais utiliser mon arme favorite, le silence. Je croisais les bras, attendant la suite.
- Tu as beau multiplier les conquêtes, passer tes nuits dans ce bar en ville, tu finis toujours par la chercher du regard lorsque tu arrives ici.
- Vous savez que je ne m'approche pas d'elle.
- Oui comme je sais que tu as gardé cette arrogance qui te définissait si bien... Mais ces petites joutes verbales n'y feront rien. Elle se rapprochera de toi, je le sais.  Je ne cherche pas à l'empêcher, car selon l'adage « Il y a un charme dans l'interdit qui le rend indiciblement souhaitable ». Mais j'ai besoin que tu sois fort. Parce qu'elle ne le sera jamais lorsqu'il s'agira de toi. Et tu sais que je prends un risque en accueillant un vampire dans cette ville. Alors continue de me rendre fière de le faire.

Par la suite, je veux dire après le drame de Mardi Gras, elle m'avait appris qu'elle m'avait vu dans le futur de Lyra. Mais elle n'avait jamais accepté de m'en dire plus. J'avais tenu ma promesse depuis lors. Je n'ai pas vacillé et personne dans cette ville n'a lieu de soupçonner que je suis un vampire... Du moins en apparence. Parce que les regards hostiles en disent longs. Les gens se méfient, mais par respect envers Maddy Underwood personne n'ose me chercher des noises.

J'ai beaucoup travaillé ces dernières années, et j'espère trouver la force de rester impassible devant Lyra. Le fait qu'elle ne se souvienne de rien est un avantage mais aussi une malédiction. Parce que ce simple sourire suffit à me rendre fou et elle le savait...avant. Et avoir à revivre une première rencontre encore et encore relèverait de la torture. Une torture que j'ai amplement méritée.

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