Allongée par terre dans la bibliothèque, je fixe le plafond comme si j'allais y trouver les réponses à toutes mes questions, tout en jouant avec ma bague. D'accord, la situation est ubuesque. Ma mère, qui ne s'est jamais soucié d'autre chose que de son propre petit confort, a semble t-il choisi de travailler dans le dos de GrandMa. Mais soyons honnêtes, avec sa pauvre maîtrise de la magie et des runes, qu'est ce qu'elle compte faire de ces formules? Je rejoins ma grand-mère sur le fait qu'elle doit les revendre à quelqu'un. Mais qui ? Et qu'est ce qu'elle y gagne, hormis de l'argent ? Parce qu'elle savait très bien qu'en restant ici, elle pouvait vivre sur les économies de la famille pendant encore cinquante ans sans soucis. Il doit forcément y avoir autre chose...

La porte s'entrouvre doucement, et mes cousines passent la tête par l'entrebâillement.
- On peut entrer ? » me demande Lan.
- Ouais venez.

Elles s'assoient à côté de moi et je leur expose la situation. Un silence de mort s'abat sur la pièce durant quelques secondes qui semblent interminables, finalement rompu par Lan :

- Écoute... Je ne suis pas aussi calée que toi niveau magie et tout ça, mais je pense qu'on doit faire quelque chose.
- Je suis d'accord... C'est pour cela que je ne repartirai pas New York. Ma place est ici. Les filles échangent un long regard. Je jurerais qu'elles communiquent entre elles silencieusement. Puis Lan me répond :

- Pour l'instant, Je peux tout à fait écrire mes articles depuis ici, pas besoin de vivre en permanence à L.A. Je veux rester ici avec GrandMa, apprendre les bases et la soutenir.
- Et moi, je peux peindre n'importe où ! Et ce fichu poste au Starbucks on s'en balance je trouverai autre chose.

Et elles concluent en chœur en levant les bras au ciel:

- On reste !

J'ai l'impression que ma vie change vitesse grand V. Alors que la semaine dernière je postulais pour la prochaine saison de Révolution avec l'espoir de faire carrière, je me retrouve ici à nouveau et de surcroît avec deux cousines dont j'ignorais jusqu'à l'existence ! Je les enlace en silence pour les remercier. Je me rend compte de la chance que j'ai d'avoir du soutien. Peut être que si ma mère avait eu son frère auprès d'elle, elle aurait été plus responsable ?

- Est ce que tu crois que GrandMa serait d'accord pour nous former ? » s'inquiète Lily. « Parce que nous on se limite à notre lien mental et deux ou trois petits tours d'enfants...

- Je pense... Il y a longtemps, elle accueillait ici les jeunes filles des familles environnantes pour les aider à découvrir et apprivoiser leur magie. Mais il ne reste plus beaucoup de famille de sorcières ici. C'est surtout des lycans, quelques descendants de démons mais beaucoup se sont liés à de simples humains et sont dépourvus de tout pouvoir. Mais ils restent très attachés aux traditions, et les humains sont pour la plupart des wiccans. Ce qui fait que GrandMa reste très active dans cette communauté. Ça m'étonnerait qu'elle refuse de former ses propres descendantes ! Je vais aller lui en toucher deux mots.
- Ok. pendant ce temps, Lily et moi allons passer un ou deux coups de téléphone pour libérer nos appartements etc. Et... Elle se tourne vers sa sœur en grimaçant. Il faut prévenir les parents quand même.
Je sens au regard qu'elles échangent que la discussion risque d'être un peu houleuse. Je me lève, aussitôt imitée par les filles et chacune part après câlin réconfortant.

Lorsque j'entre dans le bureau, je m'attends à trouver GrandMa avant qu'elle ne parte pour aller chez les Baker.
- GrandMa, je voulais juste te dire...
Mais je ne trouve qu'un visiteur de dos, debout devant la fenêtre les mains dans les poches de son jean sombre. Grand, les épaules carrées, une posture presque rigide, même de dos tout chez lui respire la puissance et la confiance en soi. Je sais immédiatement que c'est notre inconnu de l'autre jour. Je me mords la lèvre inférieure lorsqu'il se retourne et me fixe. Pendant une seconde, mon souffle se coupe.
- Je... Euh... excusez moi je pensais trouver ma Grand-mère.
Après quelques secondes qui me semblent une éternité, il me répond :
- Elle n'est pas encore descendue.
Il ne cille pas, n'esquisse pas même un sourire mais ne se prive pas pour me scruter de la tête aux pieds. J'essaie de garder une contenance et lui tend la main en tentant un sourire :
- Je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontrés. Je suis Lyra Underwood, la fille de Laura.
- Jack.
Il ne prend pas la main que je lui tends, et l'espace d'un instant, je ressens presque une hostilité de sa part. Enfin je rencontre le fameux Jack mais je ne suis pas sûre de lui faire une bonne impression. Sa mâchoire carrée reste serrée... Il a tout d'une gravure de mode mais son attitude et surtout le regard intense qu'il pose sur moi me glace le sang. Je pense qu'il s'attendait à voir ma grand-mère et que je le dérange certainement. Depuis mon arrivée, je n'ai pas eu l'occasion de le croiser, à croire qu'il évite de nous rencontrer. Et vu sa réaction, j'en suis maintenant convaincue. J'ai l'impression que ma seule présence suffit à l'ennuyer mortellement.

C'est à ce moment-là que GrandMa arrive.
- Bonjour Jack. Je suis navrée de t'avoir fait attendre. Mais je vois que Lyra est venue te tenir compagnie ?
- Je... Euh... enfin...
Bravo Lyra, très spirituelle comme réponse.
- Non elle vient d'arriver et allait repartir , lance-t-il en détournant le regard. On y va ?

Cette fois-ci, pas d'erreur possible, je l'exaspère. Il ne m'a jamais rencontrée mais ressent déjà pour moi un mépris profond. Et bien, cela risque d'être compliqué si il est souvent dans les parages... Il tend son bras à ma grand-mère, qui m'embrasse sur la joue avant de quitter la maison au bras de mon Dieu des enfers. Parce que j'imagine que même Hadès doit être plus chaleureux... mais aucun Dieu ne peut être plus séduisant.