The Loop
/!\ Trigger Warning : mutilation, suicide /!\
Le cœur.
Cet organe merveilleux qui nous maintient en vie. Un muscle puissant, indestructible. Ou presque. Un tambour battant dans ma poitrine, propageant ma souffrance dans tout mon être, comme un poison se diffusant lentement dans mes veines, souillées par la morsure tranchante de l'acier, jour après jour.
Ma souffrance mise à nu, exorcisée par la lame.
Mon sang versé, gouttes de désespoir sur l'émail immaculé du lavabo.
Des blessures sanglantes, si lourdes à porter et pourtant si simples à cacher. A dissimuler derrière un sourire, un rire, qui n'ont plus rien d'authentique depuis longtemps.
Pendant une éternité, j'ai lutté. Parlé, pleuré, progressé et rechuté.
Je voulais vivre, et j'ai survécu seulement.
Je voulais ressentir, mais tout était si fade. Ce parfum amer de poussière et d'instants fanés me collait à la peau, plus lacérée chaque jour.
Ma vie n'était qu'une fuite perpétuelle, une course-poursuite interminable à la recherche d'une lueur de bonheur, aussi infime soit-elle.
Tenir. La seule pensée, celle qui obstruait tout le reste, alors que je devais sans cesse me rappeler de surveiller les ombres. Tenir. Ne pas m'effondrer la première, même s'ils étaient cinq et que j'étais seule. Rendre chaque coup avec la force d'une guerrière. Tenir. Encaisser dignement les mots durs et les insultes, prévoir les coups-bas. Dépenser tout mon argent de poche dans du maquillage pour camoufler mes bleus et mes lèvres fendues.
Au fil du temps, c'est devenu comme un réflexe.
Un automatisme qui me faisait fréquemment jeter un coup d'œil par-dessus mon épaule, le soir en rentrant chez moi. Redoutant de distinguer dans un recoin sombre un visage familier, et sursautant au moindre chat qui passe.
Mais je n'ai jamais rien laissé paraître, m'accrochant à mon sourire de façade comme si ma vie en dépendait.
Ni mes amis, ni mes parents ne se sont douté de quoi que ce soit. Peut-être qu'ils ne voulaient simplement pas voir. Pendant longtemps, je leur en ai voulu pour ça.
Alors que ma détresse se lisait sur mon visage cerné, strié de larmes séchées, ils ont refusé de me tendre la main. Je crois que je ne l'aurais pas prise de toute façon, même s'ils l'avaient fait. Je voulais régler mes problèmes seule. Prouver que je pouvais m'en sortir.
Et j'ai échoué.
Peut-être n'étais-je pas assez forte. Pas assez déterminée. Pas assez quelque chose, en tout cas.
Aujourd'hui, j'abandonne.
J'ai versé trop de sang. Je n'ai plus de larmes, mes yeux sont aussi secs que le désert. Je n'ai plus d'espoir, mon cœur est noir de souffrance et de chagrin. Je n'ai même plus de haine contre ceux qui m'infligent ces douleurs chaque jour. Je suis fatiguée.
Je n'en peux plus de me battre constamment contre moi-même, contre mon désir de tout lâcher. Je n'ai plus d'émotions, plus de rêves, plus d'objectifs, plus rien.
Je veux seulement me reposer.
Je crois qu'après tous ces moments passés à pleurer seule dans le noir, j'ai mérité un repos éternel.
Aujourd'hui j'ai 14 ans, et il me reste juste assez de courage pour accomplir le plus dur : boucler enfin la boucle, mettre fin à mon existence.
Tracer le dernier trait.
L'ultime souffrance, pour une délivrance tant attendue. Et alors que la lame transperce ma veine, que le flot de sang s'écoule, aspergeant d'un jet chaud l'émail si blanc, je ne pense pas à ma famille, ni à mes amis, ni au fait que je n'ai laissé aucune lettre derrière moi.
Je suis partie sans explications, sans raison.
Mon regard devient vitreux, le paysage se brouille, et je lutte pour garder mes paupières ouvertes.
Je veux voir.
Voir ma fin, voir le ruisseau rouge vif se tarir lentement. Je me sens tomber, ma tête heurte le rebord de la baignoire. Mes lèvres s'entrouvrent, et un rire pâteux les franchit. Mon premier vrai rire depuis le début de ma dépression. Ma lame m'échappe, rebondit sur le sol dans un bruit métallique qui résonne dans mes oreilles.
J'entends la porte d'entrée s'ouvrir, et un cri étouffé retentit alors que des jambes se précipitent vers moi. J'imagine une ambulance, les médecins réussissant par miracle à me ramener à la vie, et je me débats contre un étau invisible. Avec difficulté, je lève mon poignet à hauteur de mes yeux, et contemple ma veine mortellement entaillée.
Le sang ne s'écoule plus.
Avec un soupir de bien-être, je laisse ma main retomber, baignant dans immense flaque rouge. Une flaque de sang. Les sirènes d'une ambulance retentissent, et je ferme les yeux. Je me sens partir. Ils peuvent regretter, pleurer, hurler, essayer de me sauver, mais en vain, et j'en suis soulagée. C'est trop tard.
Je suis morte depuis bien longtemps.
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