Chapitre 17.b - Toute vérité n'est pas bonne a dire (partie 2)
• La chanson est en Média •
Cela fait un long moment que nous sommes assis chacun de notre côté de la boule, un pinceau en main. Si on m'avait dit un jour que je me retrouverai en Indiana, chez des inconnus en train de peindre une boule en jaune (EN JAUNE !), je ne l'aurai certainement pas cru. En fait, c'est plutôt la partie « Jaune » qui me perturbe. J'haïs le jaune, peu importe que quand on lui enlève un U cela devienne mon prénom, ou je ne sais quelle autre raison idiote qu'Alex aurait pu trouver pour me convaincre.
Malgré tout, je dois reconnaître qu'il y a quelque chose de satisfaisant à voir Philomena se parer de Jaune. Alex est silencieux et très concentré, seule la radio brise le silence pesant qui règne sur nous trois.
- Il faut que j'appelle mon père, crache-t-il.
- Mais...
- Il faut que je l'appelle.
- Maintenant ?
- Non, tu as raison, dit-il en se rasseyant. Finissons Philomena.
- C'est une bonne idée.
Une larme d'inquiétude ruisselle sur ma joue. On dirait bien que tout va se terminer ici.
- Tu pleures ?, demande Alex.
- Non, je...
- Tu pleures. Tu veux m'en parler ?
Je le regarde en me mordant la lèvre. D'autres m'auraient dit « Qu'est ce qu'il se passe ? » ou « Dis moi ce qui ne va pas. », mais Alex sait très bien qu'en matière de confidences, je suis rarement ouverte.
- C'est... à cause de cette pension où mes parents veulent m'envoyer à la rentrée, je mens.
- C'est sûrement parce qu'il faut que tu te soignes, déclare-t-il.
- Je ne suis pas malade.
- Si tu le dis, soupire Alex.
- Tu ne me contredis pas ?
- Non, Jane. Il est temps que tu fasses ton chemin seule. Ce n'est plus à nous de décider pour toi, je pense qu'il faut que tu comprennes que tant que cela ne viendra pas de toi, tu ne guériras pas.
Je me mords la lèvre, surprise. Bizarrement, il a le don de toujours dire exactement ce que j'ai besoin d'entendre, sans que moi-même je ne sache que j'ai besoin de l'entendre avant de l'avoir entendu
C'est confus, tout ça.
- Sache juste que ne pas manger ne résoudra pas tes problèmes, ajoute-t-il.
- Oui, admettons, sauf que mon problème à moi, c'est de ne pas manger.
- Pourquoi ?
Facile.
- Pour ne pas prendre de poids, je réponds du tac au tac.
- Pourquoi ?
- Parce que je n'en ai pas envie.
- Pourquoi ?
Il va trop loin.
- Parce que... Merde, j'en sais rien.
Une deuxième larme coule sur ma joue. Cela fait trop longtemps que je suis aux prises avec cette maladie.
- Pour être jolie ? C'est ça, Jane ? Pour être jolie ? (Il pose son pinceau dans le pot et me regarde avec un sourire amer) C'est quoi, la beauté ? Un beau cul, des cheveux longs et la peau matte ? Et si je demande à Marie, tu crois qu'elle en pensera quoi ? Qu'elle sera d'accord ? Non, Jane. Personne n'a la même définition de la beauté, parce que si elle existait, alors toutes les femmes la suivrait, et le monde n'aurait vraiment plus aucun intérêt. Il n'y a personne de parfait, ni toi, ni moi, ni Beyoncé, mais il y aura toujours quelqu'un qui te trouvera parfaite à ta façon.
- Je suis curieuse de le trouver, ce quelqu'un, je remarque en soupirant.
- Tu l'as trouvé. Il est sous tes yeux. Il t'aimera que tu fasses 30 ou 80 kilos. Il t'aimera que tu sois blonde, rousse ou verte. Il t'aimera quoi qu'il arrive, que tu t'habilles grunge ou BCBG, rien n'y changera. Il est tombé amoureux de ce que tu es, de ce que tu as été et de ce que tu seras. Peu importe où tu vas.
Pas sure qu'il dira la même chose après avoir appelé son père. Malgré tout, si je me sers de mes connaissances pour analyser la situation, je dois alors reconnaître qu'il vient de me faire une fameuse déclaration d'amour.
Je dis la seule chose qui me passe par la tête.
- Quand je te vois... c'est le Big-bang en moi. A. Chaque. Fois.
Il se contente de me fixer avec intensité, de ce visage si doux, si rond qui ne trahit aucune émotion. Ennuyeux est le mot qui me vient très souvent à l'esprit lorsque j'aperçois un joli visage, mais le visage d'Alex est loin d'être ennuyeux. Je m'y plongerai des heures si j'avais toute la vie devant moi, malheureusement je ne sais que trop bien que ce n'est pas le cas. Alors, je romps le contact visuel, et il se remet à l'ouvrage.
- J'ai fini mon côté, déclare-t-il au bout de quelques minutes. Il faut que j'appelle...
- Ton père. Je sais. Vas y. Je croyais que tu n'avais pas son numéro en tête ?
- Marie a sûrement un Bottin.
- Marie à tout ce dont on a besoin, dis-je avec un sourire ironique. Même une certaine... boule de peinture appelée Philomena.
- La plus grande du monde !, ajoute Alex.
- J'en reviens toujours pas qu'on ait atterri ici. Dis, tu peux me rendre un service ?
- Demande toujours.
- Ca te dérangerai de... m'embrasser ?
- C'est le service le plus agréable que l'on ne m'ait jamais demandé, sourit-il.
Je sais que ce sera la dernière fois. Il franchit le mètre qui nous sépare et dépose ses lèvres tout doucement sur les miennes, comme si il avait peur de les briser, pourtant mes lèvres sont sûrement la partie la moins fragile de mon corps. Il faut dire qu'elles n'ont jamais beaucoup servi. L'avidité avec laquelle je l'embrasse doit sûrement lui faire penser que je met beaucoup trop d'intensité dans ce simple baiser, mais ce n'est pas un simple baiser. C'est le notre.
Et c'est le dernier.
A cette pensée, je mets mes bras autour de son cou pour ressentir cette chaleur qu'il dégage. Le big-bang se produit. Encore une fois. Tout brûle en moi.
- Waouh... Jane, tu sais quoi ?
- Dis le toujours.
- Toi aussi, tu produis le Big-bang en moi. A chaque fois.
Je rougis.
- Je... bon, je reviens, bredouille-t-il mal à l'aise.
J'acquiesce, sachant très bien qu'il ne reviendra pas. J'attends mon sort, presque trop sereine pour paraître réellement amoureuse - et pourtant je le suis. Plus que jamais.
Je passe encore quelques coups de pinceau sur Philomena, puis je me dirige vers la porte.
- Tu as terminé ?, me demande Marie.
- Oui... Marie, je m'excuse mais on ne pourra pas rester pour le bridge. Alex et moi avons... des choses à régler.
- Les jeunes, toujours pressés, soupire-t-elle.
- Je vous remercie de votre hospitalité. À bientôt, peut être ?
- Au revoir, Jane ! Vous serez toujours les bienvenus ici, toi et ton p'tit copain.
- Ce n'est pas mon « p'tit copain », je proteste en souriant.
- Ne me mène pas en bateau. J'ai vu comment il te regardait... Jolie Jane, on ne se connaît pas mais promets-moi de ne pas le laisser filer, et d'aller au bout des choses pour ne pas prendre le risque de regretter quoi que ce soit, me dit-elle tendrement.
- Je vous le promets. Merci encore, vraiment. Pour tout. Je ne pensais pas qu'une boule de peinture pouvait être aussi impressionnante, émouvante, même. Elle a dû voir tellement de gens défiler...
- Elle en a vécu, des choses, notre Philomena, sourit-elle le regard dans le vide.
- Je reviendrai vous voir, Marie, soyez-en sûre.
- J'y compte bien, Jane. J'y compte bien.
A ces mots, je franchis la porte d'entrée et marche jusqu'à la décapotable. Il bruine depuis que nous sommes arrivés, vraiment pas un temps à rouler en décapotable - ni à rouler tout court, d'ailleurs.
Je m'installe sur le siège conducteur et j'attends Alex.
J'attends.
Soudain, la portière s'ouvre sur lui, en larmes.
- Je suis désolée pour ton frère, dis-je -une fois la portière refermée - bien que ce soit certainement la chose la plus inutile jamais dite.
- Mon frère ?, articule-t-il entre deux sanglots. Comment tu... le sais ?
Merde.
- Une... intuition.
Il me regarde avec un air sceptique. Il va falloir trouver mieux...
Ou être honnête.
- Bon, Alex, je suppose que tu dois rentrer pour l'enterrement.
- Comment tu sais que mon frère est mort ? MERDE, arrête de me prendre pour un con !
La veine sur son front semble être sur le point d'éclater. Je ne l'ai jamais vu ainsi avant.
- Écoute.. je ne sais pas si tu te rappelles, mais le lendemain de la première nuit, on s'est disputés dans le seul et unique café d'une ville désertique hyper glauque, je commence.
- J'en ai un vague souvenir.
- Ok, donc ce matin-là, je suis remontée à la voiture avant toi et j'ai commencé à rassembler tes affaires parce que tu me tapais sur les nerfs, sauf qu'une sonnerie m'a interrompue.
- Gravity de Leo Stannard X Frances très précisément, compléta-t-il.
- Exact. J'adore cette chanson, au passage. C'était ta messagerie et j'ai répondu car tu avais 20 appels en absence, ça faisait beaucoup.
- C'est peu dire connaissant mon père, soupire-t-il.
- Oui, mais justement je ne le connais pas, donc, j'ai répondu et j'ai entendu le fameux message...
- Celui où mon père parlait de l'accident de mon frère, hein ?
- Oui celui-là, je confirme. Crois-moi, j'aurai préféré ne pas l'entendre.
- Et donc ?
- Sur le moment, ça m'a paru être une excellente idée de ne pas t'en parler pour que tu profites de notre voyage.
- Tu voulais surtout me garder pour toi, remarque Alex.
- Peut-être, j'avoue à mi-voix.
- Trouve une gare. Je rentre.
- Déjà ?
- Si ON m'avait communiqué la mort de mon frère, j'aurai dû rentrer il y a huit jours déjà, alors je pense que mon départ est loin d'être prématuré.
Je me mords la lèvre et démarre le moteur, dont le bruit m'apaise tant. Il n'y a qu'une seule chose à faire : me taire et le laisser partir. (Ça fait deux, je sais) Aucune parole, aucun mot, rien ne pourrait réparer ce qui venait de se briser entre nous.
Nous étions destinés à nous plaire, à nous aimer, à nous quitter. A être heureux, pour mieux se détruire. A s'aimer pour mieux s'abîmer. Apprendre à bien se connaître pour mieux se quitter.
D'ici quelques années, je ne serai plus qu'une inconnue pour lui, le vague souvenir d'une petite brune maigre et toute habillée de noir conduisant une voiture beaucoup trop rouge pour elle. Il ne se souviendra pas de mon nom, ni de l'année ou de la date précise : il se souviendra seulement du moment.
Et moi aussi je m'en souviendrai.
Je l'ai laissé à la station de train la plus proche et il est parti sans dire un mot. J'ai regardé sa silhouette s'éloigner, alors que la pluie redoublait d'intensité - a moins que ce ne soit mes larmes ? -, et je n'ai pu m'empêcher de penser que, quelques heures auparavant, nous nous embrassions devant une certaine Philomena vêtue d'un Jaune éblouissant, ultime symbole de notre amour désormais passé.
On s'a(b)imait.
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NDA
Hello ❤ désolée pour le chapitre... il a été un peu plus long à arriver que je ne pensais mais à l'approche de Noël, vous savez comment c'est : On finit devant la télé à pleurer en regardant un mauvais film de Noël sur TF1 et on préfère exploiter l'art de ne rien faire plutôt que de s'y mettre (a ma défense, j'ai eu beaucoup d'examens donc le repos était nécessaire !)
Mais la, je reviens en force avec un chapitre qui, je l'espère, vous a plu. C'est n'est pas fini ! Il reste encore 3-4 chapitres... vos pronostics pour la fin ? Aïe, parler de la fin, ça me fait peur 😭
En attendant, Si vous pouviez me donner votre avis sur ce chapitre et sur la tournure que prend l'histoire ça me ferait vraiment plaisir,j'ai l'impression d'avoir fait du bon travail et je suis plutôt fière de celui-ci ^^
Avec beaucoup d'amour,
Eléonore ❤
Ps : Bon Noël, fêtez ça en famille si vous le pouvez et profitez à fond de vos proches... c'est ce qu'on a de plus précieux (oui, j'ai dit BON noël et non pas JOYEUX Noël, je sais c'était la petite originalité...)
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