Chapitre 12 - Earwax Records
CHANSON EN MÉDIA - Mrs Robinson de Simon & Garfunkel
J'aimerai pouvoir dire que l'air de Central Park sent la fleur d'été dans la rosée du matin, mais ce serait un mensonge. Pourtant, l'air de Central Park ne sent pas la pollution : Central Park est la pollution. Comme tout le reste de New-York. Ce ne sont pas quelques arbustes plantés en hiver et piqués aux hormones qui vont améliorer la qualité de l'air. Définitivement, l'oasis de verdure et de nature promis par la ville est en réalité une bulle de stress, une ville dans la ville où règne une certaine ambiance de chaos et de stress.
- J'aime bien cet endroit, il déclare.
- Moi aussi. Je crois, je dis malgré tout.
Nous restons un moment silencieux - quoiqu'a New-York, rien n'est jamais vraiment silencieux, entre les coups de Klaxon des taxis jaunes et les coups de fil des businessmans pressés - et j'en viens à me dire que c'est drôle comme tout est évident, avec Alex. Je n'ai pas besoin de lui demander de se taire pour qu'il se taise et je n'ai pas besoin de lui demander de parler pour qu'il parle. Aurai-je enfin trouvé quelqu'un d'assez lucide pour ne pas me taper sur les nerfs ?
- Dis moi... Comment ta mère s'est elle retrouvée au 180 sur Greenwich avenue le 11 septembre 2001?, je demande.
- Waouh... on peut dire que tu es quelqu'un de très subtil, toi, ironise-t-il.
- Comment ça ?
- Laisse tomber.
- Parle-moi d'elle, j'ordonne.
- Elle était gentille.
- C'est cliché de dire d'une personne défunte qu'elle était gentille. Tout le monde peut être gentil, je rétorque.
- C'est faux. La plupart des gens sont gentils, je te l'accorde. Ce n'est pas vraiment... une qualité à proprement parler, disons. Pourtant certaines personnes sont réellement gentilles. Elles ne sont pas gentilles pour leur bonne conscience ou pour accéder au paradis. Elles sont gentilles parce que c'est naturel. Ma mère faisait partie de ces personnes.
Je m'empare de sa pipe qui était savamment posée entre son index et son pouce et tire un coup. Un parfait rond de fumée blanche chargée en parfum se faufile entre mes lèvres alors que mes poumons recrachent doucement de l'air.
- Je crois que j'ai compris, je souffle.
- Je crois qu'elle me manque..., réplique-t-il.
Je me pince les lèvres. Je n'ose même pas imaginer mon enfance sans ma mère. Elle a toujours été la, c'était normal. Je n'y pensais pas. C'était normal. Normal.
Qu'est ce que la normalité, au fond ? Qui est normal, et qui est hors normes ? Où est la loi des gens normaux, ceux qui ont 2 enfants, un chien et une maison 4 façades ? Est-ce vraiment le modèle de la société d'aujourd'hui ?
- On y va ?, propose Alex.
Je hoche la tête et me lève du banc où nous étions assis. Je sens les graviers de l'allée centrale à travers mes tongs alors que nous remontons le parc vers la grille en fonte. Une fois dans les rues, on marche sans but parmi tous ces gens pressés. New-York est comme moi : une jeune fille pleine de dynamisme et de vie, qui cherche un peu dans quelle direction elle doit aller, avec ses doutes, ses joies et ses peines. New-York s'embellit de jour en jour, elle s'épanouit. New-York est comme moi. New-York est en moi.
New-York regorge également d'endroits inattendus, et j'ai l'impression que le magasin qui se dresse devant nous en fait partie.
La devanture faite de boiseries à été peinte en rouge cerise et sur la porte sont écrites en doré les lettres Earwax Records - Achetez bien plus que de la musique.
Sans même me consulter, Alex pousse la lourde porte en verre et s'engouffre dans le magasin - quoique le terme de magasin ne soit pas totalement juste. Il s'agirait plutôt d'un monde parallèle, flirtant avec la réalité comme si c'était quelque chose de drôle. sans enjeu réel. Une douce mélodie de jazz sort d'un tourne disques et l'odeur qui flotte dans l'air tient de la magie - un mélange de cannelle, de vieux livres et de patchouli.
- Mes chers petits !, s'exclame une petite femme brune vêtue d'une laine rouge. Dieu soit loué, les jeunes d'aujourd'hui s'intéressent à la musique ! Vous cherchez des vinyles ?, elle regarde autour d'elle un instant d'un mouvement théâtral avant d'affirmer : Je pense que vous êtes au bon endroit. Il ne reste plus qu'à trouver la musique qui vous fera vibrer.
- Me... Merci, souffle Alex alors que je suis déjà devant les étales de disques qui s'étendent devant moi à perte de vue.
J'adore le fait que chaque mélodie soit différente et qu'il suffise de changer une simple note pour trouver l'arrangement parfait. Pas celui qui sera parfait pour chaque oreille du monde entier ; celui qui sera parfait pour soi. Comme une empreinte digitale, chaque être humain semble avoir une combinaison musicale différente, un peu comme le code d'entrée d'un cadenas.
Je me promène un moment entre les allées de vinyles jusqu'à trouver, parmi toutes les pochettes colorées, celui que je recherchais.
Je me dirige vers la caisse.
- Hein ? Pourquoi tu achètes un vinyle ? Tu ne caches quand même pas un tourne-disques dans ta deux chevaux ?!, demande Alex.
- Non. Mais j'ai comme l'intuition qu'on s'en servira plus tard...
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Pour rejoindre Liberty Island de Central Park a pieds, il y a exactement 2h30. Comme la randonnée citadine n'est pas tout à fait ma passion, nous avons pris un bus. Puis un deuxième. Puis un tram. Ensuite on a du prendre des vélibs pour rejoindre un arrêt de bus. Nous avons donc pris un troisième bus, puis un taxi afin de rejoindre le port. Finalement, le taxi a eu un problème et nous avons dû aller à pieds jusqu'à un deuxième arrêt de bus afin de prendre un quatrième bus pour arriver à 1km du port - kilomètre que nous avons dû parcourir à pied.
Temps total : 3h45
Conclusion : Il faut toujours favoriser la randonnée, même en ville afin de garder la ligne.
Enfin, nous nous sommes assis dans la navette fluviale avec une satisfaction immense.
- Super, la visite de New York. On reviendra, ironise Alex.
- Chutt. Profite, j'ordonne en pointant du doigt le paysage.
L'endroit est à couper le souffle. Le contraste de l'Atlantique, avec le soleil s'écrasant contre l'eau et la ville, de plus en plus loin de nous, comme doucement à trouver un semblant de calme après cette journée agitée, un peu comme une boîte de nuit qui vient de fermer.
Le coucher de soleil n'est pas le même en Arkansas. Il est différent. Partout dans le monde. Je pense que ça m'oblige à visiter chaque coin du monde.
PDV, Alex
Les reflets rosés du coucher de soleil illuminent le visage de Jane. Elle a le regard dans le vide et un léger sourire sur ses lèvres roses - lèvres que je rêve d'embrasser sans jamais vraiment avoir osé le faire.
- On monte jusque dans la couronne ?, je demande.
- Quel est l'intérêt de venir voir quelque chose pour finalement monter dedans ? Tu sais, une fois dedans, on ne la verra plus, hein.
- Peut-être, mais on verra tout le reste,
- Je suis là pour elle, tranche-t-elle en pointant la statue.
Nous restons un moment devant elle. Elle se dresse telle une géante d'une façon fière et sculpturale, face à nous.
- Tu sais, pour des millions de migrants, la Statue de la Liberté à été leur première vision des états-unis après une longue et éprouvante traversée de l'Atlantique. C'était, en quelque sorte, une récompense, m'apprend-t-elle.
- Waouh.
- Elle symbolise la liberté et l'émancipation vis-à-vis de l'oppression. Et tu sais quoi ? C'est drôle, j'ai l'impression que c'est exactement ce dont j'ai été libérée.
- Comment ?, je demande
- Mes parents me rendent dingues. Lorsqu'ils ont appris pour ma maladie... euh, ou plutôt mes maladies, c'est comme si la Terre s'était écroulée pour eux. J'étais tout : une réussite, une fierté t'sais, leur première gosse. Du jour au lendemain, l'obsession a mal tourné. Je suis devenue une maladie à soigner, un putain de diagnostic. Le reste n'avait plus d'importance. Ce que je ressentais passait totalement au second plan.
Ses yeux habituellement d'un émeraude chatoyant étaient devenus simplement vert, le vert sombre d'une forêt perdue en pleine campagne. Elle contemple le paysage avec une telle indifférence, comme si tout était en plastique. Comme si plus rien n'avait d'importance.
- Je pesais trente kilos. J'étais enfin fière de moi. Oui, je perdais mes cheveux, j'avais froid par quarante degrés et je flottais dans un pantalon taille dix ans. Mais j'étais fière de moi.
- Qu'est ce qu'il s'est passé après ?
- Le médecin m'a posé l'ultimatum de reprendre quinze kilos. Je suis allée à l'hôpital et j'en suis ressortie avec 7 kilos de plus, mais j'étais toujours en danger. Alors mes parents m'ont gavée. J'ai repris un poids normal. Et ils étaient heureux...
- ...Mais tu ne l'étais pas., je devine.
Elle secoue négativement sa tête, faisant valser ses cheveux dorés de gauche à droite.
- Je ne sais même pas pourquoi je te raconte tout ça..., souffle-t-elle.
- Moi non plus. Mais je suis heureux d'être digne de toi et de ta confiance.
Elle m'adresse un faible sourire et se rassieds dans la navette. Fin de visite.
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Nous sommes assis sur ces vieux tabourets inconfortables depuis des heures, parlant de la vie et de ce monde qui court inexorablement a sa perte, en buvant des bières bas-de-gammes sous l'œil amusé du patron qui essuie ses verres sans nous quitter du regard. De temps à autre, il ponctue notre débat de son avis peu constructif, ce qui est assez drôle. Jane m'écoute parler tout en prenant une gorgée de bière. Elle promène son regard perçant à travers la pièce - un bistrot au papier peint défraîchi et aux nappes à carreaux où une ambiance familiale règne en maître.
- Vous avez un tourne-disques ?!, s'exclame Jane.
- Lui... il est là depuis des années. C'était un beau cadeau que m'avait fait ma femme. Oh, ma Virginie, quand je pense que nous avions ouvert ce bar tous les deux...
- Il est fonctionnel ?, l'interrompt-elle.
- Bien sur.
Une lueur d'amusement apparaît dans ses yeux.
Le vinyle d'Earwax Records.
- Je t'avais dit qu'il nous servirait, jubile-t-elle. Tu sais danser ?
- Non.
- On s'en fout, décide-t-elle.
- Complètement.
Elle saute de son siège en cuir et se dirige lentement vers le tourne-disques décoré de cuir rouge. Sur la mallette sont écrites les lettres Pour l'amour de ma vie, le vrai. en une écriture élancée et soignée. Je vois Jane effleurer de ses doigts fins l'inscription avant de sortir avec précaution le vinyle de la pochette et de le poser sur la machine. Elle soulève avec précaution l'aiguille en métal et le 33 Tours se met à tourner en provoquant un grésillement désagréable. Jane vient vers moi, s'empare de mes mains et m'enlace par la taille.
Les premières notes se font entendre.
- Cette chanson, là, elle est pour toi.
Sous le regard des quelques clients présents et dans la lumière des abats-jours poussiéreux, nous dansons. C'est doux et calme. Comme une illusion. Pourtant, je sais que le corps frêle qui se tient entre mes bras, ce n'est pas une illusion, et que ce visage saisissant qui me regarde avec tant de douceur n'est pas une illusion, lui non plus. Nous sommes dans notre monde, un monde parallèle et plein de poésie, devenu vital pour supporter la vie réelle avec toutes ses contraintes.
Soudain, les premières paroles surgissent du baffle. Et tout devient lucide.
No, I can't help falling in love with you.
[Trad.: Non, je ne peux pas m'empêcher de tomber amoureuse de toi]
Et ses paroles me reviennent en tête. Cette chanson, la, elle est pour toi.
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Hello vous 💙
J'espère que The List vous plait toujours autant ! Pour ma part, j'avoue que je prends de plus en plus de plaisir à écrire, je me demande si ça se ressent !
Pour les 500 vues, j'ai un nouveau projet de critiques de Livres, n'hésitez donc pas à passer sur mon profil voir mon 2eme ouvrage qui est consacré a ca ! J'ai hate de vous lire :)
Comme d'hab, je me réjouis de lire vos commentaires et d'y répondre alors, cher lecteur qui ne t'est jamais manifesté, je t'invite à m'écrire, même un tout petit mot 😌
(N'oubliez pas la petite étoile ⭐️)
Je vous aimeuu💙
Lélé Xxx
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