9🍬Coccinelle

Elle est là, encore. Elle attend les bras croisés contre une barrière, la tête tournée vers l'entrée principale de la fête foraine. Cette année, elle a les cheveux coupés. Je pense que c'est lié à sa rupture.

Je m'approche d'elle, les mains dans les poches de mon jean, avant de me racler la gorge pour signaler ma présence. Ses paupières se ferment. Ses cils sont longs et j'aime les voir s'agiter lorsque ses yeux papillonnent.

« Tu veux quoi ? » murmure-t-elle. Je suis son regard... Elle fixe un couple. La fille avec ce mec... je la reconnais. C'est son amie.

« C'était », répondent ses poings se serrant en les voyant s'embrasser.

Cette année, j'ai envie de la faire monter sur cette grande roue mais pas dans cet état.

Cette année, je vais me retenir et retenter ma chance à la prochaine fête.

« On s'arrache ? » dit-elle enfin en tournant la tête vers moi. « Partons loin d'ici. C'est ton unique chance de me montrer que ton acharnement était sérieux. »

Ascenseur émotionnel. J'étais passé de la déception à l'espoir en une seconde.

Ce qu'il s'est passé après...



Le réveil est dur, autant que... bref.

Je tombe de mon lit, ne retenant pas ma plainte alors que les rayons de soleil traversent mes fins rideaux blancs. Je me relève et m'étire en bâillant avant d'ouvrir les rideaux, souriant à cette multitude de couleurs que m'offre ce paysage automnal.

Jusqu'à ce que le visage de cette fille me revienne en tête. Son amie...

Il faut absolument que j'en sache plus. Je suis tellement ignorant de mon passé alors qu'il rythme mon présent...

Et pourtant, j'ai beau passer la matinée à la bibliothèque de l'Académie, je ne trouve rien sur Citrus Lime. Personne n'a écrit sur lui. Ses seules distinctions prouvant qu'il a bien existé sont les trophées et médailles exposés en vitrine près des salles de labo.

J'aimerais bien chercher sur internet... Si seulement « internet » était libre.

La génération précédente a fait subir un grand lissage au World Wild Web et dorénavant il est impossible d'y accéder si l'on n'est pas connecté avec un profil rassemblant toutes nos informations.

La GIC ou « Global Identity Card » est une carte à la fois virtuelle et physique réunissant toutes les informations possibles sur notre identité. Par exemple ma GIC est également une carte étudiante mais aussi de paiement sans contact, de réservation, d'assurance maladie, de carnet de santé, etc.

La GIC ne fonctionne qu'avec une reconnaissance des empreintes digitales et si elle est perdue, on a toujours celle fonctionnant en ligne grâce à notre portable. C'est « nous ».

Mais un peu « trop » nous. N'importe quel organisme de l'État a accès à notre bilan de santé, suivi psychologique et également d'autres informations. Il n'y a plus de « vie privée » lorsque l'on utilise la GIC alors pour pallier à ça, je préfère payer le maximum en cash et me servir le moins possible d'un ordinateur.

Alors avec toutes ces informations, c'est facile de comprendre pourquoi je n'arrive pas à trouver l'histoire de Citrus Lime : parce que l'on me bloque l'accès aux informations.

Ce sont les cours d'histoire pendant notre scolarité qui comble ce manque d'informations sur les anciens « nous »... en éludant beaucoup d'événements.

C'est triste comme situation et j'aurais aimé vivre dans un monde plus libre avec un total accès à la connaissance.

Mes recherches se concentrent donc sur la vie dans cette Académie il y a une quarantaine d'années pour trouver une piste sur la vie de Citrus. Je farfouille dans les écrits, les journaux mais lorsque je suis à deux doigts d'abandonner, la bibliothécaire me soumet une idée simple mais brillante :

« Pourquoi ne pas consulter le YearBook de la promotion que vous cherchez ? Vous aurez des photographies légendés et parfois même des paragraphes écrits par les élèves. Les étudiants étaient moins nombreux que cette année donc je pense que vous pourrez trouver plus facilement ce que vous désirez. »

Le YearBook, c'était si évident. Un livre publié chaque année, rempli d'informations sur des événements passés sur chaque promotion.

Je la remercie et suis le chemin qu'elle m'indique entre les rangées de livres, mes tennis couinant sur le sol et perturbant le silence religieux du lieu lorsque je trouve ce que je désire. Je sors les Yearbooks censés contenir les souvenirs de classe de seconde, première et terminale de mon ancien moi et les ramène à ma table.

Le premier à une belle couverture bleue où la police de caractère est noble et écrit en dorée. J'arrive à la page de la seule classe de seconde et observe la photo de classe : je ne reconnais personne jusqu'à arriver au trombinoscope.

« Cotton Candy – major de promotion – membre du comité événementiel – élu Miss Jolie Sourire Sucré. »

Elle avait de longs cheveux roses et un air enjoué. Rien de « louche » ne venant gâcher sa beauté simple.

Je retrouve « ma » tête quelques photos plus loin et il n'y a pas à dire : j'ai vraiment un air de détraqué. Ma tentative de sourire pour l'objectif me donne une tête de psychopathe en puissance, le tout accentué par mes cernes, mon teint aussi blafard que mes cheveux blonds et... mes lunettes ?

J'avais des lunettes ? Pourtant j'ai une vue parfaite. Ça doit être un des paramètres que l'on a modifiés en me clonant.

« Citrus Lime – club de sciences. »

Une seule petite ligne de description. C'est tout. Je ne m'attarde par sur les autres et tourne les pages pour trouver plus d'informations : des photos d'activités en club et d'autres événements annuels lorsque j'arrive à celles de la fête foraine d'automne. Je n'en trouve qu'une seule où je suis en arrière-plan en train de discuter avec Cotton.

Étrange...

Mon portable vibre à ce moment-là et me prévient que l'heure de rendez-vous avec Wild et Pop au Crazy Chicks arrive. Je m'apprête à refermer le Yearbook pour en rester là aujourd'hui lorsque je reviens à la page des trombinoscopes pour voir quelle tête avait Red avant.

J'arrive au seul homme avec les cheveux rouges et à l'air aussi enthousiaste que mes autres camarades lorsque je fronce les sourcils en lisant la description.

« Rasp Berry – fanfare de l'école (trompette) – trésorier de l'association des Têtes brûlées – élu Agitateur en chef.»

Mais alors... Si ce n'est pas Red, où est-il ?

Je feuillette le YearBook rapidement et malgré la frustration et l'envie d'en savoir plus, j'arrête mes recherches. Je demande à les emprunter à la bibliothécaire qui l'inscrit sur ma carte avant que je ne quitte le bâtiment en direction des dortoirs pour me changer.

Pour une fois que j'ai rendez-vous avec des « amis », je ne vais pas tout faire foirer en arrivant en retard. Les Yearkbooks peuvent attendre.

🍬 🍬 🍬

Lorsque je pousse la porte du Crazy Chicks, j'ai quinze minutes de retard. La faute à mes hésitations sur comment m'habiller mais également parce que j'ai encore du mal à me repérer en ville.

L'endroit est un Diner tout ce qu'il y a de plus classique. Un sol en damier, des banquettes et sièges en skaï rouge, un grand bar comptoir, un jukebox, bref. Rien d'exceptionnel si ce n'est qu'il est envahi autant par les collégiens que les lycéens et les étudiants en formation « spéciale » à l'Académie.

Il est à l'image du Marvelous Diner, la magie en moins.

« Citrus ! On est là ! »

Je me mords la lèvre en entendant la voix de Pop un peu plus loin. Pas parce qu'elle a crié mais parce que dire mon prénom dans un lieu si remplit fait que tout le monde s'est tourné vers moi.

On n'entend plus aucun bavardage, juste le jukebox... qui me lâche le temps de changer de musique.

Grosse ambiance... Le nouveau pervers de l'Académie est arrivé ! Cachez vos copines et vos sœurs ! IL ARRIVE !

Je remets la capuche de mon sweat sur ma tête et avance rapidement jusqu'à la table au fond en évitant les regards insistants et chuchotements. Je me glisse sur la banquette alors que Wild m'oblige à retirer ma capuche.

Lorsque je remarque que j'ai poussé jusqu'à la vitre une inconnue assise à côté de moi.

— Merde, désolé.

— Tranquille bro, me répond-elle.

— Citrus, commence Wild en face d'elle, je te présente Puccino. Ma copine.

— Yo'.

Aaaaah ouais ? Mais alors il n'est pas attiré par Pop et c'est réellement un faux grand-frère surprotecteur ? Surprenant.

Je fais un salut de la tête à la fille à côté de moi alors qu'elle retire son bonnet noir de ses cheveux. Cheveux d'un dégradé violet bleu sombre sur toute la longueur en bataille et lui arrivant à la naissance de la poitrine. Elle a la peau mâte, au même degré que Pop donc moins que Wild, ainsi que les yeux gris blanc. Ses paupières sont naturellement demi-closes, lui donnant un air blasé naturel.

Un détail en plus qui m'intrigue : elle a un petit tatouage noir de larme sous son œil gauche. Mise à part ça, elle porte des sneakers, un baggy kaki et un sweat noir avec la tête de The Notorious B.I.G.

— Citrus Lime, me présenté-je en règle. Je suis dans la classe de P-

— Je sais, m'interrompt-elle. La rumeur comme quoi tu es un agresseur sexuel a fait tout le tour du campus. Même dans notre bâtiment, on en a entendu parler.

— Puccino est étudiante spécialisée en première année de musique avec ses sœurs, me précise Popcorn avant de me tendre une carte du menu.

— Ses sœurs ?

— « Sœurs », mime-t-elle avec ses doigts toujours d'un air involontairement blasé, c'est comme ça qu'on appelle mes autres clones. Je suis issue d'une expérience de multiclonage simultané. Mon ancien moi, Cappuccino, a accepté de participer à une expérience de ce genre qui aurait pu permettre d'améliorer considérablement la recherche dans le domaine mais l'expérience n'a jamais pu être aboutit.

— Pourquoi ?

— Parce que c'était illégal et que c'était « toi » qui t'en occupais. « Tu » as fui le gouvernement sans pouvoir terminé ta thèse sur nous. Du coup on se retrouve à trois clones d'une même personne mais avec des personnalités sensiblement différentes. Je pense que c'est ce que « tu » recherchais.

La façon dont elle me regarde semble indiquer qu'elle n'en veut pas à mon ancien moi, pire, qu'elle n'en a rien à foutre.

Je ne sais pas jusqu'où Citrus Lime est allé pour ses recherches mais il a aimé se prendre pour un dieu...

— T'inquiètes, me rassure Wild, ses « sœurs » et elles ne t'en veulent pas. Au contraire, ça les arrange sur un certain point.

— Yep. Grâce à Citrus Lime, on a pu exploiter à merveille notre « talent ». Cappuccino était une vraie mélomane sachant jouer de tous les instruments mais de façon basique. En nous multiclonant, cela a réparti notre talent équitablement et avec un tiers de « talent » en moi, je suis capable de maitriser un seul instrument mais à la perfection.

Je hausse les sourcils, impressionné par sa courte explication mais surtout par ce qu'elle vient de dire : « grâce à Citrus Lime ». Personne n'a jamais remercié mon ancienne moi, du moins pas à ma connaissance.

Pour moi, Citrus Lime n'est qu'un vieux type inscrit parmi les criminels de ces dernières années. Un scientifique qui s'acharnait à me faire passer des tests pour me faire développer un talent.

Qui m'a emprisonné dans un laboratoire pendant toute mon enfance en me répétant que je n'étais qu'une merde, tout ça pour lui prouver qu'il avait tort.

Un homme qui me battait et qui m'a transmis une partie de sa personnalité, créant en moi le pire trouble possible me pourrissant la vie.

Non. Rien n'est « grâce à Citrus Lime ». C'est toujours « à cause » et ça ne devrait jamais changer.

Le couple reprend naturellement leur conversation précédente pendant que je commande une grosse assiette de frites avec de la citronnade et que Pop sort sa tablette pour noter l'échange que je viens d'avoir avec le fruit d'une de « mes » expériences.

Les premières minutes dans ce Diner avaient mal commencé mais à mesure que les heures passent, je me détends de plus en plus avec le groupe.

J'apprends que Popcorn est très enthousiaste au sujet de son prototype qui cette fois-ci, « n'a pas explosé devant ses camarades ». Que Wild est un mec très détendu mais qui a tendance à s'emporter lorsqu'un sujet le galvanise et surtout, lorsqu'il parle de sa moto.

Et enfin de Puccino, malgré cette impression qu'elle donne de se foutre de tout, montre un réel intérêt quand elle écoute ses interlocuteurs. Il y a parfois certains mots qu'elle prononce comme « miskine » ou « zahef » que je ne comprends qu'à moitié, n'osant pas demander leur définition, mais qu'elle arrive à traduire avec de simples variations de tons dans sa voix.

Je termine à peine mon assiette et ma citronnade que le soleil décline et que le Diner se remplit de plus en plus. Et malgré le fait que nous ne soyons loin de l'entrée, à chaque nouvelle arrivée je sens des regards insistants dans mon dos.

— Bon, commence Puccino en ouvrant son portefeuille et en jetant des billets sur la table, l'addition est pour moi.

— Pucette...

— T'as envie de te faire broyer les couilles en m'appelant comme ça en public ?

— Non, je préfère quand tu joues avec.

— Arrête de me regarder comme ça, sauvageon. J'insiste, je paie l'addition. Comme ça vos GICs ne pourront pas vous fliquer de toute la soirée.

Pop se met soudain à s'agiter sur son siège comme une enfant en tapant dans ses mains et en répétant « Vive Pucci ! Vive Pucci ! ».

— Pourquoi cette précaution ? demandé-je intrigué.

— J'aime pas le système de surveillance du gouvernement. Et puis ce soir, on va à un endroit qu'on n'est pas censé fréquenter à cette période de l'année.

— Allez, intervient Wild, on bouge avant que le « détraqué » se fasse jeter d'ici.

Je roule des yeux avant que Wild me donne un coup de poing à l'épaule et passe devant, enroulant de son bras la taille de sa copine.

L'enthousiasme de Pop à mes côtés pourrait presque être contagieux alors que nous quittons enfin le Crazy Chicks pour arriver sur le parking de derrière. Pucccino agite un trousseau de clés dans ses mains avant que Wild embrasse sa joue et déverrouille à distance l'une des nombreuses voitures garées.

Je ne sais pas pourquoi mais je ne peux m'empêcher de sourire en voyant la voiture devant nous : une Coccinelle jaune pétante.

Une voiture tellement opposée à sa propriétaire que je ne peux me retenir de rire. Ça me fait tellement du bien que j'en oublie même Pop à mes côtés, surprise mais heureuse de me voir comme ça.

Je crois que c'est le clonage en lui-même qui fait que tous les « jelly belly » ont un grain.



🍬Chapitre 10 disponible ! Dernière promo avant que l'on passe à un chapitre par semaine !🍬

Qu'avez-vous pensé des recherche de Citrus ? Du système de carte GIC ? De son arrivée au Diner et de sa rencontre avec la copine de Wild, Puccino ? 

🍬N'hésitez pas à voter et donner votre avis en commentaire !🍬

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