« Salut. »

Je l'avais fait sursauter et lâcher ses cannettes au sol. J'entendais déjà Xiao Minh nous engueuler depuis la caisse et je m'excusais à peine en levant la main. Je me baissais pour l'aider à récupérer ses achats alors que ses yeux me fuyaient. Mes doigts touchèrent les siens un bref instant mais elle les retira comme si je venais de la brûler.

Les cannettes dans ses bras, elle se dirigea vers la caisse sans un mot de plus.

- Tu pourrais au moins me dire « bonjour ». Ça fait trois mois que l'on ne s'est pas vu.

- Est-ce que vous vous portez bien, maître Lime ? dit-elle d'un ton faussement concerné.

- Je ne vais jamais bien mais merci de t'en soucier.

Le bruit des articles se faisant scanner accentuait le silence entre nous. Je sentais le regard de Xiao sur moi et j'étais sûr qu'il est surprit de me voir ici.

Je venais de valider mon mémoire de recherche alors que j'avais à peine terminé le lycée et je pouvais « presque » prétendre au titre de « maître ». D'ailleurs, j'aimais qu'on m'appelait comme ça, je me sentais supérieur... Mais l'entendre dans sa bouche, ça me mettait mal à l'aise.

- « Maître », murmura-t-elle comme si elle avait lu dans mes pensées, je préférais quand tout le monde te surnommait « deux virgule cinq ». D'ailleurs qu'est-ce que tu fais à Flavor City ? Je pensais que tu allais tenter l'examen pour devenir un Jelly Beans ? Ce n'était pas ton but ?

- Je l'ai passé. Je voulais simplement attendre les résultats auprès d'une belle fille.

- Alors tu aurais dû aller voir ton plan cul.

Sa remarque me fit grimacer alors que Xiao détourna les yeux en lui demandant de régler ses articles. J'observais chacun de ses mouvements et j'ai craqué lorsque ses doigts vinrent replacer une de ses mèches derrière son oreille.

- Tu sais que c'est différent maintenant.

- C'est ta copine ? Ta future femme ?

- Arrête ça. Et à qui la faute en plus... Si tu ne m'avais pas tant rejeté.

- Je ne vais pas accepter d'avoir une relation à distance avec un stalkeur que je connais à peine !

- Tu me connais ! Regarde... Quel est le prix que j'ai remporté l'an dernier ?

- T'en a reçu des tas...

- Fais un effort ! J'ai même reçu une bourse pour ça ! Bon, disons que ce n'est pas le genre de truc que tu retiens... Quel est ma boisson préférée ?

- Le jus de citron.

- Idiote.

- Quoi ?! s'exclama-t-elle en se retenant de rire. Tout le monde sait que Citrus Lime aime le jus de citron ! Ce n'est pas ma faute si tu ne fais pas d'effort p-

- Quel est ma musique préférée ?

- Plastic Love de Mariya Takeuchi, répondit-elle sans hésitation.

- C'est vraiment un bon choix ça.

Nous nous tournions vers Xiao après qu'il ait approuvé ce choix et baissé la tête pour faire semblant de ne pas avoir écouté notre conversation. Elle attrapa son sac en plastique pour se diriger jusqu'à la sortie alors que je lui pointais du doigt ma voiture garée sur le trottoir.

- T'es vraiment pas respectueux des règles pour te foutre ici, me fit-elle remarquer.

- Je n'aime pas quand il y a des limites. Ça me donne une irrésistible envie de les dépasser. D'ailleurs...

Je lui ouvrais la porte de ma décapotable en lui priant d'y monter, attendant qu'elle ait fini d'inspecter les environs pour être sûr que personne ne nous prenait en flagrant délit.

- Je te dépose où ? dis-je en mettant mes lunettes de soleil. A la plage ?

- Comment tu as deviné ?

- Vu la quantité de soda dans tes bras, tu vas passer du temps avec tes potes et... ton copain.

Elle se contenta de grogner et approuva d'un hochement de tête. Sa mine renfrognée provoqua un rare sourire chez moi qu'elle seule savait déclencher. Elle le vit et en fut fière mais alors que je démarrais ma voiture, elle m'interrompit d'un doigt levé.

Elle ouvrit la boite à gant et en sortit une clé USB bien abimée pour la brancher à l'autoradio en souriant.

« J'espère que ma voix ne t'as pas trop manqué parce que je vais me lâcher. »

C'est sur les premières notes de Plastic Love que nous avons roulé vers l'horizon alors que le soleil disparaissait déjà derrière les collines.

Je connais ce morceau sans le connaitre. C'était ma musique préférée dans une autre vie. Comment est-ce que j'ai pu l'oublier ?

C'est aussi la mélodie que j'ai entendu près du saule-pleureur. Une voix douce et féminine qui chantait aussi bien en anglais qu'en japonais. Cette voix qui m'a troublé...

Mais peut-être moins que celle de l'homme face à moi.

Popcorn mais également l'espèce d'attroupement tout autour de nous regarde le duo s'affronter d'un air ébahi. Je suis comme eux, des étoiles dans les yeux avec toutes ces lumières et cette musique remuant au plus profond de moi alors que les cheveux rose-bleu de Kapu-Kapu s'agitent autant que ceux de Red.

Ils frappent en rythme avec leurs pieds mais leur danse est différente. Kapu agite beaucoup les bras quand Red n'hésite pas à faire des mouvements plus audacieux et à souvent se retourner vers la foule en ignorant l'écran. Ils connaissent l'enchainement par cœur et leurs chorégraphies respectives arrivent à être originales et parfaitement coordonnées pour donner un spectacle visuel étonnant.

Je surprends Red et Kapu se sourire une demi-seconde avant de se reconcentrer sur le rythme. J'apprends d'un mec derrière nous que « Rouge » est un maître d'hard dance autant en jumpstyle qu'en shuffle dont il nous fait actuellement un mélange témoignant de sa maitrise de ces danses qui me sont inconnues. Une autre personne réagit en disant la même chose pour Kapu-Kapu qui, parait-il, est la « reine du shuffle à Flavor City ».

De ce que je comprends alors que les mouvements à effectuer sont de plus en plus nombreux, c'est que ces deux-là ont l'habitude de s'affronter et ça malgré leurs caractères totalement opposés.

Je me souviens que Kapu avait avoué que Red lui faisait flipper avec ses yeux mais pourtant, elle se bat de toutes ses forces contre lui.

Mais ça ne suffit pas.

« ROUGE - WINNER »

Le petit groupe applaudit en cœur le vainqueur quittant le plateau de danse et essuyant la transpiration de son front et de sa nuque. Tous les deux ont la respiration erratique et nous leur laissons un peu d'espace tout en s'extasiant encore devant l'affrontement de danse auquel nous venons d'assister.

- Ce n'est pas juste, marmonné-je.

- De quoi ? me demande Popcorn.

- Qu'un enfoiré comme lui soit un génie. Il dort en cours mais à de bonnes notes, il chante et en plus il maîtrise Dancerush Stardom ! Manquerait plus qu'on apprenne qu'il sauve des chatons à ses heures perdues.

- On a chacun nos particularités, il a juste eu plus de chance que les autres.

Qu'est-ce que j'ai à offrir ? J'encaisse bien, je suis une terreur si je laisse ma colère prendre le dessus, je sais jouer de la guitare passablement bien et j'écris des paroles qui plaisent... Mouais soit je deviens un chanteur dégueulasse, soit un Hulk jaune.

« Pourquoi t'as choisis Plastic Love ? »

Je sursaute alors que ses yeux jaunes semblent me sonder avec insistance. Il tend sa main pour que je lui rende sa canette tout en attendant une réponse logique de ma part.

- Je ne sais pas, comme ça.

- Ah ouais ? « Comme ça », qu'il dit...

- C'était UN PEU de la triche je trouve ! s'exclame Kapu-Kapu en me donnant un coup d'épaule. Avoue-le Citrus, c'est parce que t'as écouté sa version ?

- Sa version ? Quelle version ?

Kapu fait une mine choquée et fait glisser à toute vitesse ses doigts sur son smartphone alors que Red fronce les sourcils en terminant cul sec sa canette. En rade d'écouteurs, Pop sort les siens et les branchent au téléphone, me faisant également signe de me les mettre dans les oreilles.

- J'apprécierais que tu ne lui fasses pas écouter ça, déclare Red d'un ton presque colérique.

- Oh allez ! C'est peut-être bien la seule musique de toi que l'on peut télécharger sur internet en toute légalité ! Citrus, just enjoy !

Je hausse les sourcils, attendant que la musique se lance lorsque je reconnais la mélodie entendu lors de leur danse : c'est Plastic Love mais en version original, sans remix et dans sa vitesse normal contrairement à celle joué pendant le jeu.

Non... Ce n'est pas la version originale. Pas d'après l'écran ce que je lis sur portable de Kapu.

« Plastic Love de Mariya Takeuchi - cover par Red Apple [JELLYBEANS] »

Lorsque j'entends sa voix dans mes oreilles, j'ai l'impression de m'être pris un coup dans le cœur. Que mes membres ne peuvent s'empêcher de trembler alors que je suis obligé de m'assoir au sol pour tenir le choc.

Putain, comment j'ai pu vivre autant de temps sans entendre une voix pareille dans ma vie ?

Une voix féminine, douce mais également piquante. Une langueur dans le timbre et... Je ne saurais pas le décrire. Un flot d'émotion qui m'envahit et me transporte autant que lorsque j'avais entendu Red chanter l'autre soir.

Un talent qui touche directement votre cœur. Un talent qui peut faire tomber amoureux n'importe qui.

Je sens une larme couler sur ma joue alors que mes yeux se sont fermés instinctivement. Pourquoi on ne m'a jamais fait écouter les musiques de Red Apple ?

Soudain, je reconnais cette voix. C'est celle de la fille sous le saule-pleureur.

Mais alors... Cette personne que j'ai prise pour une fille chantant sous la pluie... Cette même fille que je pensais avoir vu arriver dans le gymnase pour me sauver de mon guet-apens...

Ce n'était qu'une illusion. Ce n'était pas une fille.

C'était lui.

C'est donc pour ça qu'il s'est énervé quand j'ai parlé d'une fille alors que c'était lui. Merde.

Oh putain de merde. Comment est-ce que je ne peux pas être chamboulé par sa voix ? Comment est-ce que les autres font pour ne pas tomber dans les bras de Red après ça ?

Lorsque la chanson se termine, que je retire les écouteurs et que j'ouvre les yeux, le rouge remplace les larmes sur mes joues et pour cause : tout mon groupe d'amis est autour de moi à me regarder comme si j'étais une bête de foire.

Je me relève maladroitement en séchant d'un coup de manche mon visage, tentant de reprendre contenance et de faire comme si de rien était mais c'est trop tard.

Red me regard avec de grand yeux alors qu'il s'appuie contre la machine de jeu à l'écart.

- Citrus, me demande doucement Pop, ça va ?

- Ouais désolé je... j'ai eu une poussière dans l'œil ou je ne sais pas quoi.

- Est-ce que par hasard... Pur hasard...

- Est-ce que c'est la première fois que tu entends du « Red Apple » ? intervient Wild, les mains sur les hanches.

- Je me sens con là... Ouais c'était la première fois.

- Oua, ajoute Cappuccino. C'est... OUA. Je ne pensais pas voir ça un jour, c'est tellement rare des gens qui entendent son talent pour la première fois...

- Je suis sûr que tu mens.

Tout le groupe se tourne vers Red qui est intervenu avec un ton sec mais également une modulation dans sa voix prouvant qu'il est tout aussi choqué que les autres.

Ses sourcils sont froncés et on pourrait croire qu'il serait à deux doigts de me sauter dessus pour me péter la gueule mais pourtant... Il y a un truc dans son regard.

- Je ne mens pas, réponds-je avec aplomb. C'est la première fois de ma vie que j'entends du « Red Apple ».

- C'est impossible. T'aurais au moins du en entendre quand t'étais gosse.

- Non parce que...

Parce que j'ai passé toute mon enfance dans un laboratoire. Parce qu'on surveille tous mes faits et gestes avec ma carte GIC depuis que j'ai un peu d'indépendance. Qu'on m'empêche de faire des recherches.

Que jamais, je n'aurais de liberté sur ça.

- Parce que voilà.

- Je ne te crois pas.

- Red, commence Wild, vu sa réaction c'est forcément la vérité. Citrus ne peut pas avoir un jeu d'acteur aussi bon pour tous nous berner.

- Conneries. Jure que tu n'as jamais entendu ma v-

- MAIS QU'EST-CE QUE TU NE COMPRENDS PAS ?!

Ma subite colère écarte les gens autour de moi alors que je suis de plus en plus irrité par ses mots. Je suis sincère et lui, il est dans une sorte de déni incompréhensible qui me donne envie de lui foutre une putain de beigne.

- Je n'ai jamais entendu ta voix ! J'ai appris il y a à peine quelques semaines que ton talent c'était la chanson !

- Menteur.

- Mais putain de merde ! Comment tu voulais que j'entende ta voix alors que j'ai passé toute mon enfance comme un putain de rat de laboratoire ?!

Je relève mes manches, montrant à nos amis toutes mes cicatrices et tatouages, mon absence de complexe s'expliquant par mon énervement bridant mes autres sentiments.

- Tu crois que je me suis fait ça pour le kiff ?! Parce que je suis un putain d'emo ?! Bordel tu les as vu toi-même et t'es trop con pour comprendre ?!

- Ok Citrus calme-toi, tente Wild en posant sa main sur mon épaule que je dégage violement.

- Tu crois que ça me plait d'être un putain de monstre et de cacher mon corps à la moindre éclaircie ?! Ouais j'ai pas eu le foutu loisir d'écouter ta voix de pucelle pendant mon enfance parce que j'étais trop occupé à être branché à une perfusion, à courir sur un tapis jusqu'à m'en défoncer le cœur et à ce qu'on triture mon cerveau jusqu'à me rendre dingue ! EXCUSE-MOI, RED APPLE !

- Citrus, arrête.

- Ah et pendant que j'y suis vous n'auriez pas pu me l'avouer au lieu de me faire tourner autour du pot ?! J'ai été obligé de parler à Pina Colada pour l'apprendre, PINA ! Pas un seul d'entre vous, même toi sale con, vous avez été foutu de me révéler que Red était une gonzesse ! Ce mec est une putain de gonzesse !

*BAM*

J'ai à peine cligné des yeux que je me retrouve le visage contre le sol après la plus fulgurante droite de ma vie. J'entends la voix de Wild s'écrier quelque chose et sent les mains de Pop contre moi mais il n'y a qu'une chose qui capte toute mon attention : le poing de Red alors qu'il me fixe de ses yeux jaunes assassins.

« T'as osé me traiter de gonzesse, citron de mes deux. T'as cru que parce qu'on commençait à faire ami-ami, tu pouvais te permettre de me manquer de respect mais t'as tout faux. Ce que t'as devant toi, c'est un mec qui a plus de couilles que toi et qui n'hésitera pas une seconde à t'envoyer à l'hôpital si tu le traite encore de gonzesse. »

Je mords ma lèvre jusqu'au sang, la colère bouillonnant en moi alors que je m'apprête à rompre mon serment de non-violence. Les jointures de mes doigts blanchissent lorsque je me relève à toute vitesse, prêt à lui sauter à la gorge mais le gérant de la salle d'arcade s'interpose.

« Pas de bagarre chez moi sinon vous êtes tous bannis ! Allez ouste, dehors ! »

Je n'arrive pas à échapper aux yeux du grand rouge, bien décidé à me venger de ce coup, lorsqu'il décide de céder et de partir de la salle sans un mot de plus. Je fais de même dans la direction opposé malgré les exclamations de mes amis.

Mes oreilles ne veulent rien entendre et il n'y a qu'une course éreintante qui pourrait me calmer actuellement.

Le pire dans tout ça, c'est que j'avais autant envie de lui péter la gueule que de le faire taire en lui roulant une pelle devant tout le monde.

Tout ça à cause de Plastic Love.

Ça a bien chauffé entre Citrus et Red ! Qu'avez-vous pensé de ce souvenir ? Des talents de danse de Red et Kapu ? De la découverte de la voix de Red par Citrus et de ce qui en a suivi ?

Des théories sur la suite ? Est-ce que l'amitié entre le citron et la pomme est brisé ?

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https://youtu.be/3bNITQR4Uso