21🍬Minh Sensei
J'ai passé mon dimanche à décuver du peu d'alcool que j'avais bu au côté de l'ivrogne d'Harley Queen qu'était Pina Colada. Ça et faire mes devoirs.
Je suis heureux, arrivé à 20h30, de déclarer avoir enfin rattrapé mon retard sur presque toutes les matières. « Presque » parce que je suis toujours une merde en mathématiques et en physique-chimie. Je n'y comprends vraiment rien à ses matières et j'ai l'impression que les profs se sentent insultés en le voyant.
Comme si je faisais exprès de ne pas être bon pour me détacher de l'ancien Citrus alors que... Je suis vraiment un tas. A partir du moment où j'ai besoin de vérifier sur ma calculette combien font trois plus quatre, c'est qu'il y a vraiment un problème. Ou alors une grosse flemme du calcul mental de ma part.
Est-ce que je suis encore obligé de compter sur mes doigts pour faire des additions ? Non... Je cache juste mes mains sous la table parce que... j'ai froid ? A qui je veux faire croire ça ?
J'étire mes bras devant mon bureau en baillant avant d'observer par la fenêtre le reste de décoration d'Halloween agités par le vent. Mes yeux dérivent sur le mur d'à côté quand mon esprit pense à mon camarade à quelques mètres d'ici.
Je touche le bout de mes lèvres et les caresse alors que le souvenir d'hier soir refait surface... Avant que je ne secoue la tête pour le chasser, les sourcils froncés.
L'alcool a dû le faire déconner pour qu'il fasse ça... Et j'ai dû déconner tout autant pour l'apprécier. Je ne suis pas de ce bord-là, je crois. Alors pourquoi est-ce qu'en y repensant, j'ai des frissons et mon cœur est en feu ?
Un soupir las s'échappe de ma bouche alors que j'attrape mon portable ayant fini de recharger. Je n'ai pas regardé mes messages depuis hier soir mais lorsque je le rallume, ce dernier se met en mode vibromasseur.
Posé sur mon bureau, il continue à vibrer pendant de longues secondes jusqu'à ce que je puisse le consulter. Comme je m'y attendais, ce sont des SMS des sœurs Cappuccino et de Wild se demandant où j'étais hier soir. Je suis partie tellement vite que je ne les ai pas prévenu.
Subitement, je repense à Pop.
Je consulte mon journal d'appel et vois qu'elle m'a appelé... vingt-cinq fois.
Merde. J'ai oublié de venir la voir... Après c'est Pop donc elle ne doit pas m'en vouloir à ce point.
Mais c'est au bout du troisième appel de suite sonnant dans le vide que j'ai un gros doute. Popcorn n'est peut-être pas si insensible à ce que pensent les autres et pas si détaché des relations que ça.
Je me lève de mon siège pour m'étirer et fixe mon portable pendant d'interminables secondes, attendant un appel de sa part. Au fil des minutes, je commence à angoisser sévèrement.
Et si elle m'en voulait réellement ? Si je perdais ma première amie ?
Je déteste cette situation. Je m'en veux. J'ai l'impression d'être un con. Non, je suis un con. Putain. Comment est-ce que j'ai pu l'oublier ?
Arrivé à 21h et après avoir tenté de me détendre de pauvres nouilles instantanées, je grogne et enfile mon sweat le plus chaud, mes baskets pour quitter ma chambre alors que la nuit s'est déjà bien installé sur le campus.
Une ambiance de mort règne, typique d'un dimanche soir où tout le monde profite d'être au calme avant le retour en cours le lendemain. Me souvenant qu'elle habite un peu plus loin en ville, je décide de faire un footing jusqu'au centre, histoire de reprendre le sport par la même occasion.
Après une vingtaine de minute à courir, la fatigue se fait sentir mais je retrouve les sensations m'ayant fait aimer la course malgré tout.
Malgré le fait que l'on m'ait forcé à l'apprécier sur un vieux tapis de course avec des électrodes collées partout sur mon corps et examinant avec précision chaque réaction de ce dernier.
J'arrive devant la supérette où travaille Wild lorsque le gérant ferme la porte d'entrée en éteignant toutes les lumières.
« Excusez-moi monsieur !... Monsieur ? Mooooonnnsieur ! » m'exclamé-je pour que le vieux chinois m'entende enfin. Il rehausse ses lunettes et plisse les yeux avant de me répondre : « Le grand citron ».
C'est la première fois que j'entends sa voix et elle est comme je l'imaginais : comme un vieux sage asiatique cliché de film d'arts martiaux.
— Citrus, rectifié-je. Est-ce que Wild est partit il y a longtemps ?
— Il y a une trentaine de minutes. Vous n'utilisez pas de GSM ?
— Hein ?
— GSM.
— C'est quoi ça ?
— Un téléphone portable.
— Aaaah un smartphone ! Euh... Si, mais je voulais lui demander un truc en personne. L'adresse d'une de nos amies.
— Celle qui l'appelle « sauvageon » ? Ou celle qui m'achète toujours dix paquets de sucettes à la cerise chaque matin ?
— Euh... non. Celle qui est petite avec des formes, peau caramel, cheveux blancs et de grosses lunettes.
— Ah la petite Caramel. Oui oui, suis-moi, on peut trouver son adresse dans les pages jaunes de la ville.
— Les pages jaunes ? C'est quoi ce truc ?
— Qu'est-ce qu'on vous apprend à l'école, les jeunes ? Depuis le déploiement des GIC ces quarantes dernières années, les gens ne savent plus comment s'y prendre pour trouver des informations sans passer par internet.
Le vieil homme soupire avant de me faire signe de le suivre. Nous contournons la supérette et arrivons par l'entrée de service. Il désactive l'alarme et me fait passer par quelques rayons plongés dans le noir avant d'arriver à son bureau.
Il me montre du doigt un gros livre jaune posé en hauteur d'une étagère pour que je l'attrape et le lui tende. Le vieil homme l'ouvre sur son bureau et fait tourner les pages dans un silence perturbé que par les bruits des aiguilles de sa montre.
— Pourquoi tu veux voir cette jeune fille ? C'est ta copine ?
— Oui. Enfin dans le sens « amie ».
— C'est compliqué les relations. Avant, quand un garçon et une fille étaient souvent ensemble, on était certains qu'ils « étaient ensemble ». Maintenant, quand Wild me parle, je ne comprends plus rien.
— Ne vous inquiétez pas, moi non plus je n'y comprends rien.
— Il faut s'adapter... Ah voilà. « Caramel ».
Je tape l'adresse dans l'application GPS de mon téléphone et constate qu'elle est à une bonne trentaine de minute de course d'ici. Je remercie le gérant avant d'esquisser un mouvement pour partir lorsqu'il me retient.
« Tututu ! Regarde l'heure qu'il est. Tu peux bien attendre demain avant d'aller la voir. »
Il tapote le siège en face de son bureau et même si j'aimerais l'envoyer chier, mon sens moral m'oblige à être polie et à m'assoir alors qu'il lance sa bouilloire pour nous préparer un thé.
— Vous allez toujours trop vite, c'est ce que je dis à chaque fois que Wild fait tomber des paquets de pâtes. Il en prend trop d'un coup. Maintenant, il a appris à prendre son temps, à être consciencieux.
— Ouais... Cool. Mais moi j-
— C'est comme ça aussi pour l'amitié, m'interrompt-il en remplissant un mug d'eau chaud où s'échappe une douce odeur poivrée. Tu ne peux pas débarquer chez une fille aussi tard. Et puis qu'est-ce que tu vas lui dire ?
— Je vais m'excuser de ne pas l'avoir vu samedi soir et... c'est tout.
— Et tu penses qu'elle va accepter aussi facilement ? Si j'ai bien retenu quelques choses sur les femmes, c'est que tout est encore plus compliqué lorsqu'elles font la tête. Quand elles te disent « ça va » ou « il n'y a aucun problème », c'est qu'il y a un problème. Quand elles ne disent rien, c'est pire.
— C'est un peu faire une généralité, ça... Qu'est-ce qu'il faut faire alors ?
— Fuir. Ne pas être ami avec des femmes. Ne pas se marier.
— Et finir sa vie comme gérant d'une supérette ?
Le vieux frappe ma tête avec son magazine de mots croisés, me faisant pousser un petit cri avant qu'il ne s'assoit en face de moi. Je porte le mug à mes lèvres avant de l'éloigner en manquant de me brûler.
— La patience, répète-t-il en me désignant la boisson. Demain matin tôt, tu iras voir la petite Caramel et tu lui apporteras un paquet de réglisse.
— Mais c'est dégueulasse les réglisses !
— Peut-être mais elle aime ça. Elle venait m'en acheter quand elle était petite. Tu devrais prendre le temps de t'intéresser aux autres. Observe le monde qui t'entoure et apprends à passer au-delà des apparences.
Il fait vraiment très cliché de sage là. J'aurais presque envie de l'appeler « sensei ».
— Pourquoi est-ce que tu ne l'as pas vu ?
— Ça commence à devenir bizarre là, avec toutes vos questions.
— Je te donne les réglisses si tu me réponds.
— Ok deal...
Je ne sais pas ce qui me prend, si je suis en manque d'écoute et de conseil ou si j'ai vraiment besoin d'un psychologue mais je raconte tout à ce vieux monsieur réagissant comme s'il était mon grand-père.
Et quand je dis tout, c'est tout.
Ce n'est pas possible, il doit y avoir de la drogue dans sa tisane pour me délier autant la langue.
Je passe plus d'une heure à raconter ma vie avec plus de détails que je n'en ai donné à Popcorn, comme si la parole auprès d'un adulte ayant du vécu et surtout étant libre de me juger sans conséquence changeait la donne.
Mon enfance au laboratoire, la vie avec Roy, mes changements d'écoles, mon comportement « déviant », mon arrivée à l'Académie et tout ce qui s'en suit... Jusqu'à aborder deux sujets plus personnels : Cotton et Red.
L'une était étrangement attirée par moi et cherchait le contact physique. L'autre... c'était tellement confus que je n'ai même pas réussit à l'expliquer clairement.
— ...Et du coup après que « Morticia » se soit brièvement rapproché de moi, j'ai fui la fête sans aller voir Pop alors que je lui avais promis. J'ai abandonné mes amis.
— C'est vrai.
— Oua. Ok je pensais que vous alliez dire « mais non, c'était normal, tu étais troublé » ou un truc dans le genre. J'ai vraiment merdé autant que ça ?
— Je ne vais pas te rassurer mais à ton âge, les ados sont susceptibles et un rien les chamboulent. C'est les hormones ça. Après il y a un truc à ne pas oublier là-dedans.
— Quoi ?
— Tu es un gamin qui n'a jamais eu d'amis.
— Génial, ça fait tellement plaisir de l'entendre.
— Un sans-ami. Un solitaire involontaire. Le genre de gamin toujours à part qu-
— OUI BON ÇA VA J'AI COMPRIS ! m'énervé-je.
— Est-ce que tes amis et la petite Caramel savent pourquoi on t'a expulsé de tes anciens établissements ? Pourquoi il y a marqué « déviant » dans ton dossier ? Est-ce qu'ils savent au moins ce qu'on t'a fait quand tu étais enfant ?
— ...Non. C'est déjà impossible de commencer une scolarité normal avec ma gueule et mon blaze, ce n'est pas en rajoutant ces détails que ça va m'aider. Je sais que je devrais être sincère mais je n'ai pas envie de leur faire peur. Surtout pas à Pop. Elle est dérangée mais si elle devait me voir dérailler, elle me fuirait. Tous le feraient.
— Je ne pense pas qu'elle soit comme ça et c'est une certitude que Wild n'aurait pas peur. Au lieu de te voir comme un pervers, les gens te verraient comme un mec violent à ne pas approcher. Ce n'est pas plus mal.
— Ça ne facilite pas les relations, surtout si j'ai envie de perdre mon pucelage avant la fin de mes études.
Le vieux grommelle en se servant une autre tasse et je comprends quelques mots comme « ...gosses... obsédés par ça ».
Il a raison mais que voulez-vous ? Je suis un mec, je suis curieux et je ressens la pression de la perte du pucelage comme une très grande majorité d'adolescent à mon âge. Roy m'avait dit qu'il n'y avait pas d'âge pour le faire, qu'il fallait attendre d'être prêt et d'avoir quelqu'un qu'on aime mais... Si seulement c'était aussi simple.
S'il n'y avait pas tant de pression.
Je ne peux pas juger de comment c'est chez les filles mais chez les mecs, c'est toujours le concours de qui a la plus grosse. Qui a fait quoi, qui est encore puceau et d'après ce que j'avais constaté, c'est limite une honte de n'avoir rien fait après nos études. C'est tellement relou comme mentalité. Heureusement que je n'ai qu'un ami mec. Enfin...
« Tu devrais parler de la pomme à la petite caramel. »
Je manque d'avaler de travers et frappe ma poitrine avec mon poing.
— Jamais ! m'exclamé-je. Qu'est-ce que je pourrais dire sur Red ?! Je veux dire, ouais, c'était un moment chelou hier soir mais voilà ! Enfin... Je n'ai pas envie qu'elle se fasse des films !
— Parce qu'il y aurait une raison pour qu'elle se fasse des films ?
— Non ! Du tout ! C'était... non.
— Pourtant j'ai l'impression que si on te pressait, tu sortirais du jus de citron très trouble.
— Ahahahah. Très drôle. Vraiment. Je pense que j'ai été troublé juste parce que j'ai découvert qu'avant, Red était une fille. C'est tout. Je veux dire, ça change la vision qu'on a, non ? Comment est-ce que je dois l'appeler ? C'est il ou elle ? Est-ce qu-
— Calme toi, je te l'ai dit, prend le temps d'observer et de réfléchir. Je le connais ce Red parce qu'il traine parfois avec Wild. Est-ce qu'il a l'air d'être une fille pour toi ?
— Non mais av-
— Est-ce que dans son attitude, tu as eu le moindre soupçon avant d'apprendre que c'était une fille avant ?
— Non...
— Alors voilà. Red est un garçon et il s'identifie comme un garçon donc tu dois le voir comme tel.
— Mais... L'ancienne Red était une femme. Je ne sais même pas s'il est né homme ou s'il a changé de sexe étant plus jeune. Je ne sais pas, je...
— Tu as eu une enfance atypique donc ça ne m'étonne pas que tu n'aies pas de connaissance sur tout ce qui est transidentité. Tout ça c'est censé être le rôle de l'école mais ça fait des lustres que les programmes scolaires imposés par le gouvernement esquivent certains sujets. Tu en apprendras plus dans une bibliothèque.
Je fixe mon mug, les sourcils froncés et l'esprit toujours embrouillé mais tout de même un peu plus clair grâce aux paroles de cet homme. Je regarde mon téléphone et écarquille les yeux en me rendant compte qu'il est bientôt minuit.
— Merde ! Je dois y aller sinon je vais dormir toute ma matinée de cours !
— N'oublie pas d'aller chercher Pop demain matin avec ces réglisses.
Il me donne le paquet qu'il est allé chercher plus tôt pendant notre discussion avant de m'accompagner à la sortie. J'agite mes doigts, gêné par la situation et ne sachant pas comment m'y prendre pour partir.
— Merci pour euh... Pour l'écoute. Je n'ai pas l'habitude de me confier autant... C'est déroutant, monsieur.
— Appelle-moi monsieur Minh. Et si tu veux un peu d'argent, je cherche quelqu'un pour le mardi soir.
— J'y penserais.
J'étire mes bras et mes jambes, me préparant à rentrer en footing avant de lui faire le sourire le plus sincère que j'ai en réserve lorsqu'il conclut notre échange :
« Ne te tracasse pas autant avec tes problèmes. Tu as le temps. Et surtout, tu n'as pas besoin de connaitre le genre d'une personne pour l'apprécier. C'est juste « une personne » que tu aimes. »
Vous êtes un cliché de sage asiatique que j'ai déjà renommé « Minh sensei » dans ma tête.
Oui, j'ai été méchante de vous laisser sur votre faim la semaine dernière mais "déso pas déso" 😈 Que pensez-vous des interrogations de Citrus et son esprit confus ?
De sa peur que Pop lui en veuille et de leur amitié ? De sa rencontre avec monsieur Minh ? Des paroles sages de ce dernier ?
Mon but initial avec cette histoire était d'aborder le thème de la transidentité mais en général toute cette question d'identité qu'on se pose souvent à l'adolescence alors qu'on se cherche. On espère que Citrus arrivera à digéré et voudra en savoir plus !
🍬N'hésitez pas à me soutenir en votant et en donnant votre avis sur ce chapitre en commentaire ! On se retrouve jeudi prochain pour la suite ! 🍬
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