18🍬Wear

« À partir d'aujourd'hui, tu peux m'appeler Roy. »

Recroquevillé dans un coin d'une pièce encore inconnu qu'il avait appelé « salon », mes yeux avaient analysé le moindre objet de cette immense salle colorée. Contrairement à ma « chambre » au laboratoire, cet endroit était chargé et des odeurs inconnues se mélangeaient pour créer une atmosphère presque chaleureuse.

Roy m'avait tendu la main avant de me frotter les cheveux, un sourire gêné sur son visage fatigué. Il m'avait connu à l'état de cellule, m'accompagnant pendant tout mon développement mais malgré ça, il avait des doutes sur sa façon d'agir.

On lui avait confié la lourde tâche de s'occuper de moi, de devenir mon tuteur, et il avait accepté. C'était l'homme encore vivant et en liberté étant le plus capable à m'élever. Il était au courant de tout ce qui était présent dans mon corps, de chaque expérience et de mes facultés.

Normal, c'était lui qui avait été le chef de laboratoire du « projet numéro 8 ».

J'avais eu du mal à le voir autrement que comme un bourreau pendant les premières années. Il en avait clairement bavé avec moi. Je refusais de m'alimenter et passais mes journées à attendre le sommeil.

Je voyais encore ma vie d'un point de vue de rat de laboratoire et cette nouvelle vie avec lui était un test. Il m'avait affirmé que Citrus Lime ne pourrait plus me faire de mal mais je l'imaginais m'observer à travers l'objectif de caméras de surveillance invisible.

C'est lorsqu'il a tenté de me mettre à l'école que tout a changé. Il pensait que j'avais besoin de sociabiliser avec d'autres êtres vivants de mon âge...

L'erreur.

« — Citrus a frappé plusieurs de ses camarades de classe ! Des nez cassés, des plaies et aucune distinction entre les filles et les garçons !

— Son retour à la vie normale était peut-être... trop précoce.

— La maitresse nous a appelés en pleurs et nous avons décidé d'appeler les services sociaux.

En entendant ça, je m'étais recroquevillé sur moi alors que mes poings me brûlaient toujours. Roy les écoutait parler de sécurité de l'enfance et d'autres choses que je ne comprenais pas...

Lorsqu'il se mit à s'énerver.

« Je suis le seul qui peut m'occuper de lui ! Citrus n'est pas un danger mais juste un gamin brisé dès l'enfance et la pire option est de l'éloigner de son dernier repère en nous séparant ! »

J'ai appris le soir même, alors qu'il était au téléphone avec son ex-femme, que Roy avait été mon bourreau mais également mon sauveur.

« Monsieur Lime m'a viré du projet 8 lorsque j'ai refusé de faire des manipulations sur le cerveau du petit. Je me suis battu pendant des mois pour qu'il se fasse arrêter et que l'affaire sur Numéro 8 reste la plus confidentielle possible. Les gens savent qu'il existe mais je refuse qu'on ait pitié de lui toute sa vie ! Putain mais si tu savais tout ce qu'il a enduré... Je ne peux pas l'abandonner. Si je le laisse, il n'aura plus rien. »

Il s'était battu pour moi. Je l'avais enfin compris. Il n'avait été qu'un employé motivé par la passion de la recherche mais il s'était souvenu de l'éthique et de ses limites déjà brisées depuis des années à cause de Citrus Lime.

Roy était un bon gars qui essayait de se faire pardonner en me protégeant, en me remettant sur les bons rails tant bien que mal et surtout en me donnant de l'amour.



« Citrus, tu m'expliques ? »

Et à des centaines de kilomètres de lui, je lui menais toujours la vie dure.

J'arrive devant l'Académie, la respiration erratique après avoir couru et mon cerveau pensant toujours à Red et au mystère que je tentais de soulever.

Mais Roy ne semblait pas être d'humeur pour m'aider. Il était plutôt dans l'optique de m'engueuler d'après le ton de sa voix.

Je ne réponds pas tout de suite, laissant passer des étudiants bruyants avec leur voiture transportant une montagne de boissons alcoolisées et de bonbons pour demain.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise Roy ? Tout est dans la vidéo. Je ne l'ai même pas vu. Qui te l'a envoyé ?

— Ta référente, une certaine Pina Colada.

Oh la connasse.

— Ben c'est la suceuse blonde que tu vois sur la vidéo, celle qui incite son copain et sa bande de gueux à me frapper.

— D'accord, je comprends pourquoi tu es si acide.

— Parce que je suis un bon citron ?

Roy ne dit rien et son long silence me gêne plus qu'autre chose. Il veut des explications mais j'ai peur de le décevoir, lui qui en attendait tellement de mon intégration à l'Académie de Flavor City.

Mais lui cacher la vérité, ce n'est pas la solution... Alors je lui raconte tout.

Comment Pina s'est servi de moi en me faisant passer pour un agresseur sexuel, comment on a tenté de me coincer à de multiples reprises pour me faire payer ce crime que je n'avais pas commis et comment ils ont réussi.

Le temps de parler de tout ça en détail, je suis déjà devant la porte de ma chambre, jetant un coup d'œil à celle de Red. Aucune lumière n'en sort et je déduis que comme chaque vendredi, il doit flâner en ville ou ailleurs avec ses potes « normaux ».

Je baisse la tête alors que mon pied cogne dans un paquet m'étant destiné. Je le fais glisser à l'intérieur jusqu'à me baisser et le poser sur mon bureau.

— Et tu ne t'es pas battu ? me répond Roy après mon monologue. Pas un seul coup ?

— Non. La dernière fois, j'ai à peine pu me retenir et on m'a viré du dernier établissement pouvant m'accueillir alors... Je n'ai pas voulu te causer d'autres problèmes et j'ai encaissé.

— Hum. J'aimerais te féliciter mais ça me fait aussi mal que tu ne puisses pas te défendre alors que tu en as les moyens. C'est frustrant... Mais continue comme ça. Pour cette histoire d'agression, je t'avoue que c'est compliqué. Il faudrait que ta référente avoue tout mais elle n'a pas l'air d'être d'accord pour ça.

Je suis sûr que si j'avouais aux gens que c'est elle qui m'a agressé sexuellement, les réactions seraient différentes parce que je suis un homme et surtout parce que je suis « Citrus ».

— Je savais que l'Académie n'était pas un havre de paix mais de là à t'attirer des problèmes les premières semaines... Bon, c'est déjà mieux que dans tes anciens établissements. D'ailleurs, on m'a dit que tu avais esquivé ta prise de sang de la semaine. Ça a un lien avec le guet-apens ?

— Je n'ai pas envie que l'on découvre que je suis encore plus spécial qu'il n'y parait.

— S'ils ont déjà ton sang, ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne m'appellent pour me demander pourquoi tu sembles avoir des capacités de régénération supérieure à la moyenne. Ça aurait un effet pervers. Les gens pourraient en profiter.

— Dans le genre ?

— Dans le genre te frapper bien plus fort et plus souvent en sachant que ton corps l'encaissera mieux.

Effectivement, je n'ai pas envie d'avoir des douleurs partout chaque jour de la semaine.

Je m'assois sur mon bureau et fronce les sourcils en voyant l'expéditeur du colis mystérieux.

— Tu m'as envoyé un truc ? demandé-je à Roy en sortant une paire de ciseaux pour l'ouvrir.

— J'ai appris que tu avais une soirée d'Halloween et comme je veux que tu te sociabilises un peu plus, je t'ai envoyé un costume.

— Roy... Je comptais ne pas y aller ou alors en fantôme, histoire de ne pas me faire défoncer au premier croisement par des mecs un peu trop alcoolisés.

— Tu verras, celui-là est parfait et tu seras beau dedans. Tu m'avais dit que tu t'étais fait quelques amis donc je veux que tu continues sur cette voie... Et qui sait ? Il y a peut-être une fille dans ton groupe qui pourrait craquer pour toi dans ton costume ? Tu m'avais parlé des clones Cappuccino et de l'autre fille... Cotton Candy, c'est ça ?

— Mouais. J'ai trop parlé visiblement. Les sœurs Cappuccino sont plus des camarades de classe et Cotton...

Le souvenir de la séance de cinéma refait surface dans mon esprit. Sa façon de me parler et de me toucher comme si j'étais le beau gosse le plus désirable aux alentours était très agréable mais... ça m'a angoissé.

J'ai dû mal à saisir ce qu'elle attend de moi.

Surtout quand l'image de Red torse nu apparait soudainement dans mon esprit.

Je secoue la tête pour la chasser et pousse un soupir avant de sourire en déballant le costume. Roy a fait un très bon choix et j'ai hâte de me balader habillé en médecin de la peste dans les couloirs de l'Académie, moi qui est fasciné par les histoires comme celle de la Grande Pandémie d'il y a quelques années.

— J'étais parti pour t'engueuler, commence-t-il, mais je suis heureux que tu arrives à te faire quelques amis. Je suis sûr que tu géreras cette histoire d'agression mais dans le doute, j'ai déjà pris rendez-vous avec le directeur de l'Académie.

— Quoi ? m'exclamé-je. Tu vas venir à Flavor City ?! Quand ?

— Je dois faire passer des partiels et des soutenances donc pas avant lundi dans deux semaines.

Donc après la fête foraine de l'automne. Ça me laisse le temps de réfléchir à comment devenir invisible auprès de Punch et Pina.

— Il faudra que tu me présentes tes amis. Je suis sûr qu'ils doivent être très originaux pour réussir à supporter ton acidité au quotidien !

— Oh ça oui... Et encore, Red n'est pas une pomme si sucrée que ça. J'ai l'impression qu'il pourrait me battre en termes d'honnêteté cinglante. D'ailleurs j'avais une question par rapport à lui.

Je laisse un petit silence s'installer alors que je fais tourner les ciseaux autour de mon doigt.

Je sais que Roy ne compte pas m'avouer ce que l'ancien Citrus Lime a fait à l'ancien Red Apple mais je peux toujours gratter vers la nouvelle idée ayant germé dans ma tête.

— Red Apple était plus vieux que Citrus Lime, non ? Je l'ai cherché dans le YearBook et ils n'avaient pas l'air d'être dans la même promotion.

— Tu es encore là-dessus ? Pourquoi ne pas directement demander à Red ?

— Si tu savais comment il était, tu ne poserais même pas la question.

— Hum. Il me semble de mémoire que Red était plus jeune d'un an.

— Son talent, c'était bien la chanson ?

— Effectivement. Ça l'a toujours été sur des générations.

Parfait, je sais où chercher précisément pour en savoir plus sur lui.

« Pourquoi cette fixation sur Red ? »

Je réfléchis quelques instants à ma réponse et m'apprête à la donner lorsqu'en ouvrant ma fenêtre, j'entends une voix. Celle de Red.

Je penche discrètement la tête et le vois assis sur le toit en brique au-dessus de sa fenêtre, les jambes perdues dans le vide mais s'agitant en rythme et avec calme. Je reconnais une chanson du hitparade et, en entendant sa voix, je suis soudain pris de panique.

Red ne chante pas très bien. Vraiment.

Il a une voix intéressante mais bien trop grave et pas exceptionnelle. Dans un autre registre il pourrait « s'en sortir » mais pas « briller ».

Comment est-ce que la chanson a pu être son talent ? Est-ce qu'il l'a perdu et si oui...

...Est-ce que c'est de la faute de Citrus Lime ? Est-ce que ce sera ça, que Roy et les autres ne veulent pas me révéler ?

Les mots de Roy à l'autre bout du fil résonnent dans le vide alors que je ferme les yeux et me concentre sur la voix de Red. J'imagine déjà la performance de la semaine prochaine à la fête foraine comme étant « moyenne ». Passable.

« Je te rappelle demain. » conclus-je avant de souhaiter une bonne nuit à mon tuteur.

Je laisse la fenêtre ouverte et n'allume que ma lampe de chevet, me déshabillant dans la presque-pénombre jusqu'à me retrouver en boxer, allongé sur mon lit.

Mes doigts passent sur mes bras et mon torse marqué par les cicatrices, des marques que je serais bien obligé de montrer un jour en cours de sport. J'ai réussi à sauter cette matière depuis mon arrivée avec l'excuse de l'attente des résultats d'analyse de mon bilan de santé mais elle ne sera plus valable dans deux semaines.

Je vais devoir enfiler des débardeurs de sport puant la transpiration, lavés une fois tous les deux ans et portés par l'ensemble de l'Académie, tout ça pour faire du basket. Et ça c'est si je suis chanceux car, allez savoir pourquoi, j'ai une chance sur deux d'avoir le sport que je désire.

Je m'explique : dans l'Académie, il n'y a qu'une classe par niveau et cette même classe est coupée en deux pour faciliter l'apprentissage en plus petit groupe. Il n'y a donc que trois classes dans le lycée mais techniquement six groupes. Le système de l'Académie mélange dans le même bâtiment la fin du collège et le lycée, ce qui donne une impression que les couloirs sont toujours bien remplis. Ajouté à cela les élèves en classe préparatoire qui sont moins nombreux mais très actifs dans la vie du campus.

Tout ça pour en venir à ce problème où une partie de ma classe termine le trimestre avec basket quand l'autre a piscine. Cette dernière matière étant partagée avec les élèves de Terminal.

Voilà où je veux en venir : l'ironie de la situation. Ce serait fortement ironique qu'un citron comme moi qualifié de pervers notoire se retrouve dans le cours de piscine partagé par des filles comme Pina à qui je devrais dévoiler mon plus gros complexe. Et si seulement je parlais de ma bite.

Je pousse un soupir en appréhendant déjà les prochaines semaines alors que l'actuelle n'est pas terminé lorsque je remarque que Red a arrêté de chanter. Je tends l'oreille vers la fenêtre et m'apprête à la fermer pour ne pas attraper froid lorsque mon corps se met à frissonner.

*They will tear him down

Ils vont le démolir

Piece by piece, seam by seam

Pièce par pièce, couture par couture

Ce sont mes mots. Ceux que j'avais écrits après être revenu trempé du cinéma. Ceux qu'il a récupérés pour lui tout seul.

Mais...

They will murder everything

Ils assassineront tout

And all he has left is him angelic dream

Et tout ce qui lui reste, c'est son rêve angélique

Je pousse un soupir d'aise malgré moi. Sa voix est en train de me faire chavirer. Elle est « différente ». Plus profonde, plus intense et surtout plus mélodique. Comme s'il avait franchi plusieurs paliers en un instant, qu'il était devenu un chanteur professionnel.

Comme s'il avait un talent particulier.

Lost to the rags

Perdus dans les chiffons

Stitch after stitch, he never gives up

Point après point, il n'abandonne jamais

Blood on his shirt again

Du sang sur sa chemise à nouveau

But he does it all for love

Mais il fait tout cela par amour

Elle est en train de me transporter. Je me sens léger alors que mon cœur tambourine dans ma poitrine. Mon esprit est porté par sa voix et la douceur qu'il met dans ces paroles que j'ai écrites... pour lui.

Je pensais à moi, à mes sentiments, mais en couvrant mes papiers d'encre, je l'imaginais déjà chanter. Je voulais qu'il s'approprie le texte, qu'il me comprenne et qu'il transmette mes émotions.

Et il y arrive bien mieux que n'importe qui. Sa voix... Putain sa voix.

Je suis sûr que s'il chantait contre mon oreille, je pourrais jouir dans mon boxer.

Je rougis à cette simple pensée et pourtant, les cordes vocales de Red sont en train de me faire perdre pied.

Maintenant je sais différencier un talent d'un « talent » à la Jelly Beans : Red Apple a le pouvoir de toucher le cœur des gens.



Que pensez-vous de la relation entre Citrus et son tuteur Roy ? De comment il s'est occupé de lui pour rattraper ses erreurs passés ?

De la voix de Red passant de totalement moyenne à chavirante lorsqu'il chante les paroles écrites par Citrus ? Du trouble causé chez ceux dernier ? Je vois déjà les shippers Citred en liesse 😍

🍬On se retrouve jeudi prochain pour la suite ! N'hésitez pas à voter et commenter pour me soutenir dans l'écriture !🍬

*La chanson et toutes celles "écritent" par Citrus dans cette histoire seront celles de Ken Ashcorp parce que je trouve que ça voix est vraiment très belle et correspondrait bien à Red. Celle que Red chante dans ce chapitre s'appelle "Wear" et est une référence à l'anime Kill la Kill.

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