10🍬Notre détraqué préféré
La tête collée à la vitre, j'ouvre enfin les yeux en entendant le moteur s'arrêter. La pile électrique à côté de moi quitte immédiatement la voiture, provoquant un rire chez Wild sortant son paquet de clopes.
Sa copine Puccino lui chuchote quelque chose à l'oreille avant de sortir et d'ouvrir le coffre pour en extraire un pack de bière acheté une trentaine de minutes plus tôt.
Wild tourne la tête vers moi et glisse une cigarette entre ses lèvres avant de regarder par la fenêtre.
« Réveille toi, tu risques de rater le plus beau spectacle de ta vie. »
Je bâille et quitte la coccinelle en même temps que Wild s'adossant à la voiture et allumant sa clope. J'étire mes bras et me fige devant le « spectacle » dont ils voulaient me parler.
Je comprends alors l'impatience de Pop d'il y a à peine une minute.
Nous sommes à la plage et le soleil est en train de se coucher à l'horizon. Colorant le ciel d'orange et les nuages de rose et de mauve.
Je cours vers la plage et ça peu importe d'avoir du sable rentrant dans mes tennis, jusqu'à arriver au milieu de la dune de sable.
À cet instant, j'ai l'impression d'être dans un monde bien plus vaste. S'étendant au-delà de l'Académie, de Flavor City et de tout ce que j'ai connu. Un monde pouvant être beau même à mes heures les plus sombres.
J'entends des bruits de pas à mes côtés et imagine l'expression de Wild regardant sa copine en train de prendre des photos avec son téléphone en contrebas.
— Je me suis déjà imaginé partir à la poursuite du soleil. Naviguant toujours plus à l'horizon, oubliant la terre et faisant le tour du monde pour ne jamais le voir se coucher.
— Être à jamais piégé dans l'heure dorée.
Je sursaute et tourne doucement la tête à ma droite alors que ce n'est clairement pas la voix de Wild que j'ai entendue.
Red est là, à côté de moi, ses yeux fixant l'horizon alors que son expression a l'air sereine pour la première fois que je le côtoie. Les derniers rayons de soleil donnent des teintes magnifiques à ses cheveux rouges détachés. Ils sont certes tout ébouriffés mais d'une longueur à faire jalouser certaines femmes.
Il ne dit rien de plus et reste à côté de moi, les bras croisés et le vent agitant ses cheveux.
J'ai l'impression que nous vivons un moment rare ensemble et je n'ai pas envie de le gâcher avec mon acidité alors je fais comme lui et je fixe la mer droit devant moi.
Ce silence entre nous est étrangement agréable et me fait ressentir un peu plus intensément tout l'environnement m'entourant. Les grains de sable s'envolant au gré du vent et caressant ma peau, l'air marin emplissant mes poumons, le bruit des mouettes au loin et cette faible chaleur apportée par les derniers moments du soleil.
J'ai même l'impression d'entendre battre le cœur de mon voisin à cet instant.
Soudain, je suis pris d'un élan d'inspiration et sors rapidement mon carnet et mon stylo pour griffonner sur une nouvelle page des mots dans tous les sens. Je sens qu'il m'observe mais il ne fait aucun commentaire, comme s'il avait compris qu'il fallait me laisser seul à cet instant.
— « Et alors que le soleil transforme l'eau en or, mes yeux continuent de se noyer dans une mer aux reflets de lune argentés ; où mes rêves ne sont que chimères et où la vie n'a aucune saveur sans toi. »
— C'est de qui ?
— D'un homme qui, émerveillé par le lever du soleil, a prononcé ces mots à l'amour de sa vie. Je n'ai fait que retenir ce qu'il y a marqué sur la pancarte à l'entrée de la plage.
— C'est magnifique, murmuré-je en notant la citation sur mon carnet.
— Hey.
Je tourne la tête et écarquille les yeux en voyant Red si près de moi. Il saisit mon menton de ses doigts et dirige mon visage vers le soleil s'effaçant peu à peu.
« Profite du moment présent parce qu'il ne suffit que d'une nuit pour que ta mémoire fasse le tri et se mette à oublier cet instant. »
Son épaule est collée à la mienne, ses cheveux chatouillent mon cou et ses doigts caressent doucement mon menton avant de quitter mon visage. Ma respiration se cale sur celle de Red alors que le ciel s'assombrit et que le dernier rayon ne disparaisse à l'horizon.
« Voilà, c'était pas compliqué. »
Sa main tapote mon épaule alors que je l'entends s'éloigner avant que la voix de Wild me parvienne derrière moi, saluant surement ce garçon venant malgré moi d'accélérer mon rythme cardiaque en quelques minutes.
Wow. Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?
Je referme mon carnet et le range en me tournant vers le haut de la dune où Wild fume sa cigarette. Il descend vers moi, expulsant sa fumée à mon opposé avant de soupirer.
— C'était Red ? demandé-je pour être sûr de ne pas m'être trompé.
— Ouaip. Je lui ai proposé de rester boire des bières avec nous mais il semble avoir d'autres plans pour la soirée. Et puis cet endroit...
— Quoi ?
— À chaque fois que l'on se retrouve ici avec lui, j'ai l'impression que se perd.
— Dans le sens littéral ou figuré ?
— Figuré. Je crois que cet endroit est chargé de souvenir pour lui.
— Hm...
— En tout cas ça fait plaisir de voir que vous pouvez avoir une conversation sans qu'il ne veuille te péter la gueule ! Comme quoi, j'ai bien fait de vous laisser seul hier après-midi. Il ne suffit que d'un moment pour qu'une relation s'apaise.
— Et il faut quoi pour qu'elle devienne amicale ?
— De l'alcool.
Je réponds au sourire de Wild m'entrainant en bas de la dune pour rejoindre les filles et débuter notre soirée autour d'un feu improvisé et d'un pack de blondes.
Même si au fil de la soirée la température tombe, je ne peux qu'apprécier ce moment avec eux. L'excitation constante de Pop et son intérêt pour moi, les piques de Pucci à son copain et Wild jouant au rebelle en nous racontant sa révolte face à l'administration de l'Académie.
Et moi leur racontant ma crise d'hier après-midi, me mettant extrêmement mal à l'aise face à eux jusqu'à ce que Pop lève sa bière et s'exclame :
« À Citrus Lime ! Notre détraqué préféré ! Santé ! »
C'est en entendant ces mots de la bouche de ma camarade de classe que je ressens pour la première fois depuis longtemps du bonheur en moi.
Nous nous connaissons à peine et pourtant, avec cette soirée et nos discussions, je comprends ce qu'a voulu me dire Roy, ou plutôt John Lennon : Être honnête ne vous apportera pas beaucoup d'amis mais ça vous apportera les bons.
À cet instant et la tête sous les étoiles, je noue mes premiers liens d'amitié avec des adolescents aussi dérangés que moi.
Des clones qui réussissent à « être » alors que pour l'instant, je ne fais que « subir » ce que je suis.
Mais je viens à peine d'arriver à Flavor City et je suis prêt à laisser le temps et mes nouvelles relations me changer en une meilleure version de « Citrus Lime ».
🍬 🍬 🍬
Si mon week-end s'est terminé par une gueule de bois que j'ai dû traiter toute ma journée de dimanche, mon début de semaine n'est pas plus glorieux.
Pina est revenu vers moi, avec le plus grand des culots, pour me transmettre une pile de documents donnés par mes professeurs avec la mention « à rattraper ». En effet, ces derniers n'avaient pas chômé pendant leurs jours de repos et m'avaient donné une montagne d'exercice censé évaluer mon niveau actuel et en faire une remise à niveau.
L'Académie accueillait certes les gens chtarbées mais elle se refusait à accueillir un « débile » de plus dans ses rangs, d'après les mots de Pina elle-même.
Je me suis gardé une réflexion acide sur le Q.I de son copain avant d'accepter ces travaux et de la laisser partir dans les couloirs bondés et sous le regard des autres élèves. Murmurant qu'elle avait du courage de rester ma référente et de me « soutenir » après ce que j'avais fait.
Une rumeur qui ne se tassait pas et faisait grandir la haine des autres sur ma personne.
Ce n'est qu'une question de temps avant que Punch et sa bande ne me tabassent en plein milieu du terrain de foot. Je ne suis indemne que parce que je suis maître dans l'art d'éviter les confrontations.
Je passe mon lundi, mardi et mercredi à bucher très tard sur les exercices des profs et réussi à rendre mercredi soir une copie à chacun d'eux. Si ma vitesse pour m'occuper de ces devoirs les surprend, je sais d'avance que mes résultats ne seront que corrects.
Citrus Lime était exceptionnel en sciences et moi, je suis son opposé avec un faible pour les langues.
Mes rares pauses sont passées avec Pop écoutant mes histoires pour mieux les analyser et compléter le profil qu'elle établit sur moi. Ce qui me rassure depuis samedi soir, c'est que maintenant, elle me parle également de ses activités et passions.
Comme si dorénavant et sans le dire clairement, notre amitié était validée.
Le malaise de mon début de semaine est le mardi matin avant d'aller en cours quand je craque pour me prendre un café au On The Rocks. Cotton a l'air ravie de me voir, comme si encore une fois le précédent incident entre nous n'avait pas eu lieu. Tout se passe bien sauf lorsqu'elle me précise que Punch ne compte pas lâcher l'affaire avec moi et que la prochaine fois, elle ne pourra pas me défendre.
Et en parlant de bagarre, mon voisin de casier n'a pas changé contrairement à ce que j'aurais pu penser depuis cet instant étrange entre nous à la plage. Il passe beaucoup de temps à dormir en cours ou à sécher. Le peu de fois où il m'adresse la parole c'est soit pour me demander de me grouiller en rangeant mon casier, soit me demander un stylo en cours ou lorsqu'il toque à la porte de ma chambre comme hier soir avec mon boxer dans les mains.
Oui, j'avais oublié mon froc dans notre salle de bain commune et oui, c'était gênant. Juste pour moi car lui avait l'air de complètement s'en foutre.
C'est après tout ce début de semaine tendu et l'esprit encore pleins de leçons d'économies et de formules mathématiques incompréhensibles que j'arrive à la cafétéria avec une Pop affamée.
Nous effectuons notre « check-up » habituel pour vérifier s'il n'y a aucune brute voulant me casser la gueule, avant de remplir nos plateaux de nourriture et de nous apprêter à les emmener dehors pour manger au calme et en sécurité...
Lorsque nous sursautons en entendant un sifflement résonnant dans tout le réfectoire.
« IL EST LÀ ! CHOPEZ-LE ! »
Nous tournons la tête alors qu'une meute de sportifs descend de l'escalier menant à la partie supérieure du réfectoire, là où « l'élite selon eux » déjeune entre eux.
Pop et moi avons un bref échange de regard avant qu'elle s'exclame « COURT ! ». Je lui laisse mon sac à dos et commence à bousculer des étudiants pour me frayer un chemin vers la sortie.
Arrivé à la sortie du réfectoire, je fais l'erreur de tourner la tête pour retrouver Pop mais mon regard croise celui de Punch. Il passe un doigt sur son cou pour me faire comprendre que s'ils m'attrapent, je serais un citron pressé jusqu'à la dernière goutte.
Je prends une grande inspiration et fonce à travers les couloirs de bâtiment alors que les gens s'écartent et hurle aux mecs me poursuivant « Attrapez-le ! ».
Ce sont des chiens et je suis leur gibier. Celui qu'ils désirent depuis des jours.
« Il court vite mais il va falloir faire quelque chose pour son endurance. Augmentez les exercices physiques. »
Je me vois encore transpirer à grosses gouttes sur le tapis de course, le cœur sur le point d'exploser et les jambes en feu. Je passe ma main sur mon front et regarde la vitre en face de moi.
Il me fixe en s'appuyant sur sa canne. Ces yeux émeraude identiques au mien mais sans une once de chaleur. Je l'entends parler avec Roy, son responsable de labo. Ils veulent que je cours encore plus alors que je suis à bout.
« Allez, on est reparti... »
Le tapis de course redémarre sans même me laisser le temps de reprendre mon souffle.
Ce n'est qu'après une seule minute que je m'écroule, mes jambes ne me soutenant plus, et que je vomis au sol mon maigre repas par perfusion.
C'est acide et amer.
« Numéro 8, remonte sur ce tapis. Cours comme si la mort te poursuivait. »
J'ouvre grand les yeux, implorant du regard mon double alors que son employé tente de le convaincre que ce n'est clairement pas une bonne idée. Mais il ne veut rien entendre. Il faudrait que je meurs sur ce tapis pour qu'il lâche l'affaire.
Je n'en suis pas mort mais ce souvenir ravive en moi des douleurs me poussant à aller plus vite, plus loin et à tenir le coup alors que l'on veut ma peau.
Que pensez-vous de ce moment à la plage ? De cet instant étrange entre Citrus et Red ? De ces nouvelles amitiés ? Pensez-vous que Citrus va échapper à Punch et sa meute ?
🍬Retrouvez la suite des aventures de votre citron préféré jeudi prochain avec un nouveau chapitre ! En attendant, n'hésitez pas à voter et donner votre avis en commentaire. 🍬
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top