1🍬Acidité

Je n'aime pas les clichés. Le type d'histoire pour adolescent commençant avec l'arrivée d'un nouvel élève qui tombe amoureux dès le premier jour de la plus populaire des filles du lycée, généralement pom-pom girl. Le genre de héros un peu geek, invisible, qui doit passer de nombreuses épreuves pour avoir le Saint Graal : un roulage de pelle sur fond de musique pop héroïque sous la pluie ou au bal du bahut.

Le genre à avoir un meilleur ami gay cliché qui l'aide dans sa relation à 100% sans se soucier de ses propres problèmes. Le héros qui a une vie familiale insatisfaisante mais bien existante ou alors des milliards de problèmes lui donnant un côté un peu « sombre ».

Un héros auquel on peut tous s'identifier ou s'attacher.

Je ne suis pas ce genre de « héros ». Du moins, je ne veux pas l'être. Changez d'histoire.

« Citrus Lime, vous êtes attendu par le proviseur. » me dit la secrétaire me faisant sortir de mon monologue intérieur en me désignant la porte du bureau.

Lorsque je pénètre dans cette pièce austère où la seule décoration est une série de bibliothèques contenant des distinctions et cadres photos poussiéreux, le proviseur de mon nouvel établissement me tourne le dos.

Comme si observer la plèbe par la fenêtre était plus distrayant qu'être poli envers moi.

Un simple « asseyez-vous » me délivre de l'attente pesante que je subis depuis de longues secondes. Le proviseur, un homme de la quarantaine avec un bide à bière et une calvitie apparente me fait enfin face et m'observe en détail comme si j'étais une créature étrange.

— Je vous épargne le speech cliché, commencé-je, blablabla vous êtes nouveau, blabla viré de votre ancien lycée, blabla discipline, blabla v-

— On m'avait prévenu que vous étiez un adolescent impertinent, m'interrompt-il. Mais vous savez quoi, monsieur Lime ? Amusez-vous à cracher votre acidité autant que vous le voulez car ce n'est pas moi qui vais vous calmer mais vos camarades.

— Développez ?

— Si vous n'avez pas été intégré dans cet établissement depuis le collège, c'est parce que vous avez été protégé par votre tuteur car tout le monde, je dis bien tout le monde ici, sait qui vous êtes : une erreur, une chose qui n'aurait pas dû voir le jour. Le clone d'un sociopathe.

Mes poings se serrent immédiatement et je ne peux retenir la rage qui commence à m'envahir que par un rictus mauvais.

Encore et toujours, jusqu'à la fin de ma vie, on me comparera à « l'original ».

« Citrus Lime », ancien élève de cette académie. Un homme très intelligent mais dénué de talent et détraqué, le « génie du mal » comme on en voit dans les dessins-animés.

Mon créateur qui depuis des années croupit en prison et dont je suis le clone amélioré mais dénué de talent. Je n'ai hérité de lui que son acidité, pas d'intelligence supérieure à la moyenne et un désintérêt total pour les Jelly Beans.

Les Jelly Beans étant un groupe de célébrité aux talents presque surnaturels leur donnant accès à tout ce que peut désirer n'importe quel humain et à l'admiration de tous.

Je pense qu'un peu d'histoire ne ferait pas de mal : il y a les humains normaux et puis ce qu'on appelle les enfants « jelly belly ». Un changement génétique depuis des générations ayant modifié l'apparence de personne lambda, leur donnant parfois des talents particuliers comme une force incroyable, un don avec la peinture, la capacité à négocier n'importe quoi, une virtuosité folle sur un clavier et j'en passe.

Depuis des centaines d'années maintenant, ces êtres particuliers, lorsqu'ils approchent de leur fin de vie, se clone pour créer une nouvelle vie tout en transmettant une partie de leurs expériences et personnalité. L'être devient un réceptacle destiné à reproduire le même schéma encore et encore... en théorie.

La monotonie de ce système a créé le groupe des Jelly Beans. Un objectif à atteindre pour tous ces êtres cherchant inconsciemment à chaque nouvelle vie le moyen de devenir le meilleur en étant LE « Jelly Beans » de sa génération. Un titre que mon géniteur, Citrus Lime, n'a pas obtenu. Il est le premier Citrus de l'histoire et également le premier « jelly belly » à avoir l'interdiction de produire un clone de lui-même. Une mesure l'empêchant à tout jamais de devenir un Jelly Beans... Avant qu'il ne me conçoive illégalement.

Moi, je suis juste Citrus et j'aimerais que les gens arrêtent de me voir comme le simple « clone d'un raté », ce qui n'est pas près d'arriver dans cette école.

— Ça vous calme hein ? reprend le proviseur fier de lui. Parfait, j'espère que vous allez en baver ici.

— Vous n'êtes pas censé être bienveillant auprès de tous les étudiants, monsieur ?

— Pas auprès des déchets comme vous. Restez à votre place et ne crée pas d'embrouille avec vos camarades et peut-être qu'on vous donnera un diplôme à la fin de votre scolarité. Bien, si c'est compris je vais vous faire remplir des documents et ensuite vous irez visiter l'école et les dortoirs avec votre référent.

— Compris...

J'avais dit que je n'aimais pas les clichés mais être possiblement la victime de toute une école avant même les premiers cours, c'est cliché ? Peut-être bien.

Une demi-heure de formalité plus tard, j'attends à nouveau devant le bureau de la secrétaire tapant frénétiquement sur son clavier d'ordinateur comme si elle codait pour le site du gouvernement lorsque la porte derrière moi s'ouvre.

« Bonjour Madame ! Je viens chercher Citrus Lime. »

Est-ce que c'est le moment où je dois rencontrer l'amour de ma vie ?

Une fille fine au teint de porcelaine, de longs cheveux blonds attachés avec un chouchou aussi rose que ses grands yeux. Elle porte un pull blanc col roulé avec par-dessus un haut jaune finissant en robe.

Elle tourne la tête vers moi et me dévisage de la tête au pied avant de sourire et de me tendre sa main pour serrer la mienne.

— C'est son dossier ? dit-elle en saisissant la pochette où je venais de ranger toutes les feuilles remplies chez le proviseur. Je m'occupe de lui !

— Mademoiselle Colada ici présente va se charger de votre intégration dans cet établissement. Si vous avez un problème, merci de vous en référer à elle et elle nous transmettra vos besoins.

Je hoche la tête avant de suivre la souriante « mademoiselle Colada » dans les couloirs vides de l'Académie. D'un an mon aînée, Pina Colada est une fille dynamique récitant avec entrain un discours préparé au millimètre près.

De la présentation de chaque classe et club, des anecdotes sur la vie du lycée en passant par des commentaires sur la nourriture servie à la cafétéria, j'ai l'impression d'entendre une fille formatée dans son rôle de référente.

Il n'y a que lorsque nous traversons le parc où quelques étudiants profitent du soleil de ce dimanche après-midi qu'elle semble changer d'attitude. Une démarche plus rapide, évitant les regards et présentant succinctement la partie extérieure jusqu'à ce qu'on arrive aux dortoirs des hommes.

Un bâtiment en brique rouge envahit à certains endroits par du lierre grimpant allant jusqu'aux volets noirs des fenêtres. Quatre étages dont un avec une terrasse habillée de porte-drapeau de Flavor City, de l'étendard de l'établissement et en prime, du symbole des Jelly Beans.

À l'opposé, je suppose apercevoir le dortoir des filles un peu plus grand et, séparant les deux bâtiments, une grande maison blanche et verte d'architecture coloniale où un petit groupe d'adolescents est assis sur les marches en bois à discuter.

« Le bâtiment n'est pas immense car beaucoup d'élèves habitent à Flavor City mais ceux dont on a repéré le potentiel venant de loin sont tous regroupés ici. Il n'y a pas de couvre-feu car beaucoup d'étudiants travaillent jusqu'à très tard en ville et puis... »

Soudain, Pina s'arrête de parler et semble hésiter à pousser la porte du dortoir.

Est-ce qu'elle a peur de voir des mecs se balader à poil ?

— Je suis désolée par avance, dit-elle en se tournant vers moi. À la base tu ne devais pas m'avoir comme référente mais aucun garçon n'a voulu de toi.

— Oua merci ça fait plaisir et c'était exactement le bon moment pour me le dire ! Est-ce qu'on peut entrer ?

— Tu... te fiches de tout ça ? Tu es à peine arrivé que tu découvres que personne dans l'école ne veut avoir affaire à toi et ça ne provoque que du sarcasme chez toi ?

— T'as tout compris. Par contre, c'est moi qui suis désolé d'avance.

— Pourquoi ?

— Tu vas avoir une tonne de boulot avec moi.

Elle ne saisit pas ce que je veux dire mais ça va venir vite, très vite.

Je ne suis pas le cliché de l'adolescent harcelé à l'école... Enfin pas loin. J'ai bien été harcelé et je sens que ce sera pareil ici mais ça ne dure jamais longtemps.

Elle ouvre la porte et s'écarte avec rapidité sur le côté alors qu'un seau entier rempli d'eau glacée m'est jeté à la figure.

J'entends des espèces d'aboiements, summum de la virilité pour certains, pendant que j'essuie mes yeux avec les manches trempés de mon sweat. La quasi-intégralité de mon corps est mouillée et seul mon sac à dos a été épargné. Pina n'a pas reçu une seule goutte, surement mise au courant de la « farce » des pensionnaires mâles et stupides braillant devant moi.

« DEHORS LE CITRON ! DEHORS LE CITRON ! »

C'est tout ? C'est ça, leur moyen de montrer que je ne suis pas le bienvenu ? Ça ne mérite même pas mon attention.

Je secoue légèrement mes cheveux avant de tourner la tête vers Pina et de lui sourire. Une réaction qui fait taire tout le monde et provoque une surprise encore plus grande chez la demoiselle.

« On continue ? » chuchoté-je presque, la faisant rougir par la même occasion. Elle recoiffe une de ses mèches avec maladresse avant de traverser le hall où tous les « chiens » me dévisagent. Je les ignore royalement et c'est dans un silence de mort que nous arrivons au dernier étage réservé aux nouveaux arrivants et marginaux.

— Il n'y a pas beaucoup de chambres individuelles mais...

— Je sais, on m'a volontairement mis à l'écart.

— Voilà... On entre ? Je dois vérifier des points de ton dossier.

Je pousse la porte de ma nouvelle chambre possédant un simple lit, un bureau et son siège, une armoire et une lampe sur pied. Pina reste debout devant la porte alors que j'en fais le tour pendant qu'elle lit mon dossier.

— J'ai une question, dit-elle après une bonne minute de silence, il est noté que tu n'es resté dans ton ancien lycée qu'un mois. « Comportement déviant », c'est-à-dire ?

— Tu es du genre à vouloir être en bonne entente avec tout le monde, c'est ça ?

— ...Hein ?

— Le genre belle fille populaire que tout le monde aime. Je suis sûr que tu fais un sport en club du genre pom-pom girl, j'ai pas raison ?

— Euh... Je suis dans le club de majorette mais-

— Voilà c'est ça ! Capitaine des majorettes ? Tu sors avec un des joueurs de l'équipe de football américain ?

— Oui mais je ne v-

— Bon alors je te préviens : tu vas me mépriser. Je le sais d'avance. L'école entière va m'avoir en grippe et en tant que fille populaire, tu vas devoir suivre le troupeau. Autant s'épargner l'hypocrisie dégoulinante de tes lèvres.

Pina ne dit rien, choquée par mon honnêteté acide, avant de refermer mon dossier et de conclure notre échange en me tendant une carte de référent avec son numéro de téléphone en cas de problème.

Enfin seul, je jette mon sac à dos par terre et retire mes vêtements mouillés avant d'ouvrir l'armoire et de trouver l'uniforme officiel de l'Académie de Flavor City que j'enfile pour ne pas attraper froid.

Un coup d'œil par la fenêtre, observant les « chiens » retourner à leurs occupations de l'après-midi après ma pseudo humiliation, je compte déjà les minutes me séparant de la liberté.



🍬CHAPITRE 2 DÉJÀ DISPONIBLE ! 🍬

Que pensez-vous de ce premier aperçu de Citrus ? De son arrivée à l'Académie et de cet univers en général ? J'attends avec impatience vos retours sur ce nouveau projet !

🍬N'hésitez pas à d'ores et déjà me soutenir en votant pour ce chapitre !🍬

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top